court-circuit M. Bersier I. Pache Dr Michel Bersier FMH médecine générale Route de Fin-de-Plan 14 1774 Cousset Dr Isabelle Pache Service de gastro-entérologie et d’hépatologie CHUV, 1011 Lausanne Coordination rédactionnelle Dr Pierre-Alain Plan Rev Med Suisse 2013 ; 9 : 384-5 En 1992, à l’âge de 42 ans, ce patient avait subi de nombreuses investiga­ tions en raison d’épigastralgies, de cé­ phalées, d’une intolérance à certains aliments et de tests hépatiques per­ turbés. L’échographie abdominale avait révélé une cholestérolose vésiculaire avec un petit po­ lype et l’œsogastroduodénoscopie (OGD) une discrète œsophagite de reflux et une gastrite érosive antrale. Le patient a alors subi une cholécystec­ tomie et une ponction-biopsie hépatique (PBF) par voie laparoscopique. L’examen anatomopathologique a conclu à une cho­ lestérolose de la vésicule biliaire et à une stéatose hépatique (50% des hépatocytes, avec légère inflammation banale et légère hémosidérose, sans signe d’éthylisme chro­ nique), un diagnostic correspondant à ce que nous appelons actuellement stéatohé­ patite non alcoolique (NASH). A suivi une période peu sympto­matique, avec pour traitement un régime seul (dimi­ nution des produits laitiers, suppression de l’alcool, augmentation des fruits, utilisation d’huile de colza). Le bilan biologique de février 2002 a per­ mis d’exclure une hépatite A, B ou C, mais montré une bilirubine toujours légèrement élevée et un taux de prothrombine (TP) spontané à 64%. En 2007, sont apparus des symptômes mêlant céphalées postprandiales, intoléran­ ce alimentaire et, occasionnellement, des épisodes de diarrhées. Des épigastralgies ont motivé une nouvelle OGD qui a révélé a La pénicillamine D se combine au cuivre ionique pour former un complexe non toxique éliminé par voie rénale. Elle induit également la synthèse de métallothionéines, des protéines fixant le cuivre. b La pénicillamine D réduit l’absorption de la vitamine B6. 384 Maladie de Wilson : errance programmée ? une œsophagite de reflux discrète et une gastrite biliaire (de signification clinique con­ troversée selon le gastroentérologue). Malgré un traitement d’Ulcogant 4 x/jour, des douleurs abdominales intenses, récidi­ vantes, ont motivé un bilan complémentaire (tableau 1). Le CT-scan abdominal, l’échographie, puis l’IRM ont montré plusieurs nodules hépa­ tiques suggérant une stéatose ou des adé­ nomes multiples. Une PBF programmée au début de l’année suivante a dû être repous­ sée en raison d’un TP spontané à 60% (mal­ gré l’administration de Konakion PO avant l’intervention). Le patient a alors été adressé à un héma­ tologue qui note une diminution des fac­ teurs VII et X, compatible avec un déficit en vitamine K et retient le diagnostic vraisem­ blable de malabsorption. Une hémochro­ matose a été exclue par dosage génétique. Des injections de Konakion IV ont permis d’augmenter le TP et d’effectuer une PBF sous contrôle échographique. Celle-ci a révélé une hépatite chronique avec une ac­ tivité inflammatoire légère à modérée, un remaniement hépatique fibreux et de larges plages de dysplasie à petites cellules. Les plaintes du patient, associant nausées, vomissements, crampes abdominales vio­ lentes et parfois diarrhées, étant toujours présentes, un traitement de Créon, Légalon, Hépa-S, spasmolytiques et inhibiteurs de Tableau 1. Bilans biologiques successifs ExamensRésultats 2007 2008 2011 Valeurs normales Hémoglobine 133 g/l 120-165 g/l Hématocrite 39,5% 35-50% Leucocytes 5,4 G/l 3,5-10 106/mm3 Thrombocytes 199 T/l 150-390 103/mm3 TP 55% 58%65% 70-100% ASAT 22 U/l 37 U/l 32 U/l l 50 U/l ALAT 42 U/l 56 U/l 57 U/l l 50 U/l Gamma-GT 120 U/l 147 U/l 98 U/l 8-61 U/l Phosphatase alcaline 75 U/l 86 U/l 65 U/l l 129 U/l Créatinine 70 μmol/l l 110 mmol/l Ferritine506 mg/l 30-400 mg/l Céruloplasmine l 0,7 g/l l 10 g/l Cuprurie/24 heures Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 13 février 2013 40_41_36782.indd 1 la pompe à protons a été introduit, sans réelle efficacité. Le patient a alors été adressé à un autre gastroentérologue qui a retenu, parmi les diagnostics possibles pour les douleurs ab­ dominales, une possible migraine atypi­que. Le patient a ensuite été envoyé vers un neu­ ro­logue qui a conclu à des céphalées d’al­ lure mixte, migraineuses et tensionnelles, et pro­posé un traitement de métamizole puis, en cas d’inefficacité, d’élétriptan. Ces deux trai­tements n’ont pas modifié les symptômes. Finalement, en 2008, sur la base d’une céruloplasmine non mesurable, d’une cupru­ rie de 24 heures augmentée et d’une ana­ lyse génétique (trois mutations du gène ATP7B), le diagnostic de maladie de Wilson a été posé à l’Inselspital, à Berne. L’évolution a été favorable sous traitement oral de pénicillamine Da associée à la vita­ mine B6b, ce qui a permis de stabiliser les valeurs biologiques. Enfin, au début 2012, le patient qui pre­ nait régulièrement son traitement de péni­ cillamine D a présenté une récidive de dou­ leurs abdominales intenses, avec nausées et vomissements. Le bilan complémentaire (échographie et CT-scan) a posé le diag­ nostic de carcinome hépatocellulaire multi­ focal (évolution extrêmement rare dans le cadre d’une maladie de Wilson) et motivé une résection hépatique atypique en février de la même année. 9,3 mmol/24 heures 0,8 mmol/24 heures Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 24 août 2012 0 07.02.13 09:51 Après une période postopératoire difficile, marquée par une importante perte pondé­ rale, l’état général s’est amélioré. Le traite­ ment de pénicillamine D a été poursuivi. questions au spécialiste Faut-il systématiquement doser la céruloplasmine en cas de stéatohépatite non alcoolique (NASH) ou d’hé­ patopathie d’origine peu claire ? Une maladie de Wilson doit être considé­ rée chez toute personne présentant une perturbation des tests hépatiques d’origine indéterminée, avec ou sans troubles neuro­ logiques ou neuropsychiatriques associés. Si cela est surtout recommandé pour les per­ sonnes entre 3 et 55 ans, l’âge seul ne doit pas être un critère d’exclusion de la maladie. La maladie doit également être sus­pectée en cas d’hépatite auto-immune atypi­que ou répondant mal au traitement, lors de lésions histologiques évoquant une NASH ou une hépatite alcoolique, lors d’une insuffisance hépatique aiguë associée à une hémolyse intravasculaire Coombs négative, avec une élévation modérée des transaminases ou une phosphatase alcaline basse avec un rapport phosphatase alcaline/bilirubine l 2. La céruloplasmine est typiquement abais­ sée, mais elle peut être faussement norma­ le en cas d’inflammation ou d’hyperœstro­ génisme (grossesse ou œstrogénothérapie par exemple). Son dosage ne peut donc, à lui seul, permettre de poser ou d’infirmer le diagnostic de maladie de Wilson. Quelle attitude adopter envers les frères et sœurs ou les descendants d’une personne atteinte de la maladie de Wilson ? Un dépistage ou des tests génétiques doivent-ils être effectués chez les proches ? Le dépistage des parents du 1er degré est fortement recommandé. La fratrie d’un patient homozygote a environ 25% de ris­ que de développer une maladie clinique. Ce risque n’est que de 0,5% chez les en­ fants mais, en raison de la sévérité de la maladie, un diagnostic précoce est justifié. Idéalement, un diagnostic moléculaire de la mutation ATP7B présente chez le pa­ rent index est recommandé. Si ce test n’est pas disponible, il est recommandé de faire un examen clinique à la recherche de si­ gnes d’hépatopathie, de troubles neurologi­ ques et/ou d’un anneau de Kayser-Fleischer (lampe à fente par un ophtalmologue). Le bilan biologique inclut la fonction hépatique (TP, albumine, bilirubine totale et directe), 0 les tests hépatiques de cytolyse et de cho­ lestase (ASAT, ALAT, phosphatase alcaline et gGT) et un dosage de la céruloplasmine. Quel traitement/régime proposer une fois le diagnostic confirmé ? Une fois le diagnostic établi, un régime pauvre en cuivre et un traitement médica­ menteux doivent être introduits et poursui­ vis à vie en l’absence de transplantation hé­ patique. Les aliments riches en cuivre sont les fruits de mer, les noix, le chocolat, les champignons et les abats. L’eau circulant dans des canalisations en cuivre ne peut être consommée et il convient d’éviter de cuisiner dans des récipients en cuivre. Le traitement initial des patients sympto­ matiques doit inclure un agent chélateur (pénicillamine D ou trientine). Le traitement des patients asymptomatiques ou ayant une manifestation neurologique seulement peut être effectué soit par un agent chéla­ teur, soit par du zinc. La pénicillamine D (750-1500 mg/jour) doit être prise en 2-3 doses, une heure avant les repas, avec une supplémentation de pyridoxine (25-50 mg/ jour). La trientine (900-2700 mg/jour) se prend également en 2-3 doses quotidien­ nes, une heure avant ou trois heures après les repas. Le zinc (150 mg/jour) se prend 3 x/jour 30 minutes avant les repas. Quels contrôles effectuer et à quelle fréquence une fois le diagnostic posé et le traitement instauré ? En début de traitement, le type et la fré­ quence des contrôles dépendent de la subs­ tance utilisée. Une fois la maladie stabilisée, le suivi de routine est biannuel. Il doit com­ prendre un taux de cuivre sérique total, le cuivre sérique non lié à la céruloplasmine, la céruloplasmine, les tests hépatiques de Les écarts de régime occasionnels peuvent-ils poser problème (par exem­ ple : envie de manger comme les au­ tres au restaurant) ? Les aliments riches en cuivre doivent être strictement évités durant la première année de traitement. Par la suite, et seulement si le patient est stable, une consommation très occasionnelle et en petite quantité de ces aliments peut être tolérée. Le traitement et le pronostic du carcinome hépatocellulaire survenant dans le cadre d’une maladie de Wilson sont-ils similaires à ceux des formes «classiques» ? Si la fréquence d’apparition d’un carci­ nome hépatocellulaire lors d’une cirrhose ou d’une fibrose avancée sur maladie de Wilson est plus faible que dans d’autres hé­ patopathies chroniques, le traitement et le pronostic sont les mêmes. Les lésions de petite taille, en faible nombre, sans invasion vasculaire ou métastases extra-hépatiques ayant un bien meilleur pronostic, un dépis­ tage précoce de carcinome hépatocellulai­ re est recommandé chez ces patients. Un bénéfice sur la survie des patients a en effet été démontré, quelle que soit la maladie hépatique sous-jacente. Bibliographie •Roberts EA, Schilsky ML. AASLD practice guidelines. Diagnosis and treatment of Wilson disease – an update. Hepatology 2008;47:2089-111. • EASL. Clinical practice guidelines : Wilson’s disease. J Hepatol 2012;56:671-85. • Hiroz P, Antonio A, Doerig C, Pache I, Moradpour D. La maladie de Wilson : un caméléon clinique auquel il faut penser. Rev Med Suisse 2011;7:1690-5. Soumettez un cas Interrogez le spécialiste de votre choix. Posez-lui des questions directement en lien avec un problème de médecine de premier recours auquel vous avez été confronté. Des informations complémentaires concernant la rubrique sont disponibles sur le site de la Revue Médicale Suisse (http://rms.medhyg.ch/court-circuit.pdf) Envoi des textes à : [email protected] (avec mention «rubrique court-circuit») Comité de lecture : Dr Gilbert Abetel, Orbe ; Dr Patrick Bovier, Lausanne ; Dr Vincent Guggi, Payerne ; Dr Philippe Hungerbühler, Yverdon-les-Bains ; Dr Ivan Nemitz, Estavayer-le-Lac ; Dr Pierre-Alain Plan, Grandson Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 24 août 2012 40_41_36782.indd 2 cytolyse et de cholestase, le TP, l’albumine, la bilirubine totale et directe, une formule sanguine avec répartition, une cuprémie de 24 heures sous traitement et éventuellement aussi 48 heures après l’arrêt du traitement (pour la pénicillamine D et la trientine). En cas de cirrhose ou de fibrose avancée, un dépistage précoce du carcinome hépatocel­ lulaire est également nécessaire au moyen d’un ultrason hépatique w un dosage de l’a-fœtoprotéine. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 13 février 2013 385 07.02.13 09:51