conjoncture
Cette envolée lyrique sera vite démentie : la
prime ne devra finalement concerner que les
entreprises qui versent des dividendes en
hausse, et ne sera obligatoire qu’à partir de 50
salariés ! Et d’ajouter « le partage de la valeur,
j’y tiens, parce que c’est une question de justice ».
« Il faut obliger les entreprises à négocier ». Et
pour les PME qui, par définition, ne distribuent
pas de dividendes ? Si le carnet de commande
se remplit, elles pourront donner une prime,
exonérée de cotisations (mais l’exonération va-
t-elle concerner les grandes entreprises ?) C’est
sûrement cela que les commentateurs appellent
l’ultra-libéralisme du gouvernement ! Et c’est
aussi pour cela que l’ensemble passera par une
loi votée en juin. Voilà bien notre loi sur l’extinc-
tion du paupérisme !
« Une telle proposition est-elle compatible
avec la constitution ? »
Tout cela est troublant, pour ne pas dire affli-
geant. La première réaction de Laurence
Parisot, dans un entretien au Monde, a mis le
doigt sur l’essentiel : « Comment imaginer que
1000 euros soient également supportables par
des grandes, des moyennes et de petites entre-
prises ? Comment imaginer que cela ne pèse
pas immédiatement sur la masse salariale des
entreprises, au risque d’empêcher les recrute-
ments à venir ? Comment accepter que l’Etat
décide de la politique salariale de chaque entre-
prise au risque de tuer l’envie d’entreprendre et
d’étouffer la liberté créatrice ? Comment imagi-
ner que cela ne deviendrait pas très vite une
usine à gaz, car forcément on imaginerait des
exceptions, des compensations, des situations
particulières ? On peut même aller encore plus
loin : une telle proposition, qui entrave la liberté
contractuelle et la liberté d’entreprendre, est-
elle vraiment compatible avec la constitution ? ».
Nous n’avons pas un mot à changer. On n’en
regrettera que davantage que Madame Parisot
ait ensuite parue rassurée, et prête à négocier
des modalités plus soft. Le MEDEF doit tenir
bon, et refuser le principe pervers de cette loi.
Ce principe porte atteinte au principe constitu-
tionnel de la liberté contractuelle et de la liberté
d’entreprendre ; le fait que ce ne soit pas la pre-
mière fois n’est pas une justification. Une éco-
nomie de marché sans liberté contractuelle, ce
n’est plus une économie de marché : c’est une
économie étatisée. Le salaire est le prix du tra-
vail ; si ce prix est déterminé par l’Etat (ce qui
est déjà la cas pour le SMIC), le marché du
travail ne fonctionne plus, et cela se paiera en
chômage accru.
A qui appartiennent les profits ?
Ensuite, comme nous l’avons expliqué il y a
quelques semaines à propos des profits des
entreprises du CAC 40, il y a une méconnais-
sance profonde de ce qu’est le profit. C’est la
rémunération des actionnaires (les proprié-
taires) et de l’entrepreneur, comme le salaire est
la rémunération du travail et l’intérêt celui de
l’apport en capital. Il appartient aux actionnaires
et à eux seuls d’en déterminer la répartition,
après avoir payé les impôts : si les actionnaires
veulent en distribuer une partie aux salariés,
cela ne relève que de leur seule décision. Y
mêler l’Etat est un non sens.
Quant à la progression des salaires, elle ne se
détermine pas par décret. Elle n’existe que si
l’entreprise réalise des gains de productivité.
Encore ces gains se partagent-ils entre les
consommateurs (sous forme de baisse des prix)
et les producteurs (sous forme de salaires, inté-
rêts ou profits allant aux salariés, prêteurs et
entrepreneurs - ou actionnaires). Dans un mar-
ché concurrentiel, l’essentiel va aux consomma-
teurs, et les producteurs ont leur pouvoir d’achat
augmenté non pas parce qu’ils gagnent plus
mais parce qu’ils payent moins cher leurs
achats. Aujourd’hui le pouvoir d’achat est dimi-
nué par la hausse des prix artificiellement créée
et entretenue par les politiques monétaires et
budgétaires.
Enfin, et non le moindre, si l’on prive les action-
naires de revenus, il y aura moins d’argent qui
ira dans les entreprises. Or cet argent prépare
l’avenir, la production et l’emploi de demain. S’il
y a moins de dividendes, il n’y aura plus d’inves-
tisseurs, plus d’actionnaires, plus d’entreprises
sociétaires. L’économie s’en ressentira et ce
seront les plus fragiles, que l’on entendait aider,
qui se retrouveront au chômage.
Le plus grave dans l’affaire est l’exploitation de
l’ignorance économique des Français, mais
peut-être l’ignorance est-elle aussi au plus haut
niveau, à moins qu’il ne s’agisse que d’un calcul
cynique : abuser les électeurs en leur faisant
croire qu’une loi peut les enrichir. La démagogie
est la plus efficace des potions magiques.
Jean-Yves Naudet
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