LE NATURALISME - I
Chaque hiver, à l’ouverture de la saison théâtrale, je suis pris des
mêmes pensées. Un espoir pousse en moi, et je me dis que les
premières chaleurs de l’été ne videront peut-être pas les salles, sans
qu’un auteur dramatique de génie se soit révélé. Notre théâtre aurait
tant besoin d’un homme nouveau, qui balayât les planches
encanaillées, et qui opérât une renaissance, dans un art que les
faiseurs ont abaissé aux simples besoins de la foule ! Oui, il faudrait
un tempérament puissant dont le cerveau novateur vînt révolutionner
les conventions admises et planter enfin le véritable drame humain à
la place des mensonges ridicules qui s’étalent aujourd’hui. Je
m’imagine ce créateur enjambant les ficelles des habiles, crevant les
cadres imposés, élargissant la scène jusqu’à la mettre de plain-pied
avec la salle, donnant un frisson de vie aux arbres peints des
coulisses, amenant par la toile de fond le grand air libre de la vie
réelle.
Malheureusement, ce rêve, que je fais chaque année au mois
d’octobre, ne s’est pas encore réalisé et ne se réalisera peut-être pas
de sitôt. J’ai beau attendre, je vais de chute en chute. Est-ce donc un
simple souhait de poète ? Nous a-t-on muré dans cet art dramatique
actuel, si étroit, pareil à un caveau où manquent l’air et la lumière ?
Certes, si la nature de l’art dramatique interdisait cet envolement
dans des formules plus larges, il serait quand même beau de
s’illusionner et de se promettre à toute heure une renaissance. Mais,
malgré les affirmations entêtées de certains critiques qui n’aiment
pas à être dérangés dans leur criterium, il est évident que l’art
dramatique, comme tous les arts, a devant lui un domaine illimité,
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