Pourquoi consacrer du temps à la question du libre-
échange et du protectionnisme ? La vie est courte et il y
a peut-être plus joyeux à faire.
Si le Gresea – Groupe de recherche pour une stratégie
économique alternative – a placé cette controverse en
exergue des travaux de son Université des Alternatives,
c’est, pour y apporter une réponse facile, en raison de
l’actualité.
Actualité que le coup de tonnerre qui vient de s’abattre
sur les métallos de Cockerill. Le libre-échange, pour
faire court, a décrété que ces travailleurs sont économi-
quement inutiles : on produit moins cher la même chose
ailleurs. Le caractère inéluctable du bain de sang social
a inspiré à l’historien Robert Halleux ce commentaire :
«La dynamique du système capitaliste aboutit à la mon-
dialisation. Sur ce point, les analystes libéraux concor-
dent avec l’analyste marxiste que je suis. Et ce ne sont
pas les zozos de Porto Alegre qui changeront cela.1»
C’est un point de vue.
Actualité encore que le rapport Deux poids, deux
mesures d’Oxfam International qui ne cesse depuis mai
2002 de susciter la polémique. Là, c’est l’idée, pour cari-
caturer, que le Tiers-monde a besoin de libre-échange et
que les marchés du Nord doivent s’ouvrir à ses exporta-
tions, ce qui est une manière de dire que le commerce
international peut être une bonne chose, postulat qu’on
retrouve aussi, entre les lignes, dans les plaidoyers pour
le commerce équitable. C’est pourtant – car les lectures
du libre-échange sont multiples et sujettes à d’impi-
toyables rapports de force – ce même objectif de libre-
échange mondialisé que le prix Nobel de sciences éco-
nomiques Maurice Allais dénonce comme une des doc-
trines les plus désastreuses pour l’humanité car, tuant
partout l’emploi et la croissance, elle sert essentielle-
ment de prétexte au transfert, au bénéfice des seules
multinationales, de « leur production partout dans le
monde afin de profiter systématiquement des plus bas
salaires.2» C’est un autre point de vue.
On peut s’arrêter un moment, là, mamzelle l’institutri-
ce?
C’est l’ambition de l’Université des Alternatives du
Gresea. Marquer une pause pour prendre du recul et
tenter de comprendre : qu’est-ce que le libre-échange et
qu’est-ce que son contraire, le protectionnisme, sur
quels arbres ces fruits étranges ont-ils pu croître?
Etudiés sous cet angle, ces notions livreront quelques
surprises. Dans son survol des mythes économiques3,
Paul Bairoch affirme que, jamais, le libre-échange n’a
mérité le qualificatif de «moteur de la croissance». Que
du contraire : imposé au Sud au titre de politique colo-
niale, il y sera cause d’une fatale désindustrialisation4
alors que, aux Etats-Unis, «patrie et bastion du protec-
tionnisme moderne», c’est le mécanisme inverse qui a
assuré l’essor industriel, on l’a encore vu l’an dernier,
lorsque Washington a hérissé sa métallurgie de barrières
tarifaires protectrices. Citons Wilbur Ross, président de
l’International Steel Group (USA), qui estime que ces
tarifs ont permis «de disloquer les importations étran-
gères et de renouer avec nos clients. La mesure était à
100% vitale.5» La US Steel n’est pas Cockerill.
Né en 1846 avec l’abandon par le Royaume-Uni des
protections de son secteur céréalier (mesure visant en
réalité à faire baisser le prix du pain et, partant, les
salaires des ouvriers6), le libre-échange voit le jour –
déjà! – sous les pressions d’un lobby industriel, l’Anti-
Corn Law League, et, en 1860, avec le traité de com-
merce franco-anglais, effectue sa percée à l’issue de
négociations secrètes visant – déjà ! – à «éviter un vote
au parlement» et «contre la volonté de la plupart des
dirigeants des divers secteurs de l’économie» française.
C’est dire que le «débat Oxfam» n’est pas neuf...
La controverse reste ouverte. Du libre-échange mondia-
lisé avec son primat donné à la marchandise et du libre-
protectionnisme avec sa foi en un avenir souverain et
autocentré, quel système permet aux peuples de choisir
au mieux leur destin ? On s’en remettra volontiers à Paul
Bairoch : «Il n’existe pas de loi en économie globale».
Aucune règle générale, aucune vérité unique. Par
contre, il y a – pluriel ! – des choix politiques.
Erik Rydberg
1. La Libre Belgique, 30 janvier 2003.
2. Le Figaro, 11 décembre 2002.
3. Mythes et paradoxes de l’histoire économique, 1993, éditions La
Découverte & Syros, 1999.
4. En autres «effets pervers» : L’importation de toile de coton anglaise en
Inde au XIXe, notait le gouverneur général dans son rapport de 1834-35,
provoqua une crise des plus aiguës : «Il n’y a pas d’exemple d’une misère
pareille dans l’histoire du commerce, les os des tisserands blanchissent les
plaines de l’Inde.» (K. Marx, Oeuvres, La Pléiade, tome I, p. 966).
5. Financial Times, 15 janvier 2003.
6. «Si, au lieu de récolter le blé chez nous, (...) nous découvrons un nou-
veau marché où nous puissions nous procurer ces objets à meilleur compte ;
dans ce cas les salaires doivent baisser et les profits s’accroître» notait
Ricardo dans ses Principes de l’économie politique, 1819. (Cité par K.
Marx, op.cit., p. 146).
1
GRESEA Échos
N°37
Janvier-février-mars 2003
Édito
Libre-échange ou
libre-protectionnisme ?
UNIVERSITE DES ALTERNATIVES
Programme du Module
LIBRE-ECHANGE OU LIBRE-PROTECTIONNISME ?
Jeudi 6 mars 2003 – 18H00-20H30
Les grandes théories du libre-échange
et du protectionnsime
[ Nicolas Bardos - UCL - GRESEA ]
Le discours en faveur de la libéralisation des échanges est un fait majeur de l’évolution mondiale au cours des dernières décennies. Elle
se traduit non seulement par la création d’ensembles régionaux mais aussi par des tentatives de supprimer tout obstacle aux échanges
au niveau mondial. Cette tendance s’accompagne d’une contestation grandissante de ce que l’on nomme communément la mondiali-
sation.
Il est particulièrement important aujourd’hui de comprendre les ressorts tant du protectionnisme que du libre-échange par un examen
détaillé et précis des arguments des tenants des deux thèses.
Jeudi 13 mars 2003 – 18H00-20H30
Libre-échange, croissance et inégalités, Nord-Sud
Isabelle Bensidoun - Centre d’études prospectives et d’informations internationales - Paris - GRESEA
Les effets d’une économie mondiale ouverte sur la croissance économique sont une source perpétuelle de préoccupations et de contro-
verses. Au-delà de la question générique concernant la relation entre la croissance et l’ouverture du commerce au niveau macro-écono-
mique, se posent diverses sous-questions tout aussi fondamentales. Ainsi, quel bilan global peut-on dresser aujourd’hui des politiques
économiques des pays du Tiers-monde et du rôle qu’a joué ici l’ouverture commerciale ? Quels sont les autres facteurs, que l’ouverture
économique, qui expliquent la croissance ou la non croissance d’un pays ?
Jeudi 20 mars 2003 – 18H30-20H00
La question de l’accès au marché des pays du Nord par les pays du Sud:
pourquoi, comment ?
Thierry Kesteloot - Oxfam - GRESEA
En 2002, Oxfam International lançait sa campagne sur le commerce international sur le thème “Pour un commerce équitable”. En pla-
çant l’accent sur “ les deux poids, deux mesures ” du “ libre-échange ” (protectionnisme des pays industrialisés mais obligation pour les
pays du Sud d’ouvrir leurs marchés aux marchandises du Nord), le rapport d’Oxfam International démontrerait qu’une augmentation,
même modeste, de la part des pays du Tiers-monde dans les exportations mondiales aurait pour résultat un fort potentiel d’augmenta-
tion de leurs revenus et, de ce fait, une réduction appréciable de la pauvreté. Vrai, faux? L’accès au marché - pourquoi ? à quelles condi-
tions - des pays du Nord par les pays du Sud est et demeurera une question brûlante et complexe...
Jeudi 27 mars 2003– 18H00-20H30
L’OMC, “ machine ” du libre-échange / conclusions
Raoul Jennar - Unité de recherche et d’information sur la globalisation - Paris - GRESEA
C’est en plaçant les négociations commerciales successives sous l’égide du GATT que la libéralisation commerciale mondiale a fait de
grands progrès. La libéralisation des échanges de produits industriels étant presque complète, les négociateurs de l’OMC (anciennement
GATT) se tournent vers d’autres domaines, en particulier la libéralisation des échanges de services, la reconnaissance de la propriété
intellectuelle, l’abaissement des barrières non tarifaires aux échanges, les mesures anti-dumping et l’investissement international. En
quoi la libéralisation prévue par l’OMC est-elle coûteuse pour certains pays et/ou certains producteurs ? Qui en sont les bénéficiaires ?
Cette séance, dernière de la série, tentera d’en tirer les conclusions.
Les modules suivants, aux mois de mai, octobre et novembre, traiteront respectivement des questions controversées « Migrations et du
développement », « La gouvernance mondiale » et « Société civile, primauté du droit et lobbying extraparlementaire ». Renseignements
et inscriptions : 02/219.70.76 – [email protected] - www.gresea.be
2GRESEAÉchos N°37
Janvier-février-mars 2003
3
GRESEA Échos
N°37
Janvier-février-mars 2 0 0 3
Oxfam International a publié en 2002
un volumineux rapport (294 pages) 1
sur le commerce international et ses
liens avec la pauvreté. Le rapport est
intitulé Deux poids, deux mesures
pour mettre l’accent sur le fait que les
pays dévelops adoptent des
m e s u res de politique économique
contraires à ce qu’ils exigent des pays
en voie de développement (par le
biais de l’Organisation mondiale du
commerce, OMC, entre autres).
Mais l’essentiel de ce rapport tourne
autour du thème : “Il est nécessaire de
créer les conditions d’un partage plus
équitable des énormes bénéfices tirés
du commerce” (extrait de la préface
de Amartya Sen).
Le résumé du rapport se termine de la
manière suivante, qui présente bien
nous semble-t-il, ce qui constitue le
fond de la flexion dOxfam
International :“De la même manière
que dans toute économie nationale,
l’intégration économique internatio-
nale peut être soit une source de pros-
périté partagée et de réduction de la
pauvreté, soit une cause d’accroisse-
ment des inégalités et de l’exclusion.
Bien géré, le système commerc i a l
international pourrait permettre à des
millions de gens de quitter leur état
de pauvreté. Dans le cas contraire, il
aggravera la marginalisation d’écono-
mies entières. Cela est également vrai
au niveau national. Une bonne gou-
vernance peut transformer le com-
m e rce en un instrument de lutte
contre la pauvreté, alors qu’une mau-
vaise gouvernance peut nuire aux
intéts des plus pauvre s .
Actuellement, le commerce est mal
géré au niveau mondial et, dans beau-
coup de pays, également au niveau
national. Il n’est pas pensable de
continuer dans cette voie. Cependant
un retour à l’isolationnisme ne serait
pas plus satisfaisant : il priverait les
plus pauvres des opportunités offertes
par le commerce et neutraliserait une
force de réduction de la pauvreté.
C’est pourquoi nous avons besoin
d’un nouvel ordre commercial mon-
dial, fondé sur une nouvelle approche
des droits et responsabilités et une
volonté réelle de mettre la mondiali-
sation au service des populations les
plus démunies”.
La thèse de la politique
d’exportations
Pour comprendre l’approche d’Oxfam
International, il faut donc bien partir
de cette conviction que l’extension du
c o m m e rce international est “inévi-
table” et qu’il faut donc agir pour que
la manière de “ fonctionner ” du com-
merce international soit favorable aux
pauvres.
La première démarche consiste à dire
que : “La lutte contre la pauvreté par
le commerce est subordonnée à l’ac-
cès des pays pauvres aux marchés des
pays riches ou encore que : “si
l’Afrique, l’Asie du Sud-Est, le sous
continent indien et l’Amérique latine
devaient chacun augmenter leur part
des exportations mondiales de 1%, le
gain qui en résulterait pourrait faire
sortir 128 millions de personnes de la
pauvreté”.
Oxfam International développe lon-
guement cette thèse et met l’accent
en particulier (comme le titre de l’ou-
vrage le montre) sur l’hypocrisie et la
duplicité des pays riches, en ce qui
concerne la liberté des échanges.
L’affirmation d’Oxfam selon laquelle
il “pourrait” résulter d’énormes avan-
tages pour les pauvres (des pays
pauvres) si les pays en développe-
ment pouvaient vraiment accéder aux
marchés des pays riches, est celle qui
est la plus controversée, non seule-
ment parce qu’elle a été considérée
comme irréaliste et comme apportant
de l’eau au moulin de l’OMC, mais
parce qu’elle sous-estime les consé-
quences sociales et iologiques
dune politique tournée vers les
exportations.
Nous reproduisons ici les arguments
très forts à l’encontre de la thèse
d’Oxfam International, tels qu’ils sont
exprimés par des port e - p a role du
Tiers-monde (voir plus loin l’article
de Vandana Shiva.) Il faut bien dire
A propos d’un rapport
controversé
René De Schutter
G R E S E A
“ Il est manifeste que, dans de nom-
breux pays, l’expansion du commerce
a souvent eu pour résultat que les
pauvres soient laissés pour compte et a
provoqué l’intensification de l’exploi-
tation des employés et de l’environne-
ment annihilant ainsi les espoirs de
développement humain. Si l’on ne
parvient pas à lier l’intégration aux
marchés internationaux à une straté-
gie plus équitable de redistribution des
biens, les pauvres seront encore
davantage marginalisés, même dans
les pays qui ont un taux de croissan-
ce économique élevé ”.
4GRESEAÉchos N°37
Janvier-février-mars 2003
Un rapport
controversé
que ce plaidoyer pour une politique
tournée vers les exportations non seu-
lement soulève les questions de fond
et d’opportunité politique (comme
soutien apparent aux thèses de
l’OMC), mais est entouré de telle-
ment de “conditions” pour qu’il
devienne réalité, qu’il apparaît un peu
surréaliste.
Un large tour d’horizon
Si la question de la promotion des
e x p o rtations des pays en voie de
développement comme moyen de
réduire la pauvreté reste très contro-
versée, il y a dans le document
d’Oxfam International un large tour
d’horizon des autres problèmes que
posent les rapports Nord-Sud.
Oxfam International montre, à juste
titre nous semble-t-il, que les pays du
Nord ont de facto “triché” pour ce qui
c o n c e r ne l’Accord Multifibres et
continuent à biaiser pour ce qui
concerne les subventions aux expor-
tations des produits agricoles.
La question du rôle des multinatio-
nales est abordée par un examen cri-
tique de ce que signifient pour le Sud
les Investissements Directs Etrangers
: le caractère insuffisant des codes de
conduite adoptés par un cert a i n
nombre de multinationales conduit
Oxfam International à proposer en la
matière une réglementation contrai-
gnante. “ Les gouvernements du Nord
devraient établir (en suivant leurs
directives pour les Entreprises multi-
nationales) des mécanismes plus effi-
caces pour l’analyse, le contrôle et le
suivi, afin de tenir les entreprises mul-
tinationales responsables de leurs
actions dans les pays en développe-
ment”.
Les gouvernements, estime encore
Oxfam International, devraient éta-
blir un protocole international juridi-
quement contraignant, basé sur les
Principes des Nations Unies sur les
Droits humains pour les Entreprises
commerciales (actuellement à l’état
de projet) afin de régir la production,
le commerce et la consommation.
Le rapport d’Oxfam aborde égale-
ment les règles du commerce interna-
tional et en particulier celles de
l’OMC. “De bonnes règles en matière
de commerce international peuvent
créer un cadre favorable à la diminu-
tion de la pauvreté. De mauvaises
règles auront l’effet inverse. Elles peu-
vent empêcher les gouvern e m e n t s
d’élaborer les stratégies nécessaires
pour faire ouvrir le commerce en
faveur des pauvres. Nombre des dis-
positions de l’OMC sont de mau-
vaises règles”.
Et le rapport de critiquer en particu-
lier l’accord ADPIC (sur la propriété
intellectuelle) et les accords AGCS
sur le commerce des services. A pro-
pos de l’ADPIC par exemple Oxfam
International déclare que : “L’accord
ADPIC constitue un acte de fraude
institutionnalisé sanctionné par les
règles de l’OMC… Les pays en déve-
loppement perdront près de 40 mil-
liards de dollars par an, sous forme de
paiements de licences supplémen-
taires aux entreprises transnationales
basées dans les pays du Nord”.
Le rapport aborde également la ques-
tion des matières premières et, last
but not least, la cessité des
réformes nationales (comme la réfor-
me agraire, les inégalités de reve-
nus…) au niveau de chaque pays en
voie de développement.
De la nécessité du
dialogue
Les thèmes du rapport d’Oxfam
International sont vitaux et c’est donc
une bonne chose qu’une organisation
aussi importante qu’Oxfam
International aie mis noir sur blanc ce
qu’elle en pense et ce qu’elle pense
qu’il faut en faire. Même si dans plu-
sieurs domaines, les orientations pro-
posées sont et doivent être contes-
tées.
Il n’empêche que la communauté des
ONG a tout intérêt à entamer sur ces
d i ff é rents thèmes un dialogue
constructif, où il ne s’agit pas de
compter les perdants et les gagnants,
mais de faire avancer d’abord la
réflexion et les solutions les plus adé-
quates ensuite.
On regrettera d’autant plus le ton un
peu professionnel, un peu “il n’y a
qu’à…” que prend parfois le rapport
d’Oxfam. On regrettera en particulier
la présentation un peu sommaire et
caricaturale du monde des pro et anti-
mondialisation. Mais ça ne devrait
pas empêcher le dialogue de se pour-
suivre ou de s’ouvrir sur ces différents
thèmes”. C’est aussi ce que le GRE-
SEA espère pouvoir faire en organi-
sant l’Université des Alternatives.
1. “Deux poids, deux mesures”, Commerce, glo-
balisation et lutte contre la pauvreté, Oxfam
International, mai 2002.
P rotectionnisme : p o l i t i q u e d e
p rotection de la pro d u c t i o n
nationale contre la concurrence
é t r a n g è re, notamment par des
m e s u res douanières. (Le Petit
Larousse illustré –1996)
Protectionnisme : politique éco-
n o m i q u e qui vise à pro t é g e r
l’économie nationale contre la
c o n c u rrence étrangère par des
mesures diverses (droits de doua-
ne, contingents, formalités admi-
nistratives, normes, etc.) (le Petit
Robert 2002)
Le protectionnisme est l ’ e n-
semble des mesures d’origine
étatique qui consistent à limiter,
à interd i re, à contrôler ou à
influencer les échanges interna-
tionaux. Le protectionnisme est
donc le résultat d’un pouvoir de
contrainte publique qui vient
i n t e rf é rer avec les pro c e s s u s
d’échange fondés sur la libre
volonté de ceux qui sont directe-
ment concernés par ces échanges.
(Salin P., « libre-échange et pro-
tectionnisme », PUF, Paris, 1991)
5
GRESEA Échos
N°37
Janvier-février-mars 2 0 0 3
Pour pouvoir penser l'Economie intern a-
tionale, nationale et régionale (désorm a i s
en abgé : EINR), il s'agit d'en examiner
les eff o rts séculaires de théorisation. Dans
cette perspective, il convient d'indiquer
dans quelle acceptation générale nous
évoquons les termes de “commerce” ou de
“ relations économiqueslorsqu'il s'agit des
r a p p o rts entre Nations ou à l'intérieur des
Nations. Par ailleurs, le concept de l'espa-
ce économique permet d'intro d u i r e un
double scma d'interprétation qui psi-
dera à la compréhension des diverses
théories de l'EINR. Enfin, une explication
brève formule une hypothèse quant aux
conditions cessaires à l'avènement des
“ c o n s t r uctions” théoriques dont l’étude
constitue l’essentiel du présent art i c l e 1.
D’où vient le commerce ?
Les études anthropologiques et histo-
riques vèlent, avec une clarté suff i s a n t e ,
que le commerce ne se développe qu'entre
personnes, groupes de personnes ou com-
munaus vivant à des niveaux de déve-
loppement économiques diff é re n t s .
L'activimarchande n'apparaît qu'avec la
possibili d'exploiter les diff é rences de
s t ru c t u res de pro d u c t i o n .
Le développement économique inégal se
t rouverait donc à l'origine de lpanouisse-
ment du commerce. Ainsi, dans beaucoup
de sociétés primitives ou anciennes, le
c o m m e rce surgit sous la forme du “com-
merçant étranger” venu d'une socté plus
avancée. Le capital marchand que ce com-
m e r ce postule incarne lconomie moné-
t a i re naissante au milieu d'une économie
fondée essentiellement sur l'autopro d u c -
tion et l'autoconsommation. Le dévelop-
pement igal des économies pro v o q u e
r é g u l i è rement des renversements plus ou
moins rapides des courants initiateurs du
c o m m e rc e .
Si nous admettons cette position, il en
sulte quatre conquences qui méritent
d ' ê t re mises en évidence :
le commerce professionnel est le sultat
d'une division du travail. Celle-ci évite
aux producteurs les pertes que leur aurait
caue l'interruption de la production en
vue de la vente de leurs produits. Aussi,
historiquement, au fur et à mesure que
s'étend le mode de production de plus en
plus moderne et capitaliste et que la pro-
duction de marchandises (biens qui ne
sont plus destinés à l'auto- consommation)
se néralise, les villes et villages sont cou-
v e r ts d'unseau de plus en plus dense de
comptoirs en gros et en tail et le com-
m e r ce ambulant s'élarg i t .
Avec le temps, la socté ancienne ou
primitive se désagrège quasi complète-
ment. Les relations d'échanges et la divi-
sion du travail se ralisent. La notion
d'équivalence de valeurs, bae sur la
m e s u re du temps de travail, l'emporte sur
la notion d'entraide qui caracrisait pré-
cédemment ce genre de société; ces évo-
lutions ne sont cependant jamais fini-
tives et des renversements restent parf a i t e-
ment possibles (c'est le principe de la
versibili ! celle de Rome en clin
après le IVe scle ou celle de l'Afrique en
colonisation au XXe scle).
La monnaie et le crédit apparaissent
simultanément comme moyen de circ u l a-
tion, de serve et de numéraire. Ils jouent
le le de compensateur duveloppe-
ment inégal de la production chez les dif-
f é rents producteurs de la me commu-
nauté ou des communautés en contact.
O r, dans une économie monétaire, qui
s'appuie toujours sur un pouvoir étatique,
la monnaie, et s lors le cdit, ne sont
pas seulement un instrument de l'échange
et de l'unité de compte. Elle devient éga-
lement une sorte de marchandise. Le com-
m e r ce de l'argent se sépare pro g re s s i v e -
ment du commerce pro p rement dit et pro-
voque la naissance des banques.
L'apparition du commerce s'accom-
pagne finalement de l'introduction (par les
m i s s i o n n a i res ou les business schools) de
schémas culturels et de modèles de
consommation qui facilitent précisément
la pénétration commerciale de l'économie
plus forte dans celle qui est plus faible.
Or ces conséquences montrent le rôle des
dualités et des inégalités économiques
multiples (entre secteurs, régions, classes,
etc.), la nature du commerce où la vente
joue un rôle déterminant et, avec le com-
m e rce, l'expansion simultanée des institu-
tions monétaires et financières. Par
ailleurs, avec le développement igal
rendu possible et mis à profit par le com-
m e rce mais prenant des ampleurs de plus
en plus grandes, les commerces intérieur
ou interrégional et le commerce extérieur
sont pro g ressivement devenus des réalis
distinctes. Cette évolution prenait appui
sur l'avènement des Nations, des Etats
dont le développement s'arait toujours
i n é g a l .
Deux schémas
d'interprétation de l'EINR
A la lecture des doctrines économiques, il
apparaît avec évidence que les divers théo-
riciens qui réfléchissent à propos de
l'EINR la considèrent de deux manière s
totalement distinctes.
Un premier scma d'interprétation à tra-
vers lequel sont examinés les échanges
i n t e rnationaux est basé sur l'analyse du
seul processus de circulation des marc h a n -
Nicolas
Bárdos-Féltoronyi
p rofesseur émérite de l’Universi
catholique de Louvain
Théories économiques
et le libre-échange
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