Ici donc, ce n’est pas n’importe quelle prière, c’est la prière d’attente impatiente des petits, des victimes
d’injustice, des exclus, des veuves et des orphelins… telle que peuvent la prendre en charge aujourd’hui
des organismes chrétiens tel que l’ACAT
.
La réponse de l’Evangile à cette situation d’injustice que l’on ressent fortement dans notre monde
lorsqu’on est aux côtés des victimes et des humbles, c’est donc d’abord la prière. Et même la prière
comme un « cri jour et nuit », un cri incessant, un cri perçant.
Une tradition biblique dit que la prière des humbles transperce le ciel
.
La parabole semble nous dire (en « anthropomorphisant » Dieu) que cette prière-là finit par avoir raison de
la « patience » de Dieu. L’expression, dans le grec, est obscure : Dieu les ferait-il attendre, dans une forme
de sadisme, à l’image du juge inique
? Je ne crois pas que ce soit le sens du texte.
Juste après cette expression, est fortement exprimée par Jésus la conviction que Dieu est juste et qu’il
fera justice. Mais s’il fait justice trop tôt, beaucoup subiront sa condamnation et Dieu est aussi dans
l’attente patiente de la conversion de ceux qui pratiquent l’iniquité, l’injustice. C’est ce que dit la 2e épître
de Pierre qui emploie le même mot grec
pour nous dire : si le Seigneur patiente (on peut traduire : s’il
persévère dans sa patience), c’est qu’il souhaite qu’aucun ne se perde, mais que tous accèdent à la
conversion (2 Pierre 3,9).
Mais ce qui m’intéresse ici, c’est que la réponse à l’injustice du monde, n’est pas d’abord de l’ordre de
l’engagement. Dans le texte de l’évangile, l’engagement vient après : appel à l’humilité, à devenir comme
des enfants et à renoncer aux richesses… Avant tout cela, la première réponse à l’injustice du monde est
la persévérance de la prière. Non pas une prière tranquille mais le cri, jour et nuit, à l’image de cette
veuve.
La prière donc, comme première réponse au changement du monde et à l’établissement de la justice.
Dans notre rationalisme occidental et réformé, cela ne nous plait guère. Nous préférons être dans l’action.
Mais ici : la prière d’abord. Et pour être sûr que l’on ne s’y trompe pas, la fin de notre passage assimile tout
bonnement cette prière à la foi.
Luc affirme, en forme de confession de foi, en réponse à la prière des victimes : Il est certain que Dieu fera
justice. Mais… le fils de l’homme trouvera-t-il la foi sur la terre quand il reviendra ? Le Christ ici, dans une
magnifique et toute humaine compassion, s’inquiète de savoir si ces humbles pourront tenir jusqu’au bout
dans leur prière. Et ce faisant, il pose comme une égalité : la foi, c’est la prière comme un cri permanent
d’injustice qui monte vers Dieu jour et nuit à la suite du Christ.
Voilà donc qu’aujourd’hui, Jésus se fait solidaire de cette veuve de la parabole et de tous ceux qui lui
ressemblent, s’inquiétant même de leur persévérance, et nous appelle à en faire autant. De même, dans la
suite de notre chapitre, il se fera solidaire du pécheur qui se repent plutôt que du pharisien sûr de sa
propre justice ; puis de l’enfant plutôt que des adultes autosuffisants et de ses propres disciples ; puis du
pauvre plutôt que du riche prisonnier de sa richesse au point de refuser le royaume de Dieu ; puis de ceux
qui ont renoncé à tout pour le suivre ; et finalement de l’aveugle de Jéricho que l’on voulait écarter du
chemin.
Avec cette certitude plantée au cœur de notre passage : c’est certain, Dieu fait justice (v8) ; et cette
inquiétude qu’il fait sienne : pourvu qu’ils persévèrent dans la prière, c'est-à-dire dans la foi !
La prière serait-elle alors une fuite, une déresponsabilisation, une morphine pour atténuer la souffrance de
ceux qui souffrent d’injustice ? Ne vaudrait-il pas mieux que les pauvres et les victimes se liguent et que,
dans un rapport de force, ils obtiennent, voire arrachent ce qui leur est dû, se fassent justice eux-mêmes ?
Action des chrétiens pour l’abolition de la Torture.
Siracide 35
Ce n’est pas la première fois que Jésus compare Dieu à un personnage injuste, mais c’est toujours sur le mode « si
un personnage injuste est capable de répondre, à combien plus forte raison Dieu qui est juste ! »
μακροθυμειν : le Bailly traduit « persévérer » et traduit le substantif par « patience ».