
II. VISIONS DE L’ÉTHIQUE — APPROCHE STATISTIQUE
Avec un certain degré d’arbitraire et forcément l’emprise de facteurs subjectifs et de limitations de
tous ordres : culturelles, oublis, etc., nous avons choisi, en collaboration avec Laurent Rollet,
trente citations susceptibles d’engendrer un certain « champ éthique » (voir ces citations dans le
tableau de la page suivante). Chacune des personnes ayant à remplir le questionnaire —
concrètement attribuer un indice allant de 1 (désaccord), à 5 (accord complet) — va donc s’y
projeter, avec des biais inévitables, pour donner ainsi « sa représentation » de l’éthique
relativement à ce référentiel. Il sera ensuite possible de voir comment se situent individus et
groupes sur certaines cartes factorielles, donnant ainsi des « images » de l’éthique vue par des
élèves ingénieurs ou autres futurs cadres.
a) Première image: la vision éthique « moyenne »
Certains commentaires s’imposent. D’abord on observe une certaine adhésion générale au
corpus, puisque presque toutes les citations ont un score au delà de la moyenne (3). Seules les
citations Prajnânpad 2, Proust et, quoique moins manifestement, Lacan, ne sont pas
majoritairement (et immédiatement) considérées comme « morales ». Toutes les autres dépassent
la moyenne, trois se distinguant plus nettement : Chang Hung, Revel et Jonas ; pour des raisons
et selon des perspectives probablement différentes, elles recueillent une adhésion spontanée.
Encore faut-il préciser quelques points qui n’apparaissent pas sur le tableau :
d’abord le nombre des non réponses est variable, et il est relativement élevé pour Rousseau 1,
suite probablement à une certaine ambiguïté de l’énoncé ;
d’autre part la variabilité des réponses est toujours maximale, chacune des citations trouvant au
moins une totale adhésion (5) et un total refus (1) ; les écarts-types varient eux, du minimum, 1,01
pour Chang Hung, au maximum de 1,44 pour Marx.
Le tableau fournit également une comparaison des réponses en fonction du sexe, comparaisons
qui sont réalisées à partir d’indicateurs statistiques non explicités ici.
Rappelons que la proportion de l’échantillon est significative du milieu des écoles d’ingénieurs :
masculin 160 (environ 70%), féminin 68 (environ 30%). Le tableau affiche les deux moyennes
dans l’ordre masculin / féminin ; sa lecture fait ressortir une certaine différence masculin / féminin,
et presque chaque fois où cette différence est statistiquement significative, la valeur attribuée aux
citations est plus importante chez les femmes, ce qui pourrait alimenter la conjecture d’une plus
grande sensibilité des femmes (des étudiantes) à l’éthique. L’écart est même très significatif pour
deux citations, celle de Jonas qui engage la responsabilité vis-à-vis des générations futures et
celle de Kant 2, qui va dans le même sens, celui d’une éthique impérative mettant la primauté sur
l’homme (de la fin sur les moyens). Peut-être pouvons nous voir une autre indication de la
différence des valeurs féminines et masculines, en notant que les citations de Marx et de
Nietzsche, qui caractérisent une posture plus « combative », sont plus valorisées par les individus
de sexe masculin, même si les écarts ne sont pas statistiquement très significatifs.
Symboliquement — et avec la plus extrême prudence — nous retrouvons des représentations
conformes aux stéréotypes. Les hommes auraient ainsi une position à la fois plus révoltée, plus
cynique et plus affirmative d’eux-mêmes ; il est à cet égard intéressant de noter que le seul écart
positif significatif concerne la citation de Proust, comme s’ils avaient, plus que les femmes, à
affronter le malheur pour devenir plus sensibles à la morale.
Les trois dernières colonnes du tableau de la page suivante donnent respectivement : le score moyen de chaque citation pour
l’ensemble des groupes ; le score moyen masculin / le score moyen féminin ; l’indication d’une différence significative ou non (ns : non
significative ; ps : peu significative ; ts : très significative).