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13 février 2013 Revue Médicale Suisse
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En 1992, à lâge de 42 ans, ce patient
avait subi de nombreuses investiga-
tions en raison d’épigastralgies, de cé-
phalées, d’une intolérance à certains
aliments et de tests hépatiques per-
turbés.
Léchographie abdominale avait révélé une
cholestérolose vésiculaire avec un petit po-
lype et lœsogastroduodénoscopie (OGD)
une discrète œsophagite de reflux et une
gastrite érosive antrale.
Le patient a alors subi une cholécystec-
tomie et une ponction-biopsie hépatique
(PBF) par voie laparoscopique. Lexamen
anatomopathologique a conclu à une cho-
lestérolose de la vésicule biliaire et à une
stéatose hépatique (50% des hépatocytes,
avec légère inflammation banale et légère
hémosidérose, sans signe déthylisme chro-
nique), un diagnostic correspondant à ce
que nous appelons actuellement stéatohé-
patite non alcoolique (NASH).
A suivi une période peu sympto
matique,
avec pour traitement un régime seul (dimi-
nution des produits laitiers, suppression de
l’alcool, augmentation des fruits, utilisation
d’huile de colza).
Le bilan biologique de février 2002 a per-
mis dexclure une hépatite A, B ou C, mais
montré une bilirubine toujours légèrement
élevée et un taux de prothrombine (TP)
spontané à 64%.
En 2007, sont apparus des symptômes
mêlant céphalées postprandiales, intoléran-
ce alimentaire et, occasionnellement, des
épisodes de diarrhées. Des épigastralgies
ont motivé une nouvelle OGD qui a révélé
une œsophagite de reflux discrète et une
gastrite biliaire (de signification clinique con-
troversée selon le gastroentérologue).
Malgré un traitement d’Ulcogant 4 x/jour,
des douleurs abdominales intenses, récidi-
vantes, ont moti un bilan complémentaire
(tableau 1).
Le CT-scan abdominal, l’échographie, puis
l’IRM ont montré plusieurs nodules hépa-
tiques suggérant une stéatose ou des adé-
nomes multiples. Une PBF programmée au
début de lannée suivante a dû être repous-
sée en raison dun TP spontané à 60% (mal-
gré l’administration de Konakion PO avant
l’intervention).
Le patient a alors été adressé à un héma-
tologue qui note une diminution des fac-
teurs VII et X, compatible avec un déficit en
vitamine K et retient le diagnostic vraisem-
blable de malabsorption. Une hémochro-
matose a été exclue par dosage génétique.
Des injections de Konakion IV ont permis
d’augmenter le TP et d’effectuer une PBF
sous contrôle échographique. Celle-ci a
révélé une hépatite chronique avec une ac-
tivité inflammatoire légère à modérée, un
remaniement hépatique fibreux et de larges
plages de dysplasie à petites cellules.
Les plaintes du patient, associant nausées,
vomissements, crampes abdominales vio-
lentes et parfois diarrhées, étant toujours
présentes, un traitement de Créon, Légalon,
Hépa-S, spasmolytiques et inhibiteurs de
la pompe à protons a été introduit, sans
réelle efficacité.
Le patient a alors été adressé à un autre
gastroentérologue qui a retenu, parmi les
diagnostics possibles pour les douleurs ab-
dominales, une possible migraine atypi que.
Le patient a ensuite été envoyé vers un neu-
ro logue qui a conclu à des céphalées d’al-
lure mixte, migraineuses et tensionnelles, et
pro
posé un traitement de métamizole puis,
en cas d’inefficaci, délétriptan. Ces deux
trai tements n’ont pas modifié les symptômes.
Finalement, en 2008, sur la base dune
céruloplasmine non mesurable, d’une cupru-
rie de 24 heures augmentée et d’une ana-
lyse génétique (trois mutations du gène
ATP7B), le diagnostic de maladie de Wilson
a été posé à l’Inselspital, à Berne.
Lévolution a été favorable sous traitement
oral de pénicillamine Da associée à la vita-
mine B6b, ce qui a permis de stabiliser les
valeurs biologiques.
Enfin, au début 2012, le patient qui pre-
nait régulièrement son traitement de péni-
cillamine D a présenté une récidive de dou-
leurs abdominales intenses, avec nausées
et vomissements. Le bilan complémentaire
(échographie et CT-scan) a posé le diag-
nostic de carcinome hépatocellulaire multi-
focal (évolution extrêmement rare dans le
cadre d’une maladie de Wilson) et motivé
une résection hépatique atypique en février
de la même année.
Maladie de Wilson : errance
programmée ?
court-circuit
M. Bersier
I. Pache
Dr Michel Bersier
FMH médecine générale
Route de Fin-de-Plan 14
1774 Cousset
Dr Isabelle Pache
Service de gastro-entérologie
et d’hépatologie
CHUV, 1011 Lausanne
Rev Med Suisse 2013 ; 9 : 384-5
a La pénicillamine D se combine au cuivre ionique pour
former un complexe non toxique éliminé par voie rénale.
Elle induit également la synthèse de métallothionéines, des
protéines fixant le cuivre.
b La pénicillamine D réduit l’absorption de la vitamine B6.
Coordination rédactionnelle
Dr Pierre-Alain Plan
Examens Résultats
2007 2008 2011 Valeurs normales
Hémoglobine 133 g/l 120-165 g/l
Hématocrite 39,5% 35-50%
Leucocytes 5,4 G/l 3,5-10 106/mm3
Thrombocytes 199 T/l 150-390 103/mm3
TP 55% 58% 65% 70-100%
ASAT 22 U/l 37 U/l 32 U/l l 50 U/l
ALAT 42 U/l 56 U/l 57 U/l l 50 U/l
Gamma-GT 120 U/l 147 U/l 98 U/l 8-61 U/l
Phosphatase alcaline 75 U/l 86 U/l 65 U/l l 129 U/l
Créatinine 70 μmol/l l 110 mmol/l
Ferritine 506 mg/l 30-400 mg/l
Céruloplasmine l 10 g/l l 0,7 g/l
Cuprurie/24 heures 9,3 mmol/24 heures 0,8 mmol/24 heures
Tableau 1. Bilans biologiques successifs
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Bibliographie
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Diagnosis and treatment of Wilson disease – an update.
Hepatology 2008;47:2089-111.
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Hiroz P, Antonio A, Doerig C, Pache I, Moradpour D.
La maladie de Wilson : un caméléon clinique auquel il faut
penser. Rev Med Suisse 2011;7:1690-5.
Après une période postopératoire difficile,
marquée par une importante perte pondé-
rale, l’état général s’est amélioré. Le traite-
ment de pénicillamine D a été poursuivi.
questions au spécialiste
Faut-il systématiquement doser la
céruloplasmine en cas de stéatohé-
patite non alcoolique (NASH) ou d’hé-
patopathie d’origine peu claire ?
Une maladie de Wilson doit être considé-
rée chez toute personne présentant une
perturbation des tests hépatiques d’origine
indéterminée, avec ou sans troubles neuro-
logiques ou neuropsychiatriques associés.
Si cela est surtout recommandé pour les per-
sonnes entre 3 et 55 ans, l’âge seul ne doit
pas être un critère d’exclusion de la maladie.
La maladie doit également être sus pectée
en cas d’hépatite auto-immune atypi que ou
répondant mal au traitement, lors de lésions
histologiques évoquant une NASH ou une
hépatite alcoolique, lors d’une insuffisance
hépatique aiguë associée à une hémolyse
intravasculaire Coombs négative, avec une
élévation modérée des transaminases ou
une phosphatase alcaline basse avec un
rapport phosphatase alcaline/bilirubine l 2.
La céruloplasmine est typiquement abais-
sée, mais elle peut être faussement norma-
le en cas dinflammation ou d’hyperœstro-
génisme (grossesse ou œstrogénothérapie
par exemple). Son dosage ne peut donc, à
lui seul, permettre de poser ou d’infirmer le
diagnostic de maladie de Wilson.
Quelle attitude adopter envers les
frères et sœurs ou les descendants
d’une personne atteinte de la mala-
die de Wilson ? Un dépistage ou des
tests génétiques doivent-ils être ef-
fectués chez les proches ?
Le dépistage des parents du 1er degré
est fortement recommandé. La fratrie d’un
patient homozygote a environ 25% de ris-
que de développer une maladie clinique.
Ce risque n’est que de 0,5% chez les en-
fants mais, en raison de la sévérité de la
maladie, un diagnostic précoce est justifié.
Idéalement, un diagnostic moléculaire
de la mutation ATP7B présente chez le pa-
rent index est recommandé. Si ce test n’est
pas disponible, il est recommandé de faire
un examen clinique à la recherche de si-
gnes d’hépatopathie, de troubles neurologi-
ques et/ou dun anneau de Kayser-Fleischer
(lampe à fente par un ophtalmologue). Le
bilan biologique inclut la fonction hépatique
(TP, albumine, bilirubine totale et directe),
les tests hépatiques de cytolyse et de cho-
lestase (ASAT, ALAT, phosphatase alcaline
et gGT) et un dosage de la céruloplasmine.
Quel traitement/régime proposer une
fois le diagnostic confirmé ?
Une fois le diagnostic établi, un régime
pauvre en cuivre et un traitement médica-
menteux doivent être introduits et poursui-
vis à vie en labsence de transplantation hé-
patique. Les aliments riches en cuivre sont
les fruits de mer, les noix, le chocolat, les
champignons et les abats. L’eau circulant
dans des canalisations en cuivre ne peut
être consommée et il convient déviter de
cuisiner dans des récipients en cuivre.
Le traitement initial des patients sympto-
matiques doit inclure un agent chélateur
(pénicillamine D ou trientine). Le traitement
des patients asymptomatiques ou ayant
une manifestation neurologique seulement
peut être effectué soit par un agent chéla-
teur, soit par du zinc. La pénicillamine D
(750-1500 mg/jour) doit être prise en 2-3
doses, une heure avant les repas, avec une
supplémentation de pyridoxine (25-50 mg/
jour). La trientine (900-2700 mg/jour) se
prend également en 2-3 doses quotidien-
nes, une heure avant ou trois heures après
les repas. Le zinc (150 mg/jour) se prend
3
x/jour 30 minutes avant les repas.
Quels contrôles effectuer et à quelle
fréquence une fois le diagnostic posé
et le traitement instauré ?
En début de traitement, le type et la f-
quence des contrôles dépendent de la subs-
tance utilisée. Une fois la maladie stabilisée,
le suivi de routine est biannuel. Il doit com-
prendre un taux de cuivre sérique total, le
cuivre sérique non lié à la céruloplasmine,
la céruloplasmine, les tests hépatiques de
Soumettez un cas
Interrogez le spécialiste de votre choix. Posez-lui des questions directement en lien
avec un problème de médecine de premier recours auquel vous avez été confronté.
Des informations complémentaires concernant la rubrique sont disponibles sur le
site de la Revue Médicale Suisse (http://rms.medhyg.ch/court-circuit.pdf)
Envoi des textes à : [email protected] (avec mention «rubrique court-circuit»)
Comité de lecture : Dr Gilbert Abetel, Orbe ; Dr Patrick Bovier, Lausanne ; Dr Vincent Guggi,
Payerne ; Dr Philippe Hungerbühler, Yverdon-les-Bains ; Dr Ivan Nemitz, Estavayer-le-Lac ;
Dr Pierre-Alain Plan, Grandson
cytolyse et de cholestase, le TP, l’albumine,
la bilirubine totale et directe, une formule
sanguine avec répartition, une cuprémie de
24 heures sous traitement et éventuellement
aussi 48 heures après l’arrêt du traitement
(pour la pénicillamine D et la trientine). En
cas de cirrhose ou de fibrose avancée, un
dépistage précoce du carcinome hépatocel-
lulaire est également nécessaire au moyen
d’un ultrason hépatique w un dosage de
l’a-fœtoprotéine.
Les écarts de régime occasionnels
peuvent-ils poser problème (par exem-
ple : envie de manger comme les au-
tres au restaurant) ?
Les aliments riches en cuivre doivent être
strictement évités durant la première année
de traitement. Par la suite, et seulement si
le patient est stable, une consommation très
occasionnelle et en petite quantité de ces
aliments peut être tolérée.
Le traitement et le pronostic du car-
cinome hépatocellulaire survenant
dans le cadre d’une maladie de Wilson
sont-ils similaires à ceux des formes
«classiques» ?
Si la fréquence d’apparition d’un carci-
nome hépatocellulaire lors d’une cirrhose
ou d’unebrose avancée sur maladie de
Wilson est plus faible que dans dautres hé-
patopathies chroniques, le traitement et le
pronostic sont les mêmes. Les lésions de
petite taille, en faible nombre, sans invasion
vasculaire ou métastases extra-hépatiques
ayant un bien meilleur pronostic, un dépis-
tage précoce de carcinome hépatocellulai-
re est recommandé chez ces patients. Un
bénéfice sur la survie des patients a en effet
été démontré, quelle que soit la maladie
hépatique sous-jacente.
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