Maladie d`Alzheimer et conduite automobile Quel éclairage

Journal Identification = PNV Article Identification = 0556 Date: August 21, 2015 Time: 3:24 pm
Synthèse
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2015 ; 13 (3) : 328-34
Maladie d’Alzheimer et conduite automobile
Quel éclairage apportent les guides
destinés aux proches ?
How to handle the dilemma of driving for patients
with Alzheimer’s disease?
A survey of advices provided by French caregivers guides
Marie-Claude Mietkiewicz
Madeleine Ostrowski
Laboratoire Interpsy, EA 4432,
Université de Lorraine, Nancy, France
<marie-claude.mietkiewicz@univ-
lorraine.fr>
Tir ´
es `
a part :
M.-C. Mietkiewicz
Résumé. Est-il raisonnable de laisser une personne atteinte de maladie d’Alzheimer
conduire sa voiture ? Les guides destinés aux aidants informels répondent à cette ques-
tion par la négative et évoquent différents moyens pour amener le malade à cesser de
conduire. En France, l’entière responsabilité de cette décision appartient aux proches du
malade confrontés à un dilemme éthique puisqu’ils doivent choisir entre la sécurité et
l’autonomie du malade.
Mots clés : maladie d’Alzheimer, conduite automobile, guides, aidants informels
Abstract. For many old people, driving takes an important place in the daily living activi-
ties and contributes to carry on their autonomy and self-esteem. However, many studies
showed a link between car accidents and Alzheimer‘s disease, even in the early stages of
dementia, and people caring for these patients inevitably ask the question: “Is my patient
with Alzheimer’s disease still able to drive his car?” Guides devoted to caregivers can play
an important role to improve the knowledge of Alzheimer’s disease and to afford advices
for patients managing. To assess how these guides handle the question of patients driving,
we made a survey of the 46 French caregiver guides (re)published between 1988 and 2013.
The question of driving is raised with more or less details in 31 guides. All state that driving
should be discontinued but that the consequences of this decision on the patient autonomy
should be taken into account. A few guides provide clues to assess driving competence
for the patients, and many propose advices to support the implementation of the driving
discontinuity decision, such as to discuss with the patient to persuade him to stop driving,
to ask for assistance by the family physician, to hide the car’s keys or to disconnect its bat-
tery... In France, physicians are not allowed to prohibit driving or to report dangerous driving
to authorities. Ultimately, the caregivers remain faced with the ethical dilemma to choose
between safety and the patient’s autonomy preservation. Therefore the responsibility for
the patient to persist or give up driving only falls to them.
Key words: Alzheimer disease, driving, guides, informal caregivers
Est-il bien raisonnable de laisser une personne
atteinte de maladie d’Alzheimer (MA) prendre le
volant ? Cette question revient régulièrement sur
le devant de la scène médiatique, en particulier lorsqu’un
conducteur âgé a provoqué un accident grave et que
l’enquête révèle qu’il présentait des troubles cognitifs.
Même si, depuis une dizaine d’années, plusieurs groupes
d’experts ont été invités à faire des propositions pour
encadrer la conduite automobile des personnes dont les
handicaps ou pathologies majorent les risques d’infractions
et d’accidents, il n’existe en France, contrairement à ce qui
a été mis en place dans d’autres pays, aucune disposition
légale pour obliger les conducteurs âgés de se soumettre
à un examen de santé. C’est dans ce contexte que nous
proposons d’examiner le problème de la conduite automo-
bile du malade atteint de maladie d’Alzheimer tel qu’il se
pose pour les proches du patient qui souhaitent assurer son
bien-être et sa sécurité.
Le conjoint, les enfants, les amis s’inquiètent souvent
des pertes de compétence du malade et se demandent
si elles sont compatibles avec la poursuite de la conduite
automobile ; ils sont, la plupart du temps, à la fois soucieux
de prévenir l’accident et ennuyés de réduire l’autonomie
de leur proche et cherchent à étayer leurs positions
sur des avis autorisés. Les guides destinés aux aidants
informels constituent une des sources d’information acces-
doi:10.1684/pnv.2015.0556
328 Pour citer cet article : Mietkiewicz MC, Ostrowski M. Maladie d’Alzheimer et conduite automobile Quel éclairage apportent les guides destinés aux
proches ? Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2015 ; 13(3) : 328-34 doi:10.1684/pnv.2015.0556
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Maladie d’Alzheimer et conduite automobile
sibles et disponibles ; conc¸us comme des manuels de
l’accompagnement des malades atteints de MA, ces
ouvrages s’attachent à proposer aux aidants familiaux des
conseils dans la gestion du quotidien et examinent à cette
fin les principales difficultés qu’ils rencontrent au fur et à
mesure de l’évolution des troubles.
Écrits par des professionnels (le plus souvent des méde-
cins, gériatres ou neurologues, parfois des psychologues,
plus rarement d’autres soignants), les guides proposent,
dans un langage accessible à tous, des données sur la
maladie, l’établissement de son diagnostic, ses stades et
l’état de la recherche. Ils apportent surtout des propositions
pour vivre le mieux possible et le plus longtemps possible à
domicile avec le malade, des informations sur les différents
professionnels, les services et les structures d’accueil qui
peuvent contribuer à la prise en charge ou en prendre le
relais.
Notre objectif est de chercher comment ces guides sont
susceptibles d’aider les aidants informels à intervenir dans
le domaine de la conduite automobile. Dans les ouvrages
qui abordent cette question, nous mettrons en évidence
les positions adoptées et les conseils dispensés, puis nous
tenterons de montrer comment les proches peuvent trou-
ver dans ces livres un support dans leur accompagnement
quotidien.
Les guides pour les aidants
et la question de la conduite
automobile
Constitution du corpus des guides
Nous considérons comme des guides les ouvrages
qui s’adressent explicitement aux proches des malades
atteints de la MA et qui affichent clairement une intention
d’expliquer la maladie pour comprendre le malade et aider
ses proches à l’accompagner dans les actes de la vie quo-
tidienne. Le corpus sur lequel porte notre travail comporte
tous les ouvrages que nos explorations nous ont permis de
trouver et qui correspondent à cette définition.
Ces livres ([1-46] dans l’ordre chronologique de leur pre-
mière édition), publiés de 1988 à 2013, indiquent souvent
dès leur titre cette intention d’apporter des éléments de
réponses aux difficultés que rencontrent les proches, par
exemple : «Comment vivre avec un Alzheimer »[1], «Alz-
heimer – Le guide de l’aidant »[9], «Alzheimer et démences
séniles – Mieux vivre avec un malade »[10], «Vivre avec un
proche atteint d’Alzheimer »[13], «Maladie d’Alzheimer :
traiter, soigner et accompagner au quotidien »[14], etc.
Les indications de la quatrième de couverture de tous ces
ouvrages précisent l’intention : «aider »et le destinataire :
«l’aidant »et les introductions désignent les proches du
malade comme les lecteurs à qui ces livres sont destinés.
La conduite automobile dans ces guides
Trente et un des quarante-six guides abordent, en
quelques lignes ou quelques pages, le problème de la
conduite automobile, ce qui reflète probablement la place
des difficultés que rencontrent les aidants dans la gestion
de cette question. En réalité, ce comptage est en dec¸à des
faits puisque d’une part, plusieurs ouvrages des mêmes
auteurs constituent une collection de guides pratiques dont
la publication s’échelonne de 2004 à 2007, chaque livre trai-
tant d’un aspect particulier [12, 15, 18, 20, 23] et, d’autre
part, trois livres [22, 33, 45] abordent la vie avec le malade
atteint de MA sous l’angle spécifique des difficultés de la
communication.
La conduite automobile est parfois abordée dans un
chapitre dont le titre indique clairement la teneur géné-
rale : «Les répercussions de la maladie d’Alzheimer sur la
vie d’une personne jusqu’alors autonome »[3, 9] «Véri-
fiez certains points essentiels pour éviter les accidents
domestiques »[13] «Quelques problèmes bien difficiles
à gérer »[27] ou encore «Les grandes interrogations »[28].
Dans d’autres guides, cette question est traitée dans un
paragraphe spécifique aux titres explicites : «Conduire sa
voiture »[20], «Rendre les clés de la voiture »[41], parfois
formulés sous la forme interrogative : «Mon parent souhaite
conduire sa voiture. Est-ce dangereux ? »[11], «Faut-il inter-
dire la conduite automobile ? »[21] «Une personne atteinte
de la maladie d’Alzheimer peut-elle continuer à conduire
son automobile ? »[24], «Il veut continuer à conduire, Que
faire ? »[35] ; il arrive aussi que la question soulève un point
de droit : «L’ouverture d’un régime de protection annule-
elle le permis de conduire d’une personne atteinte de la
maladie d’Alzheimer ? »[3]. Sous des formulations variées,
le problème soulevé est toujours le même : Est-il souhai-
table qu’un malade atteint de MA continue à conduire son
véhicule ? Et si la réponse est négative, comment faire pour
l’en dissuader, voire le contraindre à y renoncer ?
Incompatibilité entre maladie
d’Alzheimer et conduite
automobile
Les arguments avancés dans les guides
C’est unanimement que les auteurs des guides
montrent que la maladie d’Alzheimer n’est pas compatible
avec la conduite automobile. Deux types d’arguments sont
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n 3, septembre 2015 329
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M.-C. Mietkiewicz, M. Ostrowski
avancés pour asseoir cette position, les premiers en réfé-
rence aux troubles qui marquent l’évolution de la maladie
d’Alzheimer, les seconds en appui sur des travaux qui
mettent en évidence l’augmentation du risque d’accident
lorsque les chauffeurs souffrent de déficits cognitifs.
Les troubles de la MA mentionnés dans ces guides, qui
s’ajoutent aux difficultés ordinaires liées au vieillissement
physiologique, sont multiples : déficit d’attention, erreurs
de jugement dans l’évaluation du risque, ralentissement
des temps de réaction, diminution de la coordination des
gestes, troubles de l’orientation, etc. Les auteurs sont tous
ainsi conduits à considérer que, même si la conduite auto-
mobile est automatique, «sur-apprise »et relève de la
mémoire procédurale, le malade doit cesser de conduire
sa voiture car il n’a plus les compétences requises pour
circuler sans se mettre en danger et mettre en danger les
autres usagers et les piétons.
Un certain nombre de guides rapporte les conclusions
d’études dont les données attestent de la dangerosité
incontestable des malades atteints de maladie Alzheimer
au volant, y compris avant même que le diagnostic ait
été porté : «Un travail suédois a prouvé que près de
50 % des conducteurs âgés morts dans un accident de voi-
ture présentaient des lésions cérébrales compatibles avec
un Alzheimer »[8], «Les résultats de toutes les études
publiées convergent pour mettre en évidence un risque
accru des accidents chez les personnes atteintes de mala-
die d’Alzheimer, même débutante »[12], «De nombreux
patients ont eu effectivement un accident avant ou après
le diagnostic d’Alzheimer. La maladie d’Alzheimer multiplie
par cinq le risque d’accident et la moitié des patients aura
au moins un accident avant d’arrêter de conduire »[21], «40
à 50 % des malades ont un accident dans les années qui
suivent le diagnostic, pourtant au début 80 % continuent
de conduire »[33], «Le nombre d’accident est multiplié
par 5 selon certaines études »[35]. Les mentions de ces
recherches sont faites assez succinctement [47-51] mais
constituent des arguments de poids.
Une question sensible, un sujet de tension
Les auteurs des guides reconnaissent aussi que priver
un proche de l’usage de sa voiture n’est pas simple. Plu-
sieurs guides rappellent la place qu’a pris la voiture et la
difficulté de renoncer à l’utiliser surtout pour les patients
qui résident en milieu rural, sans commerces de proximité
ni moyens de transport en commun [5, 7, 12, 16, 20, 32] pour
qui la privation du moyen de transport individuel équivaut à
un handicap social réel, surtout dans le cas où le malade
est le seul chauffeur de la famille. Aupetit [2] conseille au
conjoint du malade de passer le permis de conduire ou de
prendre quelques lec¸ons s’il n’a pas conduit depuis long-
temps.
Si cette question est source de conflit, les auteurs des
guides en explicitent les facteurs : les proches sont souvent
en grande difficulté pour faire admettre au malade dont les
capacités d’autocritique sont moindres qu’il n’est pas sou-
haitable qu’il continue à conduire alors qu’il n’a jamais eu
d’accident et ne se déplace que pour des trajets courts et
familiers. C’est surtout la dimension symbolique de l’interdit
qui est soulignée, l’interdiction de conduire apparaît comme
«l’officialisation de l’entrée dans la dépendance »[2], parce
que «l’automobile s’est constituée en symbole, voire en
fétiche de l’indépendance »[5] et que «la capacité à
conduire reste dans l’imaginaire de chacun un gage de puis-
sance et d’autonomie »[5]. Interdire la conduite automobile
«revient à être privé de liberté et cela ne fait qu’aggraver la
dépression »[8] et constitue «une limitation importante de
l’autonomie du malade, une atteinte à son individualité et
à son estime personnelle »[12]. L’atteinte à la liberté indi-
viduelle explique pourquoi ce renoncement est douloureux
pour le malade et ce, d’autant plus qu’il est de sexe masculin
[1, 2, 5, 7, 8, 34] et qu’il appartient à une génération où «le
fait de conduire, de conduire vite et adroitement, a long-
temps été considéré comme l’attribut viril par excellence
du père de famille. »[5]. Parce qu’elle prive le malade d’une
liberté et lui impose une limitation d’autonomie dont il ne
perc¸oit pas toujours les motifs, l’interdiction de conduire est
toujours une question difficile pour les familles, un problème
qu’elles mentionnent comme «un des plus douloureux
qu’elles aient à affronter »[2, 5], souvent «une source de
conflit »[2, 3, 6, 8, 17, 19, 27], ou du moins «un sujet de
tension »[40, 41].
Quelles que soient les dimensions sur lesquelles
insistent les différents auteurs de ces guides, la ques-
tion de la conduite automobile des malades Alzheimer se
pose pour les proches comme un problème dont Selmès
et Derouesné [23, 28] expriment clairement les données :
«Vous êtes donc placé devant le dilemme suivant : le lais-
ser conduire pour préserver son autonomie et son estime
de soi, avec le risque potentiel d’accident ou lui interdire de
conduite pour prévenir les conséquences physiques, psy-
chologiques et financières d’un éventuel accident, mais en
portant atteinte à son sentiment d’identité et à son estime
de soi. »[28]. Selmès [36] situe le même dilemme «entre
l’objectif de maintenir la plus grande autonomie possible
de votre proche et la nécessité de préserver sa sécurité
mais aussi la sécurité de la communauté »et estime que
la décision doit être «mûrement posée en évaluant les
bénéfices de continuer à conduire et les risques poten-
tiels que cela suppose ». Les proches du malade sont ainsi
invités à se positionner entre la recherche de sécurité et le
330 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n 3, septembre 2015
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Maladie d’Alzheimer et conduite automobile
maintien de l’autonomie, comme dans bien d’autres situa-
tions, mais avec une donnée supplémentaire puisqu’il ne
s’agit pas seulement de veiller à la sécurité du malade,
mais de prendre en considération la mise en danger d’autrui
dès l’instant que ses difficultés sont susceptibles d’être
à l’origine d’accidents de la circulation dont d’autres per-
sonnes peuvent être les victimes. Cette dimension, sur
laquelle les guides insistent, est importante car il ne s’agit
pas uniquement d’être attentif aux dangers auxquels le
malade s’expose mais aussi de tenir compte des dangers
qu’il fait courir à d’autres personnes.
Les méthodes préconisées
par les guides
Les différentes propositions des guides ont le même
objectif : manière douce ou autoritaire, tentative de per-
suasion, recours à l’avis du médecin traitant ou ruse, les
moyens diffèrent, mais le but est toujours le même : il
s’agit de réussir à empêcher le malade de prendre le volant.
«L’entourage doit se montrer à la fois inventif (pour trouver
des raisons valables à l’arrêt) et chaleureux (pour l’aider à
surmonter cette atteinte à l’estime de soi). Et pourtant, il
faut prendre la décision car il n’est pas concevable de faire
courir des risques à autrui et au malade »[1] ; «Il n’y a évi-
demment aucune bonne solution [...] il est clair qu’il faut
abandonner l’auto »[2].
Certains avancent une solution assez expéditive
comme cette proposition lapidaire : «Placez hors d’atteinte
les clés de la voiture »[42] ; la plupart suggèrent tout un
éventail de solutions à envisager selon le stade de la maladie
et la possibilité d’associer le patient à la réflexion. En pre-
mier lieu, il est souvent conseillé de chercher à convaincre
le patient de renoncer à la conduite automobile ; en second
lieu s’il récuse les explications qu’on lui apporte ou présente
une anosognosie telle qu’il ne peut y adhérer, il est recom-
mandé d’user de divers stratagèmes pour l’empêcher de
conduire.
Remporter l’adhésion du patient
Vingt et un ouvrages [1, 2, 6-9, 11, 12, 16, 17, 20, 21, 24,
25, 27, 28, 34, 37, 39, 41, 43] incitent clairement au dialogue
avec le malade : «L’idéal serait de l’amener à prendre la
décision lui-même »[1], «La voie à suivre est celle d’une
gentille franchise »[2], «Discuter ouvertement de la situa-
tion dans un climat de confiance peut aider la personne à
accepter plus facilement cette perte d’autonomie »[37] ;
dans tous ces guides, il s’agit de dialoguer avec le malade
pour lui faire comprendre les éventuelles conséquences de
ses difficultés d’attention ou d’orientation, en prenant soin
de ne pas le déprécier afin de l’associer à la décision. Il
est conseillé de trouver des solutions alternatives afin qu’il
puisse encore se déplacer [1, 6, 9, 17, 24, 25, 39] et qu’il
trouve des avantages à ces autres modes de transport qui
peuvent se révéler plus rapides ou moins fatigants [9, 43].
Vingt-sept guides suggèrent de demander l’aide du
médecin. En France, le rôle du médecin traitant est stric-
tement d’appuyer la position des proches et d’apporter un
avis médical : «L’annonce sera certainement mieux accep-
tée si elle vient du médecin traitant »[2], «Il est probable
que votre proche accepte mieux d’arrêter de conduire pour
des raisons de santé formulées par un professionnel »
[12, 20, 23, 36], d’autant que le médecin représente une
figure d’autorité et que «son conseil prend le poids d’un
ordre »[17].
Empêcher l’usage de la voiture
S’ils sont certainement efficaces, les moyens mis
en œuvre ici conjuguent la ruse et la contrainte
puisqu’il s’agit de rendre le véhicule inutilisable ou de
le mettre hors de portée du malade. Ces moyens sont
préconisés lorsque le patient refuse de renoncer à
conduire alors que son entourage estime que sa dan-
gerosité est avérée. Toute une série de propositions
sont formulées pour empêcher le patient de conduire
[1, 6, 7, 9, 12, 13, 17, 20, 21, 24, 28, 32, 34, 37, 39, 41, 43].
Cacher les clés, débrancher la batterie, faire croire que la
voiture est en panne sont les suggestions les plus classique-
ment faites, d’autres stratagèmes sont également avancés :
garer la voiture dans une rue éloignée [9, 24, 39, 40] ou dans
le garage d’un voisin ou d’un ami [17, 39], faire croire qu’elle
a été volée [7], la vendre [9, 12, 24, 34, 36] ou en ache-
ter une nouvelle que le malade ne saura pas conduire [13].
Quelle que soit la méthode utilisée, l’objectif est le même :
contraindre le patient à renoncer à la conduite automobile
alors qu’il refuse un interdit qu’il vit comme une brimade
injustifiée et tenir avec fermeté cette posture jusqu’à ce qu’il
oublie l’existence même de la voiture et n’exprime plus le
désir de conduire [12, 40].
Avancée comme un dernier recours, la
demande de la suspension du permis de conduire
[1, 8, 11, 16, 21, 23, 24, 32, 34-36, 39, 41, 44] est mention-
née dans quatorze guides. Tenu au secret professionnel,
lequel apparaît renforcé depuis la loi dite loi Kouchner du
4 mars 2002 où il est affirmé comme un droit du malade
[16], le médecin traitant n’a, en France, aucune capacité à
dénoncer le danger auprès des autorités administratives
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M.-C. Mietkiewicz, M. Ostrowski
[5, 16, 21, 23, 32, 35, 36]. Ce sont donc les familles et elles
seules qui peuvent saisir la commission préfectorale du
permis de conduire.
La responsabilité sur les épaules
des proches
Quelles que soient les propositions avancées dans ces
guides, il apparaît que la place des proches du malade
reste inconfortable puisqu’ils sont seuls pour décider
d’une position et en assumer la responsabilité. Il leur
appartient donc de trouver une solution pour résoudre le
dilemme explicité par Selmès et Derouesné [28] en optant
pour l’autonomie du malade et les risques d’accidents
qui l’accompagnent ou en choisissant la sécurité et son
corollaire, une atteinte au sentiment d’identité et d’estime
de soi du malade. Selon que les auteurs des guides
mettent en avant l’aspect sécuritaire ou qu’ils insistent sur
le respect de la liberté individuelle du sujet, ils vont adopter
des positions différenciées quand il s’agit concrètement
de donner des indications sur le moment où l’arrêt de la
conduite automobile devient impérative.
Le souci de prévention
Un grand nombre de guides ne fournissent aucune indi-
cation, soit que la question relative au moment où il faudra
ne plus permettre au patient de prendre la volant ne soit pas
abordée [1, 3, 5, 6, 8, 9, 11, 13, 16, 17, 24, 34, 39, 41-43],
soit qu’elle soit formulée pour immédiatement la déclarer
sans réponse. Par exemple, on peut lire : «Les familles nous
demandent souvent à quel stade de la maladie le malade ne
doit plus conduire, vivent dans un climat d’angoisse perma-
nent à l’idée du risque de l’accident, et de devoir demander
au malade de ne plus conduire... On ne peut malheureu-
sement pas donner de date, ni de stade précis, mais il faut
que la famille fasse preuve de vigilance »[7], «Sait-on à
quel moment la maladie interfère avec les possibilités de
conduire ? la réponse est claire : non »[27]. Cette diffi-
culté à déterminer le seuil de dangerosité conduit parfois
à adopter des positions d’interdit précoce : «Aucun test
ne permet de savoir à partir de quand un patient court un
risque significatif ; pour cette raison, le médecin jouera tou-
jours la carte de la sécurité absolue en déconseillant très
tôt la conduite au patient et en informant son entourage
des risques encourus »[21] et à inciter à des mesures pré-
ventives : «Il est de votre responsabilité et de votre devoir
d’intervenir avant que ne survienne un accident »[17]. Les
arguments fréquemment avancés dans les guides pour sou-
tenir qu’il est préférable de mettre un terme à la conduite
dès l’établissement du diagnostic sont de trois ordres : les
conclusions des études scientifiques qui plaident en faveur
d’un arrêt précoce, les risques que le patient fait courir aux
autres usagers et piétons, avec une insistance particulière
sur le fait que la victime pourrait être un enfant et le rappel
de la responsabilité civile du malade même s’il fait l’objet
d’une mesure de protection. Les guides qui développent
cette position, dans une perspective de prévention, invitent
les proches à adopter une attitude d’interdiction précoce,
dès la suspicion d’un diagnostic de maladie d’Alzheimer [6]
et a fortiori lorsque ce diagnostic est établi.
L’évaluation des compétences
du conducteur
D’autres ouvrages, moins nombreux, suggèrent des
aménagements progressifs et attirent l’attention des
proches sur les signes qui peuvent aider à situer le moment
où l’arrêt de la conduite s’imposera. Une des suggestions
est d’accompagner le patient [17, 21, 25, 34, 43] à la fois
pour le seconder, le guider, veiller à la sécurité et pour le
relayer au volant s’il est fatigué ou en difficulté. L’autre sug-
gestion fréquemment avancée dans les mêmes ouvrages
est de ne permettre la conduite que dans des conditions
qui permettent de minimiser les risques : petits trajets fami-
liers, de jour, lorsque les conditions météorologiques sont
bonnes et en évitant les zones urbaines surtout aux heures
où le trafic est dense.
Ces conseils permettent d’organiser un arrêt progressif
et raisonné de la conduite automobile sans faire courir des
risques inconsidérés au malade et à autrui. De telles procé-
dures peuvent aussi permettre au conducteur lui-même de
prendre conscience de ses difficultés et d’être, par consé-
quent, plus enclin à accepter l’interdit.
Accompagner le patient dans ses déplacements per-
met aussi de prêter la plus grande attention à certains
signes d’alerte ; c’est ce que recommandent quelques
auteurs qui établissement la liste des éléments de la
conduite automobile sur lesquels il faut porter son atten-
tion [12, 20, 21, 23, 36, 37, 44]. Ces bilans sont à rapprocher
des propositions avancées pour l’évaluation des aptitudes
à la conduite automobiles des sujets âgés [52-54] ; dans les
guides qui en font mention, les auteurs explorent plus par-
ticulièrement les troubles dont la maladie d’Alzheimer peut
expliquer la survenue. Parmi les difficultés à repérer, sont
citées certaines altérations des capacités : les temps de
réactions trop lents, les défauts de coordination des gestes,
les troubles de l’orientation, l’absence d’anticipation, des
manquements au code de la route comme les vitesses
332 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n 3, septembre 2015
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