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Economie|Entreprises Août-Septembre 2011
forêts, du commerce et de la marine mar-
chande, de la production industrielle et des
mines, de l’instruction publique, ainsi que
celle de la santé publique et de la famille,
en tout 7 directions en plus du bureau du
plan vont émerger, dès 1912, pour donner
lieu au noyau de l’administration française
du Maroc.
Selon Hibou, ce dualisme sera également
mis en place dans les modes de gestion éco-
nomiques. Ainsi, les grands travaux notam-
ment, vont contribuer au renforcement de
la segmentation de l’économie, majoritaire-
ment fi nancés, dès 1914, par les banques de
la métropole puis, après la Seconde Guerre
mondiale, par le budget public. Les lignes
de chemins de fer ou les routes étaient avant
tout conçues dans le cadre d’une économie
impériale, au bénéfi ce des banquiers euro-
péens, des entrepreneurs français et des
colons installés au Maroc. Toujours selon
l’auteur, les barrages bénéfi cièrent avant tout
aux grandes fermes des colons et à l’expor-
tation, même si au départ, les autorités colo-
niales entendaient promouvoir des investis-
sements qui soient profi tables à l’ensemble
de la population. De même la «makhzani-
sation» de certaines ressources naturelles
procède d’un double objectif: prémunir ces
ressources de l’exploitation privée étrangère
(même marocaine) autre que l’autorité co-
loniale, mais aussi doter l’administration
coloniale de ressources à même de fi nancer
le budget public. Le cas le plus emblémati-
que est la création de l’Offi ce chérifi en des
phosphates (OCP) en août 1920 par dahir
qui donne le monopole de l’exploitation des
phosphates à l’Etat ou le Bureau de recher-
Mohammed V, Hassan II et le Résident général Labonne, en 1946.
UN SIÈCLE DE CAPITALISME MAROCAIN
Du protectorat au Libéralisme
che et de participation minière (BRPM) en décembre 1928 qui
permet des participations publiques dans les découvertes minières
autres que les phosphates sans en avoir le monopole. Des institu-
tions qui resteront des «vaches à lait» aussi bien pour l’administra-
tion coloniale que pour le Maroc indépendant.
La mise en place de l’infrastructure
Comme l’infrastructure institutionnelle, la mise en place d’un
système d’infrastructures physique est primordiale dans tout pays
capitaliste. Le Maroc ne dérogera pas à cette règle et son équipe-
ment par la colonisation se fera au pas de charge pour accélérer l’ex-
ploitation de ses ressources.
La première ligne de chemin de fer se fera entre Fès et Tanger, à
la suite d’un accord passé entre la France et l’Espagne. La Compa-
gnie franco-espagnole du Tanger-Fez fut constituée en juin 1916.
En juin 1923, s’ouvrit la section Meknès-Petitjean (Sidi Kacem),
en octobre la section Meknès-Fez; la section Sidi Kacem-Tanger
Réforme fi scale
L’action du protectorat concernera un autre domaine clé: la fi scalité. En
1912, la fi scalité chérifi enne selon George Hatton, dans «Les enjeux fi nan-
ciers et économiques du Protectorat (1936-1956)», «comportait plusieurs
strates successives dont chacune étaient témoin d’une étape de l’évolution
de l’empire chérifi en au cours du siècle précèdent». Il s’agissait des anciens
impôts coraniques, les impôts perçus en application des accords commer-
ciaux conclus entre le Maroc et les puissances coloniales et fi nalement les
impôts nouveaux prévus par l’Acte d’Algesiras (impôts sur les propriétés
bâtis, sur le commerce et les droits d’enregistrement et timbres).
Avec le protectorat, fut mis en place une administration fi scale de type métro-
politain et une fi scalité simple et rentable où les impôts indirects prédominent
les impôts directs. «furent ainsi crées ou modifi és: en 1915 et 1916 le tertib
[impôt foncier indexé sur les revenus agricoles], le droit d’enregistrement et
de timbres et les taxes intérieures de consommation (TIC) sur les alcools et
les sucres. (…); l’impôt des patentes fut créé en 1920 ainsi que l’impôt sur
les plus values», énumère Hatton. Après la deuxième guerre mondiale et la
chute de 30% des recettes des droits de douanes et la division par 5,5 des
recettes de la TIC entre 1940 et 1944, d’autres impôts furent créés comme
les prélèvements sur salaire (1939), le supplément à l’impôt de patente
qui est un prélèvement de 15% sur les bénéfi ces et qui deviendra en 1954
l’Impôt sur les Bénéfi ces Professionnels et la taxe sur les transactions en
1949 qui est venue en remplacement des anciens droits de porte. A la fi n
du protectorat, le système fi scal marocain était fondé essentiellement sur
les impôts indirects (66% des recettes) sur les droits de douanes (43%), sur
les TIC 13%, sur les droits d’enregistrement et timbre à 10% et fi nalement
les prélèvements salariaux à 4,5%. Ce système va mettre en place les fon-
dements d’une profonde injustice fi scale qui ne sera pas dépassée de si tôt
puisque ce sont essentiellement les impôts aveugles qui sont prédominants
et qui fi nalement touchent les marocains plutôt que les européens et dont
sont impactées les couches sociales les moins aisées. «Il n’était sans doute
pas politiquement envisageable dans les années 1950 que l’administration
fi scale française puisse procéder à des investigations poussées chez certains
riches bourgeois fassis ou casablancais. Mais il faut aussi s’empresser
d’ajouter que la même hostilité à l’inquisition fi scale existait chez certains
‘prépondérants’ de la colonie française.» note Georges Hatton. Le choix était
donc clair, imposer le moins douloureusement possible…
Le Maréshal
Lyautey est
considéré
comme le
principal
architecte de la
modernisation
des structures du
Maroc.
1912-1925