Édito Libre-échange ou libre-protectionnisme

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Édito
Libre-échange ou
libre-protectionnisme ?
Pourquoi consacrer du temps à la question du libreéchange et du protectionnisme ? La vie est courte et il y
a peut-être plus joyeux à faire.
Si le Gresea – Groupe de recherche pour une stratégie
économique alternative – a placé cette controverse en
exergue des travaux de son Université des Alternatives,
c’est, pour y apporter une réponse facile, en raison de
l’actualité.
Actualité que le coup de tonnerre qui vient de s’abattre
sur les métallos de Cockerill. Le libre-échange, pour
faire court, a décrété que ces travailleurs sont économiquement inutiles : on produit moins cher la même chose
ailleurs. Le caractère inéluctable du bain de sang social
a inspiré à l’historien Robert Halleux ce commentaire :
«La dynamique du système capitaliste aboutit à la mondialisation. Sur ce point, les analystes libéraux concordent avec l’analyste marxiste que je suis. Et ce ne sont
pas les zozos de Porto Alegre qui changeront cela.1»
C’est un point de vue.
Actualité encore que le rapport Deux poids, deux
mesures d’Oxfam International qui ne cesse depuis mai
2002 de susciter la polémique. Là, c’est l’idée, pour caricaturer, que le Tiers-monde a besoin de libre-échange et
que les marchés du Nord doivent s’ouvrir à ses exportations, ce qui est une manière de dire que le commerce
international peut être une bonne chose, postulat qu’on
retrouve aussi, entre les lignes, dans les plaidoyers pour
le commerce équitable. C’est pourtant – car les lectures
du libre-échange sont multiples et sujettes à d’impitoyables rapports de force – ce même objectif de libreéchange mondialisé que le prix Nobel de sciences économiques Maurice Allais dénonce comme une des doctrines les plus désastreuses pour l’humanité car, tuant
partout l’emploi et la croissance, elle sert essentiellement de prétexte au transfert, au bénéfice des seules
multinationales, de « leur production partout dans le
monde afin de profiter systématiquement des plus bas
salaires.2» C’est un autre point de vue.
On peut s’arrêter un moment, là, mamzelle l’institutrice ?
C’est l’ambition de l’Université des Alternatives du
Gresea. Marquer une pause pour prendre du recul et
tenter de comprendre : qu’est-ce que le libre-échange et
qu’est-ce que son contraire, le protectionnisme, sur
quels arbres ces fruits étranges ont-ils pu croître ?
Etudiés sous cet angle, ces notions livreront quelques
surprises. Dans son survol des mythes économiques3,
Paul Bairoch affirme que, jamais, le libre-échange n’a
mérité le qualificatif de «moteur de la croissance». Que
du contraire : imposé au Sud au titre de politique colo-
niale, il y sera cause d’une fatale désindustrialisation4
alors que, aux Etats-Unis, «patrie et bastion du protectionnisme moderne», c’est le mécanisme inverse qui a
assuré l’essor industriel, on l’a encore vu l’an dernier,
lorsque Washington a hérissé sa métallurgie de barrières
tarifaires protectrices. Citons Wilbur Ross, président de
l’International Steel Group (USA), qui estime que ces
tarifs ont permis «de disloquer les importations étrangères et de renouer avec nos clients. La mesure était à
100% vitale.5» La US Steel n’est pas Cockerill.
Né en 1846 avec l’abandon par le Royaume-Uni des
protections de son secteur céréalier (mesure visant en
réalité à faire baisser le prix du pain et, partant, les
salaires des ouvriers6), le libre-échange voit le jour –
déjà ! – sous les pressions d’un lobby industriel, l’AntiCorn Law League, et, en 1860, avec le traité de commerce franco-anglais, effectue sa percée à l’issue de
négociations secrètes visant – déjà ! – à «éviter un vote
au parlement» et «contre la volonté de la plupart des
dirigeants des divers secteurs de l’économie» française.
C’est dire que le «débat Oxfam» n’est pas neuf...
La controverse reste ouverte. Du libre-échange mondialisé avec son primat donné à la marchandise et du libreprotectionnisme avec sa foi en un avenir souverain et
autocentré, quel système permet aux peuples de choisir
au mieux leur destin ? On s’en remettra volontiers à Paul
Bairoch : «Il n’existe pas de loi en économie globale».
Aucune règle générale, aucune vérité unique. Par
contre, il y a – pluriel ! – des choix politiques.
Erik Rydber g
1. La Libre Belgique, 30 janvier 2003.
2. Le Figaro, 11 décembre 2002.
3. Mythes et paradoxes de l’histoire économique, 1993, éditions La
Découverte & Syros, 1999.
4. En autres «effets pervers» : L’importation de toile de coton anglaise en
Inde au XIXe, notait le gouverneur général dans son rapport de 1834-35,
provoqua une crise des plus aiguës : «Il n’y a pas d’exemple d’une misère
pareille dans l’histoire du commerce, les os des tisserands blanchissent les
plaines de l’Inde.» (K. Marx, Oeuvres, La Pléiade, tome I, p. 966).
5. Financial Times, 15 janvier 2003.
6. «Si, au lieu de récolter le blé chez nous, (...) nous découvrons un nouveau marché où nous puissions nous procurer ces objets à meilleur compte ;
dans ce cas les salaires doivent baisser et les profits s’accroître» notait
Ricardo dans ses Principes de l’économie politique, 1819. (Cité par K.
Marx, op.cit., p. 146).
N°37
Janvier-février-mars 2003
GRESEA Échos
1
UNIVERSITE DES ALTERNATIVES
Programme du Module
LIBRE-ECHANGE OU LIBRE-PROTECTIONNISME ?
Jeudi 6 mars 2003 – 18H00-20H30
Les grandes théories du libre-échange
et du protectionnsime
[ Nicolas Bardos - UCL - GRESEA ]
Le discours en faveur de la libéralisation des échanges est un fait majeur de l’évolution mondiale au cours des dernières décennies. Elle
se traduit non seulement par la création d’ensembles régionaux mais aussi par des tentatives de supprimer tout obstacle aux échanges
au niveau mondial. Cette tendance s’accompagne d’une contestation grandissante de ce que l’on nomme communément la mondialisation.
Il est particulièrement important aujourd’hui de comprendre les ressorts tant du protectionnisme que du libre-échange par un examen
détaillé et précis des arguments des tenants des deux thèses.
Jeudi 13 mars 2003 – 18H00-20H30
Libre-échange, croissance et inégalités, Nord-Sud
Isabelle Bensidoun - Centre d’études prospectives et d’informations internationales - Paris - GRESEA
Les effets d’une économie mondiale ouverte sur la croissance économique sont une source perpétuelle de préoccupations et de controverses. Au-delà de la question générique concernant la relation entre la croissance et l’ouverture du commerce au niveau macro-économique, se posent diverses sous-questions tout aussi fondamentales. Ainsi, quel bilan global peut-on dresser aujourd’hui des politiques
économiques des pays du Tiers-monde et du rôle qu’a joué ici l’ouverture commerciale ? Quels sont les autres facteurs, que l’ouverture
économique, qui expliquent la croissance ou la non croissance d’un pays ?
Jeudi 20 mars 2003 – 18H30-20H00
La question de l’accès au marché des pays du Nord par les pays du Sud:
pourquoi, comment ?
Thierry Kesteloot - Oxfam - GRESEA
En 2002, Oxfam International lançait sa campagne sur le commerce international sur le thème “Pour un commerce équitable”. En plaçant l’accent sur “ les deux poids, deux mesures ” du “ libre-échange ” (protectionnisme des pays industrialisés mais obligation pour les
pays du Sud d’ouvrir leurs marchés aux marchandises du Nord), le rapport d’Oxfam International démontrerait qu’une augmentation,
même modeste, de la part des pays du Tiers-monde dans les exportations mondiales aurait pour résultat un fort potentiel d’augmentation de leurs revenus et, de ce fait, une réduction appréciable de la pauvreté. Vrai, faux? L’accès au marché - pourquoi ? à quelles conditions - des pays du Nord par les pays du Sud est et demeurera une question brûlante et complexe...
Jeudi 27 mars 2003– 18H00-20H30
L’OMC, “ machine ” du libre-échange / conclusions
Raoul Jennar - Unité de recherche et d’information sur la globalisation - Paris - GRESEA
C’est en plaçant les négociations commerciales successives sous l’égide du GATT que la libéralisation commerciale mondiale a fait de
grands progrès. La libéralisation des échanges de produits industriels étant presque complète, les négociateurs de l’OMC (anciennement
GATT) se tournent vers d’autres domaines, en particulier la libéralisation des échanges de services, la reconnaissance de la propriété
intellectuelle, l’abaissement des barrières non tarifaires aux échanges, les mesures anti-dumping et l’investissement international. En
quoi la libéralisation prévue par l’OMC est-elle coûteuse pour certains pays et/ou certains producteurs ? Qui en sont les bénéficiaires ?
Cette séance, dernière de la série, tentera d’en tirer les conclusions.
Les modules suivants, aux mois de mai, octobre et novembre, traiteront respectivement des questions controversées « Migrations et du
développement », « La gouvernance mondiale » et « Société civile, primauté du droit et lobbying extraparlementaire ». Renseignements
et inscriptions : 02/219.70.76 – [email protected] - www.gresea.be
2
GRESEA Échos
N°37
Janvier-février-mars 2003
René De Schutter
GRESEA
Oxfam International a publié en 2002
un volumineux rapport (294 pages) 1
sur le commerce international et ses
liens avec la pauvreté. Le rapport est
intitulé Deux poids, deux mesures
pour mettre l’accent sur le fait que les
pays développés adoptent des
mesures de politique économique
contraires à ce qu’ils exigent des pays
en voie de développement (par le
biais de l’Organisation mondiale du
commerce, OMC, entre autres).
Mais l’essentiel de ce rapport tourne
autour du thème : “Il est nécessaire de
créer les conditions d’un partage plus
équitable des énormes bénéfices tirés
du commerce” (extrait de la préface
de Amartya Sen).
Le résumé du rapport se termine de la
manière suivante, qui présente bien
nous semble-t-il, ce qui constitue le
fond de la réflexion d’Oxfam
International :“De la même manière
que dans toute économie nationale,
l’intégration économique internationale peut être soit une source de prospérité partagée et de réduction de la
pauvreté, soit une cause d’accroissement des inégalités et de l’exclusion.
Bien géré, le système commercial
international pourrait permettre à des
millions de gens de quitter leur état
de pauvreté. Dans le cas contraire, il
aggravera la marginalisation d’écono mies entières. Cela est également vrai
au niveau national. Une bonne gouvernance peut transformer le commerce en un instrument de lutte
contre la pauvreté, alors qu’une mauvaise gouvernance peut nuire aux
intérêts
des
plus
pauvres.
Actuellement, le commerce est mal
A propos d’un rapport
controversé
géré au niveau mondial et, dans beaucoup de pays, également au niveau
national. Il n’est pas pensable de
continuer dans cette voie. Cependant
un retour à l’isolationnisme ne serait
pas plus satisfaisant : il priverait les
plus pauvres des opportunités offertes
par le commerce et neutraliserait une
force de réduction de la pauvreté.
C’est pourquoi nous avons besoin
d’un nouvel ordre commercial mondial, fondé sur une nouvelle approche
des droits et responsabilités et une
volonté réelle de mettre la mondialisation au service des populations les
plus démunies”.
La thèse de la politique
d’exportations
Pour comprendre l’approche d’Oxfam
International, il faut donc bien partir
de cette conviction que l’extension du
commerce international est “inévitable” et qu’il faut donc agir pour que
la manière de “ fonctionner ” du commerce international soit favorable aux
pauvres.
La première démarche consiste à dire
que : “La lutte contre la pauvreté par
le commerce est subordonnée à l’accès des pays pauvres aux marchés des
pays riches” ou encore que : “si
l’Afrique, l’Asie du Sud-Est, le sous
continent indien et l’Amérique latine
devaient chacun augmenter leur part
des exportations mondiales de 1%, le
gain qui en résulterait pourrait faire
sortir 128 millions de personnes de la
pauvreté”.
Oxfam International développe longuement cette thèse et met l’accent
en particulier (comme le titre de l’ouvrage le montre) sur l’hypocrisie et la
duplicité des pays riches, en ce qui
concerne la liberté des échanges.
L’affirmation d’Oxfam selon laquelle
il “pourrait” résulter d’énormes avantages pour les pauvres (des pays
pauvres) si les pays en développement pouvaient vraiment accéder aux
marchés des pays riches, est celle qui
est la plus controversée, non seulement parce qu’elle a été considérée
comme irréaliste et comme apportant
de l’eau au moulin de l’OMC, mais
parce qu’elle sous-estime les conséquences sociales et idéologiques
d’une politique tournée vers les
exportations.
Nous reproduisons ici les arguments
très forts à l’encontre de la thèse
d’Oxfam International, tels qu’ils sont
exprimés par des porte-parole du
Tiers-monde (voir plus loin l’article
de Vandana Shiva.) Il faut bien dire
“ Il est manifeste que, dans de nombreux pays, l’expansion du commerce
a souvent eu pour résultat que les
pauvres soient laissés pour compte et a
provoqué l’intensification de l’exploitation des employés et de l’environnement annihilant ainsi les espoirs de
développement humain. Si l’on ne
parvient pas à lier l’intégration aux
marchés internationaux à une stratégie plus équitable de redistribution des
biens, les pauvres seront encore
davantage marginalisés, même dans
les pays qui ont un taux de croissan ce économique élevé ”.
N°37
Janvier-février-mars2003
GRESEA Échos
3
Un rapport
controversé
que ce plaidoyer pour une politique
tournée vers les exportations non seulement soulève les questions de fond
et d’opportunité politique (comme
soutien apparent aux thèses de
l’OMC), mais est entouré de tellement de “conditions” pour qu’il
devienne réalité, qu’il apparaît un peu
surréaliste.
Un large tour d’horizon
Si la question de la promotion des
exportations des pays en voie de
développement comme moyen de
réduire la pauvreté reste très controversée, il y a dans le document
d’Oxfam International un large tour
d’horizon des autres problèmes que
posent les rapports Nord-Sud.
Oxfam International montre, à juste
titre nous semble-t-il, que les pays du
Nord ont de facto “triché” pour ce qui
concerne l’Accord Multifibres et
continuent à biaiser pour ce qui
concerne les subventions aux exportations des produits agricoles.
La question du rôle des multinationales est abordée par un examen critique de ce que signifient pour le Sud
les Investissements Directs Etrangers
: le caractère insuffisant des codes de
conduite adoptés par un certain
nombre de multinationales conduit
Oxfam International à proposer en la
matière une réglementation contraignante. “ Les gouvernements du Nord
devraient établir (en suivant leurs
directives pour les Entreprises multinationales) des mécanismes plus efficaces pour l’analyse, le contrôle et le
suivi, afin de tenir les entreprises multinationales responsables de leurs
actions dans les pays en développement”.
Les gouvernements, estime encore
Oxfam International, devraient établir un protocole international juridiquement contraignant, basé sur les
Principes des Nations Unies sur les
Droits humains pour les Entreprises
commerciales (actuellement à l’état
de projet) afin de régir la production,
4
GRESEA Échos
N°37
Protectionnisme : politique de
protection de la production
nationale contre la concurrence
étrangère, notamment par des
mesures douanières. (Le Petit
Larousse illustré –1996)
Protectionnisme : politique économique qui vise à protéger
l’économie nationale contre la
concurrence étrangère par des
mesures diverses (droits de douane, contingents, formalités administratives, normes, etc.) (le Petit
Robert 2002)
Le protectionnisme est l’ensemble des mesures d’origine
étatique qui consistent à limiter,
à interdire, à contrôler ou à
influencer les échanges internationaux. Le protectionnisme est
donc le résultat d’un pouvoir de
contrainte publique qui vient
interférer avec les processus
d’échange fondés sur la libre
volonté de ceux qui sont directement concernés par ces échanges.
(Salin P., « libre-échange et protectionnisme », PUF, Paris, 1991)
le commerce et la consommation.
Le rapport d’Oxfam aborde également les règles du commerce international et en particulier celles de
l’OMC. “De bonnes règles en matière
de commerce international peuvent
créer un cadre favorable à la diminution de la pauvreté. De mauvaises
règles auront l’effet inverse. Elles peuvent empêcher les gouvernements
d’élaborer les stratégies nécessaires
pour faire ouvrir le commerce en
faveur des pauvres. Nombre des dispositions de l’OMC sont de mauvaises règles”.
Et le rapport de critiquer en particulier l’accord ADPIC (sur la propriété
intellectuelle) et les accords AGCS
sur le commerce des services. A propos de l’ADPIC par exemple Oxfam
International déclare que : “L’accord
ADPIC constitue un acte de fraude
institutionnalisé sanctionné par les
Janvier-février-mars 2003
règles de l’OMC… Les pays en développement perdront près de 40 milliards de dollars par an, sous forme de
paiements de licences supplémentaires aux entreprises transnationales
basées dans les pays du Nord”.
Le rapport aborde également la question des matières premières et, last
but not least, la nécessité des
réformes nationales (comme la réforme agraire, les inégalités de revenus…) au niveau de chaque pays en
voie de développement.
De la nécessité du
dialogue
Les thèmes du rapport d’Oxfam
International sont vitaux et c’est donc
une bonne chose qu’une organisation
aussi
importante
qu’Oxfam
International aie mis noir sur blanc ce
qu’elle en pense et ce qu’elle pense
qu’il faut en faire. Même si dans plusieurs domaines, les orientations proposées sont et doivent être contestées.
Il n’empêche que la communauté des
ONG a tout intérêt à entamer sur ces
différents thèmes un dialogue
constructif, où il ne s’agit pas de
compter les perdants et les gagnants,
mais de faire avancer d’abord la
réflexion et les solutions les plus adéquates ensuite.
On regrettera d’autant plus le ton un
peu professionnel, un peu “il n’y a
qu’à…” que prend parfois le rapport
d’Oxfam. On regrettera en particulier
la présentation un peu sommaire et
caricaturale du monde des pro et antimondialisation. Mais ça ne devrait
pas empêcher le dialogue de se poursuivre ou de s’ouvrir sur ces différents
thèmes”. C’est aussi ce que le GRESEA espère pouvoir faire en organisant l’Université des Alternatives.
1. “Deux poids, deux mesures”, Commerce, globalisation et lutte contre la pauvreté, Oxfam
International, mai 2002.
Nicolas
Bárdos-Féltoronyi
professeur émérite de l’Université
catholique de Louvain
Pour pouvoir penser l'Economie internationale, nationale et régionale (désormais
en abrégé : EINR), il s'agit d'en examiner
les efforts séculaires de théorisation. Dans
cette perspective, il convient d'indiquer
dans quelle acceptation générale nous
évoquons les termes de “commerce” ou de
“relations économiques” lorsqu'il s'agit des
rapports entre Nations ou à l'intérieur des
Nations. Par ailleurs, le concept de l'espace économique permet d'introduire un
double schéma d'interprétation qui présidera à la compréhension des diverses
théories de l'EINR. Enfin, une explication
brève formule une hypothèse quant aux
conditions nécessaires à l'avènement des
“constructions” théoriques dont l’étude
constitue l’essentiel du présent article1.
D’où vient le commerce ?
Les études anthropologiques et historiques révèlent, avec une clarté suffisante,
que le commerce ne se développe qu'entre
personnes, groupes de personnes ou communautés vivant à des niveaux de développement économiques différents.
L'activité marchande n'apparaît qu'avec la
possibilité d'exploiter les différences de
structures de production.
Le développement économique inégal se
trouverait donc à l'origine de l'épanouissement du commerce. Ainsi, dans beaucoup
de sociétés primitives ou anciennes, le
commerce surgit sous la forme du “commerçant étranger” venu d'une société plus
avancée. Le capital marchand que ce commerce postule incarne l'économie monétaire naissante au milieu d'une économie
fondée essentiellement sur l'autoproduction et l'autoconsommation. Le développement inégal des économies provoque
régulièrement des renversements plus ou
moins rapides des courants initiateurs du
commerce.
Théories économiques
et le libre-échange
Si nous admettons cette position, il en
résulte quatre conséquences qui méritent
d'être mises en évidence :
• le commerce professionnel est le résultat
d'une division du travail. Celle-ci évite
aux producteurs les pertes que leur aurait
causée l'interruption de la production en
vue de la vente de leurs produits. Aussi,
historiquement, au fur et à mesure que
s'étend le mode de production de plus en
plus moderne et capitaliste et que la production de marchandises (biens qui ne
sont plus destinés à l'auto- consommation)
se généralise, les villes et villages sont couverts d'un réseau de plus en plus dense de
comptoirs en gros et en détail et le commerce ambulant s'élargit.
• Avec le temps, la société ancienne ou
primitive se désagrège quasi complètement. Les relations d'échanges et la division du travail se généralisent. La notion
d'équivalence de valeurs, basée sur la
mesure du temps de travail, l'emporte sur
la notion d'entraide qui caractérisait précédemment ce genre de société; ces évolutions ne sont cependant jamais définitives et des renversements restent parfaitement possibles (c'est le principe de la
réversibilité ! celle de Rome en déclin
après le IVe siècle ou celle de l'Afrique en
décolonisation au XXe siècle).
• La monnaie et le crédit apparaissent
simultanément comme moyen de circulation, de réserve et de numéraire. Ils jouent
le rôle de compensateur du développement inégal de la production chez les différents producteurs de la même communauté ou des communautés en contact.
Or, dans une économie monétaire, qui
s'appuie toujours sur un pouvoir étatique,
la monnaie, et dès lors le crédit, ne sont
pas seulement un instrument de l'échange
et de l'unité de compte. Elle devient également une sorte de marchandise. Le commerce de l'argent se sépare progressivement du commerce proprement dit et provoque la naissance des banques.
• L'apparition du commerce s'accompagne finalement de l'introduction (par les
missionnaires ou les business schools) de
schémas culturels et de modèles de
consommation qui facilitent précisément
la pénétration commerciale de l'économie
plus forte dans celle qui est plus faible.
Or ces conséquences montrent le rôle des
dualités et des inégalités économiques
multiples (entre secteurs, régions, classes,
etc.), la nature du commerce où la vente
joue un rôle déterminant et, avec le commerce, l'expansion simultanée des institutions monétaires et financières. Par
ailleurs, avec le développement inégal
rendu possible et mis à profit par le commerce mais prenant des ampleurs de plus
en plus grandes, les commerces intérieur
ou interrégional et le commerce extérieur
sont progressivement devenus des réalités
distinctes. Cette évolution prenait appui
sur l'avènement des Nations, des Etats
dont le développement s'avérait toujours
inégal.
Deux schémas
d'interprétation de l'EINR
A la lecture des doctrines économiques, il
apparaît avec évidence que les divers théoriciens qui réfléchissent à propos de
l'EINR la considèrent de deux manières
totalement distinctes.
Un premier schéma d'interprétation à travers lequel sont examinés les échanges
internationaux est basé sur l'analyse du
seul processus de circulation des marchan-
N°37
Janvier-février-mars2003
GRESEA Échos
5
Théories
économiques
dises entre des régions/pays A et B; entre
la région/pays A et le "restant du monde".
Cette analyse ne pose pas le problème de
l'origine ou de la localisation des facteurs
de production en développement inégal.
Le schéma est dominé par une frontière de
type administratif, douanier ou monétaire
de part et d'autre de laquelle, interviennent divers acteurs : les exportateurs et
importateurs, les banques commerciales et
centrales, les flux simples de fournitures et
de paiements, et les pouvoirs publics.
Un deuxième schéma s'appuie sur l'analyse du processus de production et de circulation des marchandises dans le contexte
de l'EINR. Il consiste à réfléchir non seulement en termes de produits et de prix
mais aussi en termes de firmes ou groupes
de firmes autant qu'en termes de secteurs
et de branches d'activités. Dans cette perspective, les structures de production, les
problèmes de la valorisation des productions et des variations de parts de marchés
posent des questions de fonds. Toute activité économique est imaginée en rayons
d'action localisables à partir d'une région
ou d'un Etat-Nation déterminé. La problématique devient une stratégie d'optimalisation sur un territoire plus ou moins
étendu en concordance ou en divergence
avec d'autres variables ou réalités.
Le schéma devient aussi complexe car il
fait intervenir une multiplicité de
pays/régions inégalement développés
ainsi que des firmes de tailles variées. Les
flux réels et financiers qui y apparaissent,
sont d'une grande complexité et les phénomènes idéologiques, technologiques et
de communications y jouent un rôle substantiel.
Le pluralisme des théories
Dès le début de ce siècle, Max Weber
montre que dans toute société, les groupes
dominants tôt ou tard se distinguent des
groupes dominés et développent une "rhétorique persuasive" en vue de maintenir
l'ordre social, c'est-à-dire leur ordre de
domination. Parmi ces rhétoriques, il est
6
GRESEA Échos
N°37
Théories
économiques…
sans doute fondé de citer les théories qui
visent à légitimer cet ordre en voilant
autant que faire se peut ses postulats gardés implicites.
Or, il existerait une détermination historico-matérielle des doctrines2 où l'histoire
dans sa totalité apparaît elle-même
comme ayant, d'une certaine façon, un
caractère inévitable à partir du présent
"hic et nunc". Or, ces déterminations sont
de nature dialectique. Ainsi, toute
connaissance correspond à une prise de
conscience du caractère inévitable de
l'histoire mais cette connaissance, devenue réalité objective,en fait partie. Il en est
de même des actions politiques que les
doctrines légitiment et qui agissent sur les
articulations futures des réalités historicomatérielles actuelles. Il est dès lors utile de
retenir la double proposition suivante:
aucun fait n'attend pour exister une théorie qui l'expliquerait et toute réalité ne se
révèle que par la connaissance !
Dans cette perspective, poser le problème
des théories de l'EINR nécessite de les
situer historiquement et géographiquement, tout en se limitant aux cinq ou six
derniers siècles. Cela signifie qu'on se cantonne à l'époque de l'apparition des EtatsNations et des classes sociales modernes
dans la seule Europe, c'est-à-dire à
l'époque du capitalisme européen en
expansion pluriséculaire. Correspondant à
quatre situations historiques clairement
distinctes, on peut ainsi distinguer quatre
courants théoriques fondamentaux :
• à l'époque du capitalisme naissant et
essentiellement marchand, et avec la
constitution progressive des Etats-Nations
(du Moyen-Age à 1750), les théories mercantilistes naissent et dominent les esprits
en incarnant l'alliance entre le Prince et le
Marchand. Ils trouvent leur prolongement jusqu'aux keynésiens;
• à l'époque du capitalisme manufacturier
jusqu'au capitalisme impérialiste (17502000), les chaires universitaires professent
les théories classiques et néoclassiques;
inspirées essentiellement par les idées
Janvier-février-mars 2003
libre-échangistes d’origine libérale, elles se
trouvent sous la dominance du rôle international de l'Angleterre d'abord et de
celui des Etats-Unis par après. Y apparaissent les classes bourgeoises décrites si
admirablement par un Balzac ou un
Dickens;
• parallèlement à l'établissement de ces
théories, et dès 1800, d'autres classes, souvent majoritaires mais évincées ou exclues
du pouvoir, avancent des arguments protectionnistes, tel les agriculteurs, les oligarchies diverses, les ouvriers;
• enfin, avec l'internationalisation massive
des économies des pays capitalistes depuis
1945, les théories de critiques radicales et
néomarxistes, ainsi que l’école régulationniste tendent à dépasser les postulats des
théories élaborées antérieurement en
montrant leurs faiblesses intrinsèques et en
proposant de réfléchir résolument à partir
du fait de l'accumulation mondiale du
capital, c'est-à-dire par la prise en considération de l'expansion géographique extraordinaire du cycle de production par le
biais des firmes et banques multinationales
et du rôle des pouvoirs publics. ■
1. L’ensemble de ces analyses s’appuient, notamment, sur Bárdos-Féltoronyi, Nicolas, La question
de la taxe Tobin, Les cahiers de la FOPES Questions de politique économique et sociale Recherches, UCL/FOPES, Louvain-la-Neuve,
janvier 2001; idem, Géoéconomie - Etat, espace,
capital, De Boeck-Editions Universitaires,
Bruxelles-Paris, 1991; idem, Utopie ou idéologie de
l'économiste? Essai critique de l'économisme contemporain, (préfacé de François Perroux), in Economie
Appliquée, Archives de l'ISEA, tome XXIV - 1971,
n°3, pp 499-508. Toutes les références bibliographiques se retrouvent dans ces textes et, pour le présent, sont totalement négligées afin de l’alléger au
maximum.
2. Des doctrines correspondent à des ensembles de
théories faisant référence à un corps de principes ou
de postulats plus ou moins cohérents.
Théories
économiques…
Théories
économiques
Abrégé de «libre-échangologie»
Du 16e au 18e siècle, ce sont les banquiers, marchands, juristes ou
conseillers de la cour qui avancent des hypothèses de politique économique. Celles-ci vont fonder la pensée mercantiliste pour laquelle la finalité de l’économie n’est ni le bien-être, ni la satisfaction des besoins, ni l’accroissement de la consommation mais l’accumulation de métaux précieux.
Les mercantilistes pensent en termes d’Etat : si celui-ci ne dispose ni de
mines d’or ni de mines d’argent sur son propre territoire ou dans ses colonies, il doit se l’approprier par le biais du commerce international. Par
quelles mesures ? D’une part, ils préconisent une diminution des importations de produits manufacturés et une augmentation des importations de
matières premières. D’autre part, d’augmenter les exportations de produits
manufacturés, de diminuer les exportations de matières premières et d’interdire toute sortie de métaux précieux. Leurs outils de prédilection sont les
droits de douane et contingentement à l’importation, les licences à l’exportation et subventions aux entreprises manufacturières.
Adam Smith (1723-1790), avocat de «l’avantage absolu» viendra contredire les thèses mercantilistes.
Théorie des avantages absolus. Principe : chaque pays se spécialise dans
les activités où il dispose d’un avantage absolu, celles où le coût unitaire et le prix de vente sont inférieurs à ce qu’ils sont à l’étranger.
Il soutient la thèse de la supériorité du marché libre considérant que la
somme des intérêts égoïstes conduit à la promotion de l’intérêt général par
l’intermédiaire d’un mécanisme qu’il appelle « la main invisible ».
Adam Smith influence David Ricardo (1772-1823) connu pour sa théorie
des avantages comparatifs.
Loi des avantages comparatifs. Selon Ricardo, ce n’est pas l’avantage
absolu qui compte mais l’avantage relatif. Autrement dit, un pays, qui est
moins efficace que d’autres pays dans la production de tous les biens qui
peuvent être échangés sera relativement moins inefficace dans la production d’au moins un bien. En exploitant cet avantage comparatif, c’està-dir e en se spécialisant dans la production de ce bien, le libr e-échange
se révèlera préférable à l’autar cie.
Pour Ricardo, comme pour Smith, le libre-échange est au niveau mondial
un des «maillons du système économique global».
A la différence de ces penseurs dits classiques, Friedrich List (1789-1846)
prendra en considération l’inégalité de développement des différentes
nations. Il justifie un «protectionnisme éducatif» : les premiers producteurs
d’une « jeune nation » opèrent avec des coûts supérieurs à ceux des concurrents étrangers déjà installés dans la production. Sans protection, aucune
industrie nationale ne pourrait donc se développer, les importations étant
toujours à des prix inférieurs aux coûts de production locaux. Il est donc
indispensable de protéger les débuts d’une industrie, afin qu’elle puisse survivre. Il s’agit donc d’une protection transitoire appelée à disparaître. Pour
List, «la protection douanière est notre voie, le libre-échange est notre
but». List vise les échanges entre pays européens non des échanges NordSud, problématique qui sera mise en avant un siècle plus tard.
Trois auteurs, E. Heckscher (en 1919), B. Ohlin (en 1933) et P.H.
Samuelson (en 1949) élargissent la conception de Ricardo pour définir le
théorème HOS. Cette théorie du commerce international cherche à expliquer l’échange international par l’abondance ou la rareté relative des divers
facteurs de production dont sont dotés les pays : le capital terre, le capital
travail, les biens de capital fixe,...Chaque pays a intérêt, d’une part, à se spécialiser dans les biens nécessitant des facteurs de production qu’il possède
en abondance relativement aux autres pays, d’autre part à exporter des
biens qui renferment beaucoup de facteurs qu’il possède en abondance et,
enfin, à importer des biens qui nécessitent beaucoup de facteurs qui lui
manquent.
Une des critiques adressées aux modèles ricardien ou HOS est de sous-estimer le rôle de la demande. Selon S.B. Linder (1961), l’échange des biens
manufacturés, par opposition aux produits primaires, ne peut être expliqué
par les seules ressources relatives naturelles. Le volume du commerce entre
deux pays dépend des préférences des consommateurs. La similitude des
fonctions de demande des pays qui échangent détermine la part dans le
revenu national du volume des biens manufacturés échangés. Plus le revenu par tête des pays est semblable, plus l’intensité du commerce entre les
deux pays sera élevée. Les hypothèses du modèle sont les suivantes : les
individus touchant le même revenu possèdent la même structure de demande quel que soit le pays auquel ils appartiennent ; la répartition des revenus
est la même dans les deux pays ; le pays ne fabrique un produit manufacturé que parce qu’une demande domestique préexiste à une demande extérieure.
En 1950, Raoul Prebisch, économiste argentin, analyse, quant à lui, l’évolution des termes de l’échange (prix à l’exportation par rapport aux prix à
l’importation) des produits de base par rapport aux produits manufacturés.
Il développera ainsi la théorie de la dépendance, qui analyse l’économie
mondiale comme constituée de deux pôles, le centre capitaliste représentant les nations occidentales industrialisées, la périphérie constituée des
pays du Tiers monde. La dépendance de ces derniers vient de la dégradation des termes de l’échange, des multinationales, des transferts de technologie, de l’aide et de l’alliance objective des classes dominantes des pays
dépendants avec les intérêts des capitalistes. Seule une modification des
relations économiques avec les pays industrialisés peut permettre un développement des pays du Tiers monde. Singer, Amin et Frank arriveront au
même constat. Les notions de développement autonome et « autocentré »
en rupture avec la marché mondial (logique de « déconnexion ») appartiennent à ce courant de pensée.
Sources : Nagels J., « Eléments d’économie politique. Critique de la pensée unique »,
Bruxelles, 1997 ; Rainelli M. « e commerce international », La Découverte, Paris, 1988 ;
Treillet S. « L’économie du développement », Nathan, 2002
N°37
Janvier-février-mars2003
GRESEA Échos
7
Source : Bensidoun I., Chevalier A., Gaulier
G. « Repenser l’ouverture au Sud », in La
Lettre du CEPII n°205, octobre 2001.
Isabelle Bensidoun, économiste au
Centre d’Etudes Prospectives et
d’informations
internationales
(CEPII), sera l’invitée du Gresea au
premier module de l’Université des
Alternatives en mars. Elle abordera
la problématique de la croissance
liée au libre–échange.
Dans la lettre du CEPII d’octobre
2001, elle tente, avec deux de ses
collègues Agnès Chevalier et
Guillaume Gaulier, de répondre aux
interrogations qui se font jour
quant à la situation de certains pays
restés en marge des bénéfices que
les progrès de l’ouverture et des
échanges pouvaient laisser espérer.
Les auteurs constatent en effet que
«les progrès de l’ouverture et des
échanges ne se sont pas traduits par
un mouvement général de convergence des niveaux de vie : si certains pays en développement ont
rattrapé les pays riches, d’autres s’en
sont éloignés». Les premiers n’étant
pas forcément ceux qui embrassent
le plus radicalement le libre-échange. Proclamer que la croissance va
de pair avec la libéralisation commerciale appelle donc de sérieuses
nuances.
Ainsi, les progrès de l’ouverture et
des échanges ne se sont pas traduits
par un mouvement général de
convergence des économies. Des
économies relativement proches
ont suivi des trajectoires divergentes.
La question centrale qui préoccupent les trois chercheurs du CEPII
est la suivante : «cette divergence
dans les trajectoires de croissance
peut-elle être reliée à des progrès
8
GRESEA Échos
N°37
Libre-échange,
croissance et
inégalités
différents dans l’ouverture des économies en développement» comme
le prétend la Banque mondiale.
Il s’avère que «sur plus de trente
ans, les pays qui ont convergé ne
sont pas, systématiquement, les
pays plus ouverts. Ni les niveaux, ni
les progrès de l’ouverture ne distinguent nettement les pays dont le
niveau de vie s’est rapproché de
celui des pays riches de ceux qui
s’en sont éloignés : l’ouverture diffère moins entre les deux groupes de
pays qu’à l’intérieur même de ces
groupes». Aussi, «la croissance du
PIB par tête apparaît, sur les dix dernières années, plus élevée dans le
groupe de «pays ouverts» que dans
les deux autres groupes («pays fermés» et pays s’ouvrant sur la période) ; mais, là encore les résultats à
l’intérieur des groupes sont fortement hétérogènes. D’ailleurs, si au
sein des deux groupes les plus
ouverts, on distingue les pays par
leur niveau de revenu par tête, on
constate que la croissance est sensiblement plus faible chez les plus
pauvres ; elle est même le plus souvent inférieure à celle des pays «fermés» (alors que les revenus par tête
sont comparables)».
Et d’envisager que «l’ouverture n’est
pas un critère déterminant et
conduit plutôt à penser que les
gains de l’ouverture ne pourraient
se réaliser qu’à partir d’un certain
niveau de développement».
Certaines études empiriques remettent d’ailleurs en cause l’existence
d’une relation claire entre ouverture
commerciale et croissance. «Si l’ouverture est favorable au développe-
Janvier-février-mars 2003
ment économique, elle est loin d’en
être une condition suffisante».
Pourquoi ? «La libéralisation commerciale est vouée à l’échec si les
mécanismes de marché ne fonctionnent pas de manière satisfaisante.
La capacité des gouvernements à
mettre en oeuvre les réformes
macro et microéconomiques qui
doivent accompagner l’ouverture
(réforme fiscale, amélioration de
l’accès des entreprises au financement, réforme juridique...) est tout
aussi essentielle que l’ouverture
elle-même. En outre, l’ouverture se
traduisant par une exposition aux
chocs accrue, elle réclame des ajustements macroéconomiques qui
peuvent être entravés par la faiblesse des institutions chargées de la
gestion des conflits».
Par ailleurs, «les effets à long terme
de l’ouverture sur la croissance
dépendent de la spécialisation sectorielle des économies. Ainsi, avec
l’ouverture, un pays peut être
amené à abandonner un secteur
moteur de la croissance pour se spécialiser, selon ses avantages comparatifs, sur des secteurs moins porteurs. Dans ce cas, il peut perdre à
l’ouverture». Il est démontré que «la
nature de la spécialisation n’est pas
neutre : certaines spécialisations
sont plus favorables à la croissance
que d’autres. En outre, une spécialisation intense, qui, en principe, permet de bénéficier d’économies
d’échelles, peut se révéler défavorable si elle entraîne une dépendance vis-à-vis de marchés trop
instables ou mal orientés. C’est
notamment ce qui se produit pour
Inégalités
les pays en développement dont la
spécialisation porte essentiellement
sur des produits primaires».
Qu’est-ce que cela implique pour
une organisation telle que
l’Organisation mondiale du commerce dédiée à la libéralisation des
échanges et dont plus des deux tiers
des membres sont aujourd’hui des
pays en développement ?
Vers le milieu des années 50, différents dispositifs du système commercial multilatéral traduisaient un
traitement différencié et plus favorable aux pays en développement. Il
s’agissait de :
«l’accès préférentiel aux marchés
des pays développés, dans le cadre
du système généralisé de préférences ;
●
● le principe de non-réciprocité,
autrement dit le droit pour les pays
en développement de bénéficier
des accords multilatéraux (notamment sur l’abaissement des tarifs
douaniers, selon le principe de la
nation la plus favorisée) sans être
tenu à offrir des concessions en
échange ;
● la flexibilité dans l’application des
engagements pris afin de pouvoir
protéger les industries naissantes ou
éviter les déséquilibres de balance
de paiements. Ce traitement spécial
et différencié (TSD) autorisait la
non participation des pays en développement à un certain nombre
d’accords négociés durant le Tokyo
Round ».
Néanmoins, les années quatre-vingt
voient se généraliser la libéralisation commerciale et, suivant le
principe de signature globale, les
pays en développement adhèrent à
la totalité des engagements négociés. Le «traitement spécial et différencié est devenu alors un ensemble
de mesures ad hoc attachées aux
différents accords sans référence
conceptuelle claire, et parfois sans
réel contenu. Ainsi les clauses dites
de «meilleurs efforts» selon lesquelles les pays développés s’engagent à faciliter l’intégration du Sud
apparaissent purement formelles
alors que le maintien de pics tarifaires, les barrières non tarifaires,
les barrières non-tarifaires , les
mesures anti-dumping...sont autant
de limites bien réelles aux exportations du Sud».
Cela pose, selon les trois auteurs,
trois types de problèmes :
«L’ouverture des pays aujourd’hui
développés ou émergents a été
progressive et le débat sur l’utilité
d’une protection temporaire des
industries naissantes est, en réalité,
loin d’être clos. Beaucoup des pays
émergents, notamment en Asie,
qui ont connu les trajectoires de
●
c o n v e rgence les plus re m a rquables, n’ont ouvert leurs marchés
intérieurs qu’après que leurs exportations de produits manufacturés
ont fortement progressé et que
leurs institutions ont té renforcées
;
la mise en oeuvre des normes et
des règlements qui découlent des
accords de l’OMC requiert souvent des capacités économiques et
institutionnelles dont les pays en
développement ne disposent pas.
Elle ne constitue pas nécessairement, compte tenu des ressources
limitées de ces pays, l’objectif prioritaire ni celui le plus à même de
favoriser
le
développement
durable. A cet égard, l’éducation et
la santé doivent de toute évidence
passer avant la refonte des procédures douanières ou la mise en
●
On parle de la même chose ?
C’est une particularité de l’économie. Lorsqu’il s’agit de tester la validité d’une thèse, on retombe
toujours sur des chiffres. Les chiffres, cependant, on leur fait dire ce qu’on veut. C’est bien connu.
Mieux : ils amènent souvent à comparer des pommes et des poires. The Economist , le magazine
proche de la City de Londres, en a récemment fourni un bel exemple. En cause, la vieille rengaine
voulant que les performances de l’économie américaine dépassent de loin celles de l’économie européenne, « constat » sans cesse utilisé pour dénoncer les rigidités du marché du travail sur le Vieux
Continent. Cela colle ? Cela ne colle pas.
Analysant l’extraordinaire taux de croissance de la productivité du travail aux Etats-Unis (5,3% en
2002, le «meilleur score» depuis dix-neuf ans, alors que ce taux fait du sur place en Europe), The
Economist s’empresse de dire : fadaises. Car il y a plusieurs manières de mesurer cette productivité,
tantôt flatteuses, tantôt dépréciatives. Les statistiques américaines, ainsi, mesurent la productivité
par heure-personne des secteurs économiques hors agriculture (taux de croissance de 2,3% dans la
période 1997-2001), tandis que la Banque centrale européenne s’appuie sur le produit intérieur brut
par travailleur dans toute l’économie (méthode de calcul qui fixe la croissance à 1% – 13 points en
dessous de celle des Etats-Unis). En vérité, la distorsion entre ces deux taux masque le fait que le
taux européen englobe la productivité des secteurs publics, qui connaît classiquement une croissance plus faible ; elle masque aussi le contenu social de la productivité : la productivité par heurepersonne ne tient pas compte, au contraire de la productivité par travailleur, de la progression du
travail à temps partiel et, partant, de l’important chômage caché qu’elle entraîne.
Si, par voie de conséquence, on compare le produit intérieur brut par heure-personne, l’écart entre
les taux de croissance de la productivité du travail entre Etats-Unis et Europe se voit ramené à 8
points, 2,2% d’un côté, 1,4% de l’autre. C’est un écart bien moindre et ce n’est pas terminé. EtatsUnis et Europe comptabilisent différemment les achats de logiciels, rubrique économique importante s’il en est aujourd’hui : catalogués comme investissements aux Etats-Unis, ces achats sont des
dépenses courantes en Europe et, donc, n’apparaissent pas dans les richesses produites. Cette difficulté peut être contournée en comparant la productivité, non plus en termes de produit intérieur
brut, mais en en termes de produit intérieur net : l’avance des Etats-Unis (1,8%) par rapport à la
productivité du travail en Europe (1,4%) n’est plus, alors, que de 4 points ! La supériorité écrasante
de l’économie états-unienne est retombée comme un soufflé...
E.R.
N°37
Janvier-février-mars 2003
GRESEA Échos
9
Inégalités
oeuvre des règles internationales
de propriété intellectuelle ;
enfin, dans la définition des règles
communes, les intérêts économiques du nord peuvent entrer en
conflit avec ceux du Sud. Ainsi, la
protection de la propriété intellectuelle, nécessaire pour garantir l’innovation, a été poussée au point de
compromettre la possibilité des
pays les plus pauvres de bénéficier
de la diffusion technologique (dont
on sait qu’elle est facteur de convergence) et de les priver de l’accès à
des biens essentiels (médicaments).
De ce point de vue, la remise en
cause du principe de signature globale pour les pays en développement apparaît souhaitable».
●
Depuis l’Uruguay Round, les pays
en développement sont des mem-
10
GRESEA Échos
N°37
bres à part entière de l’organisation
du commerce. Il est encore difficile
de mesurer pleinement les effets de
cette réalité. Toujours est-il que,
même si le développement n’est pas
l’objet de l’OMC, concluent les
trois chercheurs «les questions
commerciales qui y sont traitées
affectent profondément les conditions de développement des pays
du Sud. La coordination avec les
institutions plus directement en
charge du développement devra
être renforcée. Elle est d’autant plus
nécessaire que, pour un certain
nombre de pays, les progrès dans
l’accès au marché ou leur propre
libéralisation commerciale ne peuvent constituer les condition suffisantes du développement». ■
Janvier-février-mars 2003
Vandana Shiva
Research Foundation for Science,
Technology and Natural
Resource Policy
Le rapport d'Oxfam International
intitulé Deux poids, deux mesures
concernant le commerce, la mondialisation et la lutte contre la pauvreté est une tentative audacieuse
de combiner deux paradigmes.
Cependant, quand deux paradigmes sont incommensurables,
les associer ne peut que déboucher
sur une analyse schizophrénique.
Oxfam International tente, de
manière infructueuse, de combiner
deux paradigmes sur la mondialisation : l'un qui donne la préférence
à la démocratie, l'autre au commerce et au marché. Le premier
paradigme est basé sur les principes de justice, de démocratie, de
souveraineté et de durabilité. Il est
porté sur des modes divers par le
mouvement antimondialisation,
qui dénonce les distorsions et les
injustices
des
règles
de
l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et de la Banque
mondiale (BM) concernant les
programmes de libéralisation du
commerce - le second paradigme,
qui est soutenu par ces institutions.
Le premier paradigme resitue les
relations commerciales au sein de
politiques plus fondamentales
basées sur les droits des populations, la participation des citoyens
et la durabilité écologique. Le
second paradigme démantèle la
démocratie, la souveraineté des
peuples et la durabilité du développement, et place les politiques
commerciales au-dessus de toutes
les autres politiques économiques.
En détachant les relations commerciales de leur contexte social et
A propos des recettes
d’OXFAM pour le
Tiers-monde*
écologique, il porte atteinte à la
cohésion sociale et à l'intégrité des
systèmes écologiques. Il génère de
la pauvreté en détruisant ce qui
constitue la trame de la sécurité
économique et écologique. […]
Le commerce peut constituer un
moteur puissant de croissance économique et de réduction de la pauvreté. Mais pour que ce moteur
fonctionne, les pays pauvres doivent accéder aux marchés des pays
riches. Élargir cet accès aux marchés peut aider ces pays à accélérer
leur croissance, tout en créant de
nouvelles opportunités pour les
plus pauvres. Cela est particulièrement vrai pour les produits agricoles et ceux ayant un fort contenu
de main-d'ouvre car ces secteurs
concentrent la plus grande partie
des populations situées en dessous
du seuil de pauvreté. L'accès aux
marchés apparaît ainsi comme la
potion magique susceptible d'exterminer la grande pauvreté.
Mais l'accès aux marchés n'est
qu'une autre façon de désigner le
développement tiré par les exportations. Après tout, le commerce
est la relation entre les pays exportateurs et les pays importateurs. En
ne mettant l'accent que sur l'accès
aux marchés des pays riches,
Oxfam rend invisible les coûts
économiques, sociaux et écologiques que génèrent, dans les pays
du tiers-monde, des politiques
agricoles obsédées par la question
des exportations. Alors que cette
théorie de l'accès aux marchés laisse entendre que les pays riches
sont appelés à consentir un certain
sacrifice, en réalité, ce sont les
pauvres dans les pays pauvres qui
feront le sacrifice. […]
Oxfam passe aussi sous silence le
fait qu'en matière agricole, une
consommation plus élevée dans les
pays riches a pour contrepartie une
baisse de la consommation des
produits de base dans les pays
pauvres, accroissant ainsi leur pauvreté. Comme l'activité agricole
est basée sur la terre, l'eau et la
biodiversité et que la disponibilité
en terre et en eau est limitée, des
politiques agricoles tournées vers
les exportations détruiront mécaniquement l'agriculture vivrière à
destination de la consommation
locale. La prédominance des
exportations détourne des ressources naturelles afin de produire
des produits de luxe à bas prix
pour les consommateurs riches des
pays riches. Elle transfère également la maîtrise des ressources des
petits paysans et des pêcheurs vers
les entreprises de "l'agro-industrie", détruit les ressources de base
à travers un processus non durable
et, de ce fait, la subsistance des
petits producteurs, créant de la
pauvreté au lieu de l'éliminer.
Tous les pays du tiers-monde sont
sollicités par la BM afin de réorienter leur agriculture vers les produits d'exportation, en particulier
la viande, les produits de la mer,
les fleurs et les légumes. La recette
d'Oxfam n'est que la vieille recette
de la BM de priorité aux exportations.[…]
N°37
Janvier-février-mars2003
GRESEA Échos
11
A propos…
Premièrement, cette politique
détourne les ressources rares que
sont l 'eau et la terre au profit des
marchés d'exportation et au détriment de la satisfaction des besoins
locaux, créant ainsi un terrain
favorable à la famine pour les communautés les plus vulnérables et les
plus marginalisées. C'est ce qui
apparu pendant la colonisation, et
c'est ce qui apparaît dans le cadre
de la mondialisation recolonisatrice. […]
Cette relation inverse entre la
croissance des exportations et la
baisse de la consommation alimentaire locale et nationale a bien été
mise en évidence à l'occasion des
plans d'ajustement structurel de la
BM. Au Nigeria, en Éthiopie, au
Soudan, en Tanzanie et au Zaïre,
qui comptent 60% de la population de l'Afrique subsaharienne, la
production céréalière par tête a
chuté de 33% et la production alimentaire totale par tête a chuté de
20%. Tous ces pays voyaient dans
le même temps croître leur production agricole d'exportation par
tête.
Oxfam, qui à l'origine était une
organisation d'aide alimentaire d'
urgence, semble avoir oublié ses
racines. Pas une seule fois les questions de la famine et des droits alimentaires ne sont abordées dans le
chapitre sur les cultures d'exportation.
La deuxième remarque, c'est que le
chiffre de 100 milliards de dollars
de revenus supplémentaires pour
les pays exportateurs recèle des
coûts cachés pour les écosystèmes
locaux et les moyens de subsistance des paysans et des pêcheurs qui
sont déplacés par les grandes
sociétés travaillant pour l'exportation, en mettant en ouvre des
moyens à l'opposé des principes
du développement durable pour
maximiser leurs profits. Dans le
secteur convoité de la viande, des
fleurs et des crevettes, pour chaque
12
GRESEA Échos
N°37
Le libre-échange est d’abord une
théorie (loi de l’avantage absolu,
loi des avantages comparatifs...)
selon laquelle deux pays sont
dans des situations plus avantageuses dès lors qu’ils ouvrent leurs
frontières. Le libre-échange est
aussi une politique des échanges
extérieurs caractérisée par la libre
circulation des marchandises
entre les pays, sans droit de douane, sans contingentement, sans
réglementation. ( Brémond J.,
Geledan A., Dictionnaire économique et social, 1981)
Le libre échangisme est une doctrine économique qui postule la
libre production des marchandises (laissez faire) et la libre circulation des marchandises (laissez passer) aussi bien à l’intérieur
d’un pays qu’entre les nations.
(lexique économique du GEM)
Libre-échange : Doctrine écono mique qui rejette, comme dommageables aux consommateurs, la
protection de l’industrie et du
commerce national par des prohibitions et les droits de douane.
(Larousse universel en 2 volumes
–1923)
Libre-échange : Commerce entre
nations, sans prohibitions ni
droits de douane. Le libre-échange, opposé au protectionnisme,
suppose une division internationale du travail qui spécialise
chaque peuple dans les productions qu’il peut fournir à meilleur
compte. Cette doctrine apparut
en Angleterre au XIXe. (Petit
Larousse –1959)
dollar de revenu touché par ces
entreprises, il existe un coût caché
de 10 dollars en termes de dégradation écologique et de communautés locales ruinées. Le chiffre
magique d'Oxfam de 100 milliards
Janvier-février-mars 2003
de dollars d'accroissement des
revenus liés aux exportations
cache ainsi 1000 milliards de dollars en coûts sociaux et écologiques déstructurant les communautés locales, laissant celles-ci
encore un peu plus pauvres. C'est
pourquoi, localement, des protestations s' élèvent contre chaque
ferme aquacole, chaque plantation
de fleurs, chaque abattoir. […]
Enfin, un dernier point : la libéralisation tournée vers l'exportation
est une mauvaise chose pour l'exportation. Non seulement les
populations et l'environnement
sont les perdants d'un régime commercial déréglementé, mais les
exportations elles-mêmes en pâtissent. L'Inde, connue comme la
reine du poivre, qui attira des
vagues de colonisateurs, ne peut
plus en exporter à cause d'une
concurrence tirant les prix vers le
bas. De plus, la dévaluation compétitive des monnaies nationales
oblige les pays à exporter des
quantités toujours plus grandes de
denrées pour des revenus sans
cesse décroissants. Ainsi, une augmentation des exportations ne
signifie pas forcément une augmentation des revenus, ruinant
ainsi la thèse centrale du rapport
d'Oxfam qui veut qu'une augmentation des exportations mondiales
de 1% génère 100 milliards de dollars. Même si certains pays doublaient leurs exportations en volume, ils n'en tireraient pas des revenus supplémentaires en devises à
cause de la dégradation des termes
de l'échange.
Changer les termes de l'échange
implique des changements structurels dans l'économie mondiale,
ceux que justement le mouvement
antiglobalisation appelle de ses
voux. Dans le cadre de ce changement structurel, le commerce
international n'est plus le moteur
de la croissance. Le Bengale
Occidental a accru la productivité
A propos…
de son agriculture et sa croissance
non pas grâce à l'exportation, mais
grâce à une réforme agraire.
Mettre les ressources disponibles
entre les mains de la population et
garantir aux petits producteurs
l'accès aux marchés locaux, voilà la
voie la plus sûre, la plus durable et
la plus intégrante pour faire reculer
la pauvreté. Les petits producteurs
ont besoin d'accéder aux marchés
locaux qui se délitent parce que les
multinationales y écoulent des
produits à des prix fixés artificiellement bas par des subventions et
que les importations ont été déréglementées.
En sortant les relations commerciales de leur contexte, l'Oxfam est
devenu aveugle au fait que les politiques nationales de développement tiré par les exportations font
passer les pays d'un système privilégiant l'alimentation des populations à un système privilégiant les
exportations. L'agriculture est en
train de passer d'un système paysan employant des millions de personnes à un système concentré
entre les mains de quelques firmes
agro-industrielles, où les ressources naturelles ne sont plus la
propriété des communautés
locales au service de leur subsistance et de leur bien-être, mais
exploitées par des entreprises pour
satisfaire la consommation de luxe
des pays riches.
Voilà donc les questions que
l'Oxfam passe sous silence (le rapport n' évoque jamais les petits
paysans et ne parle que de producteurs - on n 'y parle pas d'agriculture durable, mais seulement d'accès aux marchés), alors qu'il est
désormais bien établi que le
meilleur moyen d'accroître les
Libre-échange : Système écono mique dans lequel les échanges
commerciaux entre Etats sont
libres et affranchis des droits de
douane. (Le Petit Larousse illustré
–1996)
Protectionnisme : système consistant à protéger l’agriculture, le
commerce ou l’industrie d’un pays
contre la concurrence étrangère,
au moyen d’un ensemble de
mesures ; (Petit Larousse- 1959)
Protectionnisme : Economie politique, Système protecteur.
(Larousse universel- 1923)
revenus des paysans, c'est de remplacer les intrants extérieurs par
des intrants locaux.
Ce sont ces questions qui sont au
cour du débat international
concernant l'agriculture et l'alimentation. Partout, les gens
demandent que l'agriculture soit
réinscrite dans un fonctionnement
écologique, dans une culture et
dans la satisfaction des besoins
fondamentaux. Des groupes travaillent pour revivifier les petits
agriculteurs, assurer leur défense et
conforter les marchés locaux. […]
Oxfam rêve de construire un mouvement en faveur d'une réforme du
système commercial international,
aussi puissant que le fut le mouvement anti-apartheid. Pour cela,
Oxfam devra cheminer à côté des
mouvements populaires et tirer
d'eux son engagement et sa légitimité.
Oxfam est donc confronté à un
choix : militera-t-il pour un com-
merce mondial régi par les principes de paix, de justice et de développement durable ou deviendra-til une petite voix cooptée par les
avocats du libre échange dominant ?
Mettra-t-il la paix et la sécurité des
peuples au-dessus des relations
commerciales ? Fera-t-il passer en
priorité l'intérêt des peuples ou
celui du commerce mondial ? La
nourriture d'abord ou les exportations d'abord ? Ira-t-il jusqu'au
bout du combat pour un changement structurel et une transformation des règles régissant le commerce international et du paradigme de libre échange ? ■
*Le titre est de la rédaction
Traduction : Jean-Max Boyer. Traducteurs
bénévoles [email protected] ,
Vandana Shiva dirige la Research
Foundation for Science, Technology and
Natural Resource Policy, un réseau de chercheurs spécialisé en développement et en agriculture durables. Elle est également conseillère
en écologie au Third World Network, un
mouvement dont l' objectif est de donner la
parole aux peuples du tiers-monde et de
rechercher une répartition des ressources mondiales conforme à la justice et au développement durable.
Contact pour cet article :
[email protected] http://www.vshiva.net/
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GRESEA Échos
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Erik Rydberg
GRESEA
Le recueil de monographies récemment
publié sous la direction de Jagdish
Bhagwati sous le titre Going Alone –
The Case for Relaxed Reciprocity in
Freeing Trade («Avancer seul – Les
mérites d’une réciprocité souple dans la
libéralisation du commerce») n’est pas
de ceux qui visent à éclairer et enrichir
le débat. Dès la première page, en effet,
Bhagwati avertit le lecteur : dans les
lignes qui vont suivre, le libre-échange
est considéré, a priori, de manière indiscutable, comme une bonne chose et il
s’agit uniquement d’examiner comment
en tirer le meilleur parti. Comme son
titre l’indique, le plaidoyer vise à
démontrer qu’un pays fait le bon choix
en optant unilatéralement pour le libreéchange, sans s’assurer d’abord que les
pays avec lesquels il fait commerce lui
ouvrent eux aussi leur marché (donc,
sans recherche de réciprocité), car il y
aura effets d’entraînement mutuellement bénéfiques. L’approche, très technique, ne présente aucun intérêt dans le
cadre de ce dossier sur le débat libreéchange versus protectionnisme.
Il y apporte, cependant, certains éclairages qui ne manquent pas d’être instructifs. La qualité de l’auteur, Jagdish
Bhagwati, dont le nom aux consonances
indiennes invite à penser qu’on a affaire
à une contribution du Sud. Rien n’est
moins vrai. Bhagwati, réputé comme un
des fervents théoriciens du libre-échange, vit et enseigne aux Etats-Unis, dont
il épouse les doctrines néolibérales, et a
statut de conseiller auprès de la Banque
mondiale. Il en va de même de la plupart des auteurs de l’ouvrage qui, bien
que celui-ci – contrairement aux usages
dans la littérature scientifique – passe
sous silence les institutions auxquelles
14
GRESEA Échos
N°37
De certaines vertus
douteuses du
néolibéralisme
ils sont attachés, ont le même profil,
c’est tantôt la Banque mondiale, tantôt
l’Organisation mondiale du commerce... On a affaire un discours orienté. Le
mot est faible.
Le discours est orienté et, comme c’est
souvent le cas dans la littérature libreéchangiste, truffé d’abstractions. La vie
sociale et économique est ramenée à
des tableaux théoriques, avec des
courbes et des sécantes données comme
significatives. Par moments, c’est
risible. Car les démonstrations s’appuient sur des postulats qui n’ont jamais
existé ailleurs que dans l’étroitesse du
crâne des économistes : des situations
de concurrence parfaite, d’équilibre de
l’offre et de la demande et... d’agents
économiques qui – soudain, magique !–
sont capables de choix autonomes et
éclairés. Mama mia...
Appliquée aux dures lois politico-économiques qui gouvernent la vie des
peuples et des nations, cette candeur
éclaire parfois mieux les rouages du
monde que ne le saurait faire l’analyse
critique. Deux exemples. C’est, d’abord,
le poids joué par l’Occident dans le
«choix» fait par les pays du Tiersmonde d’adhérer au libre-échange.
Dans un passage sur l’Asie (p. 228),
ainsi, on apprend que, confrontés aux
politiques protectionnistes des «pays en
développement», les pays développés
s’en sont d’abord, «dans la période
post–coloniale, accommodés» et que
«cette indulgence (sic) a contribué à la
prolifération des entraves au commerce
et, subséquemment, à une lenteur dans
leur démantèlement» : dans les années
’80 et ’90, cependant, les pays développés « ont épuisé le potentiel de la libéralisation entre eux des produits industriels et, reconnaissant que les marchés
Janvier-février-mars 2003
des pays en développement sont devenus trop importants pour être encore
ignorés, ils ont opté pour des stratégies
– plutôt agressives – visant à la libéralisation de ces derniers. » On ne saurait
dire les choses plus crûment. Les marchés libéralisés du Nord étant saturés, il
faut contraindre les marchés du Sud à
accueillir une surproduction en quête
de débouchés.
Dans son cynisme, l’autre exemple est
encore plus frappant. Il est question, ici,
des bienfaits du traitement de choc
libre-échangiste rendu possible en
1973, au Chili, «grâce» au coup d’Etat
renversant Allende (grâce à : cela ne
s’invente pas, c’est la tonalité de cette
«étude»). Parmi les facteurs qui ont
facilité cette politique, relève l’auteur
(p.355), il convient de mentionner la
décision du régime militaire «d’établir
un marche du travail plus flexible : activités syndicales interdites, chute profonde du salaire minimum et assouplissement de la législation sociale». No
comment. Plus loin (p. 361), analysant
les perdants et gagnants de la situation
nouvelle, l’auteur note que les premiers
peuvent être amadoués, les travailleurs
des entreprises d’Etat «en leur offrant
une participation dans les entreprises
nouvellement privatisées» et l’opposition politique «en offrant à ses représentants influents des nominations politiques» : cela, c’est prôner la corruption... Lecture instructive, sans nulle
doute. ■
MIT Press, 2002, Cambridge, USA (586
pages)
Raoul Marc Jennar
chercheur auprès d'Oxfam
Solidarité (Bruxelles) et de l'URFIG
(Bruxelles-Paris-Genève)
L’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) est l’institution
internationale de promotion et
d’organisation du libre-échangisme la plus puissante du monde. Et
elle a pour objectif d’anéantir
toutes les conquêtes qui, au prix de
luttes acharnées depuis le 19e
siècle, ont été réalisées pour renforcer la solidarité entre tous, dans
un cadre de liberté pour chacun.
L’OMC est l’organisation internationale la plus puissante du monde
parce qu’elle seule concentre à la
fois des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires. Elle est la plus
puissante parce qu’elle seule, à la
différence de toutes les autres
organisations internationales, dispose du moyen d’imposer ses
règles, de les faire respecter et de
sanctionner leur violation. Elle est
la plus puissante parce que,
contrairement au nom qu’elle
porte, les accords qu’elle gère – il y
en a près de 60 - dépassent, et de
loin, le cadre du commerce, c’està-dire l’achat ou la vente d’un bien
ou d’un procédé, et concernent
tous les aspects de la vie quotidienne.
Avec des moyens dont elle est la
seule à disposer, l’OMC entend
mettre en œuvre un projet de
société où tout, le minéral, le végétal, l’animal, l’humain et ce que
l’humain crée sera à vendre ou à
acheter, selon les seules règles de
la concurrence. L’OMC est l’ins-
Avec l’OMC : retour
au 19e siècle
trument de la globalisation, cette
vision politique d’un monde ne
répondant qu’aux seuls critères
marchands. Les accords qu’elle
gère, chacun dans leur domaine,
ont pour objectif le démantèlement de toutes les protections que
les Européens, depuis 150 ans
environ, ont, avec des intensités
diverses, tentés de mettre en place
afin d’augmenter, progressivement,
l’égalité des chances entre tous et
de renforcer, dans la liberté, des
liens de solidarité. Ces accords
fournissent aussi un moyen formidable aux entreprises privées des
pays riches de recoloniser la planète.
Car le principe directeur qui soustend tous les accords de l’OMC,
c’est le principe de non discrimination. Rien ne peut faire obstacle
aux règles de la concurrence commerciale et surtout pas des normes
éthiques, sociales, sanitaires ou
environnementales. De telles
normes sont considérées comme
des obstacles au commerce, au
libre-échange. De même, sont
considérés comme obsolètes les
principes arrêtés dans des instruments internationaux comme le
Pacte international sur les droits
économiques, sociaux et culturels,
qui garantissent la souveraineté
des peuples, leur liberté d’organiser leur vie collective comme ils
l’entendent et leur droit imprescriptible à user des ressources dont
ils disposent. Les territoires sont
des «marchés» et les individus qui
les peuplent sont des « personnes
physiques.» Seules leur sont applicables les règles internationales
régies par l’OMC.
Phantasme ? Caricature ? C’est ce
qu’affirment ceux qui écoutent et
prennent pour argent comptant les
propos de la Commission européenne et de bon nombre de gouvernements qui ont négocié, signé
et fait ratifier les 22.500 pages des
Accords de Marrakech qui fondent
l’OMC et les accords qu’elle gère.
Et pourtant, il suffit de lire ces
textes. Lire l’Accord Général sur le
Commerce des Services (AGCS),
lire l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle en rapport
avec le Commerce (ADPIC), lire
l’Accord sur l’Agriculture (AsA),
Après un patient travail de décodage et d’analyse de textes expressément rébarbatifs et complexes, on
vérifiera par soi-même qu’on se
trouve, avec l’OMC et ses accords,
devant une véritable révolution, au
sens premier du mot. C’est un
retour complet au point de départ.
Un retour à une époque où le chacun pour soi, l’individualisme
absolu étaient la règle. Un retour
au 19e siècle, avant que naisse un
mouvement social attaché à la
mise en œuvre des principes de
1789. Et même un retour avant
1789 qui a proclamé la souveraineté du peuple.
De tous ces accords, l’AGCS est
celui qui remet le plus largement
N°37
Janvier-février-mars2003
GRESEA Échos
15
En avant vers
le passé
en cause un modèle basé sur l’équilibre entre solidarité et liberté,
équilibre recherché en conférant
aux pouvoirs publics un rôle régulateur et redistributeur. Tout
d’abord, parce que le caractère
irréversible du processus de libéralisation d’un secteur, une fois que
celui-ci est engagé, réduit à néant
la liberté de choix démocratique
des citoyens. Ensuite, parce que le
dispositif qu’il met en place
conduit inéluctablement de la libéralisation à la privatisation «de
tous les secteurs de tous les services» Enfin, parce que le «mode
4» d’une part et l’instauration de
«disciplines» d’autre part rendent
possibles soit le contournement,
soit l’abolition des normes
éthiques, sociales, salariales, environnementales et de toutes les dispositions que les pouvoirs publics
ont prises pour préserver l’intérêt
général contre l’égoïsme des intérêts particuliers. Le «mode 4»
interdira en effet aux pouvoirs
publics d’intervenir pour faire respecter un modèle social convenu
lorsque le secteur privé fera appel à
du personnel étranger engagé à
durée déterminée, rémunéré et
protégé selon les règles salariales
et la protection sociale de son pays
d’origine. Les «disciplines» sont
des listes de dispositions normatives considérées comme étant
plus rigoureuses que nécessaires et
susceptibles de constituer une
entrave à la libre concurrence. Le
salaire minimum garanti est régulièrement cité comme un exemple
d’entrave.
L’ADPIC est un accord qui organise l’aliénation des peuples aux
entreprises multinationales. Car ce
sont-elles qui détiennent les brevets dont traite cet accord. Or,
breveter c’est consacrer un titre de
propriété. Etendre le droit de breveter aussi radicalement que le fait
l’ADPIC, c’est étendre un droit de
16
GRESEA Échos
N°37
propriété au détriment d’autres
droits plus fondamentaux, comme
le droit à l’alimentation, le droit à
l’éducation, le droit à la santé.
Breveter, c’est privatiser le savoir.
C’est conférer à l’intérêt particulier
un monopole d’exploitation qui
soumet l’accès à la connaissance au
pouvoir de l’argent. Appliquée aux
médicaments, la problématique du
brevet revient à réserver l’accès aux
soins à ceux qui en ont les moyens
et à faire de la santé non plus un
droit, mais un privilège. Mais breveter, cela peut-être aussi, dans
certains cas, s’approprier des ressources, et en particulier des ressources alimentaires par la pratique de ce que les ONG appellent
la «biopiraterie.» Grâce aux manipulations génétiques, breveter permet de plus de créer des liens de
subordination et de dépendance,
par exemple, en liant telle variété
de semences à tel type d’engrais ou
d’insecticide ou encore en généralisant l’usage de semences qui ne
germent qu’une fois.
L’AsA offre un exemple spectaculaire de la volonté des pays riches
de protéger un modèle d’agriculture industrielle au détriment de plus
de 60% de la population mondiale.
En effet, cet accord oblige d’ouvrir
tous les marchés à tous les produits
agricoles. Il interdit les incitants
publics à la production et les subventions publiques à l’exportation
de produits agricoles. Mais tout
aussitôt, une disposition du texte
interdit aux pays qui respectent
l’AsA d’introduire une action
contre ceux qui ne le respectent
pas, c’est-à-dire l’Union européenne et les Etats-Unis. Ceux-ci,
ensemble, par des méthodes différentes, interviennent à hauteur de
plus d’un milliard d’Euros par jour
en faveur de leur agriculture industrielle, dont on connaît les «performances» dans les domaines de
l’emploi, de la santé publique et de
Janvier-février-mars 2003
A propos…
l’environnement. Ainsi les agroindustriels européens et américains
peuvent vendre, par exemple, en
Asie un riz moins cher que le riz
cultivé sur place, en Amérique latine un maïs moins cher que le maïs
local et partout un blé moins cher
que le blé local. Ce dumping légal
maintient de la sorte la grande
majorité de la population mondiale dans une situation de pauvreté
permanente.
La synthèse rapide des trois
accords précités suffit pour se
rendre compte que, contrairement
à ce qu’affirmait un Lionel Jospin,
il ne s’agit pas de réguler le commerce mondial pour empêcher le
chaos ou prévenir un protectionnisme érigé abusivement en facteur automatique de guerre. Ce qui
est à l’œuvre c’est une dérégulation
programmée des droits fondamentaux des peuples à leur souveraineté et au libre choix d’un modèle de
société correspondant aux attentes
démocratiquement formulées. Ce
qui est à l’œuvre, c’est la mise en
place de règles mondiales qui
offrent le monde en pâture aux
firmes privées géantes, dont le
siège est dans les pays riches, afin
que plus rien ne s’oppose à leur
recherche jamais assouvie de profits.
Ce qui est à l’œuvre résulte d’un
choix. Non pas d’une fatalité.
D’autres choix sont possibles si la
résistance est forte assez pour rejeter un choix imprudemment
accepté par beaucoup d’acteurs
politiques négligents ou abusés. Il
y a une alternative. ■
Brahim Lahouel
GRESEA
Le développement "snobé"
La Conférence ministérielle de
l'OMC (Organisation Mondiale
du Commerce) tenue à Doha en
novembre 2001 avait établi le
calendrier de demandes et d’offres
pour les négociations sur le commerce des services. Adoptée par le
Conseil du commerce des services
le 28 mars 2001, la Déclaration
finale stipulait : «les membres de
l’OMC
présenteront
des
demandes initiales d’engagements
spécifiques, d’ici au 30 juin 2002 et
des offres initiales d’ici au 31 mars
2003». Les demandes concernent
tous les services qu'un pays
membre voudrait voir libéraliser
chez les autres. Les offres couvrent
les services qu'un pays membre
serait prêt à ouvrir à la concurrence.
Début février 2003, la majorité des
pays en développement n’ont pas
encore présenté leurs demandes
initiales. D’après la CNUCED
(Conférence des Nations Unies
sur le Commerce et le
Développement), la raison principale pour laquelle ils n’ont pas pu
le faire réside dans la complexité
de la tâche consistant à déterminer
leurs
intérêts
commerciaux
concrets dans le secteur des services1.
On peut le comprendre. Notamment face à l’opacité des conduites
des négociations à l’OMC et à
l’écrasante domination des USA,
de l’Union européenne et du Japon
qui à eux trois totalisent 81 % des
échanges dans le monde. Cette
AGCS, développement
et citoyenneté
domination s’accompagne d'une
relégation des pays du TiersMonde dans un rôle subalterne
d’observateur un peu médusé et
gentiment ignoré. D’autant que, le
suivi et la participation aux différentes négociations inscrites dans
l’agenda de l’OMC nécessitent la
présence d'une délégation permanente dont la majorité des pays du
Tiers-Monde ne peuvent supporter
les charges.
Qu’on se le rappelle, la mauvaise
surprise qui attendait les pays du
Tiers-Monde, lorsqu’en février
1997, à Singapour, l’OMC leur
avait pratiquement imposé la libéralisation des télécommunications
sans qu’il y ait eu de consultation
préalable.
La non prise en considération des
besoins des populations du Sud et
des réalités spécifiques des pays en
développement ne date pas d’aujourd’hui. Qu’on se souvienne
encore, lors de l’Uruguay Round
concernant l’inscription des services dans l’agenda de ces négociations, plus précisément à la
réunion de Montréal (décembre
1988) les USA avaient catégoriquement repoussé une clause dite
de « développement » provenant
des délégués du Tiers-Monde et
qui stipulait : « Les pays en voie de
développement ne seront pas censés faire de contributions et ne
devront pas être invités à faire de
concessions qui seraient sans rapport avec leur développement
propre, leur commerce et leurs
besoins financiers : il conviendra
d’accorder une attention toute particulière aux pays les moins avan-
cés lors de la phase de définition
des contributions et des concessions, au vu de leur développement, de leur commerce et de leurs
besoins financiers2» .
L'OMC n'est pas la seule organisation mondiale qui presse les pays
du Tiers-Monde à définir leurs
priorités en fonction des seules
exigences des entreprises transnationales. La Banque mondiale, à
travers
sa
Stratégie
de
Développement du Secteur Privé
(DSP) sapent les fondements du
secteur public en limitant fortement leurs activités. Le FMI (fonds
monétaire international), dans le
cadre du processus de "conditionnalité structurelle rationalisée"
conditionne l'octroi des prêts à la
privatisation des entreprises
publiques (eau, santé, éducation,
télécommunications, etc.).
Le citoyen "cannibalisé"
La détermination des intérêts commerciaux dans le secteur des services suppose une bonne maîtrise
de celui-ci, pas toujours facile à
cerner. Des difficultés de deux
ordres pointent dès qu'on l'aborde.
D'une part, une difficulté de définition et de classification et d'autre
part, de quantification et de statistique. Particulièrement lorsqu'il
s'agit de service public. Nous
savons que d'une manière générale
cette dernière notion est employée
pour désigner toute activité sociale que des pouvoirs publics érigent
comme tel. Qu'elle englobe des
domaines aussi divers que la santé,
l'éducation, la justice, la distribu-
N°37
Janvier-février-mars2003
GRESEA Échos
17
AGCS et
citoyenneté
tion d'énergie et d'eau, la poste, les
télécommunications, les médias,
les transports, la culture, etc. S'il
en résulte que la couverture et la
mise en pratique du service public
diffèrent selon les pays et varient
dans le temps, c'est que cette
notion est étroitement liée au
contexte culturel dans lequel elle
s'inscrit. En outre la place de ces
services évolue surtout en fonction
des contextes socio-économiques,
politiques et culturels. Au-delà des
raisons historiques qui ont présidé
à cette option, c'est l'Etat qui, dans
pratiquement tous les pays, au Sud
comme au Nord, s'est attribué les
services publics. Qu'il s'agisse de
l'Etat en tant que tel ou d'une
entreprise publique, la justification
de cette dévolution est partout la
même : tous les citoyens doivent
avoir accès à ce qui a été, dans la
plupart des cas, conçu comme service d'intérêt général. Avec la
mondialisation, les promoteurs du
service public en arrivent à se
défaire du principe de "l'intérêt
général" au profit d'une notion inscrite dans l'air du temps, "la satisfaction de la demande finale du
client". La question de la place du
"citoyen", transformé en un "usager-client", devient primordiale
pour fournir des réponses qui tiennent compte de l'intérêt général et
qui replacent la notion des droits
fondamentaux de l'Homme au
centre de tout système économique et social.
La prééminence de cette nouvelle
logique basée sur la mondialisation-globalisation, autrement dit,
l'obligation pour tous les pays de
s'inscrire dans "l'économie du mar-
18
GRESEA Échos
N°37
ché" en adaptant leurs système de
production non plus aux besoins
de leurs populations mais exclusivement aux exigences du commerce international. Les Etats, quant à
eux, sont vivement invités à libéraliser leurs entreprises publiques.
Les enjeux sont colossaux. Assez
en tout cas pour avoir, très rapidement appâté les multinationales
qui ont vite compris la nécessité de
s'assurer la maîtrise économique
du secteur des services. Or, le
souci premier de ces "opérateurs
économiques", est de voir se développer de nouvelles stratégies
industrielles et commerciales qui
leur permettent de proposer et
vendre des prestations commerciales à haute rentabilité financière. De puissantes oligarchies privées se sont, petit à petit, emparées du service public, rentable et
par surcroît en plein essor.
Devant cette situation, des associations, syndicats et autres mouvements sociaux se mobilisent
pour demander un moratoire sur
les négociations AGCS; la transparence et le contrôle démocratique;
une définition précise des services
publics et que ceux-ci soient mis
hors AGCS. ■
1.CNUCED, Conseil du commerce et du développement, note du secrétariat. Le commerce du
service et ses incidences sur le développement ;
Genève; 20 décembre 2002.
2. C. Raghavan. Recolonisation :l’avenir du
Tiers-Monde et les négociations commerciales
du GATT. Artel, Les magasins du monde
Oxfam, L’Harmatan. 1990. p.229
Janvier-février-mars 2003
René De Schutter
GRESEA
Lorsqu’un groupe de syndicalistes
et de militants d’ONG a décidé, en
1978-1979, de créer le GRESEA,
l’objectif était simple : avoir un lieu
de réflexion et d’éducation sur les
liens entre les travailleurs du Nord
et du Sud.
Il s’agissait, par des «démonstrations» scientifiquement fondées,
de montrer la convergence (à long
terme en tout cas) entre les intérêts
des travailleurs du Nord et du Sud,
ou de montrer ce qui empêchait
cette convergence.
La méthode des filières
Pour cela nous avons pendant plusieurs années adopté la «méthode
des filières».
Prenons le cas du tabac. L’analyse
de la filière tabac au niveau mondial montrait que la grande part
des matières premières (à savoir
surtout le tabac) était produite au
Sud, le plus souvent par des milliers de petits producteurs (formellement) indépendants. Les
multinationales du tabac qui achetaient ces matières premières
étaient les seules à connaître les
résultats – au niveau mondial – des
récoltes des différents types de
tabac ainsi que l’évolution des
Tentative
«provocatrice» de lier
l’histoire du GRESEA à
celle des idées
libre-échangistes
besoins de « mélange » de différents types de tabac pour la production des cigarettes – cigarettes
fabriquées au Nord par les travailleurs du Nord et éventuellement revendues au Sud - !
Dans ce cas précis, ce sont les multinationales qui jouaient le rôle
central. Elles pouvaient imposer
leurs prix et exploitaient aussi bien
les travailleurs du Sud que du
Nord, et cela essentiellement
grâce à leurs monopoles d’informations mondiales. En aucune manière les travailleurs du Nord
n’avaient des intérêts divergents de
ceux du Sud. Au contraire, et
c’était important de le montrer, la
seule solution était la création, au
niveau le plus mondial possible,
d’un réseau de producteurs de
tabac indépendants susceptible de
gérer une contre-information sur
l’évolution de la production du
tabac et donc, d’être dans un rapport de force avec les multinationales.
On voit bien à travers cet exemple
que la question du libre-échange
ne jouait pratiquement aucun rôle
dans cette affaire. Ce qui était en
question, c’était la division internationale du travail (la matière
première au Sud ; le produit fini au
Nord) et le rôle clé joué par les
multinationales. On peut certes
dire qu’implicitement à l’époque
on ne mettait pas vraiment en
cause le libre-échange ;il était en
réalité accepté comme une donnée
de fait.
Si on prend le cas d’une autre filière étudiée par le GRESEA, à savoir
celle de l’éternit, la situation était
la suivante : une multinationale
monopolisant les brevets au niveau
mondial, créant partout à travers le
monde des usines filiales ou soustraitantes, usines de production et
de vente nationales, mais qui en
aucune manière ne «connaissaient» les secrets du brevet. Un
peu comme Coca Cola aujourd’hui. Là encore, la question du
libre-échange n’était pas vitale. La
question vitale était celle du brevet
monopolisateur ! Et comme
chaque usine produisait pour un
pays ou pour un petit groupe de
pays, le problème des divergences
d’intérêts entre travailleurs du Sud
ou du Sud et du Nord, n’était guère
une réalité.
Le cas de la filière cuivre, que nous
avons abordé était, lui aussi,
typique.
Le cuivre a besoin d’un premier
traitement pour être « dégagé » et
devenir transportable. Dans un
premier temps, nous avons cru
N°37
Janvier-février-mars2003
GRESEA Échos
19
Tentative…
Tentative…
avoir trouvé là un beau cas où manifestement il fallait préconiser que les
stades ultérieurs du raffinage soient
rapatriés au Sud, et pas seulement la
première étape. Beau cas, pensions
nous, où la valeur ajoutée au Sud
pouvait augmenter. Certes cela risquait de se faire au détriment de
l’emploi au Nord mais les choses
étaient tellement mécanisées et les
usines de traitement étaient situées
au Nord dans des zones régionales
en plein boom économique ; d’où, le
problème de l’emploi n’était pas
insoluble. Hélas, l’étude approfondie des stades ultérieurs du raffinage
du cuivre a montré qu’en fait ces
derniers stades devaient se situer à
proximité des utilisateurs finaux (de
type industriel : câbles, etc.), car
chaque commande avait ses caractéristiques spécifiques (de teneur en
cuivre et en autres matériaux) et
l’idée de pouvoir gérer ça de loin à
plusieurs milliers de kilomètres, était
tout à fait farfelue (d’autant plus qu’à
l’époque les nouvelles technologies
de l’information n’étaient pas ce
qu’elles sont aujourd’hui). La solution était évidemment de pouvoir
industrialiser le Sud de telle sorte
que les utilisateurs industriels soient,
eux aussi, au Sud. Mais, une fois de
plus, c’était la vieille question de la
division internationale du travail, et
donc, pas du tout celle du libreéchange.
Le tournant des années ‘80
En descendant la filière cuivre, nous
avons étudié (et quand nous disons «
étudier », cela signifie toujours animer, éduquer, voire faire du lobbying politique) successivement le
segment « câble », principal utilisateur du cuivre; ensuite, nous sommes
passés aux industries électriques et
téléphoniques, et forcément à
l’époque du boom naissant des
Nouvelles
Technologies
de
l’Information et de la Communication (NTIC).
20
GRESEA Échos
N°37
Nous avons beaucoup « étudié » ces
NTIC. En réalité, il y avait là un
changement radical de perspectives
pour les rapports Nord-Sud, même
si nous n’en étions pas nécessairement tout à fait conscients à
l’époque. Jusqu’alors, il s’agissait de
la question de la division internationale du travail entre le Nord et le
Sud (les matières premières au Sud
et l’industrie au Nord !) et donc,
l’objectif était de favoriser la
« m o d e rn i s a t i o n - i n d u s t r i a l i s a t i o n
nationale» des pays du Sud. Avec les
NTIC, on se trouvait dans une toute
autre logique. Les NTIC constituent
un «paquet technologique» où s’articulaient étroitement réseaux matériels (fibres optiques, etc.), hardware
(ordinateurs), connaissances scientifiques, …
La «modernisation nationale» semblait totalement dépassée, d’autant
plus que la majorité des pays du Sud
n’avaient pas, en dehors des capitales, le minimum de réseau technique et de compétences. Ce qui
importait, c’était de parvenir à «s’accrocher» au «paquet NTIC», forcément mondial.
Certains pays de l’Est Asiatique sont
parvenus, en travaillant en sous-traitance d’abord, en contrefaçon aussi,
à s’inscrire dans cette «mondialisation» . Mais en dehors de ces N.P.I.
et de quelques «pôles performants»
dans les capitales ou les grandes
villes, la révolution passive des
NTIC aboutissait à exclure (elle
était de trop, pourrait-on dire) le
reste de l’humanité.
Ce qu’il fallait donc, c’était un bond
technico-scientifique reprenant l’ensemble de chaque pays. Ces années
sont aussi celles de l’explosion de la
dette du Tiers-Monde et des interventions musclées du FMI et de la
BM.
Le GRESEA se trouvait ainsi plongé
dans un nouveau tourbillon
«macroéconomique» pourrait-on
dire, où l’on voit apparaître progres -
Janvier-février-mars 2003
sivement la question du libre-échange car «s’accrocher à la nouvelle
mondialisation» signifiait bien adhérer au libre-échangisme du FMI et
de la BM.
Nous avons donc commencé à plancher sur le sujet et nous nous
sommes vus rapidement confrontés,
non seulement au FMI et à la BM,
mais aussi aux pourparlers en cours
de l’Uruguay Round.
Avec plusieurs ONG, nous nous
sommes alors «lancés» dans cette
bataille que nous avons appelé
«GATTastrophe». Et là, il n’était
plus question exclusivement de la
vieille division internationale du travail, mais des vertus supposées du
libre-échange et de cette méchante
idée que pouvaient encore avoir certains pays attardés de « protéger » le
peu d’industries qu’ils possédaient.
De la découverte du
libre-échangisme et de ses
contradictions
C’est surtout lorsque nous avons
«travaillé» sur l’Uruguay Round,
c’est-à-dire
sur
l’opération
GATTastrophe, que la question du
libre-échange est passée au premier plan des préoccupations. Elle
était tellement «portée», cette
question du libre-échange par le
GATT, le FMI, la BM, les EtatsUnis, les multinationales, l’Europe,
..., que nous ne pouvions pas ne
pas la mettre à l’avant-plan de nos
«sujets de préoccupations». A tel
point sans doute que c’est devenu
une espèce de monstre à plusieurs
têtes . Bien évidemment, une
démarche aussi globale nous obligeait à effacer les contradictions
qu’il faut bien gérer à un moment
déterminé.
Pour prendre une comparaison un
peu provocatrice, nous nous
sommes trouvés dans le même
genre de contradiction lorsque,
exigeant l’annulation de la dette,
nous nous sommes heurtés à la
Tentative…
Tentative…
question de la dette de Mobutu
(fallait-il annuler celle-là aussi ?).
Et puis au fond , dans la mesure où
nous avons beaucoup «planché» sur
la spéculation financière
Aujourd’hui, les temps ont mûri pour
engager un vrai débat de fond entre
nous sur les différents aspects du
libre-échange.
Le grand mérite de la publication du
rapport d’OXFAM International
«Deux poids, deux mesures» est
d’avoir ouvert le débat. Tout comme
les questions du droit de Propriété
Intellectuelle, de la libération des
Services vont nous obliger à devenir
un peu plus dialectiques.
Le GRESEA entend bien, entre autres
avec l’Université des Alternatives,
contribuer à ce débat. ■
1. Fume, c’est du belge ! ou l’insertion du marché
belge du tabac dans le commerce international suivi
d’une approche des coûts sociaux du tabac en
Belgique/ GRESEA, Bruxelles, février 1979 ; 53
pages
2. Description de 4 multinationales du tabac : R.J.
Reynolds, Philip Morris, British-American
Tobacco, Rupert-Rothmans/ GRESEA, mai 1979
; 122 pages
3. Quand j’entends le mot cuivre…/ GRESEA,
Bruxelles, mai 1979 ; 129 pages
4.nLe secteur mondial du cuivre : 1. Eléments de
restructuration du secteur à travers l’exemple des
USA… / N.Ronse et N. Sonet ; 2. …et du Chili/
H. Herting ; GRESEA, Bruxelles, novembre 1986 ;
1. 44 pages, 2. 32 pages
5.L’amiante-ciment : un matériau pour l’Eternit ?
Tentative d’approche des transferts de technologie
d’ETERNIT/ GRESEA, Bruxelles, mai 1979 ; 30
pages
6. Les autoroutes de l’information : Enjeux sociaux
et sociétaux/ avec la collaboration de Nicholas
Garnham, Herbert Kubicek, Claire Lobet-Maris,
Santiago Lorente et Astrad Torres ; GRESEA,
Bruxelles, mai 1995 (Actes du séminaire : « Les
autoroutes de l’information : pour une large concertation sociale », Bxl, 18 et 19 mai 1995 en collaboration avec l’Observatoire social européen et la
Confédération européenne des syndicats)
7.Evolution du secteur des câbles en BELGIQUE/
J.-L. Iwens ; GRESEA, Bruxelles, décembre 1984 ;
35 pages (Les Télé-textes du GRESEA n° 2)
8. Introduction à la GATTastrophe : les enjeux de
l’Uruguay Round/ René De Schutter-GRESEA
pour le Collectif Alert for Action-GATTastrophe,
Bruxelles, décembre 1990 ; 58 pages
9. Echec et GATT : les alternatives/ René De
Schutter-GRESEA pour le collectif Alert for
Action-GATTastrophe, Bruxelles, février 1991 ; 21
pages
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GRESEA Échos
21
Tentative…
GLOSSAIRE
Autarcie régime économique d’un pays se suffisant à lui-même
et n’effectuant avec les autres aucun échange
Banque mondiale ou Banque internationale pour la reconstruction et le développement Institution financière internationale.
A sa création, en 1944, la BIRD devait apporter une assistance
financière à long terme aux pays ayant subi d’importantes destructions au cours de la seconde guerre mondiale mais aussi, audelà de la reconstruction, soutenir les efforts de développement
de ses membres.
Bilatéralisme organisation des échanges internationaux fondée
sur des accords directs entre les Etats pris deux à deux
Brevet titre délivré par un gouvernement à un inventeur ou à ses
ayants droit en vue de conférer et de protéger les droits de propriété relatifs à une invention nouvelle ayant un caractère industriel, et à son exploitation.
Cartel Entente réalisée entre des entreprises indépendantes les
unes des autres en vue de limiter ou de supprimer les risques de
concurrence
Clause de la nation la plus favorisée Clause des traités de commerce par laquelle les pays contractants s’engagent à étendre à
leurs échanges réciproques les avantages douaniers qu’ils accorderaient ultérieurement à un pays tiers
Concurrence situation de référence où s’exerce une confrontation libre, complète et véridique de tous les agents économiques
au niveau de l’offre comme de la demande de biens et services,
de biens de production et de capitaux.
Contingent limite quantitative fixée par la puissance publique à
l’exercice d’un droit, ou montant de la participation à une charge, dans le cadre d’une allocation autoritaire des ressources ou
des contributions
Croissance Processus complexe d’évolution en longue durée, qui
se manifeste par un accroissement des dimensions caractéristiques de l’économie et par une transformation des structures de
la société. La croissance est l’objectif final de toutes les économies, quelle que soit leur nature. La priorité donnée à cet objectif répond au double souci de faire face à la montée des besoins
individuels et collectifs (élévation du niveau de vie) et d’affronter
dans les meilleures conditions possibles la concurrence internationale.
Décollage phase de développement d’une économie marquée
par l’apparition d’automatismes de croissance
Dévaluation modification volontaire de la parité d’une monnaie
souvent pour favoriser les exportations
Discrimination Action de l’Etat, ou d’un agent économique,
introduisant une différence de traitement entre ses partenaires,
faussant ainsi les conditions dans lesquelles s’exerce entre eux la
concurrence
22
GRESEA Échos
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Dumping Ensemble de pratiques et de mesures destinées à abaisser les prix des biens exportés de façon qu’ils concurrencent efficacement les autres biens analogues offerts sur un ou plusieurs
marchés étrangers
Entente Accord implicite ou explicite, limité ou global entre
deux ou plusieurs entreprises ou groupes d’entreprises pour
répartir entre elles les tâches, coordonner leurs décisions ou harmoniser leurs politiques en faisant exception à la concurrence
● Ententes horizontales : ce sont celles entre professionnels exerçant au même niveau de la structure
générale de l’activité économique (accords au
niveau de la production, au niveau de la distribution...)
● Ententes verticales : elles visent à limiter la souplesse du marché, principalement son atomicité et
sa fluidité, pour éviter que l’acheteur ne bénéficie
trop complètement du jeu de la concurrence entre
les offreurs de produits et par intégration de deux
ou plusieurs stades du processus économique
Exportation Vente de produits originaires du territoire national à
des agents situés hors de ce territoire
Filiale Société dont plus de la moitié du capital social est détenu
par une autre, dite « société mère »
Fonds monétaire international Organisation internationale spécialisée comprenant la plupart des Etats membres des Nations
unies, chargée de veiller au bon fonctionnement du système
monétaire international. Pour exécuter cette mission, le FMI
assume trois fonctions : définir et préserver un régime ordonné
des relations monétaires internationales ; offrir aux Etats
membres un cadre d’étude et de négociation ; dispenser des crédits aux pays rencontrant des difficultés de balance de paiements
General Agreement on Tariffs and Trade Accord général sur les
tarifs et le commerce : accord multilatéral conclu à Genève en
1947 sur des principes concernant les tarifs douaniers et les politiques commerciales des pays signataires. Devenu Organisation
mondiale du commerce en 1994
HoldingSociété dont l’objet consiste à prendre et détenir des participations dans d’autres entreprises en vue d’en contrôler ou d’en
diriger l’activité
Importation Achat de produits originaires de l’étranger à des
agents extérieurs au territoire national
Industrialisation par substitution d’importation Il s’agit de remplacer des biens imports par des biens produits localement, pour
diminuer la dépendance et de diversifier l’appareil productif par
étapes en remontant la filière de production.
Intervention est une action volontaire des pouvoirs publics,
directe ou indirecte, exercée sur l’économie pour orienter celleci dans un sens conforme à la politique économique menée
Glossaire
Tentative…
Keynésianisme C’est sur le plan théorique l’ensemble des
oeuvres faisant référence ou s’appuyant de fait sur Keynes. Sur le
plan pratique c’est une des bases des politiques économiques que
les Etats ont mises en oeuvre depuis la dernière guerre mondiale.
Keynes, à la différence des libéraux classiques, pense que les
mécanismes spontanés du marché ne suffisent pas à atteindre les
objectifs essentiels que sont le plein emploi, l’absence de crises de
surproduction, la croissance économique maximale compatible
avec les ressources existantes.
Pour Keynes, l’Etat doit jouer un rôle correcteur, en utilisant l’ensemble des moyens à sa disposition (budget de l’Etat, rôle dans la
création monétaire, action sur les taux d’intérêt...).
Libéralisation Mesure ou ensemble de mesures visant à favoriser
les échanges commerciaux par la réduction des tarifs douaniers et
l’élargissement ou la suppression du contingentement
Libéralisme Doctrine économique qui affirme que le meilleur
système économique est celui qui garantit le libre jeu des initiatives individuelles des agents économiques
Libération des échanges Assouplissement ou suppression des
restrictions quantitatives à l’importation (et le cas échéant à l’exportation)
Libre-échangisme Le libre-échangisme est une doctrine économique qui postule la libre production des marchandises (laissez
faire) et la libre circulation des marchandises (laissez passer) aussi
bien à l’intérieur d’un pays qu’entre les nations.
Macro-économie La macro-économie a pour objet l’étude des
agents économiques considérés comme des ensembles : l’ensemble des entreprises, l’ensemble des ménages, l’Etat, etc. à
l’échelle de la nation.
Meso-économie Terme utilisé par de larges courants de la pensée
économique pour désigner la zone d’influence des monopoles, en
général transnationaux, sur une économie. La méso-économie se
situe entre la micro-économie et la macro-économie.
Micro-économie La micro-économie a pour objet l’étude des
agents économiques considérés individuellement. Par exemple
comment agit la firme en situation de concurrence parfaite quand
ses coûts sont décroissants ? Comment agit le consommateur
quand les biens de consommation nécessaires ou de luxe augmentent en prix ?
Monopole Situation d’un marché sur lequel la concurrence n’existe pas du côté de l’offre : il ne se présente qu’un seul vendeur
Multilatéralisme organisation des relations internationales fondée sur des mécanismes permettant de privilégier les rapports de
chacun des pays avec l’ensemble de ses partenaires
Oligopole situation d’un marché sur lequel la concurrence est
imparfaite du côté de l’offre du fait d’un nombre très limité de
vendeurs
Périphérie Ce terme a été forgé par les économistes structuralistes de la CEPAL (commission économique pour l’Amérique
latine des Nations unies) dans les années 1950. la périphérie renvoie à un centre et souligne le fait qu’on a affaire à deux pôles de
l’économie mondiale, dont les structures sont différentes et dont
l’une est dominée par l’autre sur le marché mondial.
Préférence Réglementation du commerce extérieur plus favorable que le droit commun accordée par un pays aux produits en
provenance de certains Etats ou groupe d’Etats
Produit intérieur brut Somme des valeurs ajoutées brutes de
toutes les branches économiques : agriculture, industrie d’extraction, secteur manufacturier, transports, services, etc. Le PIB mesure également la production finale totale de biens et de services de
l’économie nationale.
Produit national brut Dans l’optique de la production, le PNB
représente la somme de toutes les valeurs ajoutées brutes (y inclus
les investissements) créées pendant un an par les agents économiques d’un pays.
Protectionnisme Doctrine, théorie ou politique économique
préconisant –ou mettant en pratique- un ensemble de mesures
favorisant les activités nationales au détriment de la concurrence
étrangère
Régime douanier réglementation applicable aux marchandises
traversant la frontière d’un Etat
Rétorsion Action entreprise par un Etat à l’encontre des intérêts
d’un autre Etat afin d’en obtenir l’annulation de mesures antérieures nuisibles à ses propres activités
Société multinationale Groupe d’entreprises installées dans plusieurs territoires nationaux mais relevant d’une direction unique
Subvention Dépense consentie à titre définitif au profit d’une
personne publique ou privée en vue d’alléger ou de compenser
une charge ou pour encourager une action déterminée
Système de préférences généralisées Instrument d’ouverture
additionnelle des marchés d’un pays industrialisé au bénéfice d’un
pays en développement.
Taux d’ouverture d’une économiePar taux d’ouverture d’une économie on entend le rapport entre la moyenne arithmétique des
importations et des exportations d’une part et le PNB d’autre part.
Termes de l’échange Indicateur permettant d’apprécier l’avantage qu’une économie donnée retire de ses relations commerciales
avec l’extérieur. L’indice des prix des exportations par rapport à
l’indice des prix des importations exprimé en pourcentages s’intitule termes de l’échange.
Union douanière Groupement d’Etats constituant de leurs territoires nationaux un espace douanier unique
Zone de libre-échange Ensemble formé par des pays ayant organisé entre eux la libre circulation des marchandises produites sur
leur territoire
Sources : Bernard & Coli « Dictionnaire économique et financier », Seuil, Paris,
1989 ; Brémond J., Geledan A. « Dictionnaire économique et social », Hatier,
Paris, 1981 ; Nagels, J. «Lexique économique du Groupe d’économie marxiste».
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Pour en
savoir plus…
Marc François
Des livres…
>>> Accords économiques internationaux : répertoire des accords et des institutions/ sous la direction de Bernard
COLAS ; La Documentation française,
Paris, 1990 ; 483 pages (Notes et études
documentaires)
>>> De la mondialisation subie au
développement contrôlé : Les enjeux de
la Conférence de Seattle, 30 novembre3 décembre 1999/ Mme Béatrice
MARRE, députée ; Assemblée
Nationale, Paris, 1999 ; 506 pages
(Rapport d’information n°1824)
>>> Deux poids, deux mesures : commerce, globalisation et lutte contre la
pauvreté ; Oxfam, 2002 ; 307 pages
(Pour un commerce équitable)
www.maketradefair.com
>>> La mondialisation de l’économie :
1. Genèse ; 2. Problèmes/ Jacques
ADDA ; La Découverte, Paris, 1996 ;
124 pages ; 124 pages (Repères n°198,
199)
>>> La mondialisation n’est pas coupable: vertus et limites du libre échange/ Paul R. KRUGMAN ; La
Découverte, Paris, 1998 ; 217 pages
(Textes à l’appui ; série économie)
>>> Leidt vrijhandel tot vooruitgang
op wereldschaal ?; Les enjeux du libreéchange; Die Auswirkungen des freien
Handels; What’s at stake with free
trade/ The Millennium Conference
1994 ; Fondation Roi Baudouin,
Bruxelles, 1994 ; 188 pages
>>> Libéralisation des échanges :
conséquences pour l’économie mondiale/ Ian GOLDIN, Odin KNUDSEN et
Dominique van der MENSBRUGGHE ;
OCDE, Paris, 1993 ; 241 pages
24
GRESEA Échos
N°37
>>> Mondialisation : les mots et les
choses/ GEMDEV ; Karthala, Paris,
1999 ; 358pages
>>> Nations et mondialisation/ Gérard
LAFAY, Colette HERZOG, Michael
FREUDENBERG, Deniz ÜNALKESENCI ; Economica, Paris, 1999 ;
410 pages
>>> The industrial revolution and free
trade/ Burton W. FOLSOM (Editor);
laissez-faire books, march 1997
>>> The new protectionism :
Protecting the future against free trade/
Tim LANG and Colin HINES ;
Earthscan Publ., London, 1993; 184
pages
>>> Découvrir les mots de l’économie
(glossaire de l’économie et de la netéconomie) ainsi qu’un guide des théories auprès de la Documentation française (France) www.ladocumentationfrancaise.fr/revues/pe/
>>> Focus on the Global South : La
mondialisation vue par le Sud
(Thailande)
http://www.focusweb.org/index.php
>>> International Centre for Trade and
Sustainable Development (ICTSD)
(Suisse)
http://www.ictsd.org/
…des articles…
>>>Solagral: Les defis d’un monde solidaire (France)
http://www.solagral.org/mondialisation/omc/index.htm
>>>Comment gouverner la mondialisation ?/ Pierre JACQUET, Jean PISANIFERRY, Dominique STRAUSS-KAHN
in : Problèmes économiques n°2722, 18
juillet 2001 ; p. 23-29
>>> WTOWatch : Observatoire du
commerce et du développement
durable (Etats-Unis)
http://www.tradeobservatory.org/pages/
home.cfm
>>>Le libre-échange est-il bon pour le
développement ?
in : Alternatives économiques n°191,
avril 2001 ; p. 70-73
>>>Le libre-échange est-il facteur de
croissance ?/ Michel FOUQUIN et
Guillaume GAULIER in : Problèmes
économiques n° 2688-2689, 15-22
novembre 2000 ; p. 62-65
http://www.cepii.fr/francgraph/publications/lettre/resumes/1999/let184.htm
…et sur le net
>>> Corporate Europe Observatory :
Observatoire européen de la puissance
économique et politique des transnationales (Pays-Bas)
http://www.xs4all.nl/~ceo/
Janvier-février-mars 2003
Les feuilles de route
du Gréséa
Rencontre-Débat
Dans le cadre des «Midis du TiersMonde», le GRESEA organise, en collaboration avec:les Magasins du MondeOxfam-ULB, ATTAC-ULB et Le Cercle
international des étudiants étrangersULB une rencontre-débat intitulée
"AGCS: liquidation à huis clos !" Avec
la participation de, Ronald Janssen,
Service d'Etudes de la CSC., Marc
Maes,11.11.11 (service politiques européennes), Daniel Richard, formateur du
centre d’éducation populaire André
Genot et conseiller auprès de la FGTB
wallonne et Brahim Lahouel (GRESEA)
Cette rencontre aura lieu à l’ULB,
auditoire 2215, Bâtiment H - Avenue
Paul HEGER - Bruxelles 1050 le jeudi
13 mars 2003 - 12h00-13h50
L'OMC s'est donnée comme objectif
d'"élever progressivement le niveau de
libéralisation" par des négociations qui
"viseront à réduire ou à éliminer les
effets défavorables de certaines mesures
sur le commerce des services, de façon à
assurer un accès effectif aux marchés"
(article XIX). Tous les services de tous
les secteurs sont visés: services publics,
sécurité sociale, services postaux, enseignement, formation professionnelle,
transport ferroviaire et aérien, pharmacies, grandes surfaces, professions libérales, etc. En coulisse, en l'absence des
pays en développement et des syndicats
mais en présence des lobbies des
grandes entreprises transnationales, la
grande liquidation de nos acquis sociaux
et de notre patrimoine commun se poursuit dans l'opacité la plus totale. Les syndicats et les ONG multiplient les appels
à la mobilisation.
Comment parvenir à ce que les promo-
teurs du service public n'en arrivent à se
défaire du principe de "l'intérêt général"
au profit d'une notion inscrite dans l'air
du temps, "la satisfaction de la demande
finale du client"? La question de la place
du "citoyen", transformé en "usagerclient", devient primordiale pour fournir
des réponses qui tiennent compte de
l'intérêt général et qui replacent la
notion des droits fondamentaux de
l'Homme au centre de tout système économique et social.
Les grands investisseurs s'impatientent.
Les chiffres sont éloquents: le commerce
des marchandises représente un volume
de 6200 milliards d'euros. Celui des services, secteur public non compris, 1400
milliards d'euros(pour l'instant, les services publics échappent en grande partie
aux lois du marché). La santé: 3500 milliards d'euros. L'enseignement : 2000
milliards. L'eau: 1000 milliards. A vos
calculettes!
Stopper cette machine infernale c'est
exiger : la transparence et le contrôle
démocratique; un moratoire sur les
négociations AGCS; une définition précise des services publics ; que les services publics soient hors AGCS.
qu’on appelle les Droits de Propriété
Intellectuelle.
Chaque pays a dans ce domaine des
législations particulières même si un certain nombre de conventions internatio nales ont été signées dans ce domaine.
Pour beaucoup de pays en voie de développement, la question des brevets est
une question vitale. En particulier, dans
le domaine de la santé (médicaments) et
de la protection de la biodiversité.
L’OMC en exigeant de ses membres l’application de l’Accord sur les droits de la
propriété intellectuelle, ADPIC, risque
de provoquer une véritable catastrophe
dans certains pays. D’après Oxfam international, si l’ADPIC devait être appliqué, les sommes à payer par les pays du
Tiers monde aux pays du Nord s’élèveraient pratiquement au niveau de l’Aide
Publique au Développement. Sans
compter le bio-piratage que cet accord
va permettre et les suites tragiques dans
des domaines comme la lutte contre le
sida.
Le GRESEA s’efforce d’expliquer tout
cela dans une brochure très pédagogique
et très nuancée.
Publications
Pourquoi il faut s’occuper aussi de la
Propriété intellectuelle ? René De
Schutter/Coll. Les Cahiers des
Aternatives/GRESEA ; 12/02 ; 27 pages ;
3,00 euros.
Faut-il accepter qu’un inventeur, un artiste ou une entreprise, puissent empêcher,
par un brevet, l’utilisation par d’autres de
leurs créations ?
Juridiquement, aujourd’hui, c’est ce
N°37
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GRESEA Échos
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À lire…
>The reality of aid 2002 : An independant review of poverty reduction and
international development assistance
The Reality of Aid Management
Committee ; IBON Foundation inc,
Manila, 2002; 262 pages
(disponible auprès de l’ONG flamande
NCOS – 11.11.11, rue de la Linière 11,
1060 Bruxelles – Tél.: 02/536 11 11)
Regard annuel critique de l’aide au
développement officielle de la communauté internationale et de des pays
donateurs. Dans cette 8ème édition
l’accent est mis sur la conditionnalité et
l’appartenance pouvant influencer ou
contrôler les politiques d’aide et les ressources du Nord vers le Sud. Ainsi trouvera-ton des expériences émanant de
l’Afrique, l’Asie et de l’Amérique latine
ainsi que des pays de l’OCDE. Source
de références indispensable pour toute
personne impliquée dans le mouvement
tiers-mondiste
26
GRESEA Échos
N°37
>L’économie du développement
Stéphanie Treillet ; éditions Nathan,
188 pages.
Lorsqu’on aborde la question de développement, parlant du Tiers-monde (le
Sud, qu’on sait situé un peu partout sauf
en Occident), la réflexion trébuchera
tôt au tard sur le fait économique.
Quels rapports nourrissent ces deux là ?
Ah, mais des relations très intimes ! Et
c’est ce que condense et explique ce
petit volume intitulé « L’économie du
développement » de façon très didactique, presque trop : destiné à un public
scolaire, il multiplie les « morceaux
choisis » d’ouvrages de référence dans
d’irritants encadrés, il ne manque que
les « exercices » avec leur « corrigé »
en annexe (plus gênant : l’index des
notions en fin de volume renvoie systématiquement à la mauvaise page !).
Mais on ne jettera pas le bébé avec l’eau
du bain. Pour qui veut voir clair, dans
une perspective historique, les espoirs
et aléas de la pensée économique appliquée au développement du Tiers-monde
(sa « désindustrialisation » par exemple,
qui frappe désormais autant sinon plus
le Nord), c’est un excellent outil. (E.R.)
Janvier-février-mars 2003
>Les mots du pouvoir – sens et nonsens de la rhétorique internationale
Ouvrage collectif sous la direction de
Gilbert Rist ; Nouveaux Cahiers de
l’IUED – Presses Universitaires de
France ; 210 pages.
Le fait est rare. Voilà un livre qui suscite la
jubilation, à toutes ses pages ; un livre
nécessaire, de surcroît, que quiconque s’attache à comprendre le monde et ses rapports de force devrait lire, car il déchire les
voiles par lesquelles la « novlangue » des
rapports internationaux et autres officines
de la pensée standardisée embrument les
esprits. De quoi s’agit ? D’une oeuvre salutaire de déconstruction, d’une analyse au
scalpel du langage (lisez : de la propagande) – creux, désidéologisant, décervelant –
utilisé par les grandes institutions internationales, Banque mondiale & Co. C’est par
exemple la technique, constante, consistant
à masquer les acteurs des politiques coercitives des dites institutions par des tournures
passives et impersonnelles : c’est un monde
abstrait rempli de « forces », de « dynamiques », de « poussées » non identifiées,
au point que tel rapport de la Banque mondiale, qui contient 66 verbes conjugués,
n’en construit pas moins de 53 sans sujet,
tout est mécanique céleste ! « Il faut faire
bouger les choses », entend-on, mais qui va
faire bouger qui et quoi avec qui et contre
qui, quand, comment et pourquoi, au bénéfice de qui et au détriment de qui : c’est ce
que ce discours d’asservissement et de la
normalisation de la pensée se garde
bien de d’énoncer. Ajouter à cela, impi-
A lire…
toyablement analysés par les auteurs
du livre, la création et le matraquage
d’une terminologie aseptisée et interclassiste («appropriation», «partie prenante», renforcement des capacités»,
«cohésion sociale» pour prendre les
clichés les plus en vogue) qui n’ont
d’autre fonction que de faire obstacle à
une pensée indépendante et critique.
Jubilatoire et nécessaire, ce livre est
une arme contre le bourrage de (son
propre) crâne. Pour ne pas mourir
idiot, comme on disait avant... (E.R.)
>Nord – SUD se documenter et organiser une recherche Paul GERADIN,
(ICHEC) avec la participation de
Catherine SLUSE (COTA); Presses
Universitaires de Namur, 2003 ; 74
pages (COTA Hors série n°3)
(disponible auprès du COTA, rue de la
Révolution 7, 1000 Bruxelles – Tél. :
02/250 38 37)
Formidable outil pour qui veut BIEN
se documenter. Il servira de guide dans
vos recherches concernant tel ou tel
aspect des relations Nord-Sud…
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GRESEA Échos
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