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Position de Thèse
Bataille entreprend une volution axiologique dans divers domaines
en critiquant les valeurs considérées comme « évidentes ». Sa pensée a étalé au
grand jour ce dont on avait détourné les yeux dans l’histoire : (1) l’expérience
elle-même dépouillée de toutes les références chrétiennes, (2) « la dépense
pour la dépense » qui s’oppose à l’idéologie productocentrale dominante, (3) la
vérité de l’expérience dans la littérature, oubliée par le réalisme, (4) l’idée de
communauté acéphale condamnant la tradition monocéphale, (5) la divini
plus divine que Dieu au-delà des limites de la divinité chrétienne. Il en ressort
que la pensée de Bataille a des aspects novateurs par rapport à la tradition en
plusieurs points. On y voit une contestation de l’exclusion et de l’occultation
propres à l’histoire occidentale, ou une révolution intellectuelle contre le
système axiologique établi. Or nous nous sommes demandés, dans cette thèse,
quel rapport ces innovations entretiennent avec la manière de penser de la
métaphysique. Sont-elles étrangères à la taphysique ? Ont-elles dépassé la
métaphysique ? Ou l’ont-elles rendue périmée ? Certainement, l’athéologie et
l’« économie générale » ont tenté d’ensevelir la philosophie et la théologie,
mais cette tentative est-elle par un succès ? Nous avons tenté de répondre à ces
questions dans l’étude des deux thèmes de « l’expérience » et de « la divinité »,
qui se retrouvent tout au long des œuvres de Bataille et qui sont étroitement
liés à la tradition métaphysique.
(1) L’expérience
La pensée empirique joue un rôle aussi primordial dans l’athéologie
que dans l’économie et la littérature.
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Depuis 1940, Bataille fonde sa pensée sur le concept d’expérience pour
considérer comme tel ce qui apparaît dans l’expérience. Ce nouveau fondement
répond au conseil de Blanchot : « l’expérience elle-même est l’autorité » et
« elle doit s’expier au sujet de l’autorité. » Cela veut dire qu’elle se passe de
toute autorité extérieure et qu’elle n’est pas une substance autoritaire. Ces mots
permettent à Bataille de pratiquer une révolution copernicienne du savoir dans
la théologie et la philosophie : s’approcher de l’expérience elle-même de
l’instant en réduisant des autorités comme la Bible ou Dieu. Dans les textes
athéologiques, Bataille explicite le non-savoir ou l’inconnu qui se révèle dans
l’expérience intérieure et qui ne donne aucune réponse métaphysique aux
questions : « Qu’est-ce que ? » et « Pourquoi ? ». À cet égard, sa pensée semble
dépasser la métaphysique (Ch.I).
Mais l’athéologie tend à n’expliquer que le monde intérieur à partir de
l’expérience vécue. Si nous lisons attentivement les textes, ce domaine intérieur
est néanmoins doublé par divers « dehors ». La vie et la mort, le dedans et le
dehors, les préfixes in et ex s’entrecroisent l’un avec l’autre, et dérangent la
dichotomie métaphysique. En outre, la pensée empirique présuppose la
« communication » et la « communauté », si bien qu’elle s’ouvre, loin de rester
dans la vie solitaire, vers « le dehors » par cette communication avec l’autre.
Enfin, une introduction de la perspective scientifico-objective apporte à
Bataille l’hypothèse de la continuité originelle insaisissable dans l’expérience
vécue. Cela caractérise l’expérience aussi par la répétition, la non-vérité, de
sorte qu’est détruit l’espace purement intérieur. Les « dehors » compliquent la
vie intérieure (Ch. II).
Le concept d’expérience occupe une position aussi importante dans les
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œuvres économiques. La Part maudite I : la consumation et L’Histoire de
l’érotisme reposent sur une primauté de la méthode scientifique sur celle de
l’expérience. En invoquant la théorie de l’énergie, elles font l’analyse des
phénomènes de pense : le don, le sacrifice et l’érotisme. Dans La
Souveraine et L’Érotisme, Bataille adopte la méthode fondée sur l’expérience.
Ces phénomènes sont étudiés par rapport à l’expérience vécue. Et ces deux
méthodes posent une critique des pensées fondées sur la métaphysique. La
première conteste l’existentialisme et le product-centrisme, tandis que la
seconde se démarque du scientisme. Toutefois elles restent métaphysiques en
ce que leur opposition relève du dualisme traditionnel entre la science et la
pensée de l’expérience, et qu’elles ne se dispensent pas de leur référence à
l’origine. Mais il y a aussi d’autres aspects irréductibles à la tradition. Le don
originel du soleil dont dépend la théorie de l’énergie est constitué par le jeu de
division, de différence et de répétition, si bien que le jeu de l’énergie est
dominé de l’origine au terme par ce jeu. Et l’origine à laquelle la pensée de
l’expérience se réfère est la « continuité perdue ». Dès que cet empirisme est
doublé par la théorie scientifique de la reproduction, on trouve néanmoins le
processus infini de l’origine, qui ne se pose donc que si celle-ci s’efface (Ch.
III).
La pensée de l’expérience intérieure exerce une grande influence aussi
sur les écrits littéraires. D’une part, le thème de la nudité. L’expérience « nue »
dépouillée des présuppositions dogmatiques se rapporte à la nudité dans les
œuvres littéraires. Madame Edwarda et L’Histoire de l’œil montrent que le
secret de chaque œuvre s’exprime en langage de nudité-vêtement. D’autre part,
le thème de la vérité. La vérité empirique constitue, pour Bataille, un critère de
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valeur pour juger la littérature. Seul l’ouvrage qui porte en soi la vérité est de la
littérature authentique. Il applique cette règle de jugement à diverses œuvres,
même à ses romans, à ses critiques littéraires et à ses préfaces. Mais la
fondation unilatérale de l’ouvrage romanesque sur une origine « nue » et sur la
soumission de la littérature à la vérité appartiennent encore à la tradition
métaphysique. Dans les œuvres de Bataille se trouve du même coup ce qui
brouille ces pensées traditionnelles. En apparence, le secret nu domine l’œuvre
dans Madame Edwarda et L’Histoire de l’œil. Mais dans la mesure il est
exprimé en langage de nudité-vêtement, il est influencé par les descriptions
érotiques romanesques de la nudité et du vêtement. D’où une impossibilité de
la fondation unilatérale. Nous pouvons dire la même chose à propos des
préfaces qui fondent les romans au nom de la vérité. Comme le font voir
L’Impossible et sa préface, lors de cette fondation, la fiction fonde en même
temps la préface. C’est ainsi que la métaphysique se disloque (Ch. IV).
(2) La divinité
L’auteur de La Somme athéologique est un chercheur de divinité, ce
qui met en relief les relations complexes de Bataille avec la tradition
métaphysique.
Il donne une interprétation au texte de Nietzsche. La « mort de Dieu »
n’exprime pas seulement la fin du Dieu chrétien, mais encore une
condamnation de la forme politique monocéphale. Bataille a donc une idée de
la communauté acéphale qui s’oppose au fascisme exemplairement
monocéphale et qui conteste plus loin la tradition paternelle et logocentrique
de la communauté occidentale. Mais sa critique ne réussit pas parfaitement, en
ce qu’elle ne fait que s’opposer, en ce qu’elle est encore phallocentrique, en ce
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qu’elle néglige la vengeance du père tué. Ensuite, Bataille interprète la « mort
de Dieu » en la liant à l’expérience mystique. Cette « mort » est répétable et
théâtrale. Ce meurtre du Père ne consiste pas seulement à renverser la relation
père-fils. Le renversement lui-même se déplace. Par conséquent, le concept de
mort s’élargit et s’altère. C’est la « mort » qui n’est ni vie ni mort, et sans
laquelle on ne peut comprendre ni la mort ni la vie. Sa pensée résiste à la
tradition métaphysique (Ch. V).
Tout en affirmant la « mort de Dieu », les textes de Bataille ne sont pas
en rupture avec le concept de divinité, mais recherchent plutôt le divin ou le
sacré plus divin que Dieu lui-même. Ce que ces concepts désignent, c’est la
divinité qui dépasse les limites du christianisme. Le divin n’est pas seulement
bon ou pur, mais aussi mauvais et impur. Nous y avons trouvé une coexistence
des contraires, influencée par la divinité dans la philosophie de Nietzsche, les
ténèbres lumineuses et le « mourir de ne pas mourir » de la théologie mystique,
l’ambiguïté du sacré de la sociologie française et la coïncidence des contraires
du surréalisme. Mais comme cette coexistence concerne tous les attributs de
Dieu, elle produit un obstacle dans la pensée de Bataille qui se fonde sur la
dichotomie métaphysique entre le quotidien et le non-quotidien, entre la
transcendance et l’immanence, entre l’inauthentique et l’authentique. La
pensée dichotomique est dérangée par la totalité de la coexistence des
contraires. D’ une aporie de la métaphysique (Ch. VI).
Dans ses œuvres romanesques aussi, Bataille poursuit le divin en le
représentant par des personnages. Et Ma re et Le Petit entrelacent cette
divinité au familial. Ces personnages semblent en apparence la réduire au
triangle d’Œdipe, qui, non moins que la dialectique hégélienne, appartiennent
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