L’ÉTERNEL RETOUR NOUVELLE REVUE NIETZSCHÉENNE NUMÉRO 4. MARS 2016. 2 EUROS. L’ÉTERNEL RETOUR NOUVELLE REVUE NIETZSCHÉENNE. NUMÉRO 4. MARS 2016. © 2 0 1 6 S O C I É T É D E S A M I S D U M U S É E N I E TZ S C H E . TO U S D R O I TS R É S E RV É S . Dans ce numéro : L’ É T E R N E L R E TO U R A M O R FAT I Imprimé en France dans une édition limitée à 99 exemplaires. MUSEENIETZSCHE.ORG L’ É T E R N E L R E TO U R « Que serait-ce si, de jour ou de nuit, un démon te suivait une fois dans la plus solitaire de tes solitudes et te disait : “Cette vie, telle que tu la vis actuellement, telle que tu l’as vécue, il faudra que tu la revives encore une fois, et une quantité innombrable de fois ; et il n’y aura en elle rien de nouveau, au contraire ! Chaque douleur et chaque joie, chaque pensée et chaque soupir, tout l’infiniment grand et l’infiniment petit de ta vie reviendront pour toi, et tout cela dans la même suite et le même ordre — et aussi cette araignée et ce clair de lune1 entre les arbres, et aussi cet instant et moi-même. L’éternel sablier de l’existence sera retourné toujours à nouveau — et toi avec lui, poussière des poussières !” — [...] Si cette pensée prenait de la force sur toi, tel que tu es, elle te transformerait peut-être, mais peut-être t’anéantirait-elle aussi ; la question “veux-tu cela encore une fois et une quantité innombrable de fois”, cette question, en tout et pour tout, pèserait sur toutes tes actions d’un poids formidable ! Combien il te faudrait aimer la vie, et que tu t’aimes toi-même, pour ne plus désirer autre chose que cette suprême et éternelle confirmation ! — » (Le gai savoir, 341) 1. « Et cette lente araignée qui rampe au clair de lune, et ce clair de lune lui-même, et moi et toi, réunis sous ce portique [de l’instant], chuchotant des choses éternelles, ne faut-il pas que nous ayons tous déjà été ici ? Ne devons-nous pas revenir et courir de nouveau dans cette autre rue qui monte devant nous, dans cette longue rue lugubre — ne faut-il pas qu’éternellement nous revenions ? — » (Ainsi parlait Zarathoustra, III, De la vision et de l’énigme) « Si, dans tout ce que tu veux faire, tu commences par te demander : est-il sûr que je veuille le faire un nombre infini de fois, ce sera pour toi le centre de gravité le plus solide. » (La volonté de puissance, 242) « L’éternel retour donne une règle pratique à la volonté […] Ce que tu veux, veuille-le de telle manière que tu en veuilles aussi l’éternel retour. […] Une chose au monde écœure Nietzsche : les petites compensations, les petits plaisirs, les petites joies, tout ce qu’on s’accorde une fois, rien qu’une fois. […] Une paresse qui voudrait son éternel retour, une bêtise, une bassesse, une lâcheté, une méchanceté qui voudraient leur éternel retour : ce ne serait plus la même paresse, ce ne serait plus la même bêtise… […] C’est la pensée de l’éternel retour qui sélectionne. Elle fait du vouloir quelque chose d’entier. […] L’homme petit, mesquin, réactif ne reviendra pas. » (Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie, 1962) « Je hais, au fond, toutes ces morales qui disent : “Ne fais pas ceci, ne fais pas cela. Renonce. Vaincs-toi.” — J’aime au contraire toutes celles qui me poussent à faire une chose, à la refaire, à y songer matin et soir, à en rêver la nuit, et à n’avoir d’autre souci que la bien faire, aussi bien que j’en suis capable, et capable entre tous les hommes. A vivre ainsi on dépouille un à un tous les soucis qui n’ont rien à faire avec cette vie ; on voit sans haine ni répugnance s’en aller aujourd’hui ceci, demain cela, feuilles jaunies que le moindre souffle un peu vivant détache de l’arbre ; […] “C’est notre activité qui doit déterminer ce que nous abandonnerons : c’est en faisant que nous laisserons…” » (Le gai savoir, 304) « Si jamais ma main a mêlé le plus lointain au plus proche, le feu à l’esprit, la joie à la peine et les pires choses aux meilleures : Si je suis moi-même un grain de ce sable rédempteur, qui fait que toutes choses se mêlent bien dans la cruche des mixtures […] Ô comment ne serais-je pas ardent de l’éternité, ardent du nuptial anneau des anneaux, — l’anneau du devenir et du retour ? Jamais encore je n’ai trouvé la femme de qui je voudrais avoir des enfants, si ce n’est cette femme que j’aime : car je t’aime, ô éternité ! » (Ainsi parlait Zarathoustra, III, Les Sept sceaux) « Le jeu a deux moments qui sont ceux d’un coup de dès : les dès qu’on lance et les dès qui retombent. […] Les dès qu’on lance une fois sont l’affirmation du hasard, la combinaison qu’ils forment en tombant est l’affirmation de la nécessité. […] Ce que Nietzsche appelle nécessité (destin) n’est donc jamais l’abolition du hasard, mais la combinaison du hasard lui-même. […] L’éternel retour est le second temps, le résultat du coup de dès, l’affirmation de la nécessité. […] Le destin dans l’éternel retour est aussi la “bienvenue” du hasard. » (Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie, 1962) « Quand on s’est comme moi longuement appliqué, par je ne sais quel étrange besoin, à pousser à bout le pessimisme […] — de ce fait même, sans le vouloir, on s’ouvre les yeux sur l’idéal opposé, l’idéal de l’homme le plus impétueux, le plus vivant, le plus affirmateur qu’il y ait sur la terre, de l’homme qui non seulement a appris à s’accommoder de tout ce qui a été et de tout ce qui est, et à le supporter, mais qui veut aussi revoir toutes choses telles qu’elles ont été et telles qu’elles sont, pour toute éternité, criant sans cesse “da capo”2, non seulement pour soi, mais pour la pièce tout entière, pour tout le spectacle. » (Par-delà le bien et le mal, 56) «— la joie veut l’éternité de toutes choses […] c’est pourquoi elle veut aussi la peine ! Le monde est profond, profonde est sa douleur, — Mais plus plus profonde est la joie. La douleur dit : Passe et finis ! Mais la joie veut l’éternité, — veut la profonde éternité. » (Ainsi parlait Zarathoustra, IV, Le chant d’ivresse) « La douleur est courte, et la joie est éternelle. » (Schiller, La Pucelle d’Orléans, 1801) 2. da capo : terme musical italien signifiant « depuis le début », indiquant que le morceau doit être repris depuis le commencement. « Eternité ! Quel esprit humain peut la comprendre ? Et n’oubliez pas, c’est une éternité de douleur. » ( James Joyce, Dedalus, 1916) « L’art dionysien lui aussi veut nous convaincre de l’éternelle joie qui est attachée à l’existence ; seulement, nous ne devons pas chercher cette joie dans les apparences, mais derrière les apparences. Nous devons reconnaître que tout ce qui naît doit être prêt pour un douloureux déclin, nous sommes forcés de plonger notre regard dans l’horrible de l’existence individuelle — et cependant la terreur ne doit pas nous glacer : une consolation méta­physique nous arrache momentanément à l’engre­nage des migrations éphémères. » (La naissance de la tragédie, 17) « La confiance dans la vie a disparu, la vie elle-même est devenue un problème. — Mais qu’on ne croit pas qu’il faille pour autant devenir misanthrope ! Aimer la vie est même encore possible, — On l’aime seulement d’une façon différente. On l’aime comme une femme dont on doute… » (Le gai savoir, Avant-propos, 3) « L’affirmation de la vie, même dans ses problèmes les plus étranges et les plus ardus ; […] — moi, le dernier disciple du philosophe Dionysos, — moi, le maître de l’éternel retour. » (Le crépuscule des idoles, Ce que je dois aux anciens, 5) A M O R FAT I Les stoïciens ont une conception déterministe de l’univers : tout ce qui arrive est nécessaire, on ne peut y échapper. L’individu, pour vivre heureux, n’a qu’un seul choix : accepter cette nécessité. Cette attitude est appelée l’« amor fati » (« l’amour du sort ») par Marc Aurèle (121-180). L’idée se retrouve dans le Talmud (Ta’anit, 21a, IIème siècle), à travers l’enseignement de Nahum de Gamzu qui, en toutes circonstances, y compris lorsqu’un malheur l’atteignait, disait : « Ceci aussi est pour le bien » (« gam zu letovah » en hébreux). « Tout dans la nature se produit avec une nécessité éternelle. » (Spinoza, Ethique, 1673) « Je vais dire quelle est la pensée qui doit devenir la raison, la garantie et la douceur de toute ma vie ! C’est d’apprendre toujours davantage à voir le beau dans la nécessité des choses : c’est ainsi que je serai toujours de ceux qui rendent les choses belles. Amor fati : que ce soit désormais mon amour. Je ne veux pas faire la guerre au laid. Je ne veux pas accuser, même les accusateurs. Je détournerai mon regard, ce sera désormais ma seule négation ! Et, en un mot, en grand, je ne veux plus, de ce jour, être jamais qu’un affirmateur. » (Le gai savoir, 276) « Ma formule pour ce qu’il y a de plus grand dans l’homme est amor fati : ne rien vouloir d’autre que ce qui est, ni devant soi, ni derrière soi, ni dans les siècles des siècles. Ne pas se contenter de supporter l’inéluctable, et encore moins se le dissimuler, mais l’aimer… » (Ecce homo, Pourquoi je suis si avisé, 10) « Je me suis souvent demandé si je ne devais pas beaucoup plus aux années les plus difficiles de ma vie qu’à toutes les autres. Ce qu’il y a de plus intime en moi m’apprend que tout ce qui est nécessaire, vu de haut et interprété dans le sens d’une économie supérieure, est aussi l’utile en soi, — il ne faut pas seulement le supporter, il faut aussi l’aimer… Amor fati : c’est là le fond de ma nature. — Et pour ce qui en est de ma longue maladie, ne lui dois-je pas beaucoup plus qu’à ma santé ? Je lui dois une santé supérieure, une santé qui se fortifie de tout ce qui ne la tue pas ! — Je lui dois aussi ma philosophie… » (Nietzsche contre Wagner, Epilogue, 1) « Il y a autant de sagesse dans la douleur que dans le plaisir : tous deux sont au premier chef des forces conservatrices de l’espèce. S’il n’en était pas ainsi de la douleur, il y a longtemps qu’elle aurait disparu ; qu’elle fasse mal, ce n’est pas là un argument contre elle, c’est au contraire son essence. » (Le gai savoir, 318) « Patiente et endure : cette douleur s’avérera être pour ton bien. » (Ovide, Les amours, III, 11, 19 av. J.-C.) « Nous sentons et nous savons que nous sommes éternels. » (Spinoza, Ethique, 1673) « Je vais maintenant conter l’histoire de Zarathoustra. La conception fondamentale de l’œuvre, la pensée de l’éternel retour, cette formule suprême de l’affirmation, la plus haute qui se puisse concevoir, — date du mois d’août de 1881. Elle est jetée sur un feuillet de papier avec cette inscription : “6000 pieds au-dessus de l’homme et du temps”. Ce jour-là, j’allais à travers bois, le long du lac de Silvaplana ; près d’un formidable bloc de rochers qui se dressait en pyramide, non loin de Surlei, je fis halte. C’est alors que me vint cette pensée... » (Ecce homo, Ainsi parlait Zarathoustra, 1). « Finn, again! Take. Bussoftlhee, mememormee! Till thousendsthee. Lps. The keys to. A way a lone a last a loved a long the riverrun, past Eve and Adam’s, from swerve of shore to bend of bay, brings us by a commodius vicus of recirculation back to Howth Castle and Environs. » ( James Joyce, Finnegans wake, 1939).