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il exprime une « croyance pathologique à des faits irréels ou conceptions
imaginatives dépourvues de bases »2. Cette définition introduit donc dans
la notion de folie la faculté d’imagination, et le détachement d’avec le
réel. Le fou construit un autre monde en parallèle avec la réalité. Et
par cette conception de l’esprit, il se retrouve lui-même en parallèle
avec les enjeux réels; il est à part, aliéné, au sens propre. Hors du
monde, mais aussi de lui-même, de sa propre réalité, de son identité.
D’aliéné, on passe à la notion de démence: étymologiquement « de-
mentis », hors de son esprit. Cette exclusion est un thème présent dans
presque toute définition d’un type de folie: le délire signifie aussi
étymologiquement « hors du sillon », du droit chemin; et c’est ce
qu’explique Michel Foucault, en s’inspirant de la situation réelle du fou
au Moyen-Age, « au long d’une géographie mi-réelle, mi-imaginaire,
situation liminaire du fou [...,] enfermé aux portes de la ville: son
exclusion doit l’enclore; s’il ne peut et ne doit avoir d’autre prison
que le seuil lui-même, on le retient sur le lieu de passage »3. La folie
est donc un concept insaisissable par définition, puisque incontrôlable,
démesurée, et liminaire, c’est-à-dire, entre deux choses, donc dépendante
des celles-ci: relative. En effet on ne l’a jusqu’ici définie que par
rapport à une autre notion: son opposé ou son proche. Puisqu’elle est
hors de la réalité, elle dépend aussi de ce qu’on entend par réalité.
Inévitablement, elle est liée à une base qui sert de référence à son
appartenance à l’Autre, de norme à son anormalité. Aussi seule sa
relativité peut-elle contenir la notion de folie. Sa relativité: son
double lien à l’imaginaire et au réel.
C’est dans ce même lien que s’inscrit le théâtre. Son principe est
l’illusion: illusion du vrai alors que tout est faux. Il fait croire au
spectateurs qu’un passage d’une vie se déroule spontanément devant leurs
yeux, alors que ce n’est que composition artistique, et jeu. Il rejoint
aussi la folie dans la place à part qu’il a dans l’art. Il appartient en
effet à la fois à l’art littéraire, avec la base de son texte, et à l’art
visuel, puisqu’il est fait pour être joué et vu par un public.
Jean Genet joue avec ces deux notions de folie et théâtre, et de
leurs points de liaison. La folie semble être à l’origine de presque
chacune de ses grandes pièces. Le sujet des Bs est tiré d’un fait divers:
dans les années trente, deux sœurs servant depuis longtemps et sans
problème dans une maison bourgeoise, assassinèrent leur maîtresse, sans
qu’au procès on en comprenne la raison; c’est d’ailleurs sur cet étrange
comportement que s’est penché Jacques Lacan dans sa thèse. N serait
inspiré des cérémonies de la secte musulmane des Houkas qui
« accomplissent une danse annuelle de possession. Groupés autour d’une
case,[...] les Noirs se laissent posséder par leurs « dieux »: le dieu du
gouverneur général, le dieu du conducteur de locomotives...[...] Tout
l’univers des Blancs sauvagement mimé, parodié, au milieu des ordres et
des insultes qui constituent le langage habituel -- entendu depuis le
monde noir -- des maîtres. »4. Enfin B et P rappellent respectivement les
fantasmes cachés des maisons closes, et les débordements d’une guerre
sauvage dont on a toujours pas fini de parler, la guerre d’Algérie. Genet
semble donc intéressé par ces mouvements de folie qui secouent la société
2 in « délire », in Vocabulaire de la psychologie, de Henri Pieron, Presses Universitaires de France, 1963, p. 100.
3 in La Folie à l’âge classique, de Michel Foucault, collection « Tel », Edition Gallimard, 1972, p. 119.
4 in Histoire du nouveau théâtre, de Geneviève Serreau, collection « Idées », Edition Gallimard, 1966, p.126.