cahier théâtre En coulissE

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cahier théâtre En coulissE !
VOLUME 1, NUMÉRO 1 | HIVER-PRINTEMPS 2015
Hydro-Québec est heureuse
de jouer un rôle dans
la promotion du théâtre.
Agence�:
Titre�:
o
Graphiques M&H
HQ est heureuse de...
CYAN
MAGENTA
YELLOW
BLACK
GRAPHIQUES M&H
87, RUE PRINCE, BUREAU 310
MONTRÉAL QC H3C 2M7
T. 514 866-6736 | [email protected]
A111581
2
cahier théâtre En coulissE ! | DE gélinas à mouawaD En passant par trEmblay
MOt DU cONcePteUr
et MetteUr eN ScÈNe
éQUiPe DeS cONcePteUrS
et De La PrODUctiON
Cher public,
ConCEPTEuR, mETTEuR En sCÈnE
maRTin laViGnE
Concevoir un spectacle sur notre théâtre québécois est l’une des choses les
plus passionnantes qu’il m’ait été donné de faire et ce, pour de nombreuses
raisons. La plus évidente est sans aucun doute le fait qu’un tel travail nous
permet de se découvrir, à travers l’art de la scène, en tant que peuple.
C’est, en quelque sorte, un retour aux sources.
J’ai toujours aimé l’histoire, et raconter la nôtre est très stimulant.
J’espère que vous apprécierez ce spectacle autant que j’ai aimé le monter.
De même, je souhaite que vous vous laissiez emporter en écoutant les
merveilleux textes choisis pour ce faire. Évidemment, une sélection a
été faite, puisque notre littérature est vaste et riche; je ne pouvais pas
inclure tous les nombreux textes de nos plus talentueux auteurs. Je crois
cependant avoir touché à l’essentiel ou, du moins, vous avoir préparé un
spectacle qui saura vous donner le goût de lire et d’en apprendre davantage.
Ainsi, peut-être, vous déciderez de continuer seul votre découverte de la
littérature et du théâtre québécois.
Le plus important pour moi en concevant De Gélinas à Mouawad
en passant par Tremblay – second volet après De Corneille à Feydeau en
passant par Molière – était aussi de vous inciter à lire et découvrir toutes
les références parsemées ça et là au cours du spectacle. Notamment,
j’ai ajouté des éléments historiques afin de piquer votre curiosité et mieux
vous faire connaître nos origines. J’ai appris énormément lors de la création
de ce spectacle. Cela m’a permis de constater que j’en savais bien peu,
finalement, sur mon histoire et ma littérature. J’ai réalisé à quel point
il est plaisant d’en apprendre plus sur notre identité et notre
évolution communes.
C’est en toute simplicité et surtout avec tout mon cœur que je vous
invite à ouvrir vos yeux et votre esprit afin de nous redécouvrir, nous,
peuple québécois, si fiers de notre histoire, de nos multiples talents et de
nos grandes réalisations. Nul besoin de se comparer à autrui. Plutôt, ne
cessons jamais de nous dépasser et de persévérer pour briller au cœur
de l’Amérique, tout en restant fidèles à ce que nous sommes et ce que
nous incarnons.
TEXTE DEs EnTRE-sCÈnEs
GilBERT DuPuis
MartiN LaViGNe
ConCEPTEuR DE la musiQuE oRiGinalE
ÉlÉmEnTs DE CosTumEs
ÉClaiRaGEs
PiERRE-GuY laPoinTE
CHaRlEs-anToinE BERTRanD FonTainE
ConCEPTion DEs BanniÈREs
alEXanDRE PaQuET
RÉDaCTRiCE En CHEF Du CaHiER-THÉÂTRE
CoRRECTEuRs
miCHEl monTREuil
maRiCHEllE lEClaiR
annE-soPHiE lÉTouRnEau-HuDon
annE-JuliE naDon
GuillaumE FECTEau
JuliE DEnis
ConCEPTion GRaPHiQuE
RoXanE GaRiÉPY
Bon spectacle !
CooRDonnÉEs DEs PRoDuCTions la ComÉDiE HumainE
Si vous avez des questions à poser aux artisans de la production,
n’hésitez pas à le faire via Internet ou par téléphone.
SOMMaire
1500-1945 : lEs DÉBuTs D’unE JEunE liTTÉRaTuRE
4
DE l’uRBanisaTion à la CRisE ÉConomiQuE,
En PassanT PaR lEs annÉEs FollEs
6
1945-1960 : DEs lumiÈREs Dans la noiRCEuR
10
2835, rue Mathys, Sainte-Marthe-sur-le-Lac (Québec) J0N 1P0
téléphone : 450 623-3131 | télécopieur : 450 623-6610
[email protected]
www.lacomediehumaine.ca |
/lacomedie1
amERiCan waY oF liFE ou GRanDE noiRCEuR ?
13
NotE :
Les opinions exprimées dans les articles de cette publication n’engagent que leurs auteurs.
1960 : la liTTÉRaTuRE QuÉBÉCoisE : un PRoJET naTional
14
noTE imPoRTanTE :
unE RÉVoluTion TRanQuillE
17
1970 : liTTÉRaTuRE miliTanTE
18
annÉEs DE PERTuRBaTion
20
1980-2000 : l’inTimiTÉ misE En sCÈnE
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réaliser les différentes sections du cahier En coulisse ! suppose la consultation
de nombreuses sources d’information. Nous ne mentionnons pas ici les ouvrages
essentiels auxquels nous avons eu recours. Pour les consulter, veuillez en faire la
demande au personnel de La Comédie Humaine. Si nous ne les avons pas cités au fil
du texte, c’est que nous ne voulions pas alourdir un texte déjà serré et dense. Ainsi, le
lecteur curieux gagnera à lire les auteurs ayant nourri notre réflexion.
© Copyright 2014 Les Productions La Comédie Humaine
cahier théâtre En coulissE ! | DE gélinas à mouawaD En passant par trEmblay
lEs
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cOMéDieNS
« Bonheur, fierté et excitation sont les premiers mots qui me
Lynda
JOHNSON
viennent à l’esprit lorsque je pense aux œuvres québécoises.
Bien sûr Shakespeare, Molière et tous les autres ont leur place
dans mon coeur, mais les racines mêmes, profondes, de ma
langue, c’est le joual.
Réciter du Tremblay, apprendre du Tremblay, jouer du Tremblay,
est quelque chose de formidable. Il y a une musicalité, un rythme,
un souffle dans le texte. Ce sont mes racines qui s’expriment dans
l’œuvre québécoise. Pis ça, c’est l’fun ! ! ! »
« C’est un bonheur pour moi de faire partie d’une production
Pierre-Alexandre
FORTIN
Nathalie
COUPAL
Denis
ROY
qui nous transportera au cœur du théâtre québécois. J’ai eu la
piqûre pour ce métier formidable en voyant ma première pièce
de théâtre au Cégep ! Huis clos de Jean-Paul Sartre a été la pièce
qui a allumé ma fibre artistique, et aujourd’hui, d’avoir la chance à
mon tour de pouvoir transmettre cette passion aux jeunes, c’est
un grand honneur. Quoi de mieux que de le faire à travers nOTRE
littérature et nOTRE histoire. Bon théâtre… québécois ! ! ! »
tÉLÉvISIoN : O’, RUMEURS,
L’AUBERGE DU CHIEn nOIR, LA VIE,
LA VIE, 4 ET DEMI, EtC.
CINÉMA : POUR L’AMOUR DE DIEU
tHÉÂtrE : DE CORnEILLE À FEYDEAU
En PASSAnT PAR MOLIÈRE, THéRÈSE
ET PIERRETTE À L’éCOLE DES SAInTSAnGES, UnE PARTIE AVEC L’EMPEREUR,
Un VIOLOn SUR LE TOIT, CYRAnO,
JULIETTE ET LES AUTRES, EtC.
tÉLÉvISIoN : L’AUBERGE DU CHIEn
nOIR, LES RESCAPéS, AVEUX,
MAUVAIS KARMA, EtC.
CINÉMA : L’AnGE DE GOUDROn,
LA BRUnAnTE, EtC.
tHÉÂtrE : DE CORnEILLE À FEYDEAU En
PASSAnT PAR MOLIÈRE, LA DéPRIME,
ILS SE SOnT AIMéS, LA FOLLE ODYSSéE
DE JACQUES CARTIER, EtC.
PuBLICItÉ : rICHArD LE rEMorQuEur
(toyotA)
« J’aime le théâtre. C’est un art vivant qui me rend vivante.
tÉLÉvISIoN : O’, MIRADOR, LES POUPéES
RUSSES, VIRGInIE, MOn MEILLEUR
EnnEMI, LE MOnDE DE CHARLOTTE,
AU nOM DU PÈRE ET DU FILS, EtC.
CINÉMA : CHAMEAU, LIOn, EnFAnT,
LA VALLéE DES LARMES (SIGNE AuSSI
LA MuSIQuE orIGINALE), MéMOIRES
AFFECTIVES, EtC.
tHÉÂtrE : DE CORnEILLE À FEYDEAU
En PASSAnT PAR MOLIÈRE, LES nOnnES
(CoMÉDIE MuSICALE), LE CHAnDELIER
DE MUSSET, LE RéVERBÈRE, EtC.
voIX : kAtE BLANCHEt, uMA
tHurMAN, Et LA MAMAN DE CAILLou
« J’aime le théâtre depuis très longtemps. Même au primaire j’ai
tÉLÉvISIoN : BELLE-BAIE, TOUTE LA VéRITé,
DESTInéES, UnE GREnADE AVEC ÇA ! VII, LE
COEUR DéCOUVERT, EtC.
tHÉÂtrE : DE CORnEILLE À FEYDEAU En
PASSAnT PAR MOLIÈRE, LE BALCOn, DES
SOURIS ET DES HOMMES, L’OPéRA DE
QUAT’SOUS, UnE PARTIE AVEC L’EMPEREUR,
UnE MAISOn PROPRE, AMADEUS,
LES PALMES DE M. SCHUTZ, EtC.
La scène, le public, pour moi, c’est magique. J’aime aussi notre
théâtre celui qui dit d’où on vient et où l’on va, celui qui nous
ressemble, celui où l’on ne se reconnaît pas mais qui nous en
apprend sur nous et ceux qui nous entourent. J’aime les jeunes
et leur appétit pour ce qui est nouveau, ce qu’ils ne connaissent
pas ou ce qu’ils reconnaissent, j’aime leur fougue et leur capacité
de se passionner pour ce qui est vivant et vibrant. Ah oui et…
j’ai aussi une ado de 17 ans qui adore le théâtre !
Bref, je suis heureuse de plonger dans ce spectacle singulier
sur le théâtre québécois et le partager avec vous de tout
mon coeur ! »
toujours participé à toutes les séances ! J’aimais me retrouver sur
une scène et jouer des personnages. Depuis que j’ai participé à
De Corneille à Feydeau en passant par Molière avec La Comédie
Humaine , je rêvais de vivre une aventure semblable avec le
théâtre québécois. Voilà que mon rêve se réalise avec
De Gélinas à Mouawad en passant par tremblay ! Je me sens
comblé et espère que les spectateurs le seront également. »
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cahier théâtre En coulissE ! | DE gélinas à mouawaD En passant par trEmblay
1500-1945
lEs déButs d’unE jEunE littératurE
difficilE dE détErminEr dE manièrE définitivE lEs
déButs dE la littératurE quéBécoisE. on rEmontE
parfois mÊmE jusqu’aux tExtEs dE jacquEs cartiEr
(1534) Et dE samuEl dE champlain (1608) !
Ces écrits de la Nouvelle-France ne sont pourtant pas des textes
littéraires à proprement parler, et ils ne sont pas écrits par, ni
destinés à, des Canadiens français. En jetant un regard rétrospectif, par contre, on réalise que ces textes parlent bien des réalités d’ici et s’intègrent ainsi à cette mémoire collective qu’est la
littérature québécoise.
mariE dE l’incarnation
La première voix véritablement littéraire au Québec sera la voix
d’une femme : celle de Marie de l’Incarnation. Ayant quitté la
France, Marie Guyart arrive en 1639 dans un Québec qui n’abrite
alors que trois cents âmes. Elle s’installe dans une petite cabane
et, très vite, les colons et les Amérindiens y amènent leurs filles
pour qu’elles y soient éduquées. Marie érige bientôt le couvent
des ursulines, qui devient une véritable institution.
Dans le vaste territoire québécois, elle découvre le néant
qui l’oblige à entrer en elle et à explorer son « moi ». Elle rédige
ainsi de nombreux textes spirituels et intimes dont la richesse
du langage fait d’elle l’une des pionnières de la littérature
canadienne-française.
Extrait mariE dE l’incarnation
J’allais partout sans chandelle, me mettant peu en peine
d’être vue ou entendue. La cave, le grenier, la cour, l’écurie
pleine de chevaux étaient mes stations. La nuit, je me mettais
en danger de me blesser. J’étais aveugle à tout. Pourvu que
je trouvasse un lieu à me cacher, ce m’était assez.
Je faisais bien des stations par tout le monde; mais les
parties du Canada étaient ma demeure et mon pays, mon
esprit était tellement hors de moi et abstrait du lieu où
était mon corps (…).
Lorsque la colonie canadienne passe aux mains des Britanniques, en 1760, ce sera l’occasion pour les quelques lettrés
canadiens-français de prendre la place laissée vide par les intellectuels français, retournés au pays. L’écriture se fera d’abord et
avant tout à travers le journal.
Le premier groupe organisé voit le jour en 1895 : appelé
l’École littéraire de Montréal, celui-ci est constitué de jeunes étudiants qui lisent et écrivent de la poésie inspirée de la modernité
française.
LE PArC DoMINIoN, à MoNtrÉAL, EN 1907.
Ils portent très tôt leur art sur la place publique. un très jeune
homme nommé Émile Nelligan s’avance sur scène pour y lire son
poème La Romance du vin. C’est le triomphe.
Pour la toute première fois, le Canada français voit la littérature obtenir un tel succès. Comment expliquer ce revirement
inattendu ? à la fin du XIXe siècle, Montréal s’urbanise et se modernise. théâtres et salles de cinéma commencent à naître dans
la métropole. La culture populaire est alors synonyme d’ouverture sur le monde et d’évolution des mentalités. Le public a soif
de nouveauté, ce que leur apporte Nelligan.
émilE nElligan
ÉMILE NELLIGAN
Émile Nelligan est un remarquable poète canadien-français d’inspiration romantique et symboliste. Pendant son adolescence, il
se consacre avec ardeur à la poésie et publie à seize ans son
premier poème, Rêve fantasque, sous le pseudonyme d’Émile
kovar. à l’âge de dix-neuf ans, il connaît un grand succès alors
qu’il récite en public son poème La Romance du vin. Malheureusement, quelques mois plus tard, le 9 août 1899, il est hospitalisé
pour troubles psychologiques. Il le sera jusqu’à sa mort en 1941.
Alors qu’il est hospitalisé, Émile Nelligan ne fait que réécrire
encore et encore, de mémoire, les poèmes rédigés pendant sa
jeunesse. Ainsi, son œuvre, comprenant près de cent soixantedix textes poétiques, a entièrement été composée entre l’âge de
seize et dix-neuf ans.
Émile Nelligan marque l’entrée de la littérature canadiennefrançaise dans la modernité. Il délaisse le patriotisme et les
thèmes du terroir (si populaires chez ses prédécesseurs) pour
explorer, à travers la symbolique du langage, le « moi ». Dans ses
textes, les thèmes liés à la solitude, la douleur psychologique, la
folie et l’échec du destin de l’Homme sont à l’honneur. La poésie
de Nelligan évoque ainsi le travail des poètes français Charles
Baudelaire et Arthur rimbaud.
cahier théâtre En coulisse ! | DE gélinas à mouawad en passant par tremblay
La romance du vin
Tout se mêle en un vif éclat de gaieté verte.
Ô le beau soir de mai. Tous les oiseaux en choeur,
Ainsi que les espoirs naguères à mon coeur,
Modulent leur prélude à ma croisée ouverte.
Ô le beau soir de mai, le joyeux soir de mai !
Un orgue au loin éclate en froides mélopées;
Et les rayons ainsi que de pourpres épées,
Percent le coeur du jour qui se meurt parfumé.
Je suis gai ! je suis gai ! Dans le cristal qui chante,
Verse, verse le vin ! verse encore et toujours,
Que je puisse oublier la tristesse des jours,
Dans le dédain que j’ai de la foule méchante !
Je suis gai ! je suis gai ! Vive le vin et l’Art !...
J’ai le rêve de faire aussi des vers célèbres,
Des vers qui gémiront les musiques funèbres
Des vents d’automne au loin passant dans le brouillard.
C’est le règne du rire amer et de la rage
De se savoir poète et l’objet du mépris,
De se savoir un coeur et de n’être compris
Que par le clair de lune et les grands soirs d’orages !
Femmes ! je bois à vous qui riez du chemin
Où l’Idéal m’appelle en ouvrant ses bras roses;
Je bois à vous surtout, hommes aux fronts moroses
Qui dédaignez ma vie et repoussez ma main !
Pendant que tout l’azur s’étoile dans la gloire,
Et qu’un hymne s’entonne au renouveau doré,
Sur le jour expirant je n’ai donc pas pleuré,
Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire !
Je suis gai ! je suis gai ! Vive le soir de mai !
Je suis follement gai, sans être pourtant ivre !...
Serait-ce que je suis enfin heureux de vivre;
Enfin mon coeur est-il guéri d’avoir aimé ?
Les cloches ont chanté; le vent du soir odore...
Et pendant que le vin ruisselle à joyeux flots,
Je suis si gai, si gai, dans mon rire sonore,
Oh ! si, que j’ai peur d’éclater en sanglots !
Si la métropole du Québec est en pleine effervescence, les
campagnes restent, quant à elles, plutôt conservatrices, dominées par les élites clérico-nationalistes qui entendent défendre
le terroir et les valeurs canadiennes-françaises.
Du côté littéraire, ce régionalisme se traduit par la montée de
ce qu’on appelle aujourd’hui la littérature du terroir, de la moitié
du XIXe siècle jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Les
romans de cette littérature font la promotion de la « survivance »,
soit de la continuité des traditions et des valeurs canadiennesfrançaises. Ainsi, quatre grandes valeurs sont mises de l’avant :
l’agriculture (présentée comme un idéal de vie saine, surtout en
opposition à l’industrialisation et à l’urbanisation), la famille (le
clergé et l’État font la promotion des familles nombreuses), la
langue française et la religion catholique.
Le roman Maria Chapdelaine (1914 en France, 1916 au Québec)
de Louis Hémon, un Français venu s’installer quelques années au
Québec, est très loin de la propagande nationaliste que souhaite
mettre de l’avant le clergé. Ce roman peint plutôt la réalité de
manière rude et cruelle. Maria Chapdelaine doit choisir entre
trois prétendants qui représentent chacun un des aspects du
Québec de l’époque. Lorenzo Surprenant incarne la folle modernité à l’image des grandes villes américaines, François Paradis,
l’envie sauvage de partir au fond des bois et Eutrope Gagnon, le
sacrifice du colon canadien-français. Louis Hémon joue d’ironie
subtile pour montrer la désolation d’un territoire soumis au joug
du clergé.
hector de saint-denys garneau
Pas très loin de la figure de
Nelligan, un autre jeune poète
bouleverse la littérature québécoise et ses thèmes plutôt
conservateurs. Hector de
Saint-Denys Garneau (19121943) publie une plaquette de
poèmes en 1937, Regards et
jeux dans l’espace. Sa poésie
est marquée par un dépouillement linguistique qui lui donne
hector de saint-denys garneau
toute son originalité. Il est
lui aussi destiné à une fin tragique : il meurt à 31 ans dans des
circonstances énigmatiques.
Cage d’oiseau
Je suis une cage d’oiseau
Une cage d’os
Avec un oiseau
L’oiseau dans sa cage d’os
C’est la mort qui fait son nid
Lorsque rien n’arrive
On entend froisser ses ailes
Et quand on a ri beaucoup
Si l’on cesse tout à coup
On l’entend qui roucoule
Au fond
Comme un grelot
C’est un oiseau tenu captif
La mort dans ma cage d’os
Voudrait-il pas s’envoler
Est-ce vous qui le retiendrez
Est-ce moi
Qu’est-ce que c’est
Il ne pourra s’en aller
Qu’après avoir tout mangé
Mon cœur
La source de sang
Avec la vie dedans
Il aura mon âme au bec.
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cahier théâtre En coulissE ! | DE gélinas à mouawaD En passant par trEmblay
dE l’urBanisation À la crisE économiquE,
En passant par lEs annéEs follEs
réBEllions dEs patriotEs (1837-1838)
Le Canada du début du XIXe siècle est divisé en deux : l’ouest,
où se trouve aujourd’hui l’ontario, est nommé le Haut-Canada,
alors que l’est, où se trouve aujourd’hui le Québec, est nommé
Bas-Canada. tous deux connaîtront de grands bouleversements
en 1837 et 1838 alors que les Canadiens anglais et français se
révolteront contre le pouvoir absolu de la Couronne britannique
sur la colonie et contre l’impuissance politique des intellectuels
et politiciens d’ici.
Au Bas-Canada, le soulèvement prend des couleurs nationalistes : les frictions politiques viennent exacerber les tensions
accumulées, des années durant, entre francophones et anglophones. Les Canadiens français prennent les armes dans le cadre
de deux rébellions, qui causent plus de trois cents morts, mais
qui précipitent aussi une réforme politique qui viendra donner
davantage de pouvoir aux Canadiens.
L’augmentation de la densité de population en milieu urbain
crée des conditions de vie difficiles. Dans les quartiers d’ouvriers,
plusieurs familles doivent souvent habiter dans un même appartement à cause du prix élevé des loyers. Les appartements sont
mal chauffés, il n’y a pas l’eau courante ou l’électricité. à Montréal,
les quartiers Hochelaga et Saint-Henri accueillent alors les ouvriers.
l’urBanisation
Le Québec passe rapidement d’une population majoritairement
rurale à une population majoritairement urbaine. Alors qu’en
1867, au moment de la Confédération, moins d’un cinquième de
la population vit dans les villes, cette proportion augmente à 36%
en 1901 et à 60% en 1930.
L’agriculture connaît une période sombre. Les récoltes sont
mauvaises, les terres sont épuisées et la population est trop nombreuse pour la quantité de terres disponibles. Les plus jeunes
partent donc vers les villes, soit des États-unis ou du Québec,
comme Montréal, Québec, trois-rivières, Sherbrooke, Hull,
Saint-Hyacinthe et valleyfield. Les industries y sont en pleine
croissance. Il y a donc bon nombre d’emplois et la main-d’œuvre
y est la bienvenue.
MAISoN D’ouvrIErS à MoNtrÉAL EN 1903.
rÉSIDENCE BourGEoISE tyPIQuE DE wEStMouNt EN 1913
Les propriétaires des industries et autres riches hommes
d’affaires n’habitent pas ces quartiers. Ils se font construire
des demeures confortables et cossues ayant l’eau courante et
l’électricité. westmount, à Montréal, est un quartier primé par
les riches bourgeois de l’époque.
La population étant croissante, les villes commencent à
offrir différents services, dont de nombreuses possibilités
de divertissement. Des théâtres, des cinémas et des musées
sont construits. En été, dans les parcs de la ville, on donne des
concerts en plein air.
La population plus privilégiée cherche à s’informer et à s’instruire. Le nombre de journaux augmente, et on construit des universités. L’université McGill, anglophone, est la première fondée à
Montréal en 1821. L’université de Montréal, francophone, est fondée en 1878. L’école des Hautes Études commerciales (HEC), une
école spécialisée dans le monde des affaires, est fondée en 1907 à
Montréal et est majoritairement fréquentée par des francophones.
cahier théâtre En coulisse ! | DE gélinas à mouawad en passant par tremblay
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Match de cricket sur le campus de l’Université McGill, vers 1890.
Alphonse Desjardins
Alphonse Desjardins fonde la première caisse
populaire en 1900. Comme les banques étaient
à l’époque réservées aux gens aisés financièrement, les caisses populaires permettaient
aux travailleurs moins fortunés d’épargner et
d’emprunter. En encourageant l’épargne, la
caisse se dote d’un fond permettant de mettre
sur pied un système de crédit populaire ouvert
à tous. Le Mouvement Desjardins joue encore
aujourd’hui un rôle important au sein de
l’économie québécoise.
Henri Bourassa
Henri Bourassa fonde le journal Le Devoir en
1910 en tant qu’outil pour promouvoir le nationalisme canadien, ce qui signifie qu’il refuse
l’influence de la Grande-Bretagne dans les
décisions prises par le Canada. Aujourd’hui, Le
Devoir est un journal indépendant qui a pour
mission officielle de défendre les idées et les
causes qui assureront l’avancement politique,
économique, culturel et social de la société
québécoise.
La Première Guerre mondiale
Lorsqu’une guerre éclate entre la Triple Entente (la France, la
Russie et le Royaume-Uni) et la Triple Alliance (l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie) en 1914, le Canada, membre de l’empire britannique, se trouve immédiatement impliqué. L’armée canadienne,
qui est alors composée de seulement trois mille soldats, réunit
trente-deux mille volontaires en quelques semaines. L’effort de
guerre est alors déployé avec enthousiasme.
Afin de fournir le Royaume-Uni en armement, les usines canadiennes ont besoin de davantage de main-d’œuvre. Les hommes
sont simultanément encouragés à aller au front : il y a donc pénurie de travailleurs masculins. Des dizaines de milliers de femmes
se mettent à travailler à l’extérieur du foyer, tant dans les usines
Les femmes participaient à l’effort de guerre en travaillant dans les usines de munitions.
que dans les bureaux. En 1917, des trois cent mille travailleurs embauchés dans la production de guerre, un huitième est composé
de femmes, ce qui est une proportion considérable si l’on prend
en compte la situation des femmes dans la société de l’époque.
Alors que la guerre s’éternise, les volontaires commencent à
se faire plus rares. Le premier ministre canadien, Robert Borden,
annonce en 1917 la conscription (l’enrôlement obligatoire dans
l’armée) pour tous les hommes en âge de se battre. Un schisme
se produit entre francophones et anglophones. Alors que les
Canadiens français considèrent qu’ils participent déjà suffisamment à la guerre en fournissant les munitions, les Canadiens
anglais s’identifient à la Couronne britannique et défendent
la conscription. Malgré les émeutes et les manifestations, la
conscription entre en vigueur le 1er janvier 1918. Jusqu’à la dernière bataille à laquelle les troupes canadiennes participent le
11 novembre 1918, plus de soixante mille soldats canadiens auront
laissé leur vie sur les champs de bataille en Europe.
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cahier théâtre En coulisse ! | DE gélinas à mouawad en passant par tremblay
Les années folles
Ce qu’on appelle les « années folles » désigne les années 1920 qui
suivent la période d’austérité et de misère des années de guerre.
La fin de la Première Guerre mondiale crée un grand sentiment
de soulagement qui se traduit notamment par une effervescence
culturelle et intellectuelle jamais vue auparavant. L’économie
roule à plein régime, grâce à la production et à la consommation
de masse.
Les mœurs se libéralisent aussi – du moins un tant soit peu.
Les jeunes hommes et les jeunes femmes se réunissent dans
des night-clubs, où jazz, charleston et cocktails sont à l’honneur.
On y présente des numéros variés, des dresseurs de chien aux
contorsionnistes, en passant par les acrobates et les magiciens.
Les femmes acquièrent aussi davantage de droits. Partout
dans le monde, les femmes obtiennent enfin le droit de vote grâce
au mouvement des suffragettes. Ce droit est accordé en 1918 au
Canada (mais seulement en 1940 au Québec, le clergé catholique
ayant une grande influence conservatrice), en 1919 aux ÉtatsUnis et en 1928 en Grande-Bretagne.
La mode aussi se transforme. Les femmes adoptent le style
garçonne. Elles associent pantalon, cigarette et cheveux courts à
un maquillage prononcé. Pour les soirées, les robes sont toujours
populaires : décorées de paillettes et de plumes, celles-ci sont
considérablement plus courtes.
Dans les années 1920,
les mœurs se libéralisent.
Thérèse Casgrain (1896-1981)
Soldats dans les tranchées
L’horreur des tranchées
Au début de la guerre, qui éclate en été 1914, tous sont persuadés
qu’elle sera de courte durée. Partout, on entend que les soldats
seront de retour dans leur famille pour Noël. Quelle erreur ! En
moins de six mois, le conflit est paralysé : c’est le début d’une
longue guerre de tranchées. La puissance des armes modernes
force les soldats à creuser un réseau complexe de tunnels à ciel
ouvert pour se protéger. Construites en zigzagues afin que les
dégâts de potentielles explosions soient limités, les tranchées
sont profondes d’environ cinq pieds (environ 1,5 mètres), ce qui
force les soldats à se tenir penchés. Lors des attaques, les pertes
sont lourdes. Être soldat de première ligne est pratiquement une
condamnation à mort. Bien qu’elles soient efficaces pour la
défense, ces tranchées sont humides, boueuses et infestées de
rats. Les soldats y vivront jusqu’en 1918, lorsque l’intervention
des États-Unis mettra fin au conflit et assurera la victoire de la
France, du Royaume-Uni et de la Russie.
Thérèse Casgrain a marqué la lutte en
faveur du droit de vote des femmes au
Québec, et a aussi contribué par son engagement politique à d’importantes réformes
sociales et juridiques. Elle est la toute première femme de l’histoire canadienne à
diriger un parti politique, le Parti social démocratique du Québec, de 1951 à 1957. L’engagement politique de Thérèse Casgrain a
mené à plusieurs réformes en matières
d’emploi, de soins de santé, d’éducation et
de logement.
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Crise économique
Deuxième Guerre mondiale
Cette période d’effervescence des années folles s’arrête brusquement lors du krach boursier de 1929, qui a lieu à la banque de New
York mais dont les répercussions se font ressentir partout dans
le monde occidental. Au Québec, le taux de chômage augmente
rapidement, passant de 7,7% à la veille du krach à 26,4% en 1932.
Simultanément, le revenu moyen diminue de 44%. Cette période
sombre s’étendra sur une décennie entière.
En septembre 1939, l’Allemagne nazie, menée par Adolf Hitler,
envahit la Pologne. Après les années tendues de ce qu’on appellera bientôt l’entre-deux-guerres, c’est la goutte qui fait déborder
le vase pour la Grande-Bretagne et la France qui entrent donc
en guerre avec l’Allemagne. Quelques jours plus tard, le Canada
déclare – de son plein gré, étant maintenant un pays indépendant de la Grande-Bretagne – la guerre à l’Allemagne. Le premier
ministre du Canada, Mackenzie King, fait la promesse que seulement des volontaires seront envoyés au front – la conscription ne
sera pas imposée. La production industrielle, affaiblie tout au long
de la crise économique, fonctionne maintenant à plein régime : il
faut construire avions, chars d’assaut, fusils et navires. Plus d’un
million de femmes travaillent dans ces usines.
En 1941, Mackenzie King se trouve dans une situation embarrassante : sans la conscription, il sera difficile d’offrir un soutien
suffisant aux Alliés (les pays s’opposant à l’Allemagne), mais il
ne veut pas revenir sur sa promesse. Il annonce en 1942 qu’un
plébiscite aura lieu, c’est-à-dire que la population canadienne
votera pour déterminer si la conscription sera instaurée. 64% de
la population canadienne se prononce en faveur de la conscription; au Québec, 71% de la population vote contre. Encore une
fois, la conscription divise francophones et anglophones. Le 23
novembre 1944, la conscription est imposée, moins d’un an avant
la défaite de l’Allemagne.
Les chômeurs font la file devant les
soupes populaires, un lieu où on leur
sert un repas gratuitement.
La Bolduc, chansonnière (1894-1941)
Née dans une famille pauvre, sans éducation
musicale, Mary Travers Bolduc devient du
jour au lendemain la « Reine des chanteurs
folkloriques canadiens ». Elle met en paroles
et en musique la vie des ouvriers canadiens.
Dans son plus grand succès, Ça va venir
découragez-vous pas, elle décrit avec humour
le quotidien des chômeurs en pleine crise
économique.
Ça va venir découragez-vous pas (1930)
Mes amis, je vous assure
Que le temps est bien dur
Il faut pas s’ décourager
Ça va bien vite commencer
De l’ouvrage, y va en avoir
Pour tout le monde, cet hiver
Il faut bien donner le temps
Au nouveau gouvernement
Ça va v’nir puis ça va v’nir mais décourageons-nous pas
Moi, j’ai toujours le cœur gai pis je continue à turluter
La Shoah
La Shoah, qui signifie en hébreu « catastrophe », est employée
pour désigner l’extermination systématique des Juifs européens
par l’Allemagne nazie durant la Deuxième guerre mondiale. De
1941 à 1945, six millions de femmes, d’hommes et d’enfants (les
deux tiers de la population juive d’Europe) sont assassinés pour
des raisons racistes, puisqu’Hitler voyait la race juive comme une
menace pour la pureté du sang allemand. L’objectif dévoilé des
nazis ? Faire disparaître à jamais ce peuple de la surface de la
terre. Trois millions ont connu la méthode prisée par les nazis, la
chambre à gaz, un million et demi ont été fusillés de façon brutale
et le reste a été forcé de travailler à mort pour l’entreprise de
guerre allemande.
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1945-1960
dEs lumièrEs dans la noircEur
la périodE d’après-guErrE Est marquéE par lE règnE dE
mauricE duplEssis, prEmiEr ministrE du quéBEc, Et dE
son parti politiquE, l’union nationalE. cEttE périodE, on
l’appEllE aussi « la grandE noircEur ».
Les intellectuels ont alors l’impression que le Québec accuse un
retard dramatique par rapport au reste du monde dans tout ce
qui concerne les arts et la culture. En effet, le clergé est omniprésent et surveille étroitement le domaine artistique et littéraire. De
plus, l’univers littéraire est privé du soutien financier de l’État, ce
qui limite les possibilités de publication; le public lettré québécois est minuscule par rapport aux publics qui lisent les auteurs
français ou américains. Si le champ littéraire arrive à s’organiser
et à amorcer sa montée, c’est grâce aux revues littéraires et aux
maisons d’édition artisanales. Comme celles-ci ont très peu de
moyens de diffusion, leur impact demeure limité.
C’est dans ce contexte un peu austère qu’est publié un manifeste qui changera le visage culturel du Québec : c’est le Refus
Global. Quelle est la cible principale du manifeste ? Le clergé !
Paul-Émile Borduas et ses collègues l’accuse d’avoir tenu le
peuple canadien-français « à l’écart de l’évolution universelle ».
Mais il n’y a pas que le clergé qui se voit rejeté; c’est aussi le
sort réservé au libéralisme et à la bourgeoisie. En effet, le Refus
Global privilégie l’anarchie, la liberté illimitée et l’expression
de l’inconscient. Ce texte reste important encore aujourd’hui
puisqu’il symbolise le violent refus du totalitarisme religieux par
les intellectuels.
Extrait du rEfus gloBal
Rompre définitivement avec toutes les habitudes de la société,
se désolidariser de son esprit utilitaire. Refus d’être sciemment
au-dessous de nos possibilités psychiques. Refus de fermer les
yeux sur les vices, les duperies perpétrées sous le couvert du
savoir, du service rendu, de la reconnaissance due. Refus d’un
cantonnement dans la seule bourgade plastique, place fortifiée
mais facile d’évitement. Refus de se taire – faites de nous ce
qu’il vous plaira mais vous devez nous entendre – refus de la
gloire, des honneurs (le premier consenti) : stigmates de la
nuisance, de l’inconscience, de la servilité. Refus de servir, d’être
utilisables pour de telles fins. Refus de toute InTEnTIOn, arme
néfaste de la RAISOn. À bas toutes deux, au second rang !
GrAtIEN GÉLINAS INCArNE LE PErSoNNAGE DE FrIDoLIN.
sur lEs planchEs
La période couvrant la fin de la Deuxième Guerre mondiale à la
révolution tranquille est marquée par les premiers balbutiements
du théâtre national moderne québécois. Quelques auteurs se
lancent dans l’écriture dramaturgique, permettant ainsi de créer
un répertoire unique.
Gratien Gélinas est rendu célèbre par son personnage de
Fridolin, créé pour la radio en 1938. Fridolin est l’archétype du
Canadien français issu du milieu ouvrier populaire. vêtu d’un
chandail du Canadien de Montréal et muni d’un slingshot, il
commente l’actualité avec humour. Les Fridolinades, revues
d’actualité présentées au Monument National de 1938 à 1946,
rencontrent un grand succès.
Gratien Gélinas est suivi de près par son collègue dramaturge Marcel Dubé, qui compose plus de trois cents textes pour
la scène. à travers un réalisme troublant, il s’attaque aux problèmes que connaît la société : les inégalités sociales, la pauvreté
urbaine, les problèmes familiaux, etc.
Zone (1953), pièce la plus connue de Marcel Dubé, est un
drame humain impliquant des adolescents. Le leader d’un
groupe de jeunes, tarzan, abat un policier alors qu’il fait passer
une cargaison de cigarettes à la frontière canado-américaine. La
pièce dresse le portrait des relations changeantes à l’intérieur du
groupe suite à ce drame.
DE GÉlinas à mouawaD
MouAwAD
GÉLINAS
1
2
1948
1957
2003
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1
TIT-COQ
Des Fridolinades, Gratien Gélinas tire la matière pour écrire et
mettre en scène un drame social : Tit-Coq naît en 1948. Cette
œuvre dramatique raconte l’histoire d’un orphelin né hors des
liens du mariage (un scandale dans la société catholique de
l’époque) qui s’éprend d’une jolie jeune fille et s’attache à sa
famille. Lorsqu’il revient de la guerre, celle-ci est mariée à un
autre homme. Afin qu’ils puissent s’aimer, la jeune femme devrait
divorcer – ils auraient ainsi, à leur tour, des enfants illégitimes.
Refusant de condamner ses propres enfants à ce destin qu’il ne
connaît que trop bien, Tit-Coq se résout à vivre en solitaire.
2
FLORENCE
Florence de Marcel Dubé, née en 1957, fait figure de petite sœur
de Tit-Coq. Dans le Montréal des années cinquante, Florence
obtient un emploi comme réceptionniste dans une agence de
publicité où liberté et insouciance sont reines. Face à cette vie
mondaine exaltante, sa vie quotidienne et familiale lui semble
bien conservatrice et ennuyante. Elle quitte le confort du nid
familial et de son entourage populaire pour se jeter dans les bras
séducteurs de la vie trépidante, qui la trompera bientôt. Elle en
sortira transformée : de jeune fille, elle devient femme.
Sur papier
Gabrielle Roy est l’une des premières écrivaines québécoises
à connaître un succès aussi marqué sur une aussi longue période.
Son exploration de la condition humaine se poursuivra avec, notamment, Alexandre Chenevert (1954) et La détresse et l’enchantement (1984), son autobiographie posthume.
La détresse et l’enchantement
Quand donc ai-je pris conscience pour la première fois que
j’étais, dans mon pays, d’une espèce destinée à être traitée en
inférieure ? Ce ne fut peut-être pas, malgré tout, au cours du
trajet que nous avons tant de fois accompli, maman et moi, alors
que nous nous engagions sur le pont Provencher au-dessus
de la Rouge, laissant derrière nous notre petite ville française
pour entrer dans Winnipeg, la capitale, qui jamais ne nous reçut
tout à fait autrement qu’en étrangères. Cette sensation de
dépaysement, de pénétrer, à deux pas seulement de chez nous,
dans le lointain, m’était plutôt agréable, quand j’étais enfant.
Je crois qu’elle m’ouvrait les yeux, stimulait mon imagination,
m’entraînait à observer.
Anne Hébert a elle aussi vu ses œuvres être publiées sur près
d’un demi-siècle. Au contraire de Gabrielle Roy, qui appréciait particulièrement le roman, Hébert a flirté avec tous les genres ou
presque, que ce soit le théâtre, la poésie, le roman ou le conte.
Elle se distingue par une grande pudeur de la langue, qui crée une
dichotomie intéressante avec ses thèmes favoris, dont l’exploration des pulsions sexuelles. Ses œuvres les plus connues sont Le
Torrent (1945), Kamouraska (1970) et Les Fous de Bassan (1982).
Les Fous de Bassan, racontés du point de vue de plusieurs villageois, dont une jeune fille récemment violée puis assassinée,
tracent le portrait d’une société patriarcale détruite à petit feu
par la misogynie ambiante.
gabrielle roy
Née au Manitoba, Gabrielle Roy s’installe à Montréal, où elle
deviendra une figure importante de la littérature québécoise.
Sa première et plus célèbre œuvre, Bonheur d’occasion (1945),
est considérée comme étant le plus grand roman de la ville. En
rupture avec les valeurs de la survivance mises de l’avant par le
roman du terroir, le roman dénonce les conditions des ouvriers du
quartier Saint-Henri au début de la Deuxième Guerre mondiale.
Gabrielle Roy y décrit avec ironie et talent la perte des illusions
d’une famille qui voit en la guerre la délivrance du chômage qui
les ronge. Bonheur d’occasion connaît un immense succès critique et populaire, gagnant notamment le prestigieux prix Femina
en France. Il sera traduit dans une douzaine de langues.
anne hébert
Les Fous de Bassan
Il y a trop de femmes dans ce village, trop de femmes en chaleur
et d’enfants perverses qui s’attachent à mes pas. (…)
Des femmes. Toujours des femmes.
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au pEtit écran
Les années cinquante accueillent un nouveau joueur dans le
monde culturel québécois : la télévision. La télévision de radioCanada est fondée en 1952, dans le but d’offrir une alternative
aux émissions américaines.
La série La Famille Plouffe,, adaptée d’un roman de roger Lemelin,
est l’un des premiers feuilletons télévisés québécois. Diffusée de
1953 à 1959, La Famille Plouffe trace le portrait du quotidien d’une
famille du milieu ouvrier dans les années d’après-guerre.
Les Belles Histoires des pays d’en haut,, adaptées du roman de
Claude-Henri Grignon intitulé Un Homme et son péché,, ont connu
quatorze saisons, de 1956 à 1970. Séraphin Poudrier, homme
avare et sans scrupule, y fait la loi et l’ordre dans le petit village
de Sainte-Adèle grâce à sa richesse. Il épouse de force la belle
Donalda, dont le père est incapable de rembourser
sa dette.
Des œuvres cinématographiques sont aussi
créées. La Petite Aurore, l’enfant martyre (1952) raconte de manière romancée le triste destin d’Aurore
Gagnon à qui sa belle-mère fait subir d’atroces sévices.
Mais l’histoire télévisuelle québécoise est marquée par la figure d’une femme en particulier : Janette
Bertrand. Née en 1925, elle est l’une des rares femmes
à faire des études en journalisme à l’université de
Montréal. Elle crée des téléromans qui traitent des
relations familiales et de couple, ce qui est tout nouveau à l’époque. Quelle famille !, mettant en scène
elle-même, son mari et ses enfants, dresse un portrait
vibrant de la famille québécoise du début des années
1970. Elle aborde aussi des questions alors considérées taboues comme l’homosexualité, le sida, le suicide, la violence envers les femmes et le vieillissement.
à travers ses téléromans, talk-shows et articles de
journaux, elle éduque la société québécoise sur une
tonne d’enjeux.
LA FAMILLE PLOUFFE
SÉrAPHIN Et DoNALDA
LA PETITE AURORE, L’EnFAnT MARTYRE
QUELLE FAMILLE !
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amErican Way of lifE ou
GraNDe NOirceUr ?
tout comme les années suivant la Première Guerre mondiale, les
années suivant la Deuxième Guerre mondiale sont marquées par
une grande effervescence. Cette effervescence se traduit notamment par une hausse importante du taux de natalité entre 1945
et 1960 : c’est le baby-boom.
Au Québec, le haut taux de natalité est encouragé par la forte
présence de l’Église catholique qui fait la promotion des familles
nombreuses. Sous le gouvernement de Maurice Duplessis,
l’Église catholique a le beau jeu. Elle est responsable de la santé,
de l’éducation et des services sociaux. C’est notamment ce qui
fait dire à Lucia Ferretti, dans Brève histoire de l’église catholique
au Québec (1999), que « de la Première Guerre mondiale jusqu’à
la révolution tranquille, l’Église se déploie pleinement comme
organisatrice principale de la société québécoise ».
MAURICE DUPLESSIS
THE AMERICAn
WAY OF LIFE
Le Québec connaît par ailleurs une formidable croissance économique, tant pour la collectivité que pour les individus. C’est
le début de la American Way of Life : le niveau de vie augmente,
et la consommation aussi. Le salaire moyen est en hausse, les
femmes conservent souvent leur emploi du temps de la guerre :
les ménages sont donc mieux nantis. une nouvelle classe sociale
commence à se former : la classe moyenne. Le premier ministre
Maurice Duplessis et son parti, l’union nationale, encouragent
les principes capitalistes. Il refuse d’intervenir dans l’économie
de l’État, croyant qu’il est préférable de laisser libre cours à l’initiative privée. De nombreux investisseurs étrangers s’installent
donc dans la province.
Alors que les foyers se modernisent et que les pensées se libéralisent, le gouvernement de l’union nationale a peine à suivre le
pas. Le décès de Maurice Duplessis en 1959 est un premier signe
de la fin d’une ère. Lorsque les Québécois élisent le Parti libéral de
Jean Lesage en 1960, ils désertent aussi l’Église et font un doigt
d’honneur à ses valeurs traditionnelles. En quelques années à
peine, le Québec devient profane.
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1960 la littératurE quéBécoisE :
un projEt national
dans l’imaginairE collEctif, la révolution tranquillE
Est BiEn souvEnt associéE À l’Essor du nationalismE.
or, il nE faudrait pas croirE quE lE nationalismE naÎt
dans lEs annéEs soixantE; il y prEnd tout simplEmEnt
unE nouvEllE formE.
En effet, avant 1960, le nationalisme était plutôt défensif, axé sur
la préservation de la « race canadienne-française catholique ». Le
nationalisme était basé sur l’impression que le Canada français
était une terre promise par le bon Dieu, île du salut catholique
parmi un océan de protestants. on peut donc comprendre pourquoi la religion catholique occupait une place aussi importante
au sein du nationalisme de l’époque !
Avec la révolution tranquille, le virage est abrupt, et les élites
intellectuelles adoptent rapidement un nationalisme affirmatif,
basé sur la fierté de la langue et dont l’objectif final est l’indépendance politique. L’impression d’être le peuple élu est remplacée
par la conscience de son statut minoritaire, le ressentiment et le
désir de reconquête.
La fondation d’une littérature pouvant représenter cette
nouvelle manière de penser devient donc un projet national qui
obtient le soutien financier de l’État. L’expression « littérature
québécoise » est d’abord lancée par la revue Parti Pris (19631968) avec le numéro « Pour une littérature québécoise » en
1965. La littérature québécoise naît donc en étant adossée à un
projet politique. Elle ne s’en détachera qu’en 1980, après l’échec
du premier référendum.
La littérature connaît donc une période faste marquée par
la frénésie d’une génération de jeunes auteurs attendus par un
public de plus en plus éduqué, et appuyés par l’État. Financées
par le Conseil des arts du Canada, de nouvelles maisons d’édition
voient le jour, des bourses sont créées et le ministère des affaires
culturelles est mis sur pied. L’institution littéraire québécoise
prend forme.
Cet « âge de la parole » s’incarnera sous plusieurs formes : la
poésie, le roman, le théâtre et la chanson.
La poésie du pays est un mouvement sur lequel se bâtit toute
la littérature de la révolution tranquille. Les poètes de l’Hexagone,
une maison d’édition autour de laquelle gravitent les poètes du
pays, accordent une importance littéraire et politique considérable à la description du paysage québécois. En décrivant de
façon patriotique le fleuve Saint-Laurent, l’île d’orléans ou tout
autre aspect pittoresque du territoire, ces poètes cherchent à
construire un pays symbolique où les Canadiens français pourront prendre racine. Dans un contexte où la littérature est politique, la poésie du pays prend une signification particulière.
Le poète le plus célèbre de ce mouvement est Gaston Miron
(1928-1996). Il a non seulement publié l’un des livres les plus marquants de l’histoire de notre littérature, L’Homme rapaillé (1970),
Miron a aussi milité toute sa vie pour le socialisme et l’indépendance du Québec.
soir tourmEntE
La pluie bafouille aux vitres
et soudain ça te prend
de courir dans tes pas plus loin
pour fuir la main sur nous
tu perds tes yeux dans les autres
ton corps est une idée fixe
ton âme est un caillot au centre du front
ta vie refoule dans son amphore
et tu meurs
tu meurs à petites lampées sous tes semelles
ton sang
ton sang rouge parmi les miroirs brisés
GASTOn MIROn
cahier théâtre En coulisse ! | DE gélinas à mouawad en passant par tremblay
Il reste que la toute nouvelle génération de lecteurs cherche
encore et toujours « le » grand romancier québécois. Un jeune
homme radical et révolutionnaire publie, en 1965, Prochain
épisode, un roman rédigé alors qu’il est interné dans un hôpital psychiatrique. C’est le triomphe. La toute première phrase
du texte d’Hubert Aquin devient rapidement familière pour des
milliers de Québécois : « Cuba coule en flammes au milieu du lac
Léman pendant que je descends au fond des choses. »
Cet incipit résume parfaitement le climat de la Révolution
tranquille : la violence de l’incendie et la révolution communiste
cubaine sont associées à la quiétude banale du lac suisse, de
manière à former la seule véritable expérience, soit celle du « je »
qui descend au fond des choses.
réjean ducharme
hubert aquin
Hubert Aquin ne demeure pas longtemps la seule étoile. En
1966, Réjean Ducharme, un pur inconnu à l’époque, publie chez
la prestigieuse maison d’édition française Gallimard L’Avalée des
avalés, suivi par Le nez qui voque (1967). L’Hiver de force suivra en
1973. L’enthousiasme est sans nom, d’autant plus exacerbé par
cette « affaire Ducharme ». En effet, Ducharme n’a jamais accepté
de paraître publiquement, si bien que nous ne détenons qu’un
seul portrait de lui, photo sur laquelle il se tient debout, dans la
neige, main dans les poches, entouré de deux chiens. Cette photo
ne tarde pas à devenir le symbole de l’esthétique de cet écrivain
majeur. Il écrit dans une langue plus près de la poésie que de
la prose, donnant souvent la parole à des enfants qui refusent
d’être projetés dans le monde adulte et qui rejettent ainsi toute
règle linguistique. À bas la syntaxe, à bas la grammaire ! Adieu,
dictionnaire ! Tout est permis afin que les mots puissent traduire
toute la violence des émotions.
Les deux icônes du roman de la Révolution tranquille se
trouvent en bonne compagnie avec Marie-Claire Blais, dont le
premier roman, La Belle Bête (1959), est acclamé par la critique.
La violence des thèmes et du langage mis de l’avant par Blais
crée la stupeur au pays, ce qui n’empêche pas le roman d’être
rapidement traduit et publié partout dans le monde. Une saison
dans la vie d’Emmanuel (1965) est l’un des romans québécois qui
ait fait couler le plus d’encre : articles, critiques, analyses et interprétations du texte abondent. Encore aujourd’hui, Marie-Claire
Blais occupe une place importante dans le paysage littéraire
québécois, son dernier roman, Mai au bal des prédateurs, ayant
été publié en 2010.
marie-claire blais
Un phénomène important bouleverse le Québec d’un point de
vue linguistique dans les années 1960 : le joual. Le joual est une
tentative d’exprimer l’aliénation du Canadien français à travers la
langue, soit celle parlée par les ouvriers montréalais et largement
influencée par l’anglais. La majorité des écrivains prennent parti
contre le joual, comme Gabrielle Roy, Anne Hébert, Hubert Aquin
et Jacques Ferron. Malgré cette vive opposition à cette façon
de s’exprimer à l’écrit, Jacques Renaud publie Le Cassé (1964),
roman écrit entièrement en joual. Si le résultat est, avec du recul,
jugé plus ou moins heureux, il a néanmoins l’effet d’un coup de
poing au sein du monde littéraire.
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cahier théâtre En coulisse ! | DE gélinas à mouawad en passant par tremblay
Gagnante d’un million de timbres-primes qu’il faut coller
dans des livrets, Germaine Lauzon, ménagère, invite ses sœurs,
sa belle-sœur et ses voisines à un « party de collage de timbres ».
Le million de timbres qu’elle vient de gagner la singularise en lui
donnant ce que les autres n’ont pas, des biens matériels, mais
surtout une satisfaction triomphante et l’arrogance des gagnants.
Sa cuisine est un microcosme du Québec des années soixante :
des ménagères de la classe ouvrière parlent une langue qui trahit
leur aliénation.
Extrait – Les Belles-Sœurs
Moé, j’aime ça l’bingo, j’adore ça l’bingo
Moé, j’aime ça l’bingo, j’adore ça l’bingo
Moé, y a rien au monde que j’aime pluss’que l’bingo
Y en a un tous les mois, jme prépare deux jours d’avance
Chus pas t’nable, chus énarvée, j’pense rien qu’à ça
Moé, j’aime ça l’bingo, j’adore ça l’bingo
Moé, y a rien au monde que j’aime pluss’que l’bingo
Toutes aux tables avec nos cartes
On met nos pitounes sus l’milieu gratis
Pis là, la partie commence, on vient toutes folles
Il ne faudrait pas négliger l’importance du mouvement chansonnier dans la culture québécoise des années 1960. Alliant poésie et musique, la chanson est transportée par un idéal social. La
chanson a un caractère intimiste qui permet aux mots d’avoir une
grande portée – l’auteur-compositeur-interprète est seul avec
sa guitare.
Le pionnier de la chanson québécoise est Félix Leclerc, qui
a inspiré bon nombre de collègues, dont Gilles Vigneault, JeanPierre Ferland et Raymond Lévesque. Si le mouvement chansonnier débute dans les années cinquante, c’est véritablement
dans les années soixante qu’il prend son envol, demeurant fort
populaire jusque dans les années soixante-dix.
michel tremblay
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les belles-sœurs
À l’âge de 23 ans, Michel Tremblay adopte le joual et lui donne ses
lettres de noblesse au théâtre. En 1968, la pièce Les Belles-Sœurs
est montée au Théâtre du Rideau Vert. Désirant faire preuve de
la plus grande authenticité, Tremblay fait parler ses personnages
dans la langue des ouvriers du Plateau Mont-Royal. C’est d’abord
un choc, mais le scandale est moins grand qu’avec Le Cassé.
Tremblay utilise véritablement le joual au service de la pièce et
en élargit ainsi sa portée. Il ouvre ainsi grand la porte au joual,
qui se limitera tout de même grosso modo à la scène théâtrale.
Félix Leclerc
DE GÉlinas à mouawad
gélinas
mouawad
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1948
1968
2003
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unE révolution
traNQUiLLe
1960 marque la fin du règne de l’union nationale et l’élection de
Jean Lesage et de son Parti libéral à la tête de la province. Les
enfants de la première vague du baby-boom ont dans la vingtaine,
et ils ont soif de changement : celui-ci est rapide et prend la forme
d’une petite révolution.
L’ÉQuIPE DE JEAN LESAGE (Au CENtrE), INCLuANt rENÉ LÉvESQuE, à GAuCHE
La révolution tranquille est d’abord une vaste entreprise de
réformes menées par le Parti libéral de Jean Lesage. Le temps est
bel et bien au changement. La classe moyenne, qui avait vu le jour
dans la période d’après-guerre, cherche à s’affirmer, notamment
en prenant possession des ressources économiques du Québec.
Le système d’éducation est complètement revu. Le rapport
Parent, publié en 1964, recommande la création d’un ministère
de l’Éducation et met en doute la pertinence du rôle de l’Église
catholique dans ce domaine.
La plus grande réforme économique est la nationalisation de
l’hydroélectricité par le ministre des richesses naturelles, rené
Lévesque. Cette question devient, par ailleurs, un enjeu électoral,
alors que les libéraux déclenchent des élections sur cette question en mettant de l’avant leur slogan « Maîtres chez nous ».
rené Levesque et Jean Lesage remportent leur pari : le Parti
libéral est réélu, avec comme mandat de nationaliser l’électricité.
Il s’agit là d’une source de revenus considérable pour l’État, mais
aussi d’un symbole de fierté pour les Québécois.
Les réformes du gouvernement Lesage sont donc amorcées
sous le signe de la rupture. L’Église catholique perd la gestion des
hôpitaux, de l’éducation et des services sociaux. Ces domaines
incombent désormais à l’État, qui se substitue en quelque sorte
à l’Église. C’est l’État-providence : il est présent dans la vie économique, sociale et culturelle des Québécois. En l’espace de six ans,
le budget de l’État triple : il passe de 745 millions à 2,1 milliards
de dollars.
à Montréal, de grands projets sont mis sur pied sous la supervision du maire Jean Drapeau. Le réseau de métro est ouvert en
1966, tout juste à temps pour la grande exposition universelle
de 1967. Pendant six mois, Montréal accueille plus de cinquante
millions de visiteurs venus de partout dans le monde. Le Québec
s’ouvre au monde !
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1970
littératurE militantE
nuit dE la poésiE
indépEndancE Et littératurE
Sur fond d’incertitude identitaire, le climat social se détériore peu
à peu. Certains francophones se sentent de plus en plus aliénés
dans une Amérique dominée par le capital anglophone.
De 1963 à 1970, le Front de Libération du Québec (FLQ), un
groupe terroriste militant pour l’indépendance du Québec par
la lutte armée, commet environ deux cents crimes de nature
violente. Des bombes artisanales explosent dans les boîtes aux
lettres d’outremont et westmount, deux quartiers bien nantis de
Montréal à forte population anglophone.
Les dirigeants du FLQ sont vite arrêtés et, en 1968, de nombreux artistes se mobilisent pour assurer leur défense. Pauline
Julien et Gaston Miron organisent le spectacle Chansons et
poèmes de la Résistance, où le texte de Michèle Lalonde, Speak
White, est lu pour la première fois. La lecture qu’elle en fera pendant la nuit de la poésie en mars 1970 sera filmée pour l’oNF et
deviendra mythique.
Pendant la Crise d’octobre, de nombreux poètes et intellectuels,
dont Gaston Miron, seront emportés par la vague d’arrestations
arbitraires qui sévira au lendemain de la mise en vigueur des
mesures de guerre. Le monde culturel est en colère.
Le monde littéraire ne cesse pourtant pas de s’impliquer politiquement. Plusieurs voient le salut dans le Parti québécois, fondé
en 1968 par rené Lévesque, et en l’option de la souverainetéassociation. Lorsque rené Lévesque est élu en 1976, une grande
partie du monde artistique se rallie à lui en vue du premier
référendum sur la souveraineté, visant à faire du Québec un
pays autonome.
MICHÈLE LALoNDE
revendicateur et révolutionnaire, ce texte appelle au combat
les Québécois, mais aussi, tous les opprimés de la terre.
Extrait dE spEaK WhitE
nous sommes un peuple inculte et bègue
mais ne sommes pas sourds au génie d’une langue
parlez avec l’accent de Milton et Byron et Shelley et Keats
speak white
et pardonnez-nous de n’avoir pour réponse
que les chants rauques de nos ancêtres
et le chagrin de nelligan
(…)
speak white and loud
qu’on vous entende
de Saint-Henri à Saint-Domingue
oui quelle admirable langue
pour embaucher
donner des ordres
fixer l’heure de la mort à l’ouvrage
et de la pause qui rafraîchit
et ravigote le dollar
claudE gauvrEau,
poètE Et dramaturgE (1925-1971)
Écrivain de l’anarchie, Claude Gauvreau est
en guerre permanente contre toute forme
d’autorité. Il est ainsi entièrement dévoué à
la création et à la liberté. toute son œuvre
est un témoignage de ce refus absolu des
règles (en commençant par les règles de la
langue française). Il créera une langue bien
à lui, l’exploréen, une langue dont l’objectif
est d’abord et avant tout d’explorer les fins
fonds de l’âme humaine plutôt que la communication. Les mots sont décomposés et
retournent à leurs origines : les sons.
Comme il est interné à plusieurs reprises dans des institutions psychiatriques, son œuvre est marquée par la douleur et la folie. Ses pièces de théâtre La Charge de l’orignal
épormyable (écrite en 1956 et montée en 1970) et Les oranges
sont vertes (écrite en 1970) sont des œuvres puissantes.
lEs orangEs sont vErtEs
Je ne reconnais pas la culpabilité qu’on m’impose de force.
Je ne reconnais pas la compétence des juges intéressés.
Je ne reconnais pas l’amour des assassins guêtrés de stupidité.
Je ne reconnais pas la lucidité des vengeurs qui n’ont rien
compris. Le lac-bolide fuse, ondée verticale et parabolique !
cahier théâtre En coulisse ! | DE gélinas à mouawad en passant par tremblay
La montée des humoristes
Au milieu du siècle dernier, le métier d’humoriste n’existe pas
encore au Québec. Ce sont Clémence DesRochers et Yvon
Deschamps, entre autres, qui taillent pour l’humour une place de
choix dans le milieu culturel québécois, et qui sont aujourd’hui
responsables de sa popularité.
Comme aujourd’hui, les spectacles et émissions humoristiques de l’époque contiennent surtout sketches, monologues
et chansons, qui sont écrits par les comédiens eux-mêmes.
Yvon Deschamps est sans doute l’humoriste québécois le plus
connu et le plus influent. Ses monologues, dans lesquels il aborde
des sujets liés à l’argent, au racisme, au féminisme, à la santé
mentale et à la solitude, sont mordants et satiriques.
Sa carrière prend son envol en 1968, alors qu’il s’associe à
Louise Forestier et à Robert Charlebois pour monter une revue
musicale joyeusement chaotique : L’Osstidcho. Il y interprète son
tout premier monologue, qui passe à l’histoire. Dans Les unions,
qu’ossa donne ?, Deschamps incarne un travailleur naïf qui ne
croît pas aux bienfaits d’un syndicat, se fiant plutôt aveuglément
à la bonté de son patron. C’est le début d’une longue carrière, qui
ne se terminera qu’en 2010. Malgré le fait qu’il ait pris sa retraite,
Yvon Deschamps demeure actif dans la communauté, notamment à travers sa fondation qui vient en aide aux personnes handicapées physiques et mentales.
L’Osstidcho
Alors que l’humour d’Yvon Deschamps est acerbe et politiquement engagé, l’humour de Clémence DesRochers est davantage candide, avec des monologues qui flirtent avec l’anecdote et
l’autobiographie. Sa carrière débute chez Les Bozos (1959), une
troupe cabaret. Son plus grand succès date de 1975, sur disque :
il s’agit de la chanson humoristique Le monde aime mieux Mireille
Mathieu. Bien qu’elle annonce souvent que sa retraite approche,
Clémence DesRochers continue encore aujourd’hui à donner des
spectacles.
yvon deschamps
clémence desrochers
Les unions qu’ossa donne ?
Marc Favreau a aussi marqué le milieu de l’humour au Québec
avec son personnage de Sol, le clown clochard qui sait manier
la langue, alliant humour et poésie. De 1969 à 1972, l’émission
Sol et Gobelet marque une génération entière. Dans les années
1970, Marc Favreau transporte le personnage sur scène – c’est
un immense triomphe. Les monologues de Sol pose un regard
juste et perçant sur la société, derrière une apparence de naïveté.
Quand j’ai lâché école à 13 ans, mon vieux père, y était sus son
lit d’mort, y dit… mon p’tit garçon, (…) j’veux t’dire que dans vie
y a deux choses qui comptent… une job steady, pis un bon boss.
Les maudites affaires d’union, quossa donne, ça ? Une job steady
pis un bon boss. Pis, là, yé parti. Moi je me suis allé m’engager à
shop. J’ai dit… la job que vous annoncez, c’tu une job steady, ça ?
Y’ont dit oui. Ah ben, j’ai dit, vous vous devez être un bon boss !
Eille, je m’étais pas trompé, j’aurais voulu trouver un boss plus
smat que ça j’aurais jamais été capable. Une fois, ma femme
était tombée malade d’urgence, faque l’hôpital a téléphoné,
y’était 2 heures et quart, c’est le boss qui a répond, y vient
m’voir, y m’dit… ta femme est tombée malade d’urgence, ils l’ont
rentrée. Y dit, voyons, énarve-toi pas avec ça. Fais comme si de
rien était, continu ton ouvrage. Si y’a quelque chose, je te l’dirai.
Pas n’importe quel boss qui aurait faite ça.
L’adversité
 Moi / pôvre petit moi / j’a jamais été instructionné / c’est pas
ma faute / quand j’étais tout petit / j’a suivi seulement les
cours / de récréation / et après / il paraît que l’école / c’est
secondaire alors // ensuite / j’a même pas eu la chance d’aller à
l’adversité / c’est elle qui a venue à moi // […] / je me voye entrer à l’adversité /ouille alors / d’abord j’aurais passé l’exgamin
d’entrée / ah oui / il m’aurait laissé passer / l’exgamin / bien sûr
/ passeque j’aurais été gentil / je serais pas arrivé là /en faisant
mon frais de scolarité […] 
19
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cahier théâtre En coulissE ! | DE gélinas à mouawaD En passant par trEmblay
annéEs dE
PertUrBatiON
crisE d’octoBrE
Les historiens ne s’entendent pas quant à l’année où la révolution
tranquille prend fin. Ce qui est certain, c’est que le climat d’enthousiasme se dissipe abruptement lors de la Crise d’octobre.
Alors que des bombes artisanales explosent depuis plus de
sept ans, le FLQ enlève un diplomate britannique, James richard
Cross. Nous sommes le 5 octobre 1970. En échange de sa libération, la cellule terroriste exige un certain nombre de conditions.
De ces conditions, le gouvernement n’en accepte qu’une
seule : la lecture publique du manifeste du FLQ sur les ondes de
radio-Canada. Ce sera fait le 8 octobre 1970. Mais cela n’est pas
suffisant pour satisfaire la cellule terroriste et ainsi assurer la libération de J. richard Cross. Bien au contraire. Le 10 octobre, Pierre
Laporte, alors ministre du travail, est enlevé devant son domicile.
LA CrISE D’oCtoBrE
Le FLQ n’entend pas à rire. Il menace d’exécuter Laporte si le
gouvernement n’obéit pas à ses demandes. Le 15 octobre 1970,
le Premier ministre du Québec, robert Bourassa, demande à
ottawa d’invoquer la loi sur les mesures de guerre. Ce sera fait
le lendemain. Pierre Elliot trudeau, alors Premier ministre du
Canada, impose les mesures de guerre, ce qui a pour effet de suspendre les libertés civiles. Les forces de l’ordre sont alors libres de
procéder à des arrestations arbitraires et discrétionnaires.
Le lendemain, le 17 octobre, Pierre Laporte est assassiné.
Son corps est retrouvé dans le coffre d’une voiture. En décembre
1970, James richard Cross est libéré. En échange, ses ravisseurs
obtiennent un sauf-conduit vers Cuba. Les ravisseurs de Pierre
Laporte sont, quant à eux, arrêtés. Ils écopent de huit ans de prison à la prison à vie.
un nouvEau parti politiquE au pouvoir
En 1968, l’ancien ministre du gouvernement libéral de Jean Lesage, rené Lévesque, fonde un parti dont l’objectif est la souveraineté du Québec. C’est la naissance du Parti québécois.
Le 15 novembre 1976, le Parti québécois est porté au pouvoir
pour la toute première fois. Le nouveau Premier ministre du Québec, rené Lévesque, lance à une foule en délire : « Je n’ai jamais
pensé que je pourrais être aussi fier d’être québécois. »
En 1979, le gouvernement Lévesque met en marche le processus référendaire. Celui-ci vise à consulter les Québécois sur
la souveraineté du Québec et sur un possible partenariat économique avec le Canada (la souveraineté-association). Le 20 mai
1980, 59,4 % des Québécois refusent l’offre du gouvernement
du Parti québécois.
la languE quéBécoisE Extrait d’un tExtE dE marcEl Bouchard, historiEn
un peuple, c’est une langue, une langue maternelle. J’appellerais cela le petit bruit de notre appartenance. Chaque groupe a sa
musique, son chant, une bande sonore, un héritage poétique autant que phonétique. Nous parlons ici le français d’Amérique – en
fait, un français d’Amérique, car de l’Acadie à Haïti en passant par la Louisiane, il y en a plusieurs – nous parlons une langue qui
remonte la trace et le temps de notre grand voyage sur le continent.
La langue vit d’amour, elle ne peut pas grandir sans cet amour. or, il s’est trouvé que nous nous sommes grandement désaimés.
Il fallait en finir avec cette gêne, ce complexe du mauvais langage, comme si nos ancêtres avaient tous été frappés de dégénérescence linguistique chronique, que nos pères et nos mères avaient été les seuls humains sur terre à ne pas parler correctement.
Peu à peu, puis coup sur coup, de Gratien Gélinas à Michel tremblay, le monde du théâtre a vu éclater de petites bombes sur nos
scènes, de petites bombes d’orgueil qui ébranlèrent nos vieilles hontes.
Michel tremblay a bel et bien cassé l’ancien moule, il a honoré notre monde, le souvenir de nos quartiers, la sonorité de nos
jours, le sens de nos grandes et petites histoires. Il a magnifié notre identité et cette percée fut redoutable.
cahier théâtre En coulisse ! | DE gélinas à mouawad en passant par tremblay
Paul Hébert, comédien, a dit : « Nous partagions la même
vision, les mêmes désirs de voir se développer chez nous un
théâtre nord-américain d’expression française. »
Voici le théâtre miroir dont rêvait Jean Duceppe. Mais quelles
images allaient refléter le mieux nos racines culturelles, lesquelles
allaient nous ressembler autant que nous rassembler ? La phrase
de Paul Hébert est lourde de sens, elle est en quelque sorte révolutionnaire. À l’époque, encore aujourd’hui certainement, notre
identité nord-américaine avait grand besoin de s’affirmer face
à une parenté européenne jusque-là exagérée. Étions-nous vraiment les cousins perdus, les orphelins d’une France lointaine ?
N’étions-nous pas plutôt des Nord-Américains parlant français,
plus à l’aise à New York qu’à Neuilly-sur-Seine ? Ce n’est pas sûr
que le théâtre de boulevard français ait soulevé l’enthousiasme
de nos parents. Oui, nous avions grand besoin de retrouver notre
chez-nous, d’entendre notre langue maternelle, de reconnaître
nos personnages, nos lieux, nos manières.
Extraits d’un texte de marcel bouchard, historien
jean duceppe
Jean Duceppe, homme de théâtre
Il faut se méfier des rêveurs.
De ces rêveurs, surtout, qui entreprennent de réaliser leur
rêve. Jean Duceppe avait l’idée, la vision d’un théâtre populaire.
Il disait : « Il faut que le théâtre soit la fête du grand public, je
veux le faire rire ou le faire pleurer; je veux réussir à l’atteindre, à
le toucher comme dans la vie. ». Il livrerait des textes, des émotions. Car le théâtre devait être partagé, rejoindre le plus grand
nombre, atteindre le cœur du monde; le théâtre devait être considéré comme un service public.
La Compagnie Jean Duceppe n’est pas le fruit d’une génération spontanée. Elle représente les efforts, mais surtout la quête
de créateurs audacieux qui ont voulu exprimer les réalités de
leur propre monde. Au Québec, dans les années soixante, pour
seulement y arriver, il fallait se libérer d’une langue, se libérer
d’un genre, ce genre qu’on se donnait pour avoir l’air cultivé.
Le vrai théâtre appartenait alors aux gens de « haute culture » :
notre paysage identitaire était marqué par la frontière entre le
peuple et l’élite. En ces temps classiques, le grand théâtre faisait
peu de place aux réalités d’ici; à part Tit-Coq et quelques rares
personnages qui avaient fait leur entrée dans notre dramaturgie,
le Canadien français était bien souvent un p’tit comique qu’on
reléguait au monde des variétés et des revues. De même, pour
monter sur les planches ou simplement apprécier une « vraie »
pièce, il fallait changer de ton et d’accent.
Avec La Compagnie Jean Duceppe, nous nous retrouvons
dans le courant principal de l’histoire de cette nation. Qui
sommes-nous ? Qu’avons-nous à dire ? Quelle est notre place
dans le monde ? Quel fut le poids de nos attaches ? Quelle est
l’ampleur de nos libertés ? Au fil des saisons, la Compagnie est
devenue un miroir où nous nous sommes vus grandir.
On croit rêver.
L’Improvisation – Du théâtre sans texte !
Dans les années 1970, Robert Gravel et Yvon Leduc imaginent un
concept qui combine théâtre et match de hockey. Deux équipes
de comédiens s’affrontent sur une patinoire : ils doivent créer de
toute pièce, dans le vif du moment, une histoire répondant aux
critères donnés par l’arbitre, en évitant de recevoir des pénalités,
sous peine de se faire expulser du jeu. L’improvisation théâtrale
exige de l’artiste qu’il soit acteur, auteur et metteur en scène,
tout à la fois !
Par leur talent d’acteur, les bons joueurs proposent des
personnages forts, crédibles, charnus, avec de la substance, de
l’émotion, de la respiration, sans toutefois surjouer.
Par leur talent de metteur en scène, ils savent habiter l’aire de
jeu, ménager leurs entrées et sorties, disposer les éléments de
l’intrigue pour que la situation apparaisse clairement aux spectateurs et aux autres joueurs.
Par leurs qualités d’auteur, ils imagineront une situation intéressante, des personnages habités, des dialogues savoureux. Ils
construiront lentement une histoire qui se tient, qui évolue, qui
se boucle.
Dans une impro, tous les joueurs sont des partenaires dans
l’élaboration de l’histoire. L’adversité doit se jouer plus subtilement, à un autre niveau; par l’énergie, l’implication, l’investissement de l’acteur, la saveur des répliques, la qualité du « renvoi de
balle ». Chaque joueur en scène participe à l’écriture de l’impro,
non seulement par ses interventions, mais aussi par son jeu, son
rôle et son personnage.
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cahier théâtre En coulissE ! | DE gélinas à mouawaD En passant par trEmblay
1980-2000
l’intimité misE En scènE
L’univers du politique a, en 1980, un effet important sur le monde
littéraire. Le référendum sur l’indépendance du Québec se solde
par la victoire du non à près de 60% : c’est la grande désillusion
au sein du milieu artistique et littéraire, majoritairement souverainiste à l’époque. Alors qu’ils croyaient porter le projet de tout
un peuple, écrivains et poètes comprennent que leur rêve n’est
pas partagé par la majorité de la population.
C’est donc en 1980 que le divorce entre la littérature québécoise et la politique aura lieu. Les écrivains se tournent alors vers
l’expérience individuelle. Le citoyen typique n’est plus jugé aussi
intéressant – c’est l’heure de gloire des marginaux. Les thèmes de
l’immigration, du féminisme et de l’homosexualité sont au centre
de la littérature québécoise contemporaine.
Du côté des thématiques féministes, ce mouvement point
quelques années avant la frontière arbitraire qu’est 1980.
Créée en 1976, la pièce La nef des sorcières mène le bal dans
ce mouvement où l’expérience intime devient matériau pour
revendiquer des changements sociaux. Six auteures (dont Pol
Pelletier et Marie-Claire Blais), six personnages féminins, six
monologues : c’est ainsi qu’est construite la structure de La nef.
Avec une franchise brutale et un langage cru, ces six femmes
dévoilent les aspects les plus intimes de leur vie.
4
Extrait – lEs féEs ont soif
Avant de me marier, quand je sortais avec lui, sais-tu, Madeleine,
ce qu’il me disait ? Il me disait : « si tu me quittes, je te tue. » Et
moi, la dinde, je lui répondais : « si tu me quittes, je me tue. » Y
avait toujours rien que moi qui mourrais.
5
lEs voisins
En 1980, au théâtre Duceppe, la comédie Les Voisins est montée
pour la première fois. Cette pièce dépeint, via l’absurde, le vide
existentiel qui habite la société contemporaine, obsédée par le
confort et les biens matériels.
La pièce suit trois couples de voisins qui se retrouvent pour
passer une soirée à se montrer des photographies de leur banale vie. Le public est témoin des préparatifs de la soirée, des
échanges animés, des phrases creuses qui masquent la pire
solitude, celle qui nous prend lorsque nous sommes entourés.
lEs féEs ont soif
Dans le répertoire du théâtre féministe québécois, on trouve
aussi Les Fées ont soif, de Denise Boucher, qui dénonce les archétypes auxquels les femmes sont confinées : la Mère, la vierge et
la Putain. Lors de sa création en 1978, le Conseil des arts refuse
de subventionner la pièce, la jugeant « irrecevable ». Les groupes
catholiques manifestent afin d’interdire la représentation, prévue au théâtre du Nouveau Monde (tNM), réussissant même à
obtenir une injonction de la cour pour suspendre la publication et
la diffusion du texte. Sa présentation, par contre, a toujours lieu.
Elle connaît un vif succès public et critique.
Marie, la femme au foyer, se demande si elle pourra un jour
connaître autre chose que le ménage quotidien, la routine familiale, la soumission à son mari. La vierge, elle, cherche à se libérer
du piédestal auquel elle est confinée depuis des millénaires. Finalement, Madeleine, la pécheresse, est profondément dégoûtée
des hommes qui la prennent comme objet de plaisir. Le message
de Les Fées ont soif est sans équivoque : du sang coulera au sein
de la société patriarcale.
PHoto PrISE LorS D’uNE rEPrÉSENtAtIoN DE LA PIÈCE LES VOISInS EN 2014
6
lE vrai mondE ?
En 1987, Michel tremblay, l’auteur des Belles-Sœurs, crée une
autre pièce intitulée Le vrai monde ?
Claude, le personnage principal, a 23 ans et rêve d’être auteur
de théâtre. Sa toute première pièce met en scène des personnages qui ressemblent de façon troublante à sa famille, partageant jusqu’à leurs noms et leurs secrets les plus terribles. Sur
une seule scène qui se dédouble, ses personnages prennent vie
aux côtés de leurs modèles. Le vrai côtoie le faux, jusqu’à ce qu’il
soit impossible de les distinguer.
DE GÉlinas à mouawaD
GÉLINAS
MouAwAD
4
1948
5
1978 1980
6
1987
7
8
1999 2003
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cahier théâtre En coulissE ! | DE gélinas à mouawaD En passant par trEmblay
Extrait – lE vrai mondE ?
MADELEInE 1 :
Quand ton père est disparu depuis des jours pis que ta sœur
est partie travailler, ça m’arrive de m’ennuyer, c’est sûr. (…)
Les premières minutes sont toujours difficiles… Tous les jours,
J’angoisse, j’ai le cœur serré, j’me demande comment j’vas faire
pour passer à travers la minute qui s’en vient, pour survivre
à l’après-midi qui vient à peine de commencer… (…) Pis là…
c’est sûr que tout c’que t’as mis dans ta pièce me passe par la
tête… J’t’ai dit tout à l’heure que tout ça c’tait des choses que
j’m’avouais pas à moi-même… c’est sûr que c’est pas vrai…
Chus pas folle, je le sais la vie que j’ai eue ! Ça fait que j’fais des
scènes qui durent des heures, des scènes tellement violentes, si
tu savais... j’me décharge de tout mon fardeau, pis j’en remets...
J’deviens... une sorte d’héroïne... J’démolis la maison ou ben j’y
mets le feu, j’égorge ton père, j’y fais même pire que ça... J’vous
fais des scènes, à ta sœur pis à toi... (…) Mais tout ça, Claude, se
fait dans le silence. T’arriverais au milieu de tout ça pis tu penserais que chus juste dans la lune ou ben que chus t’en train de
me demander c’que j’vas faire pour le souper... (…) C’est ça ma
force. Ça a toujours été ça. Le silence. (…) De toute façon, que
c’est que ça donnerait de faire comme dans ta pièce ? Oùsque
j’irais, un coup divorcée ? (…) Ta femme, là, dans la pièce, là, qui
porte mon nom pis qui est habillée comme moi, que c’est qu’a’
va faire, le lendemain matin ? Hein ? Après avoir joué l’héroïne ?
On sait ben, ça t’intéresse pas, toi ! Quand a’l’ouvre la porte
pis qu’a’ sort d’la scène, a’l’arrête d’exister pour toi pis tu t’en
sacres, d’abord que t’as écrit des belles scènes ! Mais moi, faut
que je vive demain, pis après-demain, pis les autres jours ! Si t’as
jamais entendu le vacarme que fait mon silence, Claude, t’es pas
un vrai écrivain !
La même année, Michel-Marc Bouchard crée la pièce Les
Feluettes qui, elle aussi, met en scène un théâtre dans un théâtre.
on y rencontre un groupe d’ex-prisonniers menés par Simon, qui
séquestrent l’évêque Bilodeau afin de lui présenter, sous forme de
pièce de théâtre, une série d’événements qui ont eu lieu lorsque
Simon était étudiant dans une école gérée par l’évêque. Simon
était alors amoureux fou de vallier, qui est décédé tragiquement.
Les ex-prisonniers veulent faire avouer à l’évêque qu’il est responsable de la mort de vallier, pour laquelle Simon a été injustement
accusé. Bouchard aborde dans cette pièce les thèmes de l’amour,
de l’homosexualité et du deuil avec brio.
robert Lepage, dramaturge et metteur en scène, crée des
pièces de théâtre multimédia uniques. Il monte présentement
des opéras à New york et jouit d’une réputation internationale,
notamment grâce à ses collaborations avec le Cirque du Soleil
à Las vegas.
7
dEs fraisEs En janviEr
En 1999, à 23 ans seulement, Évelyne de la Chenelière crée
sa pièce : Des Fraises en janvier. Des croisements amoureux se
produisent joyeusement dans cette pièce qui traite de l’imagination, du bonheur et de l’identité personnelle.
Comme beaucoup de jeunes, Sophie et François sont deux
amis qui tombent peu à peu amoureux l’un de l’autre. Comme
beaucoup de jeunes, Sophie et François ont aussi une peur terrible de s’engager. Lorsque robert et Léa s’en mêlent, tout cela
devient un chaos dans lequel on ne peut s’empêcher de reconnaître nos propres histoires de cœur !
Extrait
SOPHIE : On est dans une buanderie, avec des néons pas beaux,
pis tu me dis tout d’un coup que tu sais que t’es en amour avec
moi parce que t’aimerais qu’on ait un seul sac à linge sale pour
nous deux ? !
8
incEndiEs
à cette pièce d’une poésie pétillante s’oppose la pièce
Incendies de wajdi Mouawad en 2003. Deux jeunes adultes, québécois d’origine libanaise, reçoivent de leur mère, tout juste décédée, la mission de remettre une lettre à leur père, qu’ils croyaient
mort, et une autre à leur frère, dont ils ignoraient jusqu’à ce
jour l’existence. Ils doivent donc retourner au Liban en quête de
réponses sur leur identité, remontant ainsi jusqu’à l’époque où
la guerre déchirait le pays. Le dénouement, aux airs de tragédie
grecque, est à nouer la gorge. L’adaptation cinématographique de
Denis villeneuve en 2008 a valu au Canada une mise en nomination aux oscars pour le meilleur film étranger.
InCEnDIES, LE FILM
Fière de jouer un rôle de soutien
dans les arts de la scène
C’est avec grand plaisir que la Banque Nationale vous invite à vivre l’expérience
de La Comédie Humaine.
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