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XXIII Conférence Internationale de Management Stratégique
Rennes, 26-28 mai 2014
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La régénération stratégique d’un territoire : les
enseignements d’une étude de cas issue de la filière
cidricole
Guillaume Detchenique
ESSCA Ecole de Management, PRES UNAM
guillaume.detche[email protected]
Thomas Loilier
IAE de Caen, Université de Caen Basse-Normandie
Résumé :
Adoptant une stratégie abductive, cette recherche s’intéresse à la régénération stratégique
(strategic renewal). A ce sujet, la littérature a notamment montré comment des organisations,
évoluant dans des secteurs présumés matures, pouvaient éviter le déclin de manière
individuelle et collective. Situé à un niveau d’analyse différent, notre travail cherche à
analyser le processus selon lequel un territoire s’est régénéré. Pour cela, nous avons étudié la
filière cidricole à partir du but des années 2000, filière traditionnelle et localisée, menacée
par le départ de son leader et par des difficultés récurrentes en termes de volumes de vente.
Parallèlement à la construction d’une grille d’analyse fondée sur les recherches portant sur la
régénération stratégique, le territoire et la proximité, une étude qualitative consacrée à la
filière cidricole a été réalisée. Trente entretiens ont été menés auprès de dirigeants
d’entreprises cidricoles et d’observateurs privilégiés de la filière. Ces données primaires ont
été complétées par un corpus de données secondaires. L’ensemble a alors fait l’objet d’un
codage pratiqué sur le logiciel Nvivo.
L’analyse qualitative des données fait ressortir trois types de génération (régénération
fondée sur le territoire subi ; régénération fondée sur le territoire construit ; régénération
fondée sur le territoire intégré) selon le rôle joué par la proximité géographique et les
proximités dites non-géographiques au cours du processus. Ces trois types de régénération se
succèdent durant le déroulement du processus étudié.
Mots-clés : territoire et pôle de compétitivité ; manœuvres stratégiques ; étude de cas ;
approche processuelle.
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La régénération stratégique d’un territoire : les
enseignements d’une étude de cas issue de la filière
cidricole
Introduction
En 2000, la situation de la filière cidricole apparaissait critique, voire désespérée. En effet, le
groupe Pernod-Ricard, son leader et principal soutien depuis près de trente ans, annonce le
recentrage de ses activités sur les spiritueux et les vins et, par conséquent, son futur désenga-
gement de la production cidricole. Outre la décision de se recentrer, Pernod-Ricard est aussi
motivée par les résultats décevants de cette boisson traditionnelle. Ses ressources et son sa-
voir-faire n’auront effectivement pas suffi pour faire face à la concurrence du vin et de la bière
et contrecarrer le lent déclin des ventes de cidre estimées, chaque année, aux alentours de
deux litres par habitant en France (Xerfi, 2009). Pourtant, ce qui aurait pu s’avérer être le
commencement d’un scénario catastrophe va se transformer en une formidable opportunité
pour la filière cidricole. L’annonce du part de Pernod-Ricard est utilisée pour remobiliser
les acteurs du territoire cidricole. Le temps des projets, exclusivement individuels, et de la
concurrence pure et dure est alors révolu. Depuis cet évènement, plusieurs organisations de la
filière ont décidé de collaborer et de penser collectivement à l’avenir de la production cidri-
cole. De nombreux projets collectifs sont mis en œuvre dans lesquels, notamment, des bois-
sons innovantes sont imaginées et commercialisées afin de redonner de la vitalité au sein du
territoire. Ainsi, si actuellement les chiffres de vente du cidre traditionnel peinent toujours à
décoller, la régénération du territoire cidricole a permis de mettre en marche une nouvelle dy-
namique et de faire collaborer des acteurs auparavant isolés.
A ce sujet, la littérature sur la régénération stratégique (en particulier les travaux de Baden-
Fuller) a montré comment des organisations évoluant dans des industries considérées comme
matures pouvaient, contre toute attente, entraver et dépasser le déclin. La situation de la filière
cidricole n’est donc pas un phénomène isolé. Elle révèle les difficultés possibles des secteurs
traditionnels pour s’adapter aux évolutions constantes de l’environnement et de la législation,
aux souhaits changeants des consommateurs ou, encore, aux nouvelles stratégies imaginées
par les concurrents. L’organisation ne pouvant plus être considérée comme une entité isolée,
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les stratégies de régénération peuvent aussi s’appuyer sur plusieurs organisations, d’autant
plus lorsque ces dernières rencontrent les mêmes difficultés. Une organisation dispose alors
d’un arsenal de stratégies, concurrentielles et coopératives, pour se régénérer de façon indivi-
duelle (régénération organisationnelle) et collective (régénération inter-organisationnelle).
Ici, nous étudions la régénération d’un collectif particulier d’organisations : le territoire. Nous
nous intéressons à la manière dont un ensemble d’organisations, localisées au sein d’un es-
pace commun, peuvent régénérer leur territoire, notamment par la mise en œuvre de projets
collectifs. Si la dynamique des territoires a souvent été étudiée sous l’angle de la Resource-
Based View, nous proposons plutôt de mobiliser l’approche par les proximités afin d’étudier le
rôle de la proximité géographique et des proximités non-géographiques dans la régénération
d’un territoire et ce, en nous appuyant sur le cas de la filière cidricole. Notre propos comprend
alors trois principales parties. Après avoir présenté le cadre conceptuel de notre recherche qui
s’appuie sur le triptyque régénération-territoire-proximités (partie 1), nous décrivons notre
méthodologie, le cas choisi et les résultats issus de notre travail (partie 2). La dernière partie
est enfin consacrée à la discussion de ses résultats (partie 3).
1. LA REGENERATION D’UN TERRITOIRE : PROPOSITION D’UN
CADRE THEORIQUE
La première partie est d’abord consacrée à la présentation du concept de régénération straté-
gique (1.1.). Nous proposons ensuite une grille d’analyse de la régénération adaptée à une
forme particulière d’organisation : le territoire (1.2.).
1.1. La régénération stratégique
Les organisations évoluant dans un secteur mature ou éprouvant des difficultés face à leurs
concurrents disposent d’un éventail de stratégies pour contrecarrer ou éviter le déclin : entre
stratégies de différenciation, d’externalisation ou, entre autres, de recentrage, elles peuvent
aussi faire le choix de sortir du secteur en difficulté. A ce sujet, les travaux sur la régénération
stratégique proposent une perspective encore différente (1.1.1.). Nous verrons aussi que la ré-
génération stratégique peut s’appuyer sur d’autres organisations, l’organisation n’étant plus
considérée comme une entité autonome. Ainsi, les mouvements et actions stratégiques de ses
concurrents et partenaires peuvent avoir une influence sur ses décisions et actions stratégiques
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(1.1.2.).Ici, nous proposons une perspective supplémentaire et originale en nous intéressant à
la régénération d’un territoire et ce, en mobilisant le concept de proximité (1.1.3.).
1.1.1. La régénération stratégique d’une organisation
La régénération stratégique caractérise le développement d’une stratégie originale ou la volon-
de maintenir ou d’accroitre un avantage concurrentiel en modifiant la stratégie mise en
œuvre et la dépendance de sentier (Volberda et al., 2001a). Elle peut être définie comme « le
processus, le contenu, et le résultat de la revivification ou du replacement des éléments d’une
organisation qui peuvent modifier ses perspectives à long-terme » (Agarwal et Helfat, 2009, p.
282). Plusieurs auteurs analysent alors la régénération stratégique selon trois dimensions : le
contenu, le contexte et le processus (Volberda et al., 2001b ; Flier et al., 2003).
Au niveau du contenu, une organisation peut modifier les idées-clés sur lesquelles elle a été
bâtie (Guth et Ginsberg, 1990), en redéfinissant, entre autres, son approche concurrentielle
(Covin et Miles, 1999), sa structure organisationnelle ou, plus généralement, sa stratégie (Za-
hra, 1993). Plus précisément, et en empruntant la distinction proposée par March (1991), le
contenu de la régénération stratégique est le plus souvent défini selon son orientation
d’exploitation ou d’exploration. L’exploration correspond à l’ajout de nouvelles activités et
compétences ou à l’accroissement de la portée géographique de l’organisation (Kwee et al.,
2011 ; Volberda et al., 2001a). L’exploitation se focalise sur les activités, les compétences et
l’étendue géographique actuelles de l’organisation (ibid.).
La dimension du contexte reflète l’orientation interne ou externe de la régénération (Capron et
Mitchell, 2009 ; Flier et al., 2003). Dit autrement, l’organisation se régénère-t-elle sur ses res-
sources propres ou grâce aux ressources de partenaires ? Dans le deuxième cas, elle peut par
exemple coopérer avec d’autres organisations, former une alliance avec un partenaire ou en-
core acquérir une autre organisation (Puranam et al., 2009).
Enfin, la dernière dimension insiste sur la nature processuelle de la régénération stratégique.
Ainsi, le contenu de la régénération peut évoluer au cours du temps et au fil des évènements.
Volberda et al. (2001b) montrent d’ailleurs que le processus de régénération d’une organisa-
tion évolue selon des caractéristiques propres à l’organisation mais aussi selon l’industrie et le
pays dans lequel elle se trouve. Stopford et Baden-Fuller (1990), Baden-Fuller et Stopford
(1996) ou encore Volberda et al. (2001a) vont ainsi jusqu’à mettre en évidence des processus-
types de régénération bien différenciés.
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Pour les organisations évoluant dans des industries dynamiques, la régénération stratégique
semble nécessaire pour suivre les évolutions rapides de l’environnement. Plusieurs recherches
se sont notamment penchées sur les industries de haute technologie telles que les télécommu-
nications (Capron et Mitchell, 2009), la photographie numérique (Tripsas, 2009), etc. D’autres
travaux, moins nombreux, ont étudié des organisations évoluant dans des secteurs matures et
pour lesquelles la régénération devenait une question de survie. Les secteurs étudiés, dans ce
cas, ont généralement une intensité technologique moins importante. Entre autres, Kim et
Pennings (2009) ont analy la régénération d’entreprises dans l’industrie des raquettes de
tennis tandis que Baden-Fuller et Stopford (1996) ont développé plusieurs exemples comme
celui de l’entreprise Cook dans le secteur de l’acier.
Les différents travaux de Baden-Fuller et de ses co-auteurs permettent alors d’interroger le
concept même de maturité de certains secteurs. Cette dernière est une perception qui contraint
les actions et pensées au sein des organisations. Persuadés d’être limités par cette maturité
sectorielle, ce qui leur permet au passage de justifier (voire d’excuser) leur propre déclin, cer-
taines organisations sont incapables de se remettre en cause. Le phénomène est alors d’autant
plus évident qu’il est partaentre plusieurs organisations. Ainsi, au sein d’un même groupe
stratégique, les actions stratégiques de plusieurs organisations peuvent être le résultat de re-
présentations similaires et d’un système de croyances et de règles commun et stable (Phillips,
1994 ; Porac et Thomas, 1994 ; Porac et al., 1989 ; Spender, 1989) et qui les font converger
vers une même direction (Greve, 1998 ; Porac et al., 1995). Au-delà, il s’agit bien ici de chan-
ger de niveau d’analyse en se focalisant sur la régénération inter-organisationnelle.
1.1.2. La régénération inter-organisationnelle
Une organisation peut mettre en place, de manière autonome, des actions de régénération, tout
en évoluant dans un secteur présumé mature (Baden-Fuller et Stopford, 1996). Plusieurs
chocs, externes ou internes, peuvent alors être à l’origine de ces actions (Huff et al., 1992 ;
McNamara et Baden-Fuller, 1999). Sur ce point, l’unicité du choc est souvent considérée
comme insuffisante pour déclencher la régénération car elle peut être rationalisée a posteriori.
Il est en effet tentant de qualifier un choc unique de passager ou d’anecdotique, ce dernier ne
provoquant dès lors aucune réaction.
En outre, la régénération ne se fonde pas toujours sur les seules ressources d’une organisation
mais aussi sur celles de ses partenaires. Huygens et al. (2001) ont montré, en étudiant
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