n°31 - décembre 2015 FOCUS ➲ Focus Dompter ces germes qui font de la résistance… ou composer ? La maîtrise des infections liées aux soins est un enjeu du quotidien en maison de repos et/ou de soins. Elle renvoie à la politique ­d’hygiène de ­ l’institution, mais pas s­eulement. Une désescalade dans la prescription d’antibio­ ­ tiques, par exemple, est la bienvenue. Quoi qu’il existe déjà çà et là des contacts, ­ponctuels voire répétés, les maisons de r­epos ne g ­ agneraient-elles pas à s’appuyer systémati­ quement sur l’expertise des comités ­ d’hygiène des h ­ ôpitaux de leur bassin de soins ? Notamment pour faire face aux nouvelles bactéries multi-résis­ tantes (BMR) ? Tentative de réponse et r­appel de recettes ­éprouvées. @ Johanne Mathy Une collaboration à déclinaisons régionales L’AR « normes » du printemps 2014 évoque une « collaboration de la MRS à la plate-forme régionale d’hygiène hospitalière de la zone dont elle fait partie ». Que recouvre cette attente ? Et quelles formes de coopération privilégier ? @ Johanne Mathy « Dans le monde hospitalier, il existe une Plate-forme fédérale en hygiène hospitalière, qui inclut neuf ­ ­Plates-formes régionales, dont quatre francophones : Bruxelles/Brabant wallon, Namur/Luxembourg, Liège et le Hainaut », contextualise le Dr Danielle Govaerts, chef de service des Laboratoires de biologie clinique du CHU de Charleroi et coordinatrice de la Plate-forme régionale en hygiène hospitalière du Hainaut, la PFRHHH. « Au fédéral, il nous a été répondu que la forme que devait revêtir la collaboration avec les MRS était laissée à l’appréciation des coordinateurs régionaux : à chacun de définir, avec les hôpitaux membres de sa Plate-forme, la façon optimale de travailler avec les structures de son territoire. » D’après plusieurs interlocuteurs, les séances inter-hôpi­ taux ne se prêtent pas à accueillir ces dizaines et dizaines 4 d’établissements supplémentaires. Ce serait ingérable et, de toute façon, hors propos, puisqu’on s’y focalise sur des problématiques inhérentes au monde hospitalier. « Dans le Hainaut, nous avons opté, comme le fait déjà la Plateforme d’Anvers, pour une rencontre annuelle spécifique avec le secteur MRPA/MRS», renchérit la médecin coordi­ natrice. Mi-novembre, la PFRHHH a tenu un symposium fort dense sur les « nouvelles bactéries multi-résistantes (BMR) dans les établissements de soins » - mariant donc l’aigu et le chronique - qui a attiré 340 participants. De « l’ancêtre » MRSA à la peau dure… Mais que désignent, au juste, ces BMR, et quels sont les enjeux ? On parle d’agents pathogènes connus de longue date, tel le MRSA (Staphylococcus aureus résistant à la >>> n°31 - décembre 2015 méthicilline) par exemple, ou ce germe récalcitrant à l’origine d’épidémies de diarrhées nosocomiales qu’est le Clostridium difficile, mais aussi, plus récemment, d’un chapelet d’entérobactéries de type BLSE (productrices de bêta-lactamases à spectre étendu) et CPE (productrices de carbapénémases), ou d’autres types tels les VRE (en­ térocoques résistants à la vancomycine), qui placent les thérapeutes dans des quasi-impasses. RÉFLEXE PREMIER, NON NÉGOCIABLE : L’HYGIÈNE DES MAINS. « ON NE LE RÉPÉTERA JAMAIS ASSEZ : SHA, SHA, SHA, PARTOUT, TOUJOURS… » - DR GOVAERTS FOCUS « Grâce à des campagnes de sensibilisation répétées, agissant sur les deux leviers que sont l’hygiène des mains et l’usage rationnel des antibiotiques, le MRSA a reculé », indique le Dr Govaerts. Pour rappel, l’ISP a établi qu’entre 2005 et 2011, la prévalence de portage du MRSA dans les MRS belges est descendue de 19 à 12,2%, bien que sur la même période les résidents aient vu leurs âge moyen, perte de mobilité, incontinence, comorbidité… augmenter (lire vie@home n°5). Malgré tout, il reste du chemin à parcourir en amont de l’hôpital, insiste Danielle Govaerts, « car si l’incidence d’acquisition nosocomiale des MRSA est en recul, l’incidence d’importation, elle, ne se réduit pas. » …. aux bactéries tord-boyaux Quant aux entérobactéries de type BLSE et CPE d’émer­ gence plus récente, elles siègent - alors que le MRSA est une bactérie de la peau - au niveau de l’intestin. D’après l’ISP toujours, en 2011, 6,2% des résidents belges étaient porteurs de bactéries productrices de BLSE, dominées par l’espèce Escherichia coli. Le Dr Govaerts qualifie ces bactéries de « diaboliques, eu égard aux mécanismes de résistance qu’elles ont réussi à développer », les anti­ biotiques envisageables étant mis hors-jeu un par un. A défaut de pouvoir être radicalement combattus et leurs hôtes décolonisés, ces pathogènes réclament des MRPA/ MRS des précautions pour éviter toute dispersion via les selles contaminées, inspirées de ce qui se pratique à l’hô­ pital mais adaptées à leurs réalités » (voir page 8). La transplantation fécale, un geste pour l’écologie microbienne Face à des diarrhées récidivantes à ­ Clostridium difficile, l’une des manœuvres thérapeutiques non médicamenteuse qui a le vent en poupe est ­ l’instillation, par sonde nasogastrique, d’une solution de matière fécale riche en bactéries commensales ­venant d’un ­sujet sain. Le but de cette « transplantation », qui n­ écessite un encadrement strict, est de « rééquilibrer la flore ­ intestinale du patient concerné en ­ ‘minorisant’ les germes résistants, qui sans quoi se multiplieraient de ­façon ­exponentielle », synthétise le Dr Govaerts. Nous vous renvoyons à ­ l’exposé du Dr M ­ élanie ­ Delvallée, du CHWAPI, qui évoque entre autres ­l’ouverture d’une première banque de selles aux USA, OpenBiome. « Le maître mot est ‘collaboration’ entre les deux sphères, en plaçant le patient au centre des préoccupations », conclut Danielle Govaerts. « Tout commence par le res­ pect des guidelines nationales et internationales quant à la gestion des BMR. Une constante, quel que soit le germe : observer les règles d’hygiène des mains (HDM), qui passent par le lavage et la désinfection de celles-ci. On ne le répétera jamais assez : SHA, SHA, SHA, partout, toujours… [solution hydro-alcoolique, ndlr]. » Ce réflexe n’est-il donc pas encore entré dans les mœurs ? « La compliance à l’HDM a progressé pour le personnel paramédical ; mais, même si cela avance, il y a encore du travail pour le personnel médical. » @ 6 n°31 - décembre 2105 FOCUS Règle n°1 : com-mu-ni-quer Les porteurs de germe et les infos dans le même wagon La clef, pour assurer la cohérence dans la prise en charge d’une personne âgée porteuse d’un germe résistant qui change d’environnement, est une com­ munication ­ optimalisée et bidirectionnelle entre les sphères hospitalière et résidentielle. Cela semble du pur bon sens, mais certaines choses élémentaires gagnent à être répétées. Quelle est la « smart attitude » en cas de transfert ? Cécile Guillaume, infirmière en hygiène hospitalière au CHU de Charleroi, suggère de prévoir à la fois un contact téléphonique préalable et un do­ cument écrit, allant à l’essentiel et accompagnant le déplacement de la personne âgée, car un courrier trop tardif n’aurait pas de sens. « Les échanges doivent être réciproques », insiste-t-elle. Les infos dont tant les hô­ pitaux que les institutions ont besoin sont : la nature du germe, son/ses sites, la date du 1er prélèvement positif, les actions de décontamination, le résultat des contrôles bactériologiques et l’information faite à l’in­ téressé et sa famille. Une MRPA/MRS devra en outre savoir le type de précautions additionnelles à lancer et dans quelles conditions le résident pourra se mêler à la vie collective. L’hôpital, de son côté, aimera en savoir plus sur le comportement du patient, sa confusion, sa tendance à la déambulation… qui conditionnent sa compliance aux règles ­d’hygiène. La PFRHHH avait fait œuvre pionnière, en 2004, en concevant un document de transfert hôpital MRPA/MRS pour tout le Hainaut, notifiant la présence/le site d’un germe, les mesures déjà prises et suggérées en cas de MRSA. Un nouveau document est à l’étude. « l’époque, nous avions également collaboré avec les CHU de Lille et Valenciennes, pour s’assurer d’une bonne circulation de données quand des patients français venaient à emmé­ nager dans des MRS frontalières », se souvient Danielle Govaerts. Il existe depuis cette année un document standard estampillé ISP, d’usage obligatoire, la « fiche transfert MDRO » qui combine aussi données médicales individuelles et consignes. @ S’accommoder de portages longue durée Evelyne Kula est infirmière spécialisée en hygiène hospita­ lière. Avec le Dr Govaerts, elle coordonne la PFRHHH (voir page 4). « On ne va pas jouer à l’hôpital omniscient qui vient donner des leçons… », entame-t-elle. Mais l’expé­ rience accumulée peut servir à conseiller aux maisons de repos des choix mesurés, préservant leur dimension lieu de vie - et vivable ! - et gérant le risque dans la durée. « Car certains résidents seront porteurs chroniques d’un germe multi-résistant jusqu’à leur décès. » @ Johanne Mathy >>> 7 n°31 - décembre 2015 « S’ils sont colonisés mais pas infectés, on va s’employer à les débarrasser du micro-organisme, sans garantie de résultat vu les résistances. Parfois, on ne traitera pas. On appliquera des mesures pour maîtriser le réservoir, évitant que le germe gagne d’autres zones du corps du résident ou passe chez le voisin. Mais la maîtrise du risque doit être raisonnée. Un hôpital a parfois recours à l’isolement, c’est vrai. Mais en ins­ titution, il serait inhumain d’enfermer une personne ad vitam dans sa chambre ! Quelqu’un qui a une BMR peut sortir sous conditions - lavé, changé, vêtements propres, pansement frais et clos, hygiène des mains appliquée, le cas échéant avec un masque… Attention que des consignes trop contrai­ gnantes pour l’entourage seraient vite jugées invivables et du coup, contournées. Et pour le résident, une ‘quarantaine’ aurait un coût psychologique majeur : culpabilité, repli sur soi, régression… » « LE PORTAGE DE BMR NE DOIT PAS ÊTRE UN FREIN À L’ENTRÉE EN MAISON DE ­REPOS. ET ENFERMER LES PORTEURS DANS LEUR CHAMBRE EST UN NON-SENS, ÇA VA LES FAIRE MOURIR. » - EVELYNE KULA Du bon sens, svp Pour Evelyne Kula, si la MRS applique déjà une hygiène élé­ mentaire (alimentaire, des mains, de la tenue des soignants - « pour moi, c’est tolérance zéro pour ces derniers qui doivent se comporter en professionnels et ne pas s’autoriser de négligence »), les précautions générales et les précautions additionnelles de contact eau/gouttelettes/air, « on est déjà loin ». Le reste est question de responsabilisation du résident, quand c’est envisageable, et surtout de bon sens des soi­ gnants au cas par cas. « Un porteur de MRSA qui n’arrête pas de tousser, on ne va pas l’asseoir à table en vis-à-vis d’un immunodéprimé. Ni laisser déambuler celui qui présente une diarrhée à C. difficile, est confus et chipote dans son lange. Sur le plan de l’infrastructure, on s’adapte : si le porteur FOCUS Les lignes vont bouger sous l’impulsion de Maggie De Block Le symposium PFRHHH intervient alors que l’ISP - et sa spécialiste de l’antibiorésistance, Béatrice Jans - ont eu connaissance de cas de refus, par des MRS, de (re)prendre des résidents porteurs de germes multi-résistants, objectant qu’ils n’étaient pas décolonisés et relevaient toujours de l’hôpital et non du résidentiel. « Les problèmes soulevés par ces refus sont pluriels », commente Evelyne Kula. « Le patient mobilise un lit d’hôpital alors que son état ne le nécessite pas, ce qui est irrationnel et coûteux pour la collectivité. En outre, plus longtemps il y séjourne et plus il risque d’y laisser des capacités fonctionnelles, intellectuelles, sociales… faute de stimulation et d’animations. Enfin, un hôpital héberge par définition des gens malades, une personne âgée y est donc exposée à une concentration d’agents pathogènes à nulle autre pareille dans la société. Arrêtons la scission ‘c’est à eux/c’est à nous’ de nous charger du patient, recentrons-nous sur celui-ci, avec un maximum de synergies et de bon sens. » Evelyne Kula fait observer que la politique de Maggie De Block de comprimer les temps de séjours hospitaliers et de susciter des modèles transmuraux innovants de prise en charge va, qu’on le veuille ou non, modifier le paysage des soins. « Expliquons largement pourquoi l’hôpital prend de telles précautions face à ces patients, et comment les transposer, en version allégée, dans les MRS, que ces dernières ne ressentent pas comme une catastrophe l’arrivée d’un porteur de BMR mais disent : ‘cet arrivant, je connais son statut - c’est déjà un atout et je vois comment gérer’. » d’une entérobactérie résistante ne dispose pas d’un WC indi­ viduel, on lui dédicace l’un des WC communs… » Monitorer, documenter, se remettre en question Si de surcroît la direction a une vue épidémiologique de sa MRS, du statut microbiologique de ses occupants, c’est encore mieux. « Et si elle pousse à la désescalade dans les antibiotiques, c’est merveilleux ! » Dans les deux cas, les mé­ decins généralistes et le MCC ont un rôle à jouer, en deman­ dant à la direction qu’on monitore l’écologie microbienne des résidents, qu’on enregistre les BMR acquises à l’intérieur, à l’extérieur, qu’on documente les épidémies, qu’on décide des prélèvements à effectuer à l’arrivée, qu’on inventorie les antibiotiques en circulation dans l’institution et la pertinence de leur prescription en prophylaxie ou en thérapie…. Les médecins infectiologues des hôpitaux sont, ajoute-t-elle, à l’écoute des questionnements qui pourraient surgir chez les médecins coordinateurs et traitants. @ >>> 8 n°31 - décembre 2015 FOCUS Gestion du « péril fécal » - Testez vos connaissances Imaginons un résident BMR, avec diarrhée ou selles infectées. Les affirmations suivantes sont-elles vraies ou fausses ? a/ La porte de sa chambre peut rester entrouverte b/ Le résident peut participer aux activités d’ergo, kiné… c/ L’entretien des surfaces et des points de contact en cas de Clostridium difficile est effectué avec un détergent simple d/ Le résident peut se rendre à la cafétéria avec sa famille lors des visites e/ Il faut utiliser de la vaisselle à usage unique pour ce résident Les réponses a/ c’est vrai, les précautions de contact ne nécessitent pas de fermer la porte b/ c’est vrai, s’il y a éducation du résident à l’hygiène des mains (HDM). Pratiquer une mise à la toilette systématique avant la séance et/ou change adapté, et vérifier l’observance de l’HDM - !! MAIS à éviter si diarrhées non contenues c/ c’est faux, il doit y avoir nettoyage avec le détergent habituel suivi d’une désinfection à l’eau de javel 1000 ppm (20 ml dans 1 litre d’eau) ou équivalent. Si titre eau de Javel à 15° cl : 40 ml eau javel/ 960 ml eau. Insister sur les points de contact d/ c’est vrai, mais moyennant quelques précautions : passer par la toilette avant de quitter la chambre, vérifier le change, respecter l’HDM e/ c’est faux, ce n’est pas recommandé, il n’y a pas de transmission par voie orale, la vaisselle sera passée au lave-vaisselle (conforme à la réglementation HACCP) (extrait de l’exposé « Le commun dénominateur des nouvelles BMR: comment gérer le ‘péril fécal’? », de D. Favay, MRS, CPAS, Charleroi ; E. Kula, CDNG, Gosselies ; V. Schamroth, CHU, Charleroi ; AM Toubeau, CHU Ambroise Paré, Mons) Désormais du ressort des Régions Aller plus loin ? Les interventions du symposium « Nouvelles bactéries multi-résistantes dans nos établissements de soins : comment faire face ? » de la PFRHHH sont consultables sur le site de l’ISP. Pour les plus pressés, l’exposé final du Dr ­Famerée multiplie les réponses ­ pratiques ­(comment contrôler le portage de BMR ? faut-il nécessairement un ­ appareil de désinfection de l’environnement en MRPA/MRS ? comment évacuer un change contaminé ? quid de la panne à usage unique ? etc. etc.) A partir de 2010, sous l’impulsion du Service des soins aigus, chro­ niques et personnes âgées au SPF Santé publique, des consortiums régionaux (quatre, puis six) formés à la fois de maisons de repos et d’hôpitaux exploitant également des lits de soins résidentiels, ont cogité sur différents aspects de la prévention et de la gestion des infections liées aux soins (ILS) dans le milieu des MRPA/MRS. Des re­ présentants des communautés et régions ont été impliqués dans les travaux afin de leur permettre de prendre connaissance de l’étude. Il est vrai que la 6ème réforme de l’Etat, à dater du 1er juillet 2014, a fait basculer la matière dans le giron des entités fédérées. La démarche réflexive supposait notamment des synergies à déve­ lopper entre les experts des comités d’hygiène des hôpitaux et une « équipe de maîtrise des ILS » instituée dans la maison de repos, qui aurait impliqué le MCC et une infirmière référente (formée) en ILS. Il y avait du reste, parmi les aspects explorés par les différents consortiums, la définition de procédures de travail validées, la déter­ mination d’indicateurs pour une promotion de la qualité en matière d’infections, une méthode d’audit, la surveillance et l’enregistre­ ment des cas, la formation des personnels, l’échange de données entre milieux de vie… Les conclusions du rapport final sont en possession de la BAPCOC (Commission belge de coordination de la politique antibiotique). @ 10