Droit et pratiques syndicales en matière de conflits collectifs du travail

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CENTRE D'ETUDES ET DE RECHERCHES JURIDIQUES
EN DROIT DES AFFAIRES (CERJDA)
Faculté de droit et d'économie de la Martinique
Université des Antilles et de la Guyane
Droit et pratiques syndicales
en matière de conflits collectifs du travail
ACTES DU COLLOQUE DES 18 ET 19 DECEMBRE 2000
Sous la direction de
Georges VIRASSAMY
Isabelle DAURIAC
Ferdinand EnIMO NANA
Philippe SAINT CYR
Travaux du C.E.R.J.D.A : volume I
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris - France
L'Harmattan Hongrie
Hargita u. 3
1026 Budapest - Hongrie
L'Harmattan
Italia
Via Bava, 37
10214 Torino - Italie
AVANT-PROPOS
Georges VIRASSAMY
Professeur Agrégé des Facultés de droit
Doyen de la Faculté de droit et d'économie de la Martinique
Directeur du DEA de droit privé
Directeur du Centre d'Etudes et de Recherches Juridiques en Droit des Affaires
Le Centre d'Etudes et de Recherches Juridiques en Droit des Affaires
(CERJDA), est l'un des Centres de recherches de la Faculté de droit et d'économie de
la Martinique. De constitution récente, il a décidé d'axer sa thématique de recherches
pour les années à venir sur l'entreprise qui reste, quoique l'on en dise, le moteur
principal de l'activité économique et le bassin de l'emploi dans une économie
libérale.
Cet ouvrage constitue le premier volume de ses travaux sur le thème qu'il s'est
choisi. Il sera suivi de plusieurs autres, en particulier, ceux consacrés à « l'entreprise
et l'illicite» et à «l'entreprise insulaire» etc... ce qui donne la mesure du
dynamisme de cette jeune équipe de recherches.
Pourquoi s'intéresser aux « Droit et pratiques syndicales en matière de conflits
collectifs du travail»? Tout simplement parce que si une entreprise rencontre
constamment des obstacles au libre exercice de son activité de production ou de
commercialisation, les conflits du travail sont les plus délicats et les plus périlleux
d'entre eux. En effet, c'est la cohésion de l'entreprise, son climat social et ses projets
d'avenir qui peuvent s'en trouver remis en cause, et cela d'autant plus que le conflit
du travail aura été l'occasion de pratiques de lutte plutôt radicales (blocage,
séquestration... ).
Cet ouvrage, qui rassemble les actes du colloque organisé les 18 et 19
décembre 2000 par le CERJDA à la Faculté de droit et d'économie de la Martinique,
n'a pour ambition que de rappeler aux parties concernées par le conflit collectif du
travail, que certaines pratiques tombent sous le coup de la loi, pénale parfois, et qu'il
existe par ailleurs des moyens permettant de sortir de matière pacifique d'un conflit
que l'on n'aura pas su éviter en temps utile.
LA PRATIQUE DU DROIT DE LA NEGOCIATION COLLECTIVE
EN MATIERE DE CONFLITS COLLECTIFS A LA MARTINIQUE:
BILAN ET PERSPECTIVES
Matinée du 18 décembre 2000, sous la présidence de Monsieur André ELOIDIN
Bâtonnier de l'Ordre des Avocats du Barreau de Fort-de-France
ETAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
Jean-Louis FORNARO
Directeur du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle
Cette réflexion sera pour moi l'occasion de faire un point d'étape après 21
mois passés en Martinique. Je serai sans doute plus sociologue que juriste, en
m'attachant à mettre en évidence les éléments qui expliquent les pratiques observées.
Mon point de vue n'aura pas le recul historique de Monsieur Pulvar, et sera
certainement moins documenté que Monsieur Louis-Joseph. Il sera inspiré par les
travaux collectifs de la session sur le dialogue social qui vient de se dérouler, dont je
présenterai les principales conclusions.
Rappelons-nous d'abord un passé récent marqué par des conflits, voire des
crises récurrentes: de fin 98 à fm 99 l'histoire sociale de la Martinique, est jalonnée
par la banane, le port, Toyota, Roger Albert, Délifrance, Setuff...
Aujourd'hui, quelle réalité? la situation est certes contrastée mais les
négociations collectives progressent dans un certain nombre d'entreprises et de branches:
- la banane qui a conduit un énorme effort interne de modernisation de ses
relations sociales, est proche d'un accord sur le temps de travail, voire sur les
classifications
- les banques où après une tension récente, l'association française des
banques a repris l'attache des organisations syndicales et s'apprête à formuler
des propositions de rénovation du dialogue social au niveau local
- le
secteur du gardiennage et de la surveillance où un dialogue régulier est
engagé depuis plusieurs mois et donnera sans doute naissance à un accord
local dans quelques jours
- et puis nous avons conclu il y a quelques jours à Madiana une session
tripartite qui aura permis de produire un regard sur «conflictualité et
dialogue social en Martinique» (rapport Le Moal et Auvergnon, de réaliser
un film sur le conflit Toyota « fureurs et silences» (réalisation de Christiane
Succab-Goldman, et puis collectivement de construire une association « pour
la promotion et la modernisation du dialogue social» avec la perspective de
créer un « institut du travail en Martinique».
10
Nous sommes donc aujourd'hui clairement dans un processus de changement,
de transformation. Pour autant, les éléments de contexte qui donnent aux conflits
sociaux en Martinique leurs caractéristiques particulières subsistent, ce sera mon premier
point. Mais les chocs qui se sont produits, les réactions qui se font j our, et les démarches
entreprises permettent de tracer des perspectives, ce sera mon 2èmepoint.
1. LE CONTEXTE
Un espace économique et culturel façonné par l'histoire
L'histoire de la Martinique est récente. Les rapports des individus à la
métropole, à l'Etat et au droit ont été surdéterminés par plusieurs siècles de
dépendance. Ce passé très présent conduit les Martiniquais à s'interroger
constamment sur leur identité et leur rapport au monde.
Cette recherche identitaire, ce mal-être induisent un malaise dans les rapports
sociaux, malaise qui génère une violence latente. Mais la société martiniquaise n'est pas
pour autant plus violente que d'autres sociétés. Et j'ai connu en d'autres temps et
d'autres lieux des conflits du travail largement plus violents que ceux que j'ai vécus ici.
Elément corollaire: la relation au travail. On ne travaille pas pour soi mais
pour l'autre, pour le « béké». Ce qui crée en quelque sorte une double aliénation du
travail. La conséquence c'est aussi une dévalorisation de l'entreprise que l'on perçoit
avec l'image de la plantation. C'est la « matrice plantationnaire » qui occupe l'esprit.
Enfin les contraintes de l'espace (insularité, confinement, proximité)
induisent une forte personnalisation des relations. Les relations trouvent une
détermination particulière où la qualité de l'individu compte moins que les liens
familiaux ou les réseaux de rattachement. Ainsi tout reproche sera vécu comme une
mise en cause personnelle.
Un manque de reconnaissance et de considération dans les rapports sociaux
Les rapports humains dans l'entreprise sont souvent dégradés et empreints de
méfiance réciproque d'où en cas de fortes tensions une tendance à la diabolisation de
l'autre, un refus de l'accepter dans sa différence.
Les relations reposent souvent sur un double refus: de reconnaître la
représentativité syndicale, d'accepter la représentativité patronale. Dès lors ce manque
de respect mutuel s'oppose à la construction de rapports de confiance.
Une communication déficiente
Il y a carence de lieux de rencontre et d'échanges. On ne se parle que lorsque
l'on est en conflit, d'où une logique où l'affrontement prime sur la confrontation.
Il y a théâtralisation ensuite des évènements, théâtralisation souvent liée à
une mise en scène médiatique où le sensationnel, réel ou construit, prime sur les faits.
Un rapport singulier au droit et à la règle
La règle de droit se trouve en permanence au cœur d'une dialectique
complexe entre universalisme et particularisme:
Il
- la règle est perçue
comme inadaptée
- le droit est invoqué, de manière sélective quelquefois
- la règle est objet de transgressions,
voire de manipulations.
2. LES PERSPECTIVES
A ce stade nous pouvons noter que compte tenu des éléments relevés le droit
des conflits collectifs s'avère singulièrement peu opérant pour trouver des solutions
aux conflits en Martinique. Pour autant, les perspectives d'une refondation existent.
D'abord la prise de conscience par les acteurs sociaux eux-mêmes. Il n'est
pas étonnant qu'au foisonnement et à l'ampleur des conflits de fin 98 à fin 99 ait
succédée une année 2000 relativement calme, tant les acteurs s'interrogent sur la
nécessité d'entreprises fortes et de relations régulées.
Ce sentiment est relayé par une multiplication des échanges sur ce thème:
Université, Conseil économique et social, DESS Amdor, Contrat de plan
Etat/Région. .. Le corps social, par le biais de ses élites, se penche sur ses relations
sociales.
Il Y a un besoin profondément ressenti de professionnalisation des
démarches: former les hommes, développer leurs compétences dans et hors de
l'entreprise, comprendre et s'outiller mieux (c'est notamment la démarche de la
branche banane avec les interventions de Michel Ghazal, Jean Kaspar, l' ANACT...
Pour autant il faudra une forte démarche de reconnaissance de l'autre dans sa
différence, il faudra construire des lieux de parole, des lieux d'échanges, des lieux de
confrontation des idées. Il faudra aussi reconquérir des espaces de négociation. Un
dialogue social fructueux doit pouvoir se construire au plan local et être créateur
d'accords locaux.
CONCLUSIONS
Quelque chose est en train de se passer, une mutation est à l'œuvre pour
rendre la Martinique capable d'affronter le défi de la modernité et de la
mondialisation. C'est dans cette perspective qu'il convient de replacer la démarche qui
a été conduite au cours des derniers mois avec l'INTEFP.
Donner l'opportunité aux acteurs sociaux de prendre en charge les relations
sociales et construire les outils qui permettront de le moderniser (Institut du travail en
Martinique, «Carbet» social annuel, observatoire du social, antenne de l'ANACT.. ..)
et aussi de faire fonctionner le droit institutionnel de règlement des conflits
(commission de conciliation, liste de médiateurs. ...). Mais ne nous y trompons pas: il
ne s'agit pas de supprimer les conflits. Il s'agit de construire les conditions de leur
régulation. Le conflit est inhérent à une société ou existent des oppositions d'intérêts.
Simplement la solution de ceux-ci passe par la substitution d'une logique de
confrontation à une logique d'affrontement, par la recherche et la construction de
projets communs.
LA PRATIQUE DU DROIT DE LA NEGOCIATION EN MATIERE DE
CONFLITS COLLECTIFS DU TRAVAIL EN MARTINIQUE
Marc PUL VAR
Secrétaire général de la Centrale Syndicale des Travailleurs Martiniquais
Dans la période contemporaine les conflits du travail, du moins dans le
secteur privé, se sont principalement développés à partir du refus, par le patronat, de
l'exercice du droit à la négociation. La problématique portait paradoxalement sur le
règlement négocié des conflits nés, du refus de négocier. La loi n'a pas défini de
procédure spécifique de règlement négocié des conflits collectifs du travail, hormis
les procédures facultatives institutionnelles de règlement amiable pour la conciliation,
la médiation ou l'arbitrage. De sorte que le droit à la négociation des conflits
collectifs s'inscrit dans le droit commun de la négociation des accords collectifs
introduit par l'article L.131.1.CT issu de la loi n° 82 957 du 13 novembre 1982.
Cependant la loi du 13 novembre 1982 relative dans son intitulé « à la négociation
collective et au règlement des conflits du travail» sans anéantir les règles préexistantes, les a suffisamment modifiées pour que l'on puisse parler d'un droit
nouveau. De sorte que l'état des lieux issu de la pratique en Martinique de la
négociation des conflits collectifs qu'il nous revient d'exposer, va se situer dans la
période contemporaine qui suit la promulgation de la « troisième loi Auroux».
Plus précisément notre propos est de témoigner de la pratique de règlement
des conflits du travail au regard des dispositions de la loi du 13 novembre 1982. La
pratique antérieure à 1982 ne sera pas totalement ignorée dans la mesure où elle
pourra illustrer les pesanteurs sociologiques, qui continuent encore aujourd'hui, à
déterminer les comportements des protagonistes de la confrontation sociale. Mais
l'important semble-t-il, sera d'apprécier cette pratique du droit à la négociation, au
regard des deux objectifs que s'était donné le législateur et rappelés dans la circulaire
ministérielle n° 15 du 25 octobre 1983 à savoir que:
- la négociation doit être la règle normale de la vie professionnelle dans la
branche, comme dans l'entreprise,
- tout
salarié doit pouvoir bénéficier d'une couverture conventionnelle sans
qu'il Y ait un émiettement excessif de celle-ci.
Cela nous amène donc dans le cadre des vingt minutes qui nous sont allouées
à examiner successivement, et forcément de façon synthétique, les difficultés de mise
en œuvre du nouveau droit à la négociation (I) et le bilan de la confrontation sociale
afférente à cette mise en œuvre (II).
I. LES DIFFICULTES
DE MISE EN ŒUVRE DU NOUVEAU
DROIT A LA NEGOCIATION
L'appropriation et donc la mise en œuvre des objectifs de la loi en matière de
négociation des conflits va se heurter à des pesanteurs sociologiques et à ce qu'il faut
bien appeler une certaine impréparation sinon une immaturité des protagonistes
SOCIaux.
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A- Des pesanteurs sociologiques
Ce sont celles héritées de l'histoire d'une jeune société encore en formation
tout juste sortie de l'esclavagisme, et encore à bien des égards, en situation de
dépendance coloniale. Ces pesanteurs de toute évidence prédéterminent l'évolution
des relations sociales à l'intérieur des structures économiques relativement rigides
issues de la colonisation. Objectivement, toute connotation raciale ainsi que tout
présupposé idéologique exclus, il n'est pas admis d'analyser l'évolution des relations
sociales en Martinique sans prise en compte des pesanteurs sociologiques que sont:
l'omnipotence du groupe économique dominant et les conséquences de cette
omnipotence sur l'ensemble des relations sociales.
1. l'omnipotence du groupe économique dominant
On a rarement rencontré quelque part d'autre une telle concentration de
propriété et donc de pouvoir que celle que détient le petit groupe social «des dix
familles» békés descendants endogames des colons d'origine. Cette caste sociale
dominante a détenu l'essentiel:
- du capital
- du capital
- du capital
- du capital
- du capital
foncier
agraire
industriel
bancaire
commercial de l'import-export
Et bien entendu quand ce groupe s'est implanté dans le secteur moderne de la
distribution et des services, il n'a pas manqué d'amener sa culture rurale de la
plantation ou de l'usine sucrière. Dans cette société déséquilibrée, par la force de
l'exemple, comme de la puissance économique, le comportement de l'ensemble du
patronat martiniquais sera surdéterminé par le modèle de relations sociales issu de la
plantation. Or ce modèle de relations sociales de la plantation:
- n'a jamais
- n'a jamais
fonctionné que sur la base conflictuelle du rapport des forces
reconnu le fait syndical
- n'a jamais intégré le progrès social dans son calcul économique
Ce modèle social ignore le droit des salariés à la négociation « de l'ensemble
de leurs conditions d'emploi et de travail et de leurs garanties sociales» (art.
L.131.C.T.)
2. les conséquences de cette omnipotence sur l'ensemble des relations sociale
Ces conséquences seront d'autant plus tenaces et durables que le groupe
économique dominant à toujours constitué un groupe de pression extrêmement
persuasif et efficace:
- sur le pouvoir politique central comme local
l'administration du travail
- sur l'administration y compris
- sur l'autorité judiciaire
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Ainsi donc le patronat à l'exemple du groupe économique dominant et
conformément à sa tradition de blocage contre toute nouvelle loi sociale, va dans un
premier temps en toute impunité refuser d'appliquer la loi du 13 novembre 1982, faire
de la résistance et quand cela n'est plus tenable face à la pression syndicale salariale,
tenter d'en modifier les conditions d'application.
-le refus d'appliquer la loi se sera d'abord tout simplement le refus de négocier:
les exemples sont légion depuis 1983 où ce refus de négocier, spécificité
martiniquaise, va engendrer des conflits sociaux extrêmement développer des
trésors d'imagination et de mobilisation afin de créer le rapport de forces
susceptibles «d'amener ou de ramener le patronat à la table de
négociation ». Cela a été pendant dix ans le refus patronal, d'ouvrir ou de
poursuivre les négociations de branches prescrites par l'article L.132.12.C.T.
même là, où les interprétations restrictives de l'article L.132.20.C.T. ne
pouvaient s'imposer. Ce blocage, illicite, en toute impunité bénéficiait de la
passivité de l'administration du travail et de l'autorité judiciaire même quand
les organisations syndicales salariales demandaient formellement la
convocation de la commission mixte des articles L.133.4.C.T. et
R.133.4.C.T. et la sanction des articles L.153.2.C.T. et L.481.2.C.T.
- les tentatives de modification des conditions d'application de la loi:
les exemples sont également légion, qu'il serait fastidieux d'énumérer,
aboutissant aux mêmes conflagrations sociales évoquées, parce que ne
pouvant plus refuser la négociation le patronat va se réfugier dans une
interprétation restrictive, arbitraire des textes. C'est d'abord le refus de
recevoir les délégations syndicales formellement accréditées dans les
dispositions de principe de l'article fondamental L.132.3.C.T., dans les
négociations d'entreprise, y compris pour le règlement négocié des conflits
du travail. Ce blocage patronal, illicite, principalement opposé au secrétaire
général de la CSTM aura été dans les années 1980, la source de très longs et
très durs conflits même après la sanction de la cour de cassation CSTM et
autres c/Antilles Gaz 19 octobre 1994 n° 3757 P+F. Cela a été aussi même
en fin de très longs et durs conflits et laborieuses négociations le refus
patronal de signer le protocole d'accord sur les points conclu et le procèsverbal de désaccord prescrit par l'article L.132.29.C.T.
Tous ces blocages du patronat posent la question de la maturité et de la
préparation des protagonistes sociaux pour l'application de la loi du 13 novembre 1982.
B- Une certaine impréparation
sinon une immaturité des protagonistes sociaux
Les pesanteurs sociologiques fruits de l'histoire traduisaient une rigidité et
un archaïsme des comportements sociaux qui bien entendu n'avaient point préparé le
patronat à recevoir le droit nouveau à la négociation collective. Il est juste de dire que
cet archaïsme cette impréparation et même cette immaturité étaient en 1982 largement
partagés par les organisations syndicales salariales. Tout cela a été cause
d'aggravation du déroulement des conflits du travail ces vingt dernières années.
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1. l'aggravation du déroulement des conflits
L'échec de leurs stratégies de refus de la négociation, lesquelles n'ont pu
contenir ni l'exigence du progrès social, ni l'efficacité des nouveaux négociateurs
salariaux, va précipiter le patronat dans une fuite en avant sur une nouvelle stratégie
de destruction du syndicalisme salarial. Le patronat, à l'instigation de son noyau le
plus réactionnaire, va prendre la responsabilité historique d'exacerber l'utilisation de
la violence dans les conflits du travail.
La grève de tout temps dans tous les pays du monde est nécessairement un
phénomène porteur de violence. Mais il y a écart qualitatif entre la violence passive
d'un piquet de grève qui fait obstacle aux libertés de circuler ou même de travail, et la
violence physique destructrice mise en œuvre par le patronat au niveau de
l'entreprise.
Ce ne sont plus les forces armées ou policières appelées au secours qui dans
la tradition coloniale réprimaient dans le sang la foule des grévistes. C'est depuis
1984 le patron lui-même qui, en violation grave inadmissible de la loi et en toute
impunité, a levé des milices d'hommes de main repris de justice (les Dogs), dont il
prend lui-même, à l'occasion, le commandement et recouru, en violation de la loi n°
83.629 du 12 juillet 1983, à des sociétés de gardiennage lesquelles s'immiscent dans
le déroulement du conflit, afin de porter atteinte à l'intégrité physique des
responsables salariaux légalement accrédités pour mener les négociations. Exemple:
la tentative d'assassinat en décembre 1983 sur le lieu du conflit du secrétaire général
de la CSTM.
2. l'émergence d'un renouveau syndical
Cependant le vécu de ces tensions extrêmes porteuses de tous les dérapages
aléatoires du conflit social va susciter l'émergence, d'abord au sein des organisations
salariales, de responsables syndicaux plus au fait du droit social, mieux formés aux
techniques de l'analyse, plus efficaces.
C'est un renouveau syndical qui va ouvrir sur les ruines du champ social de
nouvelles chances à un dialogue social moderne.
II. LE BILAN DE LA CONFRONTATION SOCIALE AFFERENTE A LA MISE EN
ŒUVRE DU NOUVEAUDROIT A LA NEGOCIATION
Le bilan de cette longue et dure confrontation sociale c'est d'abord une
dévastation du champ social sans précédent. Mais aussi en fin de parcours la
résurgence d'un espoir tenace de progrès social.
A- Une confrontation
dévastatrice
sans précédent
Cette stratégie d'éradication du syndicalisme salarial menée pendant vingt (20)
ans à l'instigation du groupe économique dominant avec la passivité de
l'administration du travail pendant longtemps (hormis la parenthèse du DDTE
Jacques Bertholle) et avec le parcours répressif sélectif de l'autorité judiciaire «contre
les personnes du champ social qui souffrent plus d'un manque de droit», va laisser un
champ social dévasté se caractérisant par:
17
1. l'anéantissement de la couverture collective conventionnelle
Depuis 1984, le patronat a entrepris de manière systématique d'anéantir les
conventions collectives locales pré-existantes :
- l'hôtellerie de tourisme (1984)
- le transit (1982)
- le commerce (1986)
- les banques (1989)
- la boulangerie (1990)
- la métallurgie (1991), etc. ..
2. la régression des droits conventionnels
Dans la même période il y a suppression ou blocage de l'évolution des droits
conventionnels: classification, salaire minimum conventionnel, prime, conditions de
travail, précarisation de l'emploi, émiettement excessif de la couverture
conventionnelle.
Cependant la ténacité des organisations salariales ainsi que la prise de
responsabilité du nouveau syndicalisme tant patronal que salarial, va faire resurgir de
la surconflictualité sociale un espoir de progrès social.
B- La résurgence
d'un espoir tenace de progrès
social
Cet espoir résulte d'abord de la mise en échec des stratégies de glaciation
sociale du patronat antique issu de la plantation.
1. vers une reprise de la négociation collective
Il Y a eu d'abord le coup d'arrêt porté par l'arrêt CSTMc/Antilles Gaz (Cass.
Soc. 19 octobre 1994), aux prétentions du patronat antique, d'exclusive contre les
responsables syndicaux régulièrement accrédités.
Il y a eu ensuite, en pleine déferlante de dénonciation des conventions
collectives locales, la renégociation après dix ans d'interruption de la convention
collective des commissionnaires en douanes et agents auxiliaires (1996).
Il Y a eu après la dénonciation de la convention collective des commerces
(1995), la négociation d'un accord collectif régional de la branche commerce (1998),
le rattachement à des conventions nationales d'un grand nombre de sous-secteurs
(bricolage, négoce des matériaux de construction. ..).
2. vers l'élaboration d'un dialogue rénové
Les efforts des rénovateurs du syndicalisme tant au niveau salarial que patronal
peuvent désormais se concrétiser. D'abord reprenant l'idée partagée par la CSTM et
certains membres de centre patronal des «assises du dialogue social», un premier pas
a été fait à travers une session sur le thème «dialogue social et développement»
organisée par 1'INTEFP. La qualité des travaux (analyses et propositions) de cette
session reste encore très insuffisante pour garantir des prolongements concrets
durables.
18
Le cadre proposé par la médiation de l'INTEFP n'est vraisemblablement pas
satisfaisant pour justifier de la disposition d'esprit et de la sincérité de l'engagement
des partenaires sociaux. Les cessionnaires à l'INTEFP, notamment patronaux, doivent
en plus dans des actes à venir justifier de cette sincérité de la démarche s'ils veulent
être exemptés de tout soupçon d'une simple recherche d'une pause sociale visant à
geler le progrès social en l'état de ruine où se trouvent encore les droits du salariat, le
premier d'entre eux étant le droit des salariés à la négociation collective de l'ensemble
de leurs conditions d'emploi et de travail et de leurs garanties sociales.
Conclusion
Cet exposé
Martinique, englobe
didactique en posant
de la problématique,
sur l'évolution du droit à la négociation collective lequel, en
le droit à négocier le règlement des conflits du travail, se voulait
non seulement l'état des lieux mais en le rattachant à l'ensemble
chez nous, de la négociation collective:
- il n'y
a pas eu recherche ni démagogie de catastrophisme mais simple souci
de l'objectivité sans concession dont ceux qui souhaitent dorénavant mériter
l'appellation de partenaires sociaux devraient avoir le courage
- un
pas a été fait qui doit être poursuivi par les hommes du renouveau
syndical, afin de réaliser les conditions premières nécessaires à la mise en
œuvre du dialogue social rénové indispensable dans la société moderne à la
génération de la plénitude du progrès social.
ETAT DES LIEUX AU NIVEAU NATIONAL
DROIT SYNDICAL ET DROIT DE GREVE:
QUESTION DE FRONTIERE
Ferdinand EDIMO NANA
Maître de Conférences à l'Université des Antilles et de la Guyane
Faculté de droit et d'économie de la Martinique
En énonçant d'une part, que «tout homme peut défendre ses droits et ses
intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix », et d'autre part,
que «le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », le
préambule de la constitution du 27 octobre 1946 a conféré au droit syndical et au droit
de grève le prestige de principes constitutionnels. Ces droits, classés au nombre des
principes fondamentaux du droit du travail \ ont en commun d'avoir été conçus avant
tout sur le modèle de libertés individuelles, ce qui a fait dire à certains auteurs que « la
liberté de grève est tout comme la liberté syndicale une liberté individuelle mais
collectivement exercée» 2.
On ne peut s'empêcher de relever que la pratique des conflits collectifs,
aujourd'hui comme hier, fait apparaître les liens étroits qu'entretiennent ces deux
notions, au point parfois d'être confondues. En effet, l'observation du conflit permet
de relever aisément qu'il existe une étroite corrélation entre droit de grève et droit
syndical, droits pourtant juridiquement distincts 3 et l'œuvre législative relative à ces
droits atteste de cette différence. Dès lors, la conception originelle commune de ces
droits ne doit pas faire illusion, et bien qu'ils apparaissent assez souvent ensemble à
l'occasion des conflits collectifs, le droit syndical doit être distingué du droit de grève,
au moins parce qu'ils relèvent l'un comme l'autre de dispositions spécifiques.
Cette confusion qui tient sans doute à la nature même de ces droits, souvent
mis en évidence à l'occasion des conflits collectifs, mais aussi à leur particularité, qui
est d'être à mi-chemin entre l'individuel et le collectif, justifie amplement que l'on
s'interroge sur la question de la frontière ou des frontières qui existeraient entre droit
de grève et droit syndical. En effet, si du phénomène de la grève au droit syndical, la
filiation est évidente 4, il reste vrai que le rapprochement qui peut être fait entre droit
A. JEAMMAUD, « Les Principes fondamentaux dans le droit français du travail »,
Droit Social 1982, pp. 618 et 9.
H. SINAY, lC. lA VILLIER, Droit du Travail, sous la direction de a.H.
CAMERL YNCK, Dalloz, 2° éd., p. 100.
1. SA VATIER, La distinction de la grève et de l'action syndicale, Droit Social 1984, p. 53.
H. SINA Y, lC. JA VILLIER,
op. cit, p. 2.
20
de grève et droit syndical,
qu'inéluctable (II).
I. L'IMPARFAIT
ET DROIT SYNDICAL
demeure un rapprochement
RAPPROCHEMENT
imparfait
(I), bien
ENTRE DROIT DE GREVE
Le rapprochement communément fait entre droit de grève et droit syndical est
nécessairement imparfait, dès lors que l'on s'interroge sur les notions (A) et sur le
titulaire du droit (B).
A- Les notions
Définir le droit de grève n'est pas chose aisée. Si le préambule de la
constitution donne au droit de grève sa valeur constitutionnelle, ce droit n'est nulle
part défini ou précisé. En effet, force est de constater que le législateur ne s'est point
soucié de réglementer la matière comme l'y invite le préambule de la constitution de
1946. Dès lors, la quasi absence de dispositions légales relatives à ce droit explique la
difficulté qu'il y a à le défmir. Aussi, l'on pourrait se contenter de défmir le droit de
grève comme le droit qu'a le salarié de faire grève, c'est-à-dire celui de refuser
momentanément de travailler sans que cela puisse être considéré comme fautif.
Pour suffisante qu'elle paraît être, cette définition n'est tout de même pas
satisfaisante, en raison notamment de ce que ce droit individuel, le droit de grève, est
collectivement exercé. Il ne pourrait donc s'agir tout simplement du droit qu'a le
salarié d'arrêter momentanément de travailler; encore faut-il que cet arrêt momentané
s'inscrive dans le cadre d'un mouvement collectif pouvant être qualifié de grève. On
perçoit alors la difficulté, en raison notamment de l'incertitude qui entoure la
qualification de tout mouvement collectif. Cette difficulté impose dès lors que l'on
s'attarde pour fixer le contenu de la notion, sur le droit positif de la grève, seul
référent nous permettant d'en cerner les contours.
La grève se définit aujourd'hui comme une cessation franche du travail,
cessation collective et concertée, en vue de faire aboutir une revendication
professionnelle. Pour qu'il y ait grève, il faut qu'il y ait une cessation totale du travail,
même si elle est brève ou répétée 5. Elle implique une décision préalable concertée des
travailleurs et ne peut donc être déclenchée par un individu agissant isolément 6.
Certes, la jurisprudence rappelle que l'arrêt de travail d'un seul salarié a bien le
caractère collectif d'une grève licite s'il se rattache à une grève générale lancée au plan
national 7, tout comme a pu être qualifié de grève l'arrêt de travail d'un individu, unique
salarié de l'entreprise 8. Il faut aussi préciser qu'elle peut être minoritaire tant dans son
déclenchement que dans sa poursuite. Il n'est donc pas nécessaire qu'elle soit suivie par
Casso Soc. 22.04.64, Bull. IV n° 320, p.263.
Casso Soc. 15.11.51, Bull. III n° 50, P.522.
Casso Soc. 29.05.79, Bull. V n° 464, p.339
Casso Soc 13.11.96, JCP 1997 II.22754.
21
la majorité du personnel 9. De même, la reprise du travail par la majorité du personnel
n'enlève pas le droit de continuer la grève aux salariés qui le désirent 10. Enfm, la
qualification de grève suppose une revendication professionnelle, laquelle ne doit, en
aucun cas, être confondue avec l'autosatisfaction par les salariés de leurs revendications.
Dès lors, le refus momentané du salarié de travailler dans le cadre d'un
mouvement collectif qualifié de grève doit être considéré comme l'usage par ce
dernier de son droit de grève. Le droit syndical, quant à lui, «produit d'une
stratification législative, ressemble à un terrain formé de couches géologiques
superposées» Il et se décline sous la forme d'une triple liberté:
- liberté pour toute personne d'adhérer au syndicat de son choix
- liberté de ne pas adhérer au syndicat
- liberté de se retirer du syndicat auquel l' on a adhéré
C'est cette triple liberté qui constitue ce qu'il est convenu d'appeler le droit
syndical
12.
Une telle défmition, pour satisfaisante qu'elle soit, paraît à l'évidence
insuffisante. En effet, en même temps que la faculté reconnue à chacun de se
syndiquer ou de ne pas se syndiquer, le droit syndical est un droit d'action, un droit
reconnu à l'organisation syndicale de participer à l'organisation de la profession, un
droit reconnu à chacun d'agir syndicalement. En ce sens, il pourrait être défini comme
l'ensemble de la réglementation relative au fonctionnement des organisations
syndicales et à la mise en œuvre de la liberté syndicale.
On le voit, la grève et le droit syndical sont deux notions différentes. Il
n'empêche qu'elles sont toutes les deux conçues sur le modèle de liberté articulant le
collectif et l'individuel. S'impose alors la nécessité de s'interroger sur le titulaire du droit.
B- Le titulaire du droit
Il est classique d'affirmer qu'en France, le titulaire du droit de grève est le
salarié. En effet, en France, la grève n'est pas syndicale. L'on note une distanciation
certaine entre le phénomène permanent qu'est le syndicat et la réunion sporadique de
quelques travailleurs qu'est la grève. Le salarié peut donc à tout moment faire grève,
même si l'exercice de cette liberté reste enfermé par la notion de grève elle-même. Il
peut ainsi exercer son droit sans avoir besoin du concours d'un syndicat et ce à tout
moment, même lorsqu'à l'issue d'une grève, un accord de fin de grève a été signé. La
grève n'apparaît donc nullement comme le résultat d'une décision des syndicats. Le
Casso Soc. 03.10.63, Bull. IV n° 645, p.534.
10
Il
12
Casso Soc. 19.06.52, Bull. IV n° 531, p.383.
lM. VERDIER,
Syndicats et droit syndical, volume 1. Dalloz 2e éd, p. 133.
G. LYON CAEN, l PELISSIER,
éd., p. 452.
A. SUPIOT,
Droit du Travail. Précis Dalloz,
I8e
22
salarié reste « le seul maître
14.
d'autodétermination
de sa grève »,13 il constitue
en réalité
le pOUVOIr
D'ailleurs, bien qu'exercé collectivement, ainsi qu'il découle de la
définition même de la grève, le caractère individuel de ce droit n'a cessé d'être
consacré par la jurisprudence. En ce sens, la Cour de Cassation a admis que « dans
les entreprises ne comportant qu'un seul salarié, celui-ci, qui est le seul à même de
présenter et de défendre ses revendications professionnelles, peut exercer ce droit
constitutionnellement reconnu ».15
Pour certains auteurs, « le droit de grève est un droit à la fois individuel (droit
de tout travailleur) et collectif (droit de pression et d'expression d'une collectivité de
travailleurs)>> 16. Ainsi conçu, le droit de grève ne serait plus seulement ce droit
individuel d'exercice collectif, mais un droit à caractère individuel et collectif. Le
salarié n'en serait plus le seul titulaire. Il appartiendrait tout autant à la collectivité des
travailleurs. En ce sens, il se rapprocherait du droit syndical. En effet, le droit syndical
est par sa nature, collectif et individuel.
Droit appartenant à l'individu en ce qu'il est conçu comme une liberté, dont
l'exercice repose sur un acte personnel et volontaire de l'individu.
Droit collectif en ce qu'il appartient au groupement syndical, titulaire de
l'action syndicale. En effet, le préambule de la constitution parlant du droit syndical,
vise l'action syndicale avant l'adhésion. Il indique que « le droit syndical est en soi
davantage la prérogative d'action syndicale que celle d'adhésion, parce que celle-ci
17
n'est que le moyen d'aboutir à celle-là».
On le voit, si du point de sa nature, le droit de grève tout comme le droit
syndical apparaît comme la mise en œuvre d'une liberté et ce faisant appartient au
salarié, ces droits revêtent une large part d'aspect collectif. Il n'empêche qu'ils
doivent demeurer des droits individuels du salarié. Ce dernier reste par conséquent
libre de faire grève, tout comme il reste libre de se syndiquer.
Il en résulte que le droit de grève n'appartient pas au syndicat (même si la
question mérite d'être nuancée, s'agissant de la grève dans les services publics, en
raison notamment du préavis obligatoire), mais indivisément aux salariés. De même,
la seule participation à une grève ne suffit pas à caractériser une action syndicale.
Comme l'a écrit Madame SINAY, « le syndicat lui-même ne peut exercer un droit
13
H. SINA Y, lC. JAVILLIER, op. cit, p.l00.
14
M. RIVERa, Colloque sur l'entreprise et les libertés publiques Dt. Soc.1982, p. 147.
15
Casso Soc, 13.11.96, JCP 1997, II, 22754, note Corrignon-Garsin.
16
lM. VERDIER,
A. COEURET,
Mémentos Dalloz 1999, p. 559.
17
JM. VERDIER,
op. cit., p. 139.
M.A.
SOURIAC,
Droit
du Travail,
Il
e
éd,
23
dont il n'est pas titulaire... le syndicat, en tant que tel, ne fait pas grève, et n'est pas
davantage l'institution organisatrice des grèves... » 18.
La pratique des conflits collectifs finit toutefois par convaincre de ce que le
rapprochement bien qu'imparfait reste inéluctable.
II. L'INELUCTABLE
DROIT SYNDICAL
RAPPROCHEMENT
ENTRE DROIT DE GREVE ET
Même si le droit de grève appartient individuellement à chaque travailleur, la
grève s'analyse en une action collective et concertée. Elle suppose donc à la base
l'existence d'un groupe susceptible d'exprimer des revendications et de les faire
aboutir, notamment par l'action syndicale. Dans cette optique, les syndicats, qu'ils
soient à l'origine de la grève ou qu'ils s'efforcent d'en reprendre le contrôle, ont à
cœur d'apparaître au service des grévistes et d'intégrer la grève dans la stratégie
globale d'action syndicale. Ainsi les retrouve-t-on tant au niveau du déclenchement de
la grève (A) qu'à celui du règlement de celle-ci (B).
A- Le syndicaliste et le déclenchement de la grève
Le rôle du syndicat dans la grève ne peut plus être contesté. Certains le
déplorent 19,tandis que d'autres mettent en avant son côté bénéfique 20. Quoiqu'il en
soit, les faits prouvent l'interférence très fréquente entre la grève et le syndicat, la
finalité de la grève étant avant tout de faire aboutir des revendications
professionnelles. En effet, les grèves ne sont plus des phénomènes essentiellement
spontanés. Elles nécessitent plus qu'hier une certaine organisation, au risque de
dégénérer et d'être dans bien des cas inefficaces.
Dans cette optique, ce sont les syndicats, chargés de la défense des droits,
ainsi que des intérêts matériels et moraux de la profession, qui organisent la grève.
Jean-Maurice VERDIER rappelait justement que « la grève est assez rarement menée
sans liaison avec l'organisation syndicale» 21. L'activité syndicale est ainsi
particulièrement importante dans le déclenchement de la grève. Le syndicat étudie les
chances de succès de la grève, évalue les forces patronales en présence, dans la
mesure où il s'agit moins d'imposer au patronat la volonté unilatérale des salariés qu'à
l'amener à négocier. Le syndicat détermine le moment de déclenchement de la grève,
puisqu'il faut le choisir en fonction de son incidence sur l'entreprise, de sa capacité à
faire céder l'employeur. C'est donc le syndicat qui donne des consignes à ses
adhérents, même s'il faut reconnaître que c'est chaque gréviste qui exerce
individuellement son droit de grève.
18
19
op. cit., p. 252.
J.D. REYNAUD, les syndicats en France, collection U, 1963, P 151.
20
MM. SELLIER et TIANO, Manuel d'économie du travail, P.U.F., colI «ThémisSciences Economiques », Paris, 2e éd.
21
cf. Ts. Dr. Trav. Syndicats,
1e éd, n° 166.
24
De toute façon, il est illusoire d'affirmer que, parce que le droit de grève est
un droit individuel, le syndicat n'a aucune part dans le déclenchement de la grève. Les
faits prouvent qu'il a une part importante et que celle-ci est même privilégiée
s'agissant de la grève dans les services publics 22. En effet, la loi du 31 juillet 1963
confie et réserve le préavis de grève, désormais exigé pour que celle-ci soit licite, aux
organisations syndicales les plus représentatives. Ce faisant, elle reconnaît au syndicat
un monopole dans la décision de faire grève, elle lui accorde « un brevet de grève» 23.
Ce brevet, faut-il le rappeler, s'entend de la décision de faire grève, il ne s'entend pas
de l'exercice de la grève. Car le salarié, même syndiqué, n'est pas obligé de suivre le
mot d'ordre de grève lancé par le syndicat, il reste libre de recourir à la grève.
Quoiqu'il en soit, le lien entre le droit de grève et le droit syndical dans le
déclenchement de la grève est étroit. Ill' est tout autant dans le règlement de la grève.
B- LE SYNDICAT ET LE REGLE:MENT DE LA GREVE
Les syndicats ne se bornent pas à prendre l'initiative du mouvement. Ils
l'organisent et conseillent les travailleurs sur les modalités qui lui donneront le
maximum d'efficacité 24. Il est d'ailleurs constant que les organisations syndicales,
même lorsqu'elles n'ont pas été à l'origine du déclenchement de la grève, prennent
ensuite le mouvement en main pour l'empêcher de se développer en ordre dispersé 25
et lui donner quelques chances d'aboutir. Au surplus, les syndicats interviennent dans
la solution du conflit. Ce sont souvent les représentants syndicaux qui négocient et qui
signent les accords de fm de grève. Ils ne manquent pas d'ailleurs, et ceci justifie
d'autant leur intention, de s'attribuer le mérite des avantages obtenus grâce à l'action
qu'ils ont conduite.
Au-delà de cette intervention volontaire n'ayant en réalité d'autre fmalité que
d'améliorer l'image du syndicat en s'en attribuant des mérites, on rappellera que les
dispositions de l'article L 523-1 du Code du Travail font du syndicat un acteur direct ou
indirect dans le règlement de la grève. En effet, il ressort de cette disposition que tout
conflit collectif peut faire l'objet d'une tentative de conciliation, laquelle implique
nécessairement la participation du syndicat. Il en est de même s'agissant de la médiation.
Conclusion
On le voit, le droit de grève, droit individuel reconnu à tout salarié, fait
désormais partie d'une stratégie globale d'organisation syndicale et, en ce sens, se
rapproche du droit syndical. Celui-ci, s'il continue d'apparaître comme la mise en
œuvre d'une liberté individuelle, est dorénavant, davantage la prérogative d'action
syndicale et il est, comme le droit de grève, un outil au service du syndicat.
22
lM. VERDIER, Préavis de grève et droit syndical, Dalloz 1963, Chrono p. 269.
23
H. SINA Y, lC. lA VILLIER, op. cit., p.46.
24
ISA VATIER, La distinction de la grève et de l'action syndicale, Dr. Soc. 1984, p. 55.
25
Cf. Le rôle syndical dans les grèves pourtant initialement «sauvages»... in M.
ROCARD et H. LESIRE-OGREI, 1956.
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