La vaccination, un indéniable outil de progrès pour la santé

La vaccination, un indéniable
outil de progrès pour la santé
individuelle et collective
La découverte de la vaccination fut et reste le plus extraordinaire des
progrès en santé. Éradiquer la variole, faire baisser lincidence mondiale
de la poliomyélite de 99 % et le nombre de décès dû à la rougeole dans le
monde de 39 % [1], faire disparaître la diphtérie en France faisaient partie
des rêves des années 50. Depuis, de nouveaux vaccins apparaissent
régulièrement permettant despérer de nouvelles victoires, et apportant
de nouveaux défis. On peut se demander si ces découvertes et leur mise en
application ne vont pas trop vite, plus vite que la confiance nécessaire pour
accepter un risque individuel, infime ou supposé, fût-il pour un bénéfice
collectif majeur.
La crise de conance
Elle semble débuter en 1994 lors de la campagne de vaccination contre
lhépatite B. Elle rebondit en 2009 avec la campagne de vaccination contre la
grippe H1N1. Le « Baromètre santé 2010 » [2] en témoigne : en 2010, moins
des deux tiers (62 %) des personnes âgées de 15 à 75 ans déclarent être
favorables à la vaccination en général. Une nette diminution est observée
par rapport aux données de 2005 (90 % des interrogés étaient favorables à
la vaccination). Plus encore, 52,4 % des personnes interrogées déclarent être
défavorables à certains vaccins : 84,7 % à la vaccination contre la grippe,
17 % à la vaccination contre lhépatite B. Ces données ont été recueillies au
moment de la crainte de la pandémie grippale de 2009. Une étude de 2016
sur létat de cette conance [3] révèle que cest en Europe quon trouve sept
des dix pays les moins conants au monde, la France arrivant malheureu-
sement en tête avec 41 % des personnes doutant de la sécurité des vaccins.
Ce qui fait dire à un représentant de lOMS : « Nous devons être très
prudents sur la façon dont nous communiquons sur la sécurité et lefcacité
des vaccins[4]
Les médecins eux-mêmes ont oublié jusquà
lexistence de certaines maladies
Les grandes épidémies ont rythmé lhistoire de lhomme au point de générer
lexpression « choisir entre la peste et le choléra ». Quand au XVIII
e
siècle la
variole va remplacer la peste, cest une pratique populaire, celle de
linoculation (issue de la vache : Vacca donnant vaccin), qui donnera
naissance au concept de vaccination. Polémiques et méances surviendront
en même temps, allant jusquà faire craindre que poussent des cornes sur les
vaccinés.
Si la variole, première maladie concernée, a été déclarée éradiquée en 1980,
cest quil nexiste pas dautre réservoir du virus que lhomme (et quelques
laboratoires). La poliomyélite est également dans ce cas, malheureusement
elle na disparu que sur certains continents et réapparait depuis 2008 en
Afrique, en Europe centrale et même en Chine. Or la plupart des maladies
ÉDECINE
100 MÉDECINE Mars 2017
ÉDITORIAL
Francis Abramovici
R
edacteur en chef de M
edecine
32 rue Vacheresse, 77400 Lagny
DOI: 10.1684/med.2017.175
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 02/06/2017.
infectieuses ne peuvent quêtre contrôlées. Pour certai-
nes, le vaccin confère une protection individuelle totale,
comme pour le tétanos. Au point que la rareté des cas
(chez des sujets non ou mal-vaccinés) fait oublier la
gravité bien connue de nos aïeux de cette maladie ni
immunisante ni contagieuse. Cest la médecine de guerre
qui permettra de tester à grande échelle lefcacité du
sérum en 14-18, puis du vaccin en 39-45. Quant au tétanos
du nouveau-né (la mort du septième jour dans lAncien
Testament) que lOMS pensait pouvoir éliminer dès 2015
il reste un éau mondial.
La diphtérie quasiment disparue en France, était respon-
sable de plus de 3 000 morts par an en 1924 dans un
tableau dasphyxie dramatique [5]. Elle est réapparue
dans les pays de lex-URSS dès que la couverture vaccinale
a baissé.
La coqueluche de ladulte hautement contagieuse est de
retour avec sa « toux de 100 jours » pour les chinois,
rendant nécessaire la protection des bébés par le
cocooning en attendant lespoir dun vaccin bien toléré
et plus efcace [6].
La vaccination contre lhépatite B présente entre autres
avantages de prévenir un cancer, et donc de réaliser enn
un vieux rêve. Bien quinoffensive chez le nourrisson, la
suspicion demeure sur son innocuité en raison de son
histoire.
Lespoir déradiquer la rougeole dès 2015 au niveau
mondial a été déçu, et lépidémie sest traduite en France
entre 2008 et 2013 par plus de 23 000 cas déclarés, plus de
1 000 pneumopathies graves, 31 complications neurolo-
giques et 10 décès [7]. Vacciner lensemble des enfants
contre la rougeole vise non seulement à conférer une
protection individuelle mais aussi à faire disparaître la
maladie. Ce vaccin associé à celui contre les oreillons fait
disparaître lorchite aiguë hyperalgique avec stérilité et
associé à celui contre la rubéole évite les malformations
tératogènes.
La raréfaction des épiglottites à Hæmophilus inuenzae
(Hib) comme celle des méningites à Hib et à pneumoco-
ques sont liées à ces nouveaux vaccins (le vaccin Prevenar
1
étant maintenant également indiqué chez ladulte).
La gravité fulminante des méningites à méningocoque,
bien que rare, justie une vaccination généralisée.
Tant de vaccins disponibles utilisés chez le nourrisson
comme chez ladulte coïncident nécessairement dans leurs
suites avec des épisodes de gravité diverses. Se trouve
posée la question inéluctable du lien de causalité, des
limites des connaissances comme de la responsabilité. Mais
aussi quels vaccins rendre obligatoires ? Si la conance
dans « les vaccins » disparaît, cest la crainte dun retour en
arrière de la protection vaccinale qui est esquissée.
Le principe de précaution
appliqué à la médecine :
une précaution pire que le mal ?
Lhistoire de la vaccination fut émaillée de méance et de
conits. La prévention de la iatrogénie commence
seulement à trouver sa place dans le corps médical.
La pharmaco- et vaccinovigilance révèlent des risques
jusqualors ignorés au bénéce dune prévention pos-
sible. Il était plus facile avant cette transparence
nécessaire, pour le médecin comme pour le patient,
dêtre croyant naïf ou soumis à largument dautorité.
Le buzz sur Internet amplie les retombées émotionnel-
les détudes scientiques que les patients connaissent des
fois mieux que nos confrères mais de façon parcellaire.
Les associations de patients relayant ces études, il nous
revient douvrir le débat avec toute la rigueur scienti-
que, dadmettre quon ne sait pas tout, dafrmer ce
que lon sait, mais aussi découter de façon empathique et
attentive les craintes. Il faut maintenant mesurer le
rapport bénéce/risque et le degré dincertitude pour
aboutir à une mesure partagée avec les consultants.
Depuis que le principe de précaution est appliqué aux
soins, cette évaluation indispensable se traduit pour
certains patients par une méconnaissance de ce rapport
et une mécompréhension des risques. Des phénomènes
de méance instinctifs font ainsi préférer prendre le
risque important dune maladie connue mais frappant à
laveugle au risque hypothétique ou exceptionnel dun
effet indésirable mais provoqué par une action inten-
tionnelle. Bergson identie ce raisonnement dans Les
Deux Sources de la morale et de la religion Un ofcier
qui a pris part à la Grande Guerre nous disait quil avait
toujours vu les soldats redouter les balles plus que les
obus, quoique le tir de lartillerie fût de beaucoup le plus
meurtrier. Cest que par la balle, on se sent visé... »[8].
La différence fondamentale est que le vaccin prévient la
maladie.
Par ailleurs, si certains vaccins viennent à manquer, ne
serait-ce pas à des ns nancières ? Ces procès dinten-
tion sont suscités par les conits dintérêts révélés dans le
domaine du médicament (Mediator
1
...). Les conclusions
de la concertation citoyenne et lavis récent du Conseil
dÉtat sont-ils les signes de changements en matière
dapprovisionnement ?
Enn, demain des vaccins visant à prévenir les infections
bactériennes liées aux soins, devraient réduire la pres-
cription dantibiotiques et lémergence des résistances,
précaution indispensable pour garder des antibiotiques
efcaces.
C
onclusion
Ce numéro spécial vaccin répond à une actualité riche.
Il est conçu pour aider les soignants à faire face aux
réticences parfois « irrationnelles » et pourtant fondées
sur des mécanismes de pensée identiables, aux résis-
tances générées parfois par lattitude des médecins ou
des décisions institutionnelles.
Soutenu par la DGS quant à sa diffusion, lensemble de ce
numéro est réalisé par la rédaction de la revue Médecine
en toute indépendance. Lexhaustivité étant impossible
en un seul numéro, il sera suivi de nombreux articles
complétant les connaissances sur ce sujet dans les
prochains numéros de la revue.
La place du médecin généraliste et celle dautres
professionnels de santé assurant un colloque singulier
MÉDECINE Mars 2017 101
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est incontournable pour les patients. La conance dans la
vaccination a été plus écornée en France quailleurs par
les campagnes organisées sans le relais dun professionnel
connu et de conance. Il revient pour la restaurer puis la
préserver, de donner linformation la plus rigoureuse et la
plus transparente sur limportance du bénéce attendu
pour chaque vaccin et sur les incertitudes persistantes que
seules des études complémentaires et une vigilance
accrue peuvent lever. La décision partagée à partir
dun consentement éclairé est une obligation éthique
et réglementaire (Article L. 1111-2 CSP). Pour les vaccins,
au-delà de la responsabilité individuelle, une responsa-
bilité vis-à-vis de la collectivité est liée au côté altruiste de
certains vaccins. Cette responsabilité implique de commu-
niquer au mieux face aux inquiétudes des parents comme
des patients.
Cest lobjet de ce numéro que de contribuer à nous y
aider. Cest la santé de chaque individu comme la santé
publique qui sont en jeu.
~Liens dintérêts : lauteur déclare navoir aucun lien
dintérêt en rapport avec larticle.
RÉFÉRENCES
1. OMS. Maintien des grands progrès de la vaccination depuis un quart de siècle
[Internet]. WHO. [cité 4 févr. 2017]. Disponible sur : http://www.who.int/media-
centre/news/releases/2005/pr48/fr/.
2. Gautier A, Jestin C, Beck F. Baromètre santé 2010. Santé en Action 2013 ; 423 :
50-3.
3. Larson HJ, et al. The state of vaccine condence 2016: Global Insights
through a 67-country survey. EBioMedicine (2016). http://dx.doi.org/10.1016/j.
ebiom.2016.08.042.
4. Lembit Rägo OMS et programmes vaccinaux Actes du colloque. Sécurités des
vaccins. Octobre 2016. www.princeps.sorbonne-paris-cite.fr/actualites/actes-du-
colloque-securite-des-vaccins-34.html.
5. Sansonetti P. Vaccins Pourquoi ils sont indispensables. Paris : Éditions Odile Jacob,
2017.
6. Coqueluche [Internet]. [Cité 5 févr. 2017]. Disponible sur : http://www.inserm.fr/
layout/set/print/thematiques/immunologie-inammation-infectiologie-et-microbiolo-
gie/dossiers-d-information/coqueluche.
7. INVS. Épidémie de rougeole en France. Actualisation des données de surveillance au
12 août 2013./Archives/Points dactualités/Rougeole/Maladies à prévention vaccinale/
Maladies infectieuses/Dossiers thématiques/Accueil [Internet]. [Cité 5 févr. 2017].
Disponible sur : http://invs.santepubliquefrance.fr/Dossiers-thematiques/Maladies-
infectieuses/Maladies-a-prevention-vaccinale/Rougeole/Points-d-actualites/Archives/
Epidemie-de-rougeole-en-France.-Actualisation-des-donnees-de-surveillance-au-12-
aout-2013.
8. Bergson H. Les Deux Sources de la morale et de la religion. Paris : Flammarion, 2012.
102 MÉDECINE Mars 2017
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