Synthèse J Pharm Clin 2012 ; 31 (2) : 105-12 Les solutés de remplissage vasculaire Solutes in fluid therapy Alexandra Calinet 1 , Ratiba Haddad 1 , André Rieutord 1 , Dominique Prat 2 1 Service de pharmacie, Hôpital Antoine Béclère, APHP, Paris Service de réanimation médicale, Hôpital Antoine Béclère, APHP, Paris <[email protected]> Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. 2 Résumé. Les patients en hypovolémie ont un tableau d’insuffisance circulatoire aiguë avec des symptômes variés et des conséquences hémodynamiques sur les différents organes. La prise en charge de la réanimation est critique, car la mortalité est directement liée à l’étendue et la durée de l’hypoperfusion de l’organe en état de choc hypovolémique. Cet article rédigé par des praticiens-cliniciens est une mise à jour sur le remplissage vasculaire traitant de la physiologie des compartiments liquidiens, des signes cliniques, du choix des solutés de remplissage et de leur complication. Mots clés : liquides de remplissage, réanimation, physiologie, complication, colloïdes, cristalloïdes Abstract. Hypovolemic patients have an array of acute circulatory failure with varied symptoms and hemodynamic consequences of the different organs. The timing of resuscitation is critical, as mortality is directly related to the extent and duration of organ hypoperfusion of those in hypovolemic shock. This paper written by clinician practitioners is intended to give an update on key points about fluid resuscitation of hypovolemic patient: i.e. physiology of fluids compartments, fluids deficit, vital signs, choice of fluids resuscitation and possible complication. Key words: fluids, resuscitation, physiology, complication, colloid, crystalloid L’ hypovolémie absolue ou relative induit un tableau d’insuffisance circulatoire aiguë conduisant s’il se prolonge à un tableau de défaillance multiviscérale avec des morbidités et une mortalité très importantes. Cette hypovolémie doit être corrigée très rapidement. Le remplissage vasculaire (RV) dans le traitement de première intention d’une insuffisance circulatoire aiguë constitue un élément déterminant (mais non exclusif) du pronostic en termes de morbidité et de mortalité. L’administration intraveineuse de solutés de remplissage a pour effet d’augmenter le retour veineux, le volume d’éjection systolique (VES) et le débit cardiaque (QC), et donc in fine d’améliorer la perfusion tissulaire [1-5]. Cette expansion volémique, en raison des risques inhérents, nécessite d’objectiver une précharge dépendance et de disposer de moyens fiables pour prédire les effets du remplissage vasculaire [6-10]. Il existe différents types de solutés de remplissage avec chacun des propriétés différentes. L’utilisation de ces solutés suit des Tirés à part : D. Prat recommandations bien précises et doit être encadré afin d’éviter d’être délétère [11]. Cet article fait une mise au point sur la physiologie, les moyens diagnostiques et thérapeutiques ainsi que les différentes techniques afin d’objectiver l’efficacité du RV. Définition-physiologie La volémie représente le volume sanguin total de l’organisme (plasma et éléments figurés). La valeur normale de la volémie est de 65 à 75 mL/kg et se distribue de façon très inégale dans le système circulatoire [3, 4]. L’eau totale représente 60 % du poids du corps chez un adulte moyen et se répartit en trois compartiments : – secteur intracellulaire (70 % de l’eau totale) ; – secteur interstitiel (21 % de l’eau totale) ; – secteur vasculaire (7 % de l’eau totale). Les 2 % restants correspondent au liquide céphalorachidien, aux liquides digestifs et aux sécrétions. La répartition de la volémie peut être décrite selon les critères anatomiques ou selon les critères hémodynamiques [2-4]. Pour citer cet article : Calinet A, Haddad R, Rieutord A, Prat D. Les solutés de remplissage vasculaire. J Pharm Clin 2012 ; 31(2) : 105-12 doi:10.1684/jpc.2012.0214 105 A. Calinet, et al. Artérioles + Capillaires (7%) Artères (13%) Volume contraint Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Volume non contraint Réservoir veineux (65%) Cœur droit (3%) Poumons (9%) Cœur gauche (3%) Figure 1. Répartition du volume sanguin. Sur un plan anatomique, la volémie se répartit essentiellement (83 %) dans la circulation systémique (système veineux systémique (65 %), petites et grosses artères (15 %), capillaires systémiques (5 %)) et pour le reste, dans la circulation pulmonaire (9 %) et dans le cœur en diastole (8 %) (figure 1). Le volume sanguin intrathoracique représente environ 20 % de la volémie, réparti grossièrement pour 50 % dans les cavités cardiaques et pour 50 % dans la circulation pulmonaire [3]. L’hypovolémie absolue est définie comme une diminution du volume sanguin total circulant. Cette diminution peut être liée à des pertes sanguines (hémorragie) ou à des pertes purement plasmatiques (pertes digestives, rénales, cutanées, extravasation dans le tissu interstitiel). L’hypovolémie relative est définie par une mauvaise répartition de la volémie entre les compartiments central et périphérique : malgré une volémie normale voire augmentée, il existe une insuffisance du volume sanguin central [3, 4, 7]. L’hypovolémie, qu’elle soit relative ou absolue, aboutit à une diminution du retour veineux systémique qui entraîne une diminution du VES et donc du QC. Le but du RV est la correction du déficit volémique. La première conséquence de cette diminution du retour veineux est la mise en jeu de mécanismes compensateurs par le biais d’une stimulation des tensorécepteurs intrathoraciques, de systèmes neuro-hormonaux, au premier rang desquels le système sympathique. Ceux-ci entraînent une augmentation de la fréquence cardiaque, de la contractilité, des résistances vasculaires systémiques par vasoconstriction dans les territoires asservis, particulièrement cutanés, splanchniques et rénaux. Les signes cliniques classiques retrouvés sont : tachycardie, signes cutanés, oligurie, soif, collapsus veineux et diminution 106 des pressions de remplissage (en particulier de la pression veineuse centrale) [2, 5]. La pression motrice du retour veineux qui est la différence entre la pression systémique moyenne (PSM) et la pression de l’oreillette droite (POD) permet le retour veineux au cœur. La PSM dépend de la capacitance du réservoir veineux et du volume sanguin hémodynamiquement actif (volume contraint) qui y est contenu. Il existe également un volume sanguin hémodynamiquement inactif (non contraint) (figure 2). C’est donc l’importance du volume contraint qui induit le retour veineux [2]. La volémie est répartie pour 70 % dans un volume non contraint et pour 30 % dans un volume contraint Lorsqu’un soluté est perfusé à un patient, l’essentiel du volume se retrouve dans le système veineux, lequel contient à lui seul 65 % du volume sanguin total. Ce supplément de liquide augmente ainsi le volume contraint dans le réservoir veineux et par conséquent la PSM, qui est la force motrice du retour veineux. Comme le débit de retour veineux et le QC sont forcément équivalents en moyenne, toute augmentation du retour veineux est associée à une augmentation du VES et du QC. Le bénéfice attendu du RV doit être analysé à travers les conséquences générales et régionales de l’augmentation du VES. Il va permettre d’augmenter ou de préserver la pression de perfusion des organes, d’apporter l’oxygène aux tissus et de préserver la fonction rénale [2, 3, 5, 7]. La régression des signes cliniques d’hypovolémie et l’augmentation de la délivrance en oxygène aux tissus sont authentifiées par la correction d’une hypotension artérielle et par une redistribution favorable des débits régionaux. Elle se traduit au niveau rénal par J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012 Les solutés de remplissage vasculaire Réservoir veineux PSM PSM - POD = pression rnotrice du retour veineux Volume contraint Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Volume non contraint POD Capacitance du réservoir veineux Figure 2. Fonctionnement du réservoir veineux. une reprise de la diurèse et au niveau cardiaque par une réduction de la fréquence cardiaque. Ce bénéfice est régi par la relation de Frank-Starling (figure 3). La relation entre la précharge et le VES (ou QC), appelée courbe de fonction systolique comprend deux parties : – une première partie dite de précharge dépendance (portion ascendante ; A) pendant laquelle une expansion volémique (RV) entraîne une augmentation significative du VES du ventricule (réserve de précharge) ; – une seconde partie dite de précharge-indépendance (plateau de la courbe ; B) durant laquelle l’augmentation de la précharge résulte en une augmentation non significative du VES. La jonction entre la partie ascendante (A) et le plateau (B) correspond au VES ou QC maximal (ou optimal). Lorsque cette valeur est atteinte, tout apport liquidien supplémentaire risque de conduire à des complications congestives et n’améliorera pas la perfusion tissulaire [1-3, 5, 6]. Les effets hémodynamiques du RV sont influencés par les caractéristiques du soluté, les volumes administrés et le débit d’administration. Un RV rapide, associé au traitement étiologique, reste primordial pour améliorer le pronostic des patients hypo- VES (ou Qc) B Précharge-indépendance A Précharge-dépendance Précharge ventriculaire Figure 3. Relation de Frank-Starling. J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012 volémiques. Cependant, il expose à des risques inhérents au remplissage lui-même ou aux produits utilisés pour ce remplissage [5, 6, 10]. Outils diagnostiques Le contexte de survenue de l’hypovolémie est un élément important dans la décision de RV. Il est le plus souvent efficace en cas d’hémorragie avérée, de déshydratation aiguë, de brûlures étendues, de « troisième secteur » évident, de choc septique ou anaphylactique [1-3]. Chez le patient dont le baroréflexe est conservé, l’augmentation de la fréquence cardiaque ou la survenue de malaise au passage en position proclive sont les signes les plus sensibles d’une hypovolémie et la sensibilité des autres signes cliniques d’hypovolémie est médiocre. Elle varie avec le contexte, les antécédents et les traitements associés. En cas de contexte évocateur, une hypotension artérielle franche, une tachycardie marquée ou des signes d’hypoperfusion tissulaire (marbrures cutanées, allongement du temps de recoloration capillaire, oligurie) sont le plus souvent associés à une hypovolémie importante et justifient un remplissage rapide. Les signes biologiques d’anémie, d’insuffisance rénale fonctionnelle contribuent à guider le traitement et apprécier l’efficacité a posteriori. Le RV guidé par les seuls signes clinico-biologiques est difficilement évaluable. Dans le cas où l’hypovolémie vraie ou relative n’est pas certaine, la décision d’un remplissage vasculaire doit être fondée sur des critères prédictifs de son efficacité [1, 7]. Il existe des critères statiques, basés sur la simple mesure de la précharge cardiaque, et dynamiques, fondés sur des tests physiologiques observant les effets d’une variation de précharge. Les indices statiques de précharge cardiaque que sont la pression veineuse centrale (PVC), la pression artérielle pulmonaire 107 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. A. Calinet, et al. d’occlusion (PAPO), les dimensions télédiastoliques du ventricule gauche, le rapport des ondes E sur A du flux mitral ou la durée d’éjection aortique ne permettent pas de prédire la réponse à l’expansion volémique avec fiabilité. Par contre, les indices dynamiques fondés sur une analyse de la relation de Frank-Starling afin de déterminer sur quelle portion de la courbe précharge-volume d’éjection systolique fonctionne le cœur d’un patient donné à un moment donné prédisent la réponse à l’expansion volémique. Ces indices sont la variabilité de la pression pulsée, du volume d’éjection systolique dérivé de l’onde de pouls, de la vitesse maximale du flux sous-aortique, du débit aortique descendant, du QC, de l’onde de pléthysmographie et du diamètre de la veine cave inférieure et supérieure [1, 3]. Moyens thérapeutiques de l’hypovolémie La survenue d’une hypovolémie entraîne, en raison de la diminution du retour veineux, une chute du VES, conséquence directe du principe de Frank-Starling, à l’origine d’une baisse du QC. Cette baisse du QC survient en dépit de l’augmentation de la fréquence cardiaque, secondaire à l’activation du système sympathique et du système rénine-angiotensine-aldostérone conduisant à une baisse de la pression artérielle, du transport artériel en oxygène, des débits régionaux. La réponse sympathique parvient à maintenir la pression artérielle moyenne (PAM) jusqu’à des diminutions de volume intravasculaire de l’ordre de 25 % chez les patients vigiles sans antécédents cardiovasculaires. Le bénéfice du RV est jugé sur la régression des signes cliniques d’hypovolémie : amélioration de la perfusion tissulaire (correction de l’acidose lactique). Il se traduit par l’augmentation de la pression artérielle, la diminution de la fréquence cardiaque, la diminution ou la disparition des marbrures. Il est observé également au niveau cérébral une amélioration des fonctions cognitives, au niveau rénal une reprise de la diurèse (avec correction des signes biologiques d’insuffisance rénale fonctionnelle), et au niveau hépato-splanchnique par la régression des anomalies biologiques hépatiques et pancréatiques. Ces signes reflètent l’augmentation du débit cardiaque et du transport en O2 [2, 3, 5, 7]. La rapidité avec laquelle ces objectifs sont atteints lors de la prise en charge initiale de l’hypovolémie constitue un élément déterminant du pronostic en termes de morbidité et mortalité [1-3, 5] Les deux types de solutés de remplissage sont représentés par les cristalloïdes et colloïdes. Leurs principales différences résident dans leur pouvoir d’expansion et 108 leurs effets indésirables. Les critères de choix d’un soluté de remplissage reposent sur son efficacité à restaurer la volémie et/ou sur ses effets indésirables : toxicité rénale (± hépatique), œdème interstitiel, troubles de l’hémostase et allergie [11]. Les solutés de remplissage vasculaire [10, 11] Deux classes de solutés de remplissage sont classiquement opposées, les cristalloïdes et les colloïdes. Les cristalloïdes Parmi les cristalloïdes sont distingués : le sérum salé isotonique (NaCl 0,9 %), hypertonique, les solutions de glucose à 5, 20 et 30 %, le Ringer Lactate ou le bicarbonate de sodium. Les cristalloïdes sont des solutions aqueuses d’électrolytes : seules les solutions à base de NaCl sont retenues. Ils se répartissent entre le compartiment vasculaire et le secteur interstitiel selon leur osmolalité : – si leur osmolalité est inférieure à 300 mOsmol/kg, ils se répartissent dans les deux secteurs extra et intracellulaires ; – si leur osmolalité est égale à 300 mOsmol/kg, ils ne se répartissent que dans le secteur extracellulaire sans modifier l’espace cellulaire ; – si leur osmolalité est supérieure à 300 mOsmol/kg, la répartition se fait exclusivement dans le secteur extracellulaire. Sérum salé isotonique Son pouvoir d’expansion volémique est faible. En effet, 25 % des volumes perfusés restent dans le compartiment vasculaire et 75 % vont dans le secteur interstitiel. Il faut perfuser 4 fois plus que la perte volémique. L’augmentation de la pression hydrostatique interstitielle qui en résulte conduit à la mobilisation de l’albumine à partir du flux lymphatique en direction du secteur vasculaire. Les grands volumes exposent au risque d’inflation hydrosodée et d’acidose hyperchlorémique en raison de la présence d’ions chlorures en grande quantité (tableau 1) Ringer lactate Dans les pratiques usuelles, le Ringer Lactate est le plus utilisé car il ne présente pas l’inconvénient d’une éventuelle acidose hyperchlorémique. Isofundine, solution pour perfusion C’est une solution cristalloïde isotonique (304 mOsm/L) de type Ringer dont la composition électrolytique est proche de celle du plasma. Elle se caractérise par son apport en anions métabolisables (acétate et malate) et ne J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012 Les solutés de remplissage vasculaire Tableau 1. Intérêt et pouvoir osmotique des solutés de remplissage vasculaire [11]. Solutés Osmolarité (mOsmol/kg) Efficacité volémique Durée effet expansion Cristalloïdes NaCl 0,9 % 308 0,22 1-3 heures 3-7 1-3 heures 275 0,19 1-3 heures Albumine 4 % 250-350 0, 8 8-12 heures Albumine 20 % 300 3,5 8-12 heures Rhéomacrodex® 315 1,7-2,0 2-4 heures Hémodex® 300 1,2-1,5 4-8 heures NaCl 7,5 % Ringer-Lactate Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Colloïdes naturels Colloïdes synthèse Dextrans : Gélatines : Plasmion® 320 0,8-1,0 3-5 heures ® Gélofusine 308 0,8-1,0 3-6 heures Plasmagel® 350 0,8-1,0 3-5 heures HEA : Elohès® 1,0-1,5 4-8 heures Hestéril® 308-310 1,0-1,5 4-8 heures ® 1,0-1,5 3-6 heures Voluven renferme pas de lactate. Elle représente une alternative à la prescription d’une autre solution cristalloïde isotonique sans (NaCl 0,9 %) ou avec lactates (Ringer Lactate), en particulier en cas d’insuffisance hépatique (Ringer, non recommandé). Elle est sans impact sur les diagnostics basés sur les taux de lactates. Il convient de noter que les solutions type Ringer et d’Isofundine renferment du KCl (Ringer Lactate : 5 mmol/L ; Isofundine : 4 mmol/L) dont il faut tenir compte si le volume administré est important et en cas d’anurie) [11]. Les colloïdes Il existe les colloïdes naturels (i.e. l’albumine et les dérivés sanguins) et de synthèse (dextrans, gélatines et hydroxyéthylamidons-HEA). Les colloïdes sont des composés de macromolécules de haute masse moléculaire allant de 40 à 200 kDa. La pression oncotique exercée par ces solutions est fonction de leur concentration. Leur efficacité dépend également de leur devenir métabolique et de leur élimination rénale. J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012 Colloïdes naturels : l’albumine L’albumine est présentée en solutions iso-osmolaires, à 4 % (hypo-oncotique par rapport au plasma), 5 % (isooncotique) et 20 % (hyper-oncotique). Chez un sujet sain, le pouvoir d’expansion volémique de l’albumine est de 18 à 20 mL/g. La perfusion de 500 mL d’albumine à 4 % ou 100 mL à 20 % entraîne une augmentation dans le compartiment vasculaire de 400 mL (efficacité volémique = 80 % ou 0,8) (tableau 1). L’albumine n’est pas un soluté de remplissage de première intention. Si un colloïde de synthèse est contre-indiqué ou a été utilisé à sa posologie maximale, l’albumine peut être envisagée pour le remplissage vasculaire chez l’adulte et l’enfant (hors nouveau-né et prématuré). Dans le remplissage vasculaire, l’utilisation de l’albumine 4 % et 5 % est privilégiée par rapport à l’albumine 20 %. L’albumine 5 % iso-oncotique doit être privilégiée pour les échanges plasmatiques par rapport à l’albumine 4 % hypo-oncotique au plasma. L’albumine humaine est indiquée en cas d’hémorragie chez la femme enceinte, d’allergie connue aux colloïdes de synthèse et chez des sujets présentant des brûlures étendues. Les dérivés sanguins sont utilisés en fonction du contexte clinique et du type de déficit (hémoglobine, plaquettes, facteurs de coagulation. . .). Colloïdes de synthèse : les dextrans Ce sont des polysaccharides d’origine bactérienne (Lactobacillus leuconostic mesenteroïdes). Les dextrans ne sont quasiment plus utilisés. Colloïdes de synthèse : les gélatines : Plasmion® , Gélofusine® Ces polypeptides sont obtenus par hydrolyse du collagène osseux de bœuf. Leur PM est d’environ 30 kDa. Ces solutés sont légèrement hypertoniques par ajout d’électrolytes et exercent un pouvoir oncotique proche de celui du plasma. Colloïdes de synthèse : les hydroxyéthylamidons (HEA) : Voluven® , Hyperhes® Ce sont des polysaccharides naturels, extraits d’amidon de maïs modifié par hydroxylation, afin de ralentir leur hydrolyse enzymatique par l’␣-amylase et d’augmenter l’hydrophilie des molécules. Les HEA sont définis par leurs caractéristiques physicochimiques : – le poids moléculaire (PM) (plus faible avec les HEA de dernière génération) ; – le taux de substitution molaire (TSM) qui exprime le rapport molaire des concentrations d’hydroxyéthyl et de glucose. Ce paramètre traduit la résistance à l’hydrolyse par l’alpha-amylase responsable du catabolisme de l’HEA ; – le rapport C2/C6 : la résistance à l’hydrolyse est aussi conditionnée par la position du groupement hydroxyé109 A. Calinet, et al. Tableau 2. Effets communs et spécifiques des solutés de remplissage Communs Spécifiques Surcharge volémique Œdème pulmonaire Hémostase : HEA, dextrans, gélatines Si pression oncotique basse Si mauvaise appréciation du degré d’hypovolémie Allergie : gélatines, HEA, dextrans, albumine Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Si cardiopathie Solutions concentrées Tolérance rénale : HEA, dextrans Hémodilution Hématocrite Tolérance hépatique : HEA Facteurs de coagulations Rhéologie Risque infectieux : sang, albumine humaine gélatines thyléther sur les molécules de glucose en C2 et en C6. L’hydroxylation en C2 offre la plus grande résistance à la dégradation enzymatique ; – la concentration : solutions hypo-oncotiques (3 %), isooncotiques (6 %) ou hyper-oncotiques (10 %) ; – la composition du solvant (caractéristique plus récente) : solution « non balancée » (chlorure de sodium isotonique) ou « balancée » (solution de Ringer lactate). Le PM, le TSM et le rapport C2/C6 conditionnent la pharmacocinétique des HEA, plus ils sont élevés et plus l’hydrolyse des HEA est ralentie. Il en résulte une accumulation et conséquemment une augmentation des effets indésirables. La prescription des HEA est toujours soumise à une surveillance stricte. Des recommandations de prescription concernant le Voluven® à 6 % ont été établies afin d’éviter tout problème d’accumulation de produit dans l’organisme selon le schéma suivant : à J1 : 33 mL/kg/24h, puis 20 mL/kg/24h pour J2 et J3 et débit de perfusion faible [12]. Effets indésirables des solutés de remplissage [3, 5, 6] Les risques liés au remplissage vasculaire sont d’autant plus grands que les réserves de précharge du patient sont limitées. Les risques peuvent être divisés entre ceux liés : – à une augmentation de la pression hydrostatique intravasculaire (augmentation de la pression artérielle, dilution de facteurs de coagulation. . .) ; – à un œdème interstitiel ou cellulaire (augmentation de la pression hydrostatique, transfert de liquide vers le secteur extravasculaire ; formation d’œdème. . .) ; – à la survenue d’une hypothermie (perturbations de la coagulation, complications cardiaques, infectieuses, modifications de la pharmacocinétique des médicaments. . .) ; 110 – aux problèmes métaboliques (dysnatrémie, dyskaliémie et/ou de dyschlorémie) ; – à la spécificité des produits utilisés (réactions allergiques, troubles de l’hémostase, toxicité rénale, transmission d’agents infectieux. . .) (tableau 2). Pour une efficacité égale, le volume de cristalloïde est plus important (3 à 4 fois) que celui des colloïdes, ce qui peut poser un problème de risque d’œdème et d’hémodilution. Aucune étude n’a montré de différence de mortalité entre les différents produits et il existe une différence de coût car pour un coût équivalent, les volumes de solutés perfusés sont de 0,5 L pour l’albumine à 4 %, 4 L pour les gélatines, 9 L pour les HEA et 79 L pour le sérum physiologique. Il est difficile de poser des indications en faveur de tel ou tel soluté (sauf si hémorragie où les dérivés sanguins paraissent justifiés) et le débat cristalloïdes versus colloïdes paraît dépassé. L’intérêt repose surtout sur un objectif thérapeutique défini et les moyens de l’obtenir tout en surveillant son bénéfice. Mais il faut se demander pourquoi utiliser des produits qui n’ont pas démontré leur supériorité, qui ont des effets secondaires et coûtent cher. Stratégie thérapeutique Le remplissage vasculaire est un acte thérapeutique dont l’indication est évoquée face à toute situation d’instabilité hémodynamique. Le bénéfice est lié à l’augmentation du débit cardiaque mais, s’il ne l’augmente pas, peut être considéré comme inefficace, voire potentiellement délétère, du fait de l’augmentation de pression hydrostatique intravasculaire. Il est donc important d’identifier des critères prédictifs de l’efficacité du remplissage. Le contexte clinique est un élément majeur dans la décision de remplissage. En effet, dans des circonstances cliniques simples, la constatation d’une tachycardie, d’une hypotension, d’une oligoanurie ou des signes d’hypoperfusion tissulaire (marbrures cutanées, allongement du temps de recoloration capillaire, polypnée, encéphalopathie) sont des indicateurs prédictifs de l’efficacité du remplissage [4, 5]. Chez le sujet conscient (dont le baroréflexe est conservé), l’augmentation de la fréquence cardiaque et la mauvaise tolérance (hypotension artérielle orthostatique) au passage en position proclive sont les signes les plus sensibles d’une réponse positive au remplissage vasculaire [1, 3]. La sensibilité des autres signes cliniques d’hypovolémie est médiocre et varie avec le contexte, les antécédents et les traitements associés. La réalisation d’une épreuve de remplissage vasculaire constitue un test diagnostique qui permet, lorsqu’il est couplé à J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012 Les solutés de remplissage vasculaire Tableau 3. Performances des différents critères d’évaluation de l’efficacité du remplissage vasculaire. Variable mesurée Sensibilité Spécificité Problèmes-limitations Volume éjectionnel Excellente Excellente Débit cardiaque Très bonne Excellente Diminution tachycardie Transport d’O2 Très bonne Excellente Hémodilution Pression pulsée, delta down Très bonne Excellente Ventilation mécanique, arythmie Pression artérielle Bonne Bonne Résistances vasculaires basses Consommation d’O2 Moyenne Excellente Si VO2 /DO2 dépendance Lactate Moyenne Bonne Clairance, absence hypoxémie Diurèse Moyenne Excellente Insuffisance rénale installée Perfusion splanchnique Moyenne Excellente Difficultés mesures Tonométrie gastrique Moyenne Excellente Limitations techniques Critères directs Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Critères indirects 45° 45° Position semi-assise Lever de jambes passif Figure 4. Test de lever de jambes passif. une mesure de son effet sur le VES ou le QC, de distinguer les patients « répondeurs » des patients « non répondeurs ». La manœuvre de lever de jambe passif (LJP) (figure 4) permet de provoquer transitoirement une expansion volémique dont l’intérêt réside dans sa capacité à prévoir les effets hémodynamiques d’une épreuve de remplissage [1, 8, 9]. Le bénéfice est donc d’éviter le recours à un remplissage inutile voire délétère chez les patients qui ne sont pas dans une situation de précharge-dépendance. La réponse au remplissage par cette méthode peut être prédite de manière non invasive (observation du changement de pression pulsée ou par échographie) ou de manière invasive (dispositif artériel invasif). Le transfert du patient depuis la position proclive à 45◦ vers une position où les membres inférieurs sont élevés de 45◦ par rapport à l’horizontal entraîne une augmentation du volume sanguin intrathoracique qui sert à tester la réponse au remplissage. La détermination du volume de remplissage nécessaire n’est pas bien établie. Tant que le malade présente des signes de préchargeJ Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012 dépendance, le remplissage vasculaire paraît bénéfique. Cependant, il faut bien faire attention, même si ces indices prédictifs existent, d’apprécier le rapport bénéfice/risque. L’évaluation de la réponse au test de remplissage se fera selon divers critères directs et indirects (tableau 3) [10]. Seuls les critères directs signent une efficacité indubitable du remplissage vasculaire. Les critères indirects peuvent refléter l’efficacité du remplissage vasculaire, mais de multiples facteurs interfèrent avec ceux-ci, de sorte qu’une absence de modification de ces derniers ne signe pas automatiquement une inefficacité du remplissage vasculaire. Conclusion L’indication et le bénéfice attendu du RV en dehors d’un contexte clinique-biologique très évocateur d’hypovolémie repose sur une évaluation hémodynamique fonctionnelle, au mieux par des critères dynamiques. Le RV ne doit être entrepris que s’il existe des arguments 111 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. A. Calinet, et al. prédisant un état de précharge-dépendance cardiaque car il est susceptible d’induire des effets indésirables. Mais même si les critères dynamiques permettent de prédire la réponse hémodynamique, ils n’indiquent nullement que le remplissage vasculaire soit absolument nécessaire et le contexte clinique est très important. Le choix d’un soluté par rapport à un autre dépend du contexte clinique, du patient, de ses propriétés et effets secondaires et des objectifs fixés. Des recommandations existent et doivent être appliquées afin d’être le moins délétère possible pour le patient. Conflits d’intérêts : aucun. Références 1. Monnet X, Teboul JL. Collège national des enseignants de réanimation médicale. Évaluation de la réponse au remplissage vasculaire : indices dynamiques. In : Réanimation. Paris : Masson, 2009 : 442-4. 2. Cholet B. Apport hydro-électrolytiques péri-opératoires chez l’adulte. Congrès national d’anesthésie et de réanimation. Paris : Elsevier, 2008 : 347-55. 112 3. Teboul JL, et le groupe d’experts de la SRLF. Recommandations d’experts de la SRLF « indications du remplissage vasculaire au cours de l’insuffisance circulatoire ». Réanimation 2004 ; 13 : 255-63. 4. Vieillard-Baron A, Michard F, Chemla D. Définitions et rappels physiologiques concernant les déterminants du statut volémique. Réanimation 2004 ; 13 : 264-7. 5. Duranteau J, Richard C. Bénéfices attendus du remplissage vasculaire. Réanimation 2004 ; 13 : 268-72. 6. Mion G. Risques potentiels Réanimation 2004 ; 13 : 273-8. du remplissage vasculaire. 7. Leconte P, Cariou A, Tavernier B. 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