Annonciation, 20 octobre 2013 Luc 18,1-8 La prière et la venue du règne de Dieu (notes de prédication) Cette parabole de la veuve et du juge inique est plutôt célèbre, elle fait écho à la parabole de l’ami importun (Luc 11,1-8) où déjà, Luc abordait le thème de la prière dans son évangile en rapportant le même type d’histoire, après avoir enseigné aux disciples le Notre Père (dont on sait que la version de Luc est différente de la version de Matthieu que nous récitons – plus resserrée, plus incisive). La prière donc, mais dans un contexte particulier. Si dans Luc 11, Jésus enseigne comment il faut prier, ici, nous sommes au cœur du discours sur les temps derniers, la venue du règne de Dieu, la double particularité de cette venue étant qu’elle survient comme un voleur et surtout pour rendre la justice aux victimes de l’injustice qui crient à Dieu. Alors, il y a ceux qui sont prêts… et ceux qui ne le sont pas. C’est là qu’intervient notre parabole et Luc en donne l’interprétation immédiate : il leur disait une parabole pour leur montrer qu’il faut toujours prier, sans se lasser. La parabole qui suit devient presque inutile puisque Luc en donne déjà l’explication ! Ceci fait dire à plusieurs exégètes que cette parabole préexistait à la rédaction de l’évangile, que Jésus l’a probablement donnée sans interprétation préalable, et que Luc, deux ou trois générations plus tard, éprouve le besoin de la placer là, à la fin du discours sur la venue par surprise du règne de Dieu, comme pour illustrer qu’il faut être « toujours prêt » (comme dirait les scouts) ou qu’il faut toujours « veiller et prier » (comme disent les autres évangiles - Marc 14,38). On comprend alors que notre parabole n’est pas simplement une exhortation à la prière en général, mais plutôt à la prière d’attente, d’attente du règne de Dieu qui semble tarder à venir, ce qui peut nous décourager ! Au fond, la prière dont est parlé ici rejoint la 2e demande du Notre Père « que ton règne vienne ». Et par là, Luc veut encourager les petits, les victimes d’injustice et les persécutés, les exclu(e)s du système comme l’étaient les veuves à l’époque, à ne pas désespérer. Car Dieu ne peut pas ne pas faire justice : puisque même un juge inique, égoïste et injuste, et avec de mauvaises raisons, est capable de rendre justice, à combien plus forte raison Dieu le fera-t-il ! Les lecteurs de Luc commencent à effet à s’impatienter : le règne de Dieu semble tarder. Il y a de quoi se décourager. Les injustes sont toujours plus injustes, les égoïstes toujours plus égoïstes, la nomenklatura plus que jamais ne s’occupe que d’elle-même (à l’image du juge de la parabole), les plus pauvres n’ont plus aucun recours et sont pris en otage… une désespérance qui peut les emmener à se faire justice eux-mêmes à l’image de la veuve dont le juge craint une attitude violente (qu’elle lui « casse la figure » dit le texte). Tout cela nous rappelle, s’il est besoin, que la société des humains n’a pas vraiment changé et que le refrain est toujours le même. La campagne internationale « exposed » que propose le Défi Michée, contre la corruption et pour la transparence, nous le rappelle à sa manière. Et si chez nous, nous ressentons les effets de la corruption de manière indirecte, on sait que dans bien des parties du monde, la gangrène est telle qu’elle porte atteinte à une grande partie des plus vulnérables1. Nous pouvons joindre notre prière à la leur, à celle de nos contemporains, à celle de ces premiers chrétiens à la suite de cette veuve, en criant à Dieu (dixit le texte) avec ce brin de questionnement et de découragement : mais que fais-tu donc, Seigneur ? Viens, viens vite rétablir ton royaume de justice et de paix ! 1 Voir les quelques chiffres sur la feuille de culte du jour Ici donc, ce n’est pas n’importe quelle prière, c’est la prière d’attente impatiente des petits, des victimes d’injustice, des exclus, des veuves et des orphelins… telle que peuvent la prendre en charge aujourd’hui des organismes chrétiens tel que l’ACAT 2. La réponse de l’Evangile à cette situation d’injustice que l’on ressent fortement dans notre monde lorsqu’on est aux côtés des victimes et des humbles, c’est donc d’abord la prière. Et même la prière comme un « cri jour et nuit », un cri incessant, un cri perçant. Une tradition biblique dit que la prière des humbles transperce le ciel3. La parabole semble nous dire (en « anthropomorphisant » Dieu) que cette prière-là finit par avoir raison de la « patience » de Dieu. L’expression, dans le grec, est obscure : Dieu les ferait-il attendre, dans une forme de sadisme, à l’image du juge inique4 ? Je ne crois pas que ce soit le sens du texte. Juste après cette expression, est fortement exprimée par Jésus la conviction que Dieu est juste et qu’il fera justice. Mais s’il fait justice trop tôt, beaucoup subiront sa condamnation et Dieu est aussi dans l’attente patiente de la conversion de ceux qui pratiquent l’iniquité, l’injustice. C’est ce que dit la 2 e épître de Pierre qui emploie le même mot grec5 pour nous dire : si le Seigneur patiente (on peut traduire : s’il persévère dans sa patience), c’est qu’il souhaite qu’aucun ne se perde, mais que tous accèdent à la conversion (2 Pierre 3,9). Mais ce qui m’intéresse ici, c’est que la réponse à l’injustice du monde, n’est pas d’abord de l’ordre de l’engagement. Dans le texte de l’évangile, l’engagement vient après : appel à l’humilité, à devenir comme des enfants et à renoncer aux richesses… Avant tout cela, la première réponse à l’injustice du monde est la persévérance de la prière. Non pas une prière tranquille mais le cri, jour et nuit, à l’image de cette veuve. La prière donc, comme première réponse au changement du monde et à l’établissement de la justice. Dans notre rationalisme occidental et réformé, cela ne nous plait guère. Nous préférons être dans l’action. Mais ici : la prière d’abord. Et pour être sûr que l’on ne s’y trompe pas, la fin de notre passage assimile tout bonnement cette prière à la foi. Luc affirme, en forme de confession de foi, en réponse à la prière des victimes : Il est certain que Dieu fera justice. Mais… le fils de l’homme trouvera-t-il la foi sur la terre quand il reviendra ? Le Christ ici, dans une magnifique et toute humaine compassion, s’inquiète de savoir si ces humbles pourront tenir jusqu’au bout dans leur prière. Et ce faisant, il pose comme une égalité : la foi, c’est la prière comme un cri permanent d’injustice qui monte vers Dieu jour et nuit à la suite du Christ. Voilà donc qu’aujourd’hui, Jésus se fait solidaire de cette veuve de la parabole et de tous ceux qui lui ressemblent, s’inquiétant même de leur persévérance, et nous appelle à en faire autant. De même, dans la suite de notre chapitre, il se fera solidaire du pécheur qui se repent plutôt que du pharisien sûr de sa propre justice ; puis de l’enfant plutôt que des adultes autosuffisants et de ses propres disciples ; puis du pauvre plutôt que du riche prisonnier de sa richesse au point de refuser le royaume de Dieu ; puis de ceux qui ont renoncé à tout pour le suivre ; et finalement de l’aveugle de Jéricho que l’on voulait écarter du chemin. Avec cette certitude plantée au cœur de notre passage : c’est certain, Dieu fait justice (v8) ; et cette inquiétude qu’il fait sienne : pourvu qu’ils persévèrent dans la prière, c'est-à-dire dans la foi ! La prière serait-elle alors une fuite, une déresponsabilisation, une morphine pour atténuer la souffrance de ceux qui souffrent d’injustice ? Ne vaudrait-il pas mieux que les pauvres et les victimes se liguent et que, dans un rapport de force, ils obtiennent, voire arrachent ce qui leur est dû, se fassent justice eux-mêmes ? 2 Action des chrétiens pour l’abolition de la Torture. Siracide 35 4 Ce n’est pas la première fois que Jésus compare Dieu à un personnage injuste, mais c’est toujours sur le mode « si un personnage injuste est capable de répondre, à combien plus forte raison Dieu qui est juste ! » 5 μακροθυμειν : le Bailly traduit « persévérer » et traduit le substantif par « patience ». 3 Certains théologiens sont allés jusque là6. Et il est certain que l’évangile nous invite toujours à joindre le geste à la prière, comme Jésus. On peut d’ailleurs comprendre ainsi la parabole : elle ne dit pas que la veuve a prié en attendant la conversion du juge inique. Elle est allé l’importuner jusqu’à obtenir justice, elle s’est mis sa prière en action. Voilà donc qu’il n’y a pas de justice sans prière mais pas non plus de justice sans combattivité, sans engagement, sans revendication. Tout en sachant que la justice des hommes est toujours injuste comme le juge inique fera justice à cette veuve pour de mauvaises raisons 7. Bref, l’advenue du règne de Dieu parmi nous, commence par la prière persévérante. Sans doute parce qu’elle change les cœurs. En effet, le règne de Dieu et sa justice commencent d’abord en chacun de nous. Sans doute aussi parce qu’elle change notre regard sur les autres et nous permet d’aborder une revendication de justice dans un autre esprit, celui de Dieu : Dieu ne veut pas la mort du pêcheur mais qu’il se repente et qu’il croit, c'est-à-dire qu’il s’engage dans une autre qualité de vie et de justice à la suite du Christ mort et ressuscité. La campagne « Exposed » nous invite à agir bien sûr. Et nous savons le faire. Mais elle nous invite aussi à prier et à prier nommément, précisément, dans les milieux où nous sommes placés pour être à la suite du Christ témoins de la justice de Dieu, à prier pour les victimes de la corruption mais aussi pour les acteurs d’injustice et pour ceux et celles qui pratiquent cette corruption si peu compatible avec la justice de Dieu (et dont le juge de notre parabole semble être un éminent représentant). La prochaine assemblée du Conseil œcuménique (ou mondial) des Eglises 8 ne dit pas autre chose lorsqu’elle propose comme thème une prière qui engage : Dieu de la vie, conduis-nous vers la justice et la paix ! Dans nos Eglises luthéro-réformées, nous n’avons pas de problèmes pour nous engager contre l’injustice (encore que nous pourrions faire bien plus !). Par contre, nous avons plus de mal (moi le premier) à nous mettre à la prière comme « un cri qui monte vers Dieu jour et nuit », un cri presque naïf appelant son secours, qui nous transforme (car mettre des mots sur les choses, devant Dieu, nous transforme de l’intérieur – cf les psaumes), qui change et ajuste notre regard sur l’autre, et oriente nos engagements. Il ne faut peut-être pas s’étonner alors qu’il tarde à venir, ce royaume. On le constate pourtant dans l’histoire de l’Eglise : à chaque fois qu’il y a eu des renouveaux spirituels ancrés dans la prière régulière et persévérante9, de magnifiques œuvres et mouvements10 ont suivi, qui ont fait avancer la justice du royaume de Dieu. Tout a commencé en prière. Une prière pour la justice, pour faire advenir la justice de Dieu dans notre propre justice. Alors, maintenant, à nous de prendre le relais. 6 Les théologiens de la libération bien sûr – mais aussi Bonhoeffer, décidant de prendre les armes dans un attentat contre Hitler. Il le payera de sa vie, comme Oscar Romero l’a aussi payé de sa vie. 7 Après tout, rien ne dit le juge de la parabole a rendu un bon jugement ; peut-être qu’en toute justice, la veuve n’avait pas à recevoir un jugement favorable. 8 Qui se tiendra à Busan (Corée) du 30 octobre au 8 novembre. Nous prierons en communion avec elle le 3 novembre, et nous accueillerons un membre de la délégation française, la pasteure Claire Sixt-Gateuille, lors du culte et du buffet universel le 24 novembre prochain. 9 Ses réveils souvent populaires et dénigrés par un certain christianisme intellectuel 10 Des œuvres dont nous sommes fiers aujourd’hui… nous qui prions pourtant si peu !