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avec une loge du Grand Orient de France à Alep (La Syrie, 1883) et une autre à Salonique
(Veritas, 1904), auxquelles s’ajouteront plusieurs ateliers de La Grande Loge de France à
Mansourah (Le Progrès, 1881), Alexandrie (Égypte, 1888 ; Ramsès, 1888 ; Delphes, 1888 ;
Oberdank, 1888), Le Caire (Le Soleil, 1888 ; El Sedk, 1889 ; Ptolémée, 1889 ; Karnak, 1889 ;
Nour-el-Chark, 1896 ; Riad el Fadael, 1904 ; El Aal, 1904 ; Stella d’Oriente, 1905 ;
Choubalky, 1906), Port-Saïd (Le Phare d’Orient, 1908), Salonique (L’Avenir de l’Orient,
1908).
Il est aisé de constater que cette géographie maçonnique recoupe assez rigoureusement
celle des intérêts français au Levant. Dès les années 1830, en quête de grands projets,
financiers et ingénieurs français, beaucoup d’entre eux rassemblés sous la bannière saint-
simonienne, avaient lancé leur expédition d’Égypte à eux
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, un processus qui allait avoir pour
aboutissement majeur, quelques décennies plus tard, le percement du canal de Suez. La franc-
maçonnerie d’obédience française accompagne ce Drang nach Osten, l’encadre, lui fournit
des espaces de sociabilité, un rituel, un habillage mystico-idéologique. Au Liban, de même, la
France se prévaut, depuis le milieu du XIX
e
siècle, d’un rôle de protectrice privilégiée des
chrétiens maronites. Dans un tel contexte, le Grand Orient de France n’a eu qu’à s’engouffrer
dans la brèche ouverte. Ailleurs, en particulier à Smyrne et à Salonique, la présence
maçonnique française tient pour une bonne part à l’existence de populations marchandes
accoutumées à regarder vers la France et gagnées à la francophonie. Certes, nulle part les
obédiences françaises n’ont le monopole de l’apostolat maçonnique. En Égypte, elles se
heurtent à la vive concurrence des loges anglaises, celles-ci étant d’autant plus courues
qu’elles fonctionnaient comme des sortes de clubs
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. À Salonique, elles doivent faire face aux
loges italiennes, particulièrement actives, ainsi qu’à des ateliers liés à diverses puissances
balkaniques. En matière de franc-maçonnerie, comme en bien d’autres domaines, la capitale
de la Macédoine est pleinement plurielle.
Grâce aux matériaux conservés dans les archives des obédiences, il est possible de se
faire une idée assez précise du recrutement de ces loges. On constate que certaines d’entre
elles, surtout au Liban et en Égypte, ne regroupaient que des expatriés français : quelques
officiers et diplomates ; mais surtout des artisans, des ingénieurs, des hommes d’affaires, des
membres de professions libérales, tout un microcosme colonial, avec son mélange d'utopistes,
de techniciens et d’aventuriers. Toutefois, la clientèle visée est aussi, en première ligne, celle
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L’expression est de Sébastien Charléty, Histoire du Saint-Simonisme, rééd., Paris, Gonthier, 1965, p. 183.
8
Karim Wissa, « Freemasonry in Egypt 1798-1921. A Study in Cultural and Politic Encounters », Bulletin
(British Society for Middle Eastern Studies), Vol. 16, n° 2. (1989), pp. 143-161.