Les pronoms clitiques nominatifs du perfectif en arabe standard

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Les pronoms clitiques nominatifs du
perfectif en arabe standard: vers une
analyse lexicaliste*
Adel Jebali
Université du Québec à Montréal
Le statut des clitiques nominatifs attachés aux verbes perfectifs en arabe
standard est ambigu. Si certains auteurs considèrent ces clitiques comme
étant de vrais pronoms réalisés en position sujet, d’autres les considèrent
comme de pures flexions d’accord. Dans cet article, nous présenterons les
deux courants de pensée qui sont formés autour de cette question :
l’approche syntaxique par déplacement, exemplifiée par la théorie de
l’incorporation, et l’approche affixale. Nous montrerons l’inadéquation de
la solution syntaxique et nous défendons et appuyons la solution affixale.
Les clitiques nominatifs clitisés aux verbes perfectifs ont le statut
morphosyntaxique de marqueurs d’accord et ils sont générés à la base par
des règles morphologiques plutôt que par des règles syntaxiques.
L’approche qui en résulte est une approche lexicaliste forte.
1. Introduction
En arabe standard, les clitiques nominatifs8 attachés aux verbes perfectifs9 présentent des
propriétés syntaxiques et morphologiques compatibles avec deux statuts possibles: le statut
de pronom clitique (Lumsden & Haleform 2003; Fassi Fehri 1993, 1996) et le statut de
flexion d’accord (tradition grammaticale, Shlonsky 1997 et Eloussfourri 1998). Cette
indécision est explicable à la lumière de l’asymétrie qui caractérise le système de l’accord
verbe/sujet. C’est donc après avoir présenté cette asymétrie que nous allons présenter les
deux approches citées ci-dessus. Nous commencerons, dans un premier temps, par présenter
l’analyse de l’incorporation, qui est un exemple de la première approche. Nous présenterons,
par la suite, l’approche affixale, qui propose une solution aux problèmes qu’a connus la
théorie de l’incorporation. Nous finirons par exposer notre propre analyse qui appuie
l’approche affixale. Nous y apporterons de nouveaux arguments basés sur l’étude des
phénomènes de redoublement et nous la pousserons vers une approche complètement
lexicaliste.
* Je remercie Louisette Emirkanian pour son soutien tout au long de ce travail. Grand merci, également, à la
Faculté des Sciences Humaines de l’UQAM, qui a financé, en partie, notre contribution au colloque de la NLS.
8
Nous allons nous référer à ces clitiques par un terme plus ‘neutre’ dans ce travail : les morphèmes de l’accord
riche, pour éviter la confusion qui entoure l’utilisation du terme ‘clitique’ dans ce contexte.
9
L’arabe distingue le perfectif de l’imperfectif, une distinction aspectuelle et non temporelle. Le perfectif
exprime une action achevée et n’a pas de modes de conjugaison. L’imperfectif exprime le fait que l’action est
en train de se réaliser et comporte trois modes : l’indicatif, le subjonctif et le jussif (ou l’apocopé).
T
W
P
L
Toronto Working Papers in Linguistics 25: 30–38
Copyright © 2005 Adel Jebali
LES PRONOMS CLITIQUES NOMINATIFS DU PERFECTIF EN ARABE STANDARD
2. L’asymétrie de l’accord et la conjugaison perfective
2.1 L’asymétrie de l’accord
L’asymétrie de l’accord entre le sujet et le verbe en arabe standard constitue l’un des
sujets les plus débattus en linguistique arabe (Mohammad 1990). L’accord est dit riche dans
l’ordre SVO, comme illustré en (1a) où le verbe porte un morphème spécifié pour les traits
de personne (3e), de nombre (P) et de genre (M) -uu. Dans l’ordre VSO illustré en (1b),
l’accord est dit pauvre, étant donné que le morphème –a n’est spécifié que pour le genre et la
personne alors que le nombre est le singulier, une valeur par défaut dans ce système.
L’accord riche est incompatible avec un sujet lexical, comme l’atteste l’agrammaticalité de
(1c):
a. Œal-Œawlaad-u jaaŒ-uu
[SVO : accord riche]
les-garçons-NOM arriver.PERF-ils(3MP)
‘Les garçons, ils sont arrivés’
(1)
b. jaaŒ-a l-Œawlaad-u
[VSO : accord pauvre]
arriver.PERF-il(3MS) les-garçons-NOM
‘Les garçons sont arrivés’
c. *jaaŒ-uu l-Œawlaad-u
arriver.PERF-ils(3PM) les-garçons-NOM
En prenant en ٛ orphemesٛ ion cette asymétrie, certains auteurs ont ٛ orphem que
l’accord riche affixé au verbe perfectif présente des propriétés syntaxiques compatibles avec
l’étiquette de pronom et avec un traitement syntaxique. Le paragraphe (2.2) est consacré à
ces propriétés.
2.2 La distribution des ٛ orphemes de l’accord riche
En (2), le tableau présente la conjugaison perfective du verbe kataba (‘écrire’) :
(2)
la conjugaison perfective de kataba (‘écrire’)
SINGULIER
1
2M
2F
3M
3F
Katab-tu
Katab-ta
Katab-ti
Katab-a
Katab-at
DUEL
Katab-naa
Katab-tumaa
Katab-tumaa
Katab-aa
Katab-ataa
PLURIEL
Katab-naa
Katab-tum
Katab-tunna
Katab-uu
Katab-na
Les morphèmes de l’accord riche10 écrits en caractères gras dans ce tableau sont toujours
suffixés au radical verbal. En (3), le morphème de l’accord riche –uu (3PM) satisfait le rôle
thématique d’agent:
10
Les morphèmes de la 3e personne sont les seuls à pouvoir être des morphèmes d’accord riche ou des
morphèmes d’accord pauvre selon l’ordre de surface VSO/SVO.
31
ADEL JEBALI
(3)
katab-uu risaalat-an
écrire.PERF-ils(3PM) lettre-ACC
‘Ils ont écrit une lettre’
Il semble donc que ce morphème occupe la position du sujet. Il ne peut, d’ailleurs, pas
être redoublé par un sujet lexical, comme le démontre l’agrammaticalité de (1c). Cependant,
ce morphème pourrait être redoublé par un pronom fort, comme l’atteste (4):
katab-uu hum risaalat-an
écrire.PERF-ils(3PM) eux(NOM) lettre-ACC
‘eux, ils ont écrit une lettre’
(4)
La question qui se pose est donc la suivante: si le morphème de l’accord riche est en
position sujet, dans quelle position est réalisé le pronom fort hum? L’approche par
incorporation, que nous présenterons ci-dessous, essaie de répondre à cette question.
3. L’incorporation syntaxique
Fassi Fehri (1993, 1996) a proposé d’analyser les morphèmes de l’accord riche comme
des pronoms incorporés à la tête verbale, dans le cadre de la théorie de l’incorporation de
Baker (1988). Cette approche plutôt syntaxique repose sur deux hypothèses : les morphèmes
de l’accord riche sont des pronoms (clitiques), et ils se trouvent affixés au verbe par un
processus syntaxique qui est l’incorporation. Nous présentons ces hypothèses dans les
paragraphes (3.1) et (3.2) et les problèmes qu’elles rencontrent dans le paragraphe (3.3).
3.1 La pronominalité des morphèmes de l’accord riche
Dire que les morphèmes de l’accord riche sont des pronoms n’est pas chose nouvelle. La
grammaire traditionnelle a déjà exprimé cette hypothèse et Fassi Fehri la reprend sans
toutefois expliciter les arguments qui la sous-tendent et que nous explicitons ici. Ces
arguments s’appuient sur les propriétés morphologiques et syntaxiques des morphèmes de
l’accord riche. Morphologiquement, ces morphèmes encodent des traits phi comme le
montre le tableau en (5):
(5)
les traits phi des morphèmes de l’accord riche
PERSONNE
1
2
3
GENRE
SINGULIER
DUEL
PLURIEL
MASC.
FÉM.
MASC.
FÉM.
-tu
-ta
-ti
-a
-at
-naa
-tumaa
-tumaa
-aa
-ataa
-naa
-tum(uu)
-tunna
-aa
-na
Ils rentrent donc dans les mêmes paradigmes que les pronoms forts et les pronoms
clitiques comme le montre le tableau en (6) où sont présentés les pronoms clitiques objets:
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LES PRONOMS CLITIQUES NOMINATIFS DU PERFECTIF EN ARABE STANDARD
(6)
Les pronoms clitiques objets
PERSONNE
1
2
3
GENRE
SINGULIER
DUEL
PLURIEL
MASC.
FÉM.
MASC.
FÉM.
-ii(ya)
-ka
-ki
-hu
-haa
-naa
-kumaa
-kumaa
-humaa
-humaa
-naa
-kum(uu)
-kunna
-hum
-hunna
Syntaxiquement, les morphèmes de l’accord riche ont la même distribution que les
pronoms clitiques objets, en ceci qu’ils rentrent dans une distribution complémentaire avec
des syntagmes nominaux et qu’ils ne peuvent être redoublés par ceux-là, comme le
démontrent les contrastes en (7).11
(7)
a. *jaaŒ-uu l-Œawlaad-u
arriver.PERF-ils(3PM) les-garçons-NOM
b. raŒay-tu l-Œawlaad-a
voir.PERF-je(1S) les-garçons-ACC
‘J’ai vu les garçons’
c. raŒay-tu-hum
voir.PERF-je(1S)-ils(3PM)
‘Je les ai vus’
d. *raŒay-tu-hum l-Œawlaad-a
voir.PERF-je(1S)-ils(3PM) les-garçons-ACC
En (7a), le morphème de l’accord riche ne peut être redoublé par un syntagme nominal
en position de sujet. En (7d), le pronom clitique objet –hum ne peut, lui non plus, être
redoublé par un syntagme nominal en position d’objet.
Fassi Fehri considère que les morphèmes de l’accord riche sont des pronoms. Cette
première hypothèse sur la nature de ces éléments n’explique pas leur position syntaxique et
ne fournit pas de réponse quant au module de la grammaire qui gère leur génération et leur
placement. L’hypothèse de l’incorporation vise à fournir une telle réponse.
3.2 L’incorporation
L’hypothèse de l’incorporation, telle que conçue par Fassi Fehri (1993, 1996), est une
application de la théorie développée initialement pour les langues celtiques strictement VSO
(le gallois et l’irlandais) par Anderson (1982). Cette approche a été reprise depuis par de
nombreux travaux dont ceux de Hale (1990) et Baker (1988). Pour l’arabe, en plus des
travaux de Fassi Fehri, cette hypothèse a été adoptée par Démirdache (1989).
Pour Fassi Fehri (1993), par exemple, l’incorporation est supposée être une alternative à
l’hypothèse pro-drop soutenue dans Chomsky (1981) et Rizzi (1986) pour les langues, tel
que l’italien, qui permettent un sujet nul. Selon cette dernière hypothèse, le pronom nul pro
11
(7a) est une répitition de (1c)
33
ADEL JEBALI
est légitimé par un accord riche sur le verbe. Cela peut être traduit par dire que pour
l’exemple (8), la position sujet serait occupée par un pronom nul pro et que ce pronom est
légitimé par l’accord riche sur le verbe (le morphème –tu) :
(8)
tanaawal-tu pro lumjat-an
prendre.PERF-je(1S) collation-ACC
‘J’ai pris une collation’
Fassi Fehri soutient une hypothèse différente de pro-drop. Selon son hypothèse, le
morphème –tu est un pronom qui occupe la position du sujet et non pas une simple flexion
d’accord riche qui légitime un pronom vide en position sujet. Ce pronom (-tu) est supposé
être généré en position Spec/VP, puis incorporé à la tête verbale V depuis cette position. Le
complexe qui en résulte se déplacerait par la suite pour s’adjoindre à la tête I. Mais, pour que
cette incorporation soit possible, elle doit satisfaire la condition d’adjacence linéaire. En fait,
le pronom ne peut être incorporé au verbe que lorsqu’il est proprement gouverné par celui-ci.
Pour qu’il soit proprement gouverné, le pronom doit être généré à droite du verbe et il ne doit
y avoir aucune tête entre le gouverneur verbal et le pronom. Ainsi, l’incorporation devient
impossible dans les restrictives, par exemple, où la particule de restriction est intercalée entre
le verbe et le pronom:12
(9)
a. maa Œata-a Œillaa Œantum
[Œantum : pronom fort]
ne.pas arriver.PERF-il(3MS) que vous
‘Il n’est arrivé que vous’
b. *maa Œatay-tum Œillaa
ne.pas arriver.PERF-vous
[-tum: morphème de l’accord riche]
L’agrammaticalité de (9b) serait due à la violation de la condition de localité du
gouvernement. Plus précisément, l’incorporation du pronom au verbe ne peut opérer à
travers la particule Œillaa étant elle-même gouverneur (Eloussfourri 1998).
Cette hypothèse sur la genèse et le placement des morphèmes de l’accord riche s’appuie
essentiellement sur deux propriétés empiriques de ces morphèmes : la localité stricte et
l’impossibilité du redoublement. La localité stricte empêche le morphème de l’accord riche
de ‘monter’ dans la structure, comme le font les clitiques des langues romanes, par exemple
(voir (12) ci-dessous). De plus, ces morphèmes ne peuvent être redoublés par des syntagmes
nominaux, comme illustré dans l’exemple (1c), répété ici en (10) :
(10)
*jaaŒ-uu l-Œawlaad-u
arriver.PERF-ils(3PM) les-garçons-NOM
Cependant, les adeptes de l’approche affixale ont signalé plusieurs problèmes que
soulève l’approche de l’incorporation. Dans le paragraphe (3.3), nous présentons ces
problèmes qui ont motivé un autre type d’approche, l’approche affixale.
12
Les exemples sont ceux de Eloussfourri (1998).
34
LES PRONOMS CLITIQUES NOMINATIFS DU PERFECTIF EN ARABE STANDARD
3.3 Les problèmes que soulève l’incorporation syntaxique
Les problèmes auxquels fait face la théorie de l’incorporation sont de deux ordres:
internes à la langue étudiée, et externes à celle-ci (Eloussfourri 1998, Shlonsky 1997).
En ce qui concerne les problèmes internes, l’approche de l’incorporation n’explique pas
la différence entre le comportement des morphèmes de l’accord riche et celui des autres
pronoms vis-à-vis de la coordination, par exemple. Les pronoms forts peuvent, en fait, être
coordonnés à des syntagmes nominaux (11b), mais pas les morphèmes de l’accord riche
(11c):
(11)
a. jaaŒ-a l-Œawlaad-u wa l-banaat-u
arriver.PERF-il(3MS) les-garçons-NOM et les-filles-NOM
‘les garçons et les filles sont arrivés’
b. jaaŒ-uu hum wa l-banaat-u
arriver.PERF-ils(3PM) eux et les-filles-NOM
‘ils sont arrivés, eux et les filles’
c. *jaaŒ-uu wa l-banaat-u
arriver.PERF-ils(3PM) et les-filles-NOM
Cette asymétrie entre les morphèmes de l’accord riche d’une part et les pronoms forts et
les pronoms clitiques objets d’autre part est présente dans d’autres constructions, comme la
négation, l’admonition et l’interrogation, où le comportement syntaxique des deux classes est
différent.
En ce qui concerne la validité de l’hypothèse de l’incorporation quant à l’explication des
phénomènes externes à l’arabe standard, nous citons deux problèmes essentiels. Shlonsky
(1997) souligne, dans ce cadre, que l’hypothèse de Fassi Fehri ne peut expliquer pourquoi les
clitiques romans, qui sont supposés être des X° au même degré que le sont les clitiques de
l’arabe, ne sont pas toujours localement affixés à leur gouverneur, et peuvent ‘monter’ dans
la structure. Ainsi, en (12) le clitique français en est réalisé hors du syntagme qui contient
son gouverneur lexical amoureuse.
(12)
Marie en est amoureuse
Cette violation de la localité par les clitiques romans est contrastée au respect complet de
cette condition par les morphèmes de l’accord riche en arabe standard. Ce contraste ne
trouve aucune explication dans le cadre de l’incorporation adoptée par Fassi Fehri.
Eloussfourri (1998) a signalé un autre problème qui met en relation les données de
l’arabe standard et celles des dialectes issus de cette langue. L’exemple qu’elle cite provient
de l’arabe marocain (AM), mais pourrait être étendu à d’autres dialectes. Ainsi, en AM,
l’asymétrie de l’accord dont nous avons parlé ci-dessus est absente. Les exemples en (13)
illustrent cette propriété :
35
ADEL JEBALI
(13)
a. jaa-w13 l-wlaad
arriver.PERF-ils(3PM) les-garçons
‘les garçons, ils sont arrivés’
b. l-wladd jaa-w
les-garçons arriver.PERF-ils(3PM)
‘ils sont arrivés, les garçons’
En arabe marocain, le morphème de l’accord est toujours spécifié pour tous ses traits phi,
que le sujet lexical soit postposé (13a) ou préposé (13b). En (13a), le morphème de l’accord
riche coexiste avec un syntagme nominal l-wlaad, ce qui pose le problème suivant : si le
morphème de l’accord riche est un pronom en position sujet, dans quelle position est réalisé
le syntagme nominal?
Cette question ne se pose pas si nous considérons que les morphèmes en question ne
sont que des flexions (ou des marqueurs) d’accord14. C’est d’ailleurs une approche qui a été
adoptée par plusieurs auteurs et que nous présenterons dans la 4e section de ce travail.
4. l’approche affixale
L’approche affixale a été adoptée par de nombreux chercheurs que ce soit dans la
grammaire traditionnelle (Óassan 1987) ou dans la linguistique moderne (Shlonsky 1997 et
Eloussfourri 1998, entre autres). Shlonsky (1997), par exemple, considère que tous les
morphèmes du tableau (1) sont des têtes Agr. Les arguments qu’il avance pour soutenir cette
idée sont de deux ordres: des arguments syntaxiques et des arguments morphologiques.
Syntaxiquement, les sujets nuls15 référentiels sont légitimés avec les morphèmes de la 3e
personne. Cette légitimation est reconnue par la tradition grammaticale qui stipule
l’existence de l’équivalent du pro : un pronom nul en position sujet en (14a), par exemple:
(14)
a. Œakal-uu pro †-†acaam-a
manger.PERF-ils(3PM) la-bouffe-ACC
‘Ils ont mangé la bouffe’
b. Œakal-uu hum †-†acaam-a
manger.PERF.ils(3PM) eux la-bouffe-ACC
‘Ils ont mangé la bouffe, eux’
Cela fournit une analyse uniforme du redoublement des morphèmes de l’accord riche;
ces morphèmes sont toujours redoublés par un pronom phonétiquement nul (14a) ou réalisé
(14b).
13
Le morphème –w est le morphème –uu qui a subi un changement phonétique dans l’environnement de la
voyelle longue.
14
Il reste bien sûr à résoudre le problème de l’asymétrie de l’accord. L’une des pistes de réponse serait
justement de supposer l’existence d’un pronom nul pro en position sujet dans les constructions SVO. Cette
position pronominale est compatible avec l’accord riche et pourrait contenir un pronom fort. Cependant, quand
le sujet est un NP, il ne légitimerait pas un accord riche.
15
L’arabe standard est une langue à sujet nul pro drop.
36
LES PRONOMS CLITIQUES NOMINATIFS DU PERFECTIF EN ARABE STANDARD
Morphologiquement, quand il apparaît sur le verbe, l’accord du sujet en arabe standard
(et dans les langues sémitiques en général) est exprimé par des paradigmes morphologiques
distincts. L’accord du sujet est suffixal ou préfixal, selon la spécification du temps et de
l’aspect sur le verbe. Il est exclusivement suffixal avec le perfectif, mais il est à la fois
suffixal et préfixal avec l’imperfectif. Cette sensibilité à la spécification aspectuelle du verbe
est caractéristique des marqueurs d’accord et non des pronoms, selon Shlonsky.
Nous pensons que l’approche affixale est globalement adéquate pour rendre compte du
comportement des morphèmes de l’accord riche. Les phénomènes du redoublement, discutés
en partie dans les exemples en (13), fournissent des arguments qui renforcent cette
hypothèse. Les morphèmes de l’accord riche peuvent, en fait, être redoublés par des pronoms
forts et par des syntagmes nominaux même en arabe standard. En (14b), le pronom fort -hum
redouble le morphème de l’accord riche –uu et pose le problème de décider de sa position
syntaxique, si nous considérons –uu comme un pronom incorporé en position sujet. Pour
Fassi fehri (1993), ces pronoms forts « are best treated as kinds of parentheticals, foci, topics,
etc., but not as arguments » (Fassi fehri 1993: 114). Cependant, les sujets topiques en arabe
standard ne peuvent apparaître en position canonique et sont généralement disloqués à
gauche.
Lumsden & Haleform (2003) soutiennent une idée selon laquelle ces pronoms sont extrapositionnels. Cependant, dire cela ne résout pas le problème à notre avis, parce que ça revient
à dire qu’ils n’ont pas de position syntaxique, alors qu’ils identifient clairement l’argument
externe du verbe kataba et assument le rôle thématique d’Agent. L’approche affixale semble
plus adéquate en supposant que dans le cas de redoublement, comme dans les cas où il n’y a
pas de redoublement, les morphèmes de l’accord riche sont des affixes flexionnels d’accord.
Ils ont, ainsi, un rôle à jouer dans la morphosyntaxe et non en syntaxe. Cette idée peut être
exploitée dans une théorie purement lexicaliste pour défendre l’idée selon laquelle les
morphèmes de l’accord riche sont générés à la base et que les verbes sont insérés dans la
structure déjà fléchis pour ces formes. Cette hypothèse qui a été proposée pour d’autres
langues (Miller 1992 et Kupsc 2000, entre autres) s’avère adéquate pour rendre compte des
phénomènes de l’arabe standard.
5. Conclusion
Dans ce travail, nous avons discuté un exemple des approches syntaxiques à la clitisation
nominative, qui est celui basé sur l’incorporation et nous avons démontré que cette analyse
n’est pas empiriquement adéquate. Nous avons proposé l’approche alternative, qui affirme
que les clitiques nominatifs attachés aux verbes perfectifs sont plutôt des flexions d’accord.
Nous avons consolidé cette approche et proposé de la pousser vers une théorie purement
lexicaliste qui génère et gère ces clitiques dans une phase lexicale pré-syntaxique. L’étude
des clitiques nominatifs attachés aux verbes perfectifs en arabe standard révèle que ces unités
se comportent comme des marqueurs d’accord plutôt que comme des pronoms réalisés en
position argumentale de sujet.
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38
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