Leszek Brogowski, master Arts, cours de Méthodologie générale, semestre 1 : résumé
Il s’agit dans ce cours de présenter aux étudiants – inséparablement – des éléments historiques
et des éléments théoriques relatifs aux sciences humaines en général, à leur objet spécifique et aux
démarches qui leur sont propres.
En effet, les sciences humaines (histoire, sociologie, psychologie, anthropologie, etc.) apparais-
sent tardivement dans l’histoire par rapport aux sciences de la nature (astronomie, physique, chimie,
etc., mais aussi botanique, zoologie, physiologie, etc.). Pendant longtemps elles sont considérées com-
me les petites sœurs rachitiques des sciences dites « dures » ou « exactes », jusqu’à ce qu’elles affir-
ment leur autonomie cognitive par rapport aux sciences de la nature. Il apparaît alors, au début du XXe
siècle, que la théorie de la connaissance des sciences de la nature n’est qu’un cas particulier de
l’épistémologie des sciences humaines, qui elle constitue le modèle général de la connaissance.
Ce cours de méthodologie retrace les grands traits de l’émergence progressive à partir du XVIIIe
siècle de ces sciences en tant que sciences empiriques, époque qui compte déjà quelques « proto-
historiens », tels J. Möser en Allemagne, E. Gibbon, D. Hume et W. Robertson en Angleterre ou Voltaire
en France ; et pourtant comme le constate laconiquement Paul Hazard, à cette époque, « d’historiens
véritables, il n’y en avait pas » encore1. En l’absence des sciences humaines dans l’horizon du XVIIIe
siècle, la Critique de la raison pure (1781) d’Emmanuel Kant se proposait d’être une réflexion transcen-
dantale (c’est-à-dire portant sur les conditions de possibilités) des sciences de la nature qui ont connu
au XVIIIe siècle un essor sans précédent. Un siècle plus tard Wilhelm Dilthey (1833-1911) a entamé un
important projet philosophique de la critique de la raison historique, dont l’objectif a été de compléter le
projet kantien en menant une réflexion critique sur les sciences sociales et historiques qui se sont beau-
coup développées au XIXe siècle. Sa philosophie constitue un bilan théorique de la pratique de la re-
cherche menée par les sciences humaines émergeantes.
Dilthey adopte le principe de la critique kantienne selon lequel la philosophie part du constat de la
réalité des sciences et tâche seulement d’interroger leur pratique de recherche pour savoir comment
elles sont possibles, c’est-à-dire pour savoir quels concepts elles doivent silencieusement admettre,
quels genre de raisonnement mener, quelles démarches adopter, en vertu desquels seulement elles se
constituent comme sciences. La possibilité des sciences étant déjà prouvée par leur réalité, affirme
Kant2, la philosophie doit simplement mettre en évidence les conditions de leur possibilité. Ces condi-
tions, appelées transcendantales, désignent un mode de penser et de connaître qu’elles rendent possi-
ble : c’est pourquoi on dit aussi « conditions de possibilité ». C’est dans ce sens que dans la seconde
moitié du XIXe siècle Dilthey a interrogé les nouveaux modes de connaître qui avaient rendu possible la
recherche dans le domaine des sciences humaines.
Comme on le voit, la réflexion théorique ne peut faire abstraction du travail historique : la philo-
sophie n’impose pas aux sciences ses propres théories, mais analyse les démarches des savants, puis
tâche de rendre compte à travers la théorie de la connaissance (épistémologie, méthodologie) de leurs
1 Paul Hazard, La Pensée européenne au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1990, p. 237.
2 Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, in : Œuvres philosophiques, traduction A. J.-L. Delamarre, F. Marty,
Paris, Gallimard (Pléiade) 1980, t. I, B 20, p. 773.