LA PAUVRETE A MADAGASCAR
Etat des lieux , facteurs explicatifs et politiques de réduction
5-7 février 2001, Antananarivo.
Communication Provisoire
Education et pauvreté à Madagascar : une problématique à reconsidérer
par
Marie-Christine Deleigne et Florence Miauton
(Sociologue-démographe doctorante,
Paris V - CEPED) (Collaboratrice de Aide et Action Madagascar)
Introduction
Tout le monde, ou presque, s’accorde aujourd’hui pour ne plus réduire le concept de “ pauvreté ” à la
seule donnée monétaire (revenu, capital économique…). Ainsi, le PIB d’un pays n’est plus, et de loin,
le seul indicateur de l’état de “ pauvreté ” ou de “ richesse ” d’un pays, la pauvreté en terme de
capital humain ” étant dorénavant une donnée incontournable. Le revenu par habitant, l’espérance de
vie et les taux d’alphabétisation et de scolarisation sont les composantes principales de l’IDH
(Indicateur du Développement Humain) développé par le PNUD. L’éducation des populations est un
facteur crucial pour le développement économique et social d’un pays et les effets positifs de
l’éducation dans la lutte contre la pauvreté ne sont plus à démontrer (meilleur état sanitaire des
populations, meilleure gestion du budget familial, accès à de nouvelles technicités pour de meilleurs
rendements agricoles par exemple…). Si Madagascar, aujourd’hui “ classé ” au 147ème rang sur 174 en
terme de développement humain (IDH de 0.453)1, cherche à faire de la lutte contre la pauvreté l’axe
central de sa politique de développement, cette dernière ne peut alors s’établir sans intégrer la variable
éducation au centre du projet.
Lors de la signature de la Déclaration de Jomtien en mars 1990, la communauté internationale, dont
Madagascar, s’est donné comme mot d’ordre "l'éducation pour tous en l'an 2000". Si l'objectif à
atteindre - 100% des enfants scolarisés - a été nuancé à l'approche de la date butoire pour une
"éducation pour tous en l'an 2020", il demeure présent dans la politique des organismes internationaux
et des pays concernés. A Madagascar, en particulier, cet objectif a donné lieu à l’établissement du
Programme National pour l’Amélioration de l’Education (PNAE) qui achève actuellement sa
deuxième phase. Or, force était de constater au terme de ce programme que les objectifs en terme
d’alphabétisation et de scolarisation n’étaient toujours pas atteint tant au niveau de la scolarisation des
enfants au niveau primaire que de l’alphabétisation de la population.
Si Madagascar a longtemps fait figure de pionnier en matière de scolarisation, comparativement à
nombre de pays africains, son avance dans le domaine n’est plus de mise. Depuis le milieu des années
80, en effet, le taux de scolarisation à l’école primaire n’a cessé de décroître jusqu’en 1994-95, date à
laquelle une légère reprise a semblé s’amorcer. Dans le même temps, l’offre scolaire, et plus
particulièrement au niveau primaire, a connu une baisse sans précédent tant en quantité (fermetures
d’écoles, réduction du nombre de postes d’instituteurs…) qu’en qualité et efficacité interne (taux de
redoublements et de déperdition élevés…).
La baisse de la scolarisation à l'école primaire observée à Madagascar peut être rattachée en partie à la
crise économique qui touche le pays depuis le milieu des années quatre-vingt et aux coupes drastiques
dans le budget national imposées par la Banque Mondiale dans le cadre des plans d’ajustements
structurels. Le facteur économique a en effet largement entamé d'une part les revenus que les familles
1 PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, 1999.
peuvent consacrer à la scolarisation de leurs enfants et d'autre part les budgets de l'Etat alloués à
l'enseignement. Ainsi formulé, le lien entre pauvreté et non-scolarisation/déscolarisation apparaît de
fait comme une évidence.
Concernant la demande d’éducation des familles et les freins à la scolarisation, ce lien doit toutefois
être revisité et relativisé, ce qui est l’objet de cette communication.
Dans le cadre des activités menées par l’ONG Aide et Action dans l’île d’une part, et dans le cadre
d’une recherche doctorale sur la demande d’éducation à Madagascar d’autre part, 3 études de type
qualitatif ont été menées séparément auprès de familles en milieux urbain et rural, visant à mettre jour
les stratégies familiales de scolarisation.
Après un aperçu de l’état du pays en terme d’alphabétisation des populations et de scolarisation au
niveau primaire, nous ferons état des résultats concordants de ces trois études qui fournissent un
éclairage intéressant sur le lien entre la pauvreté et l’éducation et mettent en évidence entre autre la
nature différente de ce lien selon les milieux de résidence. A la lumière de ces résultats, nous tenterons
de dégager des recommandations plus pragmatiques pour l’élaboration d’un plan de lutte contre la
pauvreté à Madagascar.
A / Alphabétisation et Scolarisation à Madagascar
I La population de Madagascar et l’alphabétisme
L’examen du niveau d’alphabétisme de la population est un indicateur important pour un pays,
davantage encore dans les pays en développement comme Madagascar où la scolarisation universelle
est encore loin d’être une réalité. Il est par ailleurs une des composantes principales de l’Indicateur du
Développement Humain développé par le PNUD.
Tableau 1 : Taux estimatif de l’alphabétisme des adultes de 15 ans et plus par sexe et par faritany
pour les années 1993 et 1998, en %
Taux d’alpha en 1993 Taux d’alpha en 1998 Ensemble Hommes Femmes Ensemble Hommes Femmes
Madagascar 47.2 50.7 43.9 46.6 49.8 43.6
Urbain 69.6 72.4 67.1 69.5 72.4 66.9
Rural 39.9 43.8 36.1 39.8 43.8 35.9
Source : BNR/INSTAT (in “ l’Education pour Tous, bilan à l’an 2000 ”, MINESEB, 1999)
La Politique Nationale de Population s’est donnée pour objectif d’augmenter le taux d’alphabétisme
de la population jusqu’à plus de 50% vers l’an 2000, et cela indépendamment des sexes, zones et
provinces. Or, force était de constater, à l’aube de la date butoire, l’ampleur des efforts qui restent à
accomplir. Au delà des problèmes de collecte de l’information sur l’alphabétisme des populations2,
certaines données, telles celles issues du RGPH de 1993, permettent d’estimer le niveau
d’alphabétisme de la population à Madagascar (cf tableau 1). On estime ainsi que plus de la moitié de
la population âgée de 15 ans et plus à Madagascar ne sait ni lire ni écrire en 1998 (53 %). On observe
une grande différence selon les milieux de résidence, au profit du milieu urbain où l’alphabétisme
concerne près de 70% de la population, contre moins de 40% seulement dans les campagnes. De
même, le taux d’alphabétisme varie fortement selon les provinces considérées, allant de 32% pour la
province de Toliary à 60% dans la province de la capitale Antananarivo. Les femmes sont davantage
touchées que les hommes par l’analphabétisme (56% et 50% respectivement) et ce dans les 6
2 Un alphabète est défini comme une personne qui sait lire et écrire, en la comprenant, une phrase simple relative à sa vie quotidienne. Un
analphabète est une personne qui ne sait pas lire ni écrire en la comprenant, une phrase simple relative à sa vie quotidienne. Si ces définitions
paraissent claires, il demeure délicat d’évaluer véritablement l’alphabétisme des populations : soit les données sont recueillies par auto-
déclaration, d’où le risque d’une mauvaise évaluation de l’enquêté de sa capacité à lire et à écrire, soit il faudrait pouvoir évaluer par test
chacun des enquêtés, ce qui demeure difficilement réalisable du fait du coût et du temps nécessaires à la collecte de cette donnée.
provinces qui composent l’île. Elles le sont davantage encore en milieu rural où le taux
d’analphabétisme est de 64% pour les femmes contre 56% pour les hommes.
Au delà de l’objectif non encore atteint en terme d’alphabétisation de la population, les différences
entre les provinces se sont amoindries entre 1993 et 1998 mais les inégalités de compétence en lecture
et en écriture entre les hommes et les femmes n’ont pas diminué durant la même période. On constate
par ailleurs que le taux d’alphabétisme des individus âgés de 15 ans et plus pour l’ensemble de l’île a
légèrement régressé ces dernières années, passant de 47.2% en 1993 à 46.6% en 1998 (cf tableau 1).
Cette légère baisse résulte en fait de deux mouvements inverses selon les provinces (augmentation de
la part d’alphabètes dans les provinces de Toliary, Mahajanga et Toamasina, et baisse de la part des
alphabètes dans les provinces d’Antsiranana, de Fianarantsoa et surtout d’Antananarivo (cf cartes 1,2,3
et 4). Au total,
Taux d’alphabétisme (en %) des hommes et des femmes de 15 ans et plus
par faritany, en 1993 et 1998.
Carte 1 : 1993 - Hommes Carte 2 : 1993 - Femmes
Carte 3 : 1998 - Hommes
Carte 4 : 1998 - Femmes
Source des données : Bilan à l’an 2000, MINESEB, Madagascar, 1999
Cette estimation de l’alphabétisme est en lien direct avec la scolarisation pour deux raisons. D’une
part, on peut penser que les estimations statistiques présentées ont été établies en référence aux
données de scolarisation dans le primaire. D’autre part, cette tendance à la baisse de l’alphabétisme
résulte directement du phénomène de déscolarisation dans le primaire observé depuis le milieu des
années 1980. Car, s’il est possible d’être alphabétisé en dehors du passage par l’école, cette situation
demeure marginale, l’école primaire étant le lieu principal de l’apprentissage de la lecture et de
l’écriture dans l’île. De ce fait, plus le taux de scolarisation baisse ou reste faible et moins on a de
chance de voir l’analphabétisme reculer à Madagascar. Dans l’optique d’une réduction de la pauvreté
en général, et de la pauvreté en terme de capital humain plus précisément, il apparaît alors nécessaire
de se pencher sur la scolarisation et l’Ecole à Madagascar, au niveau primaire en particulier.
II Les caractéristiques de la scolarisation à Madagascar
Depuis le milieu des années 1980, la scolarisation dans le premier cycle, et particulièrement dans le
secteur public, apparaît "en perte de vitesse", tant au niveau de l’offre que de la demande.
L’offre scolaire, et plus particulièrement au niveau primaire, a connu une baisse sans précédent tant en
quantité (fermetures d’écoles, réduction du nombre de postes d’instituteurs…) qu’en qualité et
efficacité interne (taux de redoublements et de déperdition élevés…). Du fait des conditions de
l’ajustement structurel et des restrictions budgétaires allouées à l'enseignement par l'Etat (2,3 % du
PIB en 1991 contre 1,4 % en 1997), et plus spécifiquement à l’enseignement primaire, l'offre scolaire
publique demeure insuffisante. Pour l’année scolaire 1997-1998, 15 % des EPP étaient encore non
fonctionnelles, de nombreuses infrastructures restent délabrées, et le matériel didactique et les
fournitures scolaires font encore défaut. Du point de vue du personnel enseignant, on constate une
pénurie d’instituteurs, une formation insuffisante de ces derniers (faible compétence en français et en
méthodes pédagogiques entre autre) et une faiblesse de leur encadrement (peu de contrôle et de suivi
des enseignants, surtout en milieu rural).
Quant à la demande scolaire, si on tente de la mesurer par le taux de scolarisation, celle-ci apparaît en
régression depuis le milieu des années 80. Le taux de scolarisation n’a cessé de décroître jusqu’en
1994-95, date à laquelle une légère reprise a semblé s’amorcer. Selon une estimation du MINESEB, le
taux net de scolarisation (TNS) au niveau primaire3, tous secteurs confondus est passé de 73 % pour
l’année scolaire 1987-1988 à 60 % en 1994-1995. Depuis 1995-1996 on assiste à une légère remontée
du TNS. Cet indicateur, estimé à 64 % en 1997-1998, demeure toutefois inférieur à celui observé dix
ans auparavant [MINESEB, 1999]. Cette baisse de la scolarisation s’explique en partie par la chute
vertigineuse du niveau de vie de la population malgache depuis le milieu des années 1980. Mais elle
est aussi le signe d’un rejet de l’enseignement public, la part du secteur privé au niveau primaire ne
cessant d’augmenter : de 15 % des effectifs scolaires en 1987-1988, elle atteint 22 % en 1997-1998
[MINESEB, 1999]. Si la chute du TNS au niveau du cycle primaire semble “ enrayée ” depuis 1995-
1996, la baisse de la scolarisation dans le secteur public à Madagascar est sans conteste.
La scolarisation dans toute l'île est caractérisée par une apparente égalité d'accès à l'école dans le cycle
primaire. En outre, d’après les dernières estimations du MINESEB, les filles sont davantage
scolarisées que leurs homologues masculins, et ce dans toutes les provinces de l’île.
Les différences de scolarisation selon le milieu de résidence sont très marquées : selon les données du
recensement de 1993, 69 % des enfants de 6-14 ans fréquentent l’école en milieu urbain contre 42 %
en milieu rural. De même, le taux net de scolarisation au niveau primaire est caractérisé par de très
fortes disparités régionales. Les provinces extrêmes sont celle d’Antananarivo (78%) et celle du
sud/sud-ouest de l'île, Toliary, où moins de la moitié des enfants sont scolarisés (45%) (cf carte 5) en
1997/98 d’après une estimation du MINESEB(Bilan à l’an 2000, 1999).
Par ailleurs, le bilan en l’an 2000 [MINESEB, 1999] révélait la constance d’une forte déperdition
scolaire dans le primaire et la persistance de nombreux redoublements (taux de survie en fin de cycle
de 40 % et taux moyen de redoublement égal à 36 % en 1996-1997).
3 Nombre d’élèves âgés de 6-10 ans inscrits au niveau primaire exprimé en pourcentage du nombre d’individus de cette même tranche d’âge
(cette dernière étant estimée à partir des projections de la population recensée en 1975 et 1993).
Carte 5 : Taux net (en %) de scolarisation en primaire par faritany en 1997/98,
d’après le Bilan à l’an 2000, MINESEB, 1999.
Ainsi, la baisse de la scolarisation à l'école primaire observée à Madagascar peut être rattachée en
partie à la crise économique qui touche le pays depuis le milieu des années quatre-vingt et aux coupes
drastiques dans le budget national imposées par la Banque Mondiale dans le cadre des plans
d’ajustements structurels. Le facteur économique a en effet largement entamé d'une part les revenus
que les familles peuvent consacrer à la scolarisation de leurs enfants et d'autre part les budgets de l'Etat
alloués à l'enseignement. Ainsi formulé, le lien entre pauvreté et non-scolarisation/déscolarisation
apparaît de fait comme une évidence. Concernant la demande d’éducation des familles et les freins à la
scolarisation, ce lien doit toutefois être revisité et relativisé.
III Les faritany de Toliary et d’Antananarivo
Les provinces de Toliary et d’Antananarivo se distinguent assez singulièrement du reste de l’île du
point de vue de la scolarisation. D’une part, Toliary apparaît comme la lanterne rouge en matière de
scolarisation, alors que c’est dans la province d’Antananarivo que l’on observe le taux net de
scolarisation en primaire le plus élevé pour l’année scolaire 1997-1998 (cf supra). Au delà de cet
indicateur de l’intensité de la scolarisation, ces deux provinces se distinguent également en terme de
rendement interne (cf tableau 2).
Tableau 2 : Indicateurs d’efficacité de l’école primaire
pour les provinces de Toliary et d’Antananarivo
Indicateurs Province d’Antananarivo Province de Toliary
Ratio élèves / enseignant public
(97/98) 45.4 47.2
Taux de redoublement primaire
(96/97) 29.5 39.7
Taux de survie en fin de cycle
(96/97) 53.3 48.5
Coefficient d’efficacité du
primaire (96/97) 34.4 28.1
Source : Education Pour Tous, Bilan à l’an 2000, MINESEB, 1999.
Si le ratio élèves/enseignants dans le secteur public primaire diffère peu entre la province
d’Antananarivo et celle de Toliary (45.4 contre 47.2 respectivement), l’efficacité de l’école primaire
est sensiblement supérieure dans la province du centre par rapport à celle du sud/sud-ouest. Dans cette
province en effet, le taux de redoublement y est de 10 points inférieur à celui observé dans la province
de Toliary. De même, plus de la moitié des enfants qui y commence le cycle primaire le termine,
contrairement à la tendance inverse observée dans la province du sud (taux de survie en fin de cycle
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