question identitaire et processus de professionnalisation

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L'ACCOMPAGNEMENT, UN METIER D'ART :
QUESTION IDENTITAIRE ET PROCESSUS DE
PROFESSIONNALISATION
Danièle ALBINI-OCHIN,
master 2 Ingénierie de Formation, université Lille 1
PREAMBULE
„ Cet
écrit n'a pour objet que d'être l'expression d'un questionnement et d'une
tentative de problématisation de la part d'une praticienne en transition.
En effet, pratiquant l'accompagnement depuis une quinzaine d'années, dont une
moitié dans le champ de l'insertion sociale et professionnelle et une autre moitié
uniquement consacrée à l'accompagnement de projet tel que le définit J.P. Boutinet
(2007), ce questionnement s'inscrit dans un contexte professionnel et personnel
particulier. Bien sûr, allions nous dire, tant ce qui nous interroge peut, le plus
souvent, être porteur de la résonance d'événements de vie. Ainsi, c'est lors d'une
rupture professionnelle qu'est apparue dans nos propos une certaine revendication à
être reconnue comme une "professionnelle de l'accompagnement" sans pouvoir faire,
pour autant, l'économie de se demander au nom de quoi se qualifier de la sorte...
Bien plus que sur une fonction ou un métier, cette revendication portait avant tout
sur la reconnaissance d'une expérience professionnelle et de vie au cours de laquelle la
palette des accompagnements pratiqués avait été riche et nuancée. Pour avoir partagé
le chemin de personnes parmi les moins qualifiées et les plus fragilisées socialement et
personnellement et celui de personnes les mieux insérées et parmi les plus qualifiées,
nous avons pu expérimenter différentes tonalités d'accompagnement et ceci dans des
temporalités elles aussi très variées, parfois au fil de plusieurs années, parfois au cours
de quelques semaines.
Notre revendication, quelque peu paradoxale, celle peut-être de "l'expertise de la non
expertise" s'inscrivait surtout dans un souci de dire qu'il y avait sans doute là matière à
témoigner de ces chemins partagés.
L'intérêt étant de se décentrer de cette expérience professionnelle, singulière, intime
presque, tant elle fut synonyme d'un engagement fort, pour en extraire des axes de
réflexion permettant de réinterroger cette pratique.
TransFormations n°2/2009 – p. 149/p. 166 „ 149
DU COTE DES PROFESSIONNELS
Dans le cadre de cette interrogation, notre intention est d'appréhender l'articulation
entre la question identitaire et le(s) processus de professionnalisation en jeu dans les
pratiques et les activités d'accompagnement.
L'importance d'une interrogation, depuis le début des années 2000, sur la nature et le
sens du foisonnement des pratiques de l'accompagnement et du "signe sociétal fort"
(J.P. Boutinet, 2007, p. 1) qu'elles donnent à voir et à penser, n'est plus à démontrer.
Les sciences de l'éducation et la formation des adultes, à la croisée de nombreuses
disciplines et pratiques relevant des sciences de l'Homme sont, de fait, doublement
interpellées par la nécessité de cette interrogation, tant du point de vue des champs de
recherche concernés que du point de vue des pratiques.
S'il est indispensable en tout premier lieu de comprendre "ce qu'accompagner veut
dire" (M. Paul, 2004, p. 7), s'il l'est tout autant d'appréhender ce que nous dit la
(sur)abondance de ces pratiques de ce qu'est un adulte en ces temps de post-modernité
(J.P. Boutinet, 2007, p. 27), il nous semble intéressant d'observer ce qui se passe
aujourd'hui du côté des professionnels. Et, plus précisément, de tenter de comprendre
ce que l'accompagnement a changé dans leurs vécus et dans leurs pratiques.
Dans le cadre de cette possible observation, nous considérons que la question
identitaire dans l'accompagnement peut être non seulement un axe privilégié
d'éclairage, mais surtout qu'elle se situe au coeur de la réflexion à mener, notamment
en raison de la particularité de cette pratique. Il s'agit là d'interroger l'existence et les
modalités d'un processus de professionnalisation des métiers de l'accompagnement à
la lumière des transformations identitaires qui touchent, ou non, les professionnels
pratiquant cette "posture spécifique".
En quoi, et comment, la question identitaire participe-t-elle d'un processus de
professionnalisation, voire de l'émergence d'un nouveau métier, dans un contexte de
diversité de pratiques, de statuts, de fonctions, d'institutions et d'organisations ?
Nous supposons également, à partir de notre expérience, que le questionnement
éthique, associé par essence, à la pratique de l'accompagnement est un élément central
constitutif de cette identité professionnelle en construction et de ce qui peut être
considéré comme un processus de professionnalisation, au sens de la "fabrication"
d'un accompagnant, qui ne parait pas, ici, passer par les voies habituelles, celui des
modes de formation. Il nous semble effectivement que c'est, notamment, la relation et
les interactions entre accompagné et accompagnant qui remplit cette fonction
formative et que donc c'est l'interrogation identitaire en jeu dans la dimension
relationnelle d'accompagnement, de part et d'autre, qui sert, entre autres, de
fondation à cette fabrication. Dimension relationnelle au coeur de laquelle se pose la
question de la distance, pour notre part nous préférons le terme de proximité, entre
accompagnant et accompagné. Cette proximité ne pouvant, selon nous, être définie a
150 „ TransFormations n°2/2009
priori, elle fluctue en fonction des besoins de l'accompagné et de l'accompagnement.
Ainsi, à posture professionnelle spécifique (M. Paul, 2004) professionnalisation
singulière peut-être, parce qu'elle renvoie, d'une part, à la dimension relationnelle
éminemment individuelle de cette activité et d'autre part, à des modalités particulières
de fabrication d'un professionnel. La lisibilité de la professionnalisation en tant que
processus s'en trouve donc sans doute moins facilement déchiffrable.
Dans cette activité spéciale qu’est l’accompagnement, dans cette scène qui se joue à un
moment donné dans un contexte donné, où les personnages et les décors sont bien
plus nombreux que ce que l'on peut voir et croire, nous souhaitons donc porter notre
regard et notre attention sur ceux que l'on appelle les accompagnateurs ou les
accompagnants. Ces termes étant tous deux employés dans la littérature, chacun
choisira celui qui lui parle le plus. Pour notre part, l'accompagnant semble plus
évocateur de "l'être" dans la relation d'accompagnement et l'accompagnateur de ce
qui est de l'ordre de "l'agir" dans cette pratique.
Les prémisses de notre réflexion porteront d'abord sur la problématique définition de
l'accompagnement comme métier et sur les éventuels éléments d'un processus de
professionnalisation avant d'envisager plus précisément les liens qui nous paraissent
spécifiquement exister entre la question identitaire et ce processus.
L'ACCOMPAGNEMENT, UN METIER D'ART ?
Serait-ce parce que l'accompagnement est un "impossible métier" (M. Paul, 2004,
p. 245) qu'il n'est pas possible qu'il soit un métier, serait-ce parce qu'il s'écrit au
pluriel qu'il ne peut être défini au singulier, toujours est-il que cette interrogation qui
traverse les différents travaux sur l'accompagnement laisse envisager la manière dont
elle pourrait devenir polémique.
L'accompagnement, est-ce un métier ?
Derrière cette question du métier se posent, dans un premier temps, celle de la
légitimité des accompagnateurs d'une part, et d'autre part, celle de la spécificité de
cette posture"éthique et de nature spirituelle" (G. Le Bouëdec, 2007, p. 179).
Légitimité et reconnaissance sont étroitement liées et semblent aléatoires concernant
l'accompagnement, puisque ce dernier, en raison de la diversité des origines
professionnelles et des fonctions occupées, en raison, aussi, du fait qu'il peut être
perçu, d'un premier abord, comme une pratique nouvelle, ne s'inscrit pas dans un
environnement socio-historique, professionnel et identitaire clairement délimité.
La professionnalité qui y est en jeu demeure floue, (J.P. Boutinet, 2007, p. 7) sans
compter que l'ambiguïté qui l'entoure le rend également vulnérable au fait d'être ce
qu'il est et son contraire, c'est à dire un vestige vivant et évolutif d'un héritage
humaniste ou un leurre masquant contrôle social et finalités politiques moins
TransFormations n°2/2009 „ 151
avouables que sa dénomination ne veut bien le laisser croire (C. Heslon, 2007, p. 87).
"Cette fonction socialement revendiquée ne crée guère de métiers correspondants" et
n'apparaît, dans le code ROME, par exemple, que du point de vue du public concerné
(G. Pineau, 2007 p. 163). Quant aux pratiques évoquées sous le vocable
d'accompagnement, elles font référence à des pratiques préalablement existantes et
identifiées, ce qui laisse à penser que "le sens de la revendication d'accompagnement
n'est pas à chercher dans des pratiques nouvelles mais dans une nouvelle manière de poser
des pratiques anciennes" (G. Le Bouëdec, 2007, p. 170).
On pourrait donc, d'entrée de jeu, se dire que, puisqu'il s'avère être quelque peu
fantomatique, le professionnel, à la recherche duquel nous nous proposons d'aller,
n'existe pas. Sauf que l'accompagnement nous a habitués à le savoir loin d'être aussi
simple qu'il n'en a l'air et que les processus d'émergence et de reconnaissance de sa
professionnalité sont peut-être aussi complexes et inattendus que lui....
Défini tantôt, avant tout, comme une posture, ou encore comme une relation,
comme une pratique, comme une fonction sociale essentielle, comme un métier,
comme un lien entre différents métiers unis par une même idéologie,
l'accompagnement est sans doute tout cela et plus encore. Il semble décidemment
bien s'inscrire dans le paradigme de la logique floue! Est-il judicieux et cohérent de
parler de métier, ou de professionnalisation lorsque l'on parle d'accompagnement ?
Si certains avis sur la question sont posés de manière quelque peu exclusive à nos
yeux, d'autres semblent plus nuancés, faut-il y voir des positionnements se situant sur
des niveaux logiques différents, reflets de la complexité de l'accompagnement ?
Nous considérons, pour notre part, que ce qu'engage l'accompagnement c'est
incontestablement bien plus que des compétences, un statut, des fonctions ou une
rémunération, et que, si ce n'est, certes pas, un métier comme les autres, cela ne
signifie pas pour autant qu'il n'en soit pas un.
La notion d'art a été souvent évoquée à son sujet. L'art d'être à un moment donné
d'un chemin de vie, celui ou celle qui va être un des catalyseurs des ressources dont la
personne dispose pour poursuivre ce chemin sans nous. A l'image du thérapeute
extérieur qui devient le catalyseur du thérapeute intérieur. L'art est expression de soi,
fragile et éphémère, mais qui peut aussi traverser le temps, d'une ou de plusieurs vies,
et qui peut être défini comme tel par soi et/ou l'autre, et/ou la société, ce qui pose par
essence la question de son ambiguïté et de sa légitimité. De ce point de vue, il existe
effectivement certaines similitudes. S'il nous fallait vraiment le caractériser, nous
serions tentée de considérer ce dernier comme un métier d'art, en ce sens qu'il est
possible d'y associer trois critères. Celui de métier au sens d'un ensemble de savoirfaire complexes, (... et que dire en plus de la complexité du savoir "être" ici !), souvent
longs à acquérir et fondés sur une transformation de la matière (...humaine, la sienne
et celle de l'autre), s'exerçant dans les domaines de la création ou de la restauration
(...de soi). Celui d’une production d'objets uniques ou de petites séries (....participer
peu ou prou au développement et à la reconnaissance de la singularité et de l'unicité
152 „ TransFormations n°2/2009
de l'autre). Et enfin, le critère d'un professionnel maîtrisant (... autant que faire se
peut dans ce domaine) ce métier dans sa globalité, quel que soit le statut de ce dernier.
L’accompagnement qualifie-t-il ou définit-il un professionnel ?
Au coeur de ce débat sur l'accompagnement en tant que métier, certaines questions
nous intéressent plus particulièrement.
Ainsi, si l'accompagnement est une posture professionnelle spécifique existe-t-il
aujourd'hui une spécificité professionnelle et si oui, de quelle manière cette dernière
est-elle intégrée, articulée, prise en compte ? "Le professionnel en relation doit inventer
une logique différente qui lui permette de se faire reconnaître au-delà de son expertise
propre" (M. Paul, 2004, p. 316), les accompagnants sont-ils reconnus en tant que tels
ou ne se reconnaissent-ils qu'entre eux, à la lumière d'une affirmation éthique ? La
fonction d'accompagnement reste-t-elle une fonction "adjointe à" ou l'imprégnation
est-elle complète ? En quoi, et jusqu'où, le fait de devenir accompagnateur a-t-il
déplacé, en quelque sorte, voire inversé, le centre de gravité de leurs métiers ?
Des pratiques qui opèrent "un renversement de perspective" et instaurent "un nouveau
paradigme professionnel celui de la posture d'accompagnement" (M. Paul, 2004) sont-elles
le terreau d'un nouveau groupe professionnel ? De quelle manière s'élabore la
professionnalisation aux confins d'un balancement entre utilisation d'une expertise et
position relationnelle ? Quel est le rôle de la posture et de son questionnement
éthique dans celle-ci ?
Notre réflexion est ainsi centrée sur les modalités de fabrication d'un professionnel de
l'accompagnement. Si, en 2002, il était question que "l'accompagnement relève, en fin
de compte, davantage d'un métier se construisant que d'une profession formalisée"
(J.N. Demol, 2002, p. 130), qu'en est-il, en cette presque fin de décennie ?
Au fil de notre réflexion et des lectures y afférant, une interrogation plus personnelle,
parce que issue de notre expérience et de notre ressenti, s'est progressivement dessinée
autour de notre positionnement professionnel.
Si l'accompagnement est envisagé dans les travaux qui lui sont consacrés comme une
activité, ou une pratique, venue s'adjoindre et remettre en questionnement l'expertise
professionnelle pré existante, dans notre auto perception, c'est, depuis quinze ans,
l'accompagnement sur lequel a reposé notre expertise. Si, dans les différents écrits, le
terme d'accompagnateur particularise et qualifie, il peut être question de formateur
accompagnateur par exemple, pour notre part, le terme accompagnateur a toujours
été central dans notre auto perception et ce sont plutôt les axes de travail ou les
domaines d'action qui venaient spécifier l'accompagnement. D'où un questionnement
sur les raisons d'une telle inversion de positionnement. Notre formation originelle de
travailleur social avait-elle une influence, de la relation d'aide à l'accompagnement,
était-ce la relation à autrui en tant que telle sur laquelle nous semblait reposer notre
TransFormations n°2/2009 „ 153
professionnalité ? Confusion, notamment sémantique, était-elle faite entre
professionnelle de la relation et professionnelle de l’accompagnement ?
Si notre identité professionnelle attribuée pouvait être assistante sociale, ou
conseillère en insertion sociale et professionnelle ou encore conseillère en bilan de
compétences, notre identité professionnelle incorporée, dans sa dimension
individuelle, était celle de l'accompagnement. Notre tentative de problématisation
trouve sans doute là sa source, et elle nous semble illustrer, si tant est que ce soit
nécessaire, l'intérêt d'une interrogation théorique d'une pratique particulière. Centrée
sur notre activité d’accompagnement, prise dans la "nébuleuse" de ce dernier,
l’extension de la relation d’aide à la relation de service, le flou sémantique, les enjeux
et les transformations sociales sous-jacentes à sa diffusion ne nous étaient pas,
directement et d’emblée, lisibles.
PROFESSIONNALISATION ET ACCOMPAGNEMENT
Plus que de savoir si définir l'accompagnement comme un métier est pertinent ou
non, c'est ce qui se vit du côté des praticiens et leur(s) professionnalité(s) qui nous
intéresse. Pour tenter d'apporter des éléments de réponse à notre question de
l’existence du professionnel de l’accompagnement, il nous paraît donc plus pertinent
de l’aborder sous l'angle de la professionnalisation. Bien que"ce mouvement de
professionnalisation de l'accompagnement" qui "émerge", soit "complexe lui aussi, éclaté,
inter, intra, transprofessionnel" et que "l'un des risques de la complexité de cette
professionnalisation" soit "de le réduire en l'enfermant dans la recherche
d'instrumentation et l'application de procédures légales" (G. Pineau, 2002, p. 36).
Une professionnalisation complexe
Parler de professionnalisation semble intéressant, dans la mesure où cette notion est
souvent sollicitée pour caractériser les nouvelles formes d'exercice d'un métier ou
d'une profession, comme cela peut être le cas pour les travailleurs sociaux ou encore
les enseignants. Cependant il est nécessaire de repréciser ici la polysémie de ce terme
qui s’inscrit dans différents contextes et fait référence à différentes dimensions. Trois
axes la caractérisent et s’articulent autour d’une double polarité, collective et
individuelle, celui des groupes professionnels, celui de l’activité en elle-même et l’axe
relatif à l’évolution d’un individu en professionnel, celui donc de la "fabrication" de ce
dernier.
Si du point de vue des groupes professionnels, il n’apparaît pas véritablement de
reconnaissance officielle, ni de définition sociale des accompagnateurs en tant que tels,
du point de vue des activités et de leurs savoirs, le développement de formations et
d'actions visant à développer certaines compétences liées à l'accompagnement
indiquent, de fait, un mouvement de professionnalisation, ou pour le moins de
154 „ TransFormations n°2/2009
régulation des pratiques. Ainsi, dans le champ économique, la définition d'un
ensemble de méthodes, de règles, de manière de faire, la formalisation d'un
engagement contractuel, l'exigence de formations préalables et continues, et la
création d'une association, permettant de clarifier et d'identifier ce qu'est le coaching
en entreprise, sont autant d’éléments qui constituent un exemple de ce mouvement,
même si cela ne règle pas les risques de dérive liés à cette activité. Risques qui
concernent d’ailleurs l’ensemble des secteurs où se vit l’accompagnement.
La diversité des pratiques, des profils, des statuts est-elle un obstacle à la
professionnalisation ? Cela dépend, sans doute, de la ligne directrice considérée. Mais
le fait est, qu'encore une fois, cette diversité, qui ne s'inscrit pas dans un contexte
unique et déterminé, ne facilite pas, pour le moins, la reconnaissance sociale de
l'accompagnateur et pose la question de sa légitimité, y compris du point de vue des
accompagnés. L’articulation entre le rationnel et le relationnel et la disparité des
modalités d’action et d’identification professionnelle ne permettent pas facilement de
"concevoir à court terme la profession d'accompagnement en tant que normalisation et
uniformisation" (M. Paul, 2004, p. 316).
Enfin, et surtout, en matière d'accompagnement, la professionnalisation semble se
heurter à la double polarité individuelle et collective. Il s'agit pour l'individu
concerné de se mouvoir sur une échelle graduée de qualification et d'emploi, dans une
trajectoire personnelle et "cette mobilité n'a de sens que si elle s'inscrit dans un
mouvement collectif de reconnaissance de l'activité" (P. Roquet, 2007).
De même, la pluralité de dimensions, de contextes, de formes et de niveaux de
temporalités, du point de vue social, institutionnel, organisationnel, et individuel, qui
est en jeu dans le processus de professionnalisation (P. Roquet, 2007) est, sans doute,
dans l'accompagnement, d'autant plus opérante.
Mais ce qui nous semble d’emblée le plus prégnant et le plus spécifique à la
professionnalisation en matière d’accompagnement se situe dans le fait que la
professionnalisation est également un processus subjectivement signifiant, où le sens
que l'on donne à son travail est lié aux interactions avec les autres et en dynamique
avec nos relations aux autres. La posture particulière de l'accompagnement, la
dimension essentiellement relationnelle de celle-ci, change la nature, les modalités
d'interaction et de relation à l'autre, elle change le sens de son travail.
De ce point de vue, si nous faisons de nouveau référence à notre pratique, notamment
celle des bilans de compétences, la question du sens a toujours été très importante et a
induit fortement le choix des outils mobilisés. En effet, ces outils seront différents s’il
s’agit de permettre à la personne de découvrir sa spécificité, de repositionner un
projet professionnel dans une dynamique existentielle, d'en articuler la cohérence et
la pertinence et de découvrir les environnements professionnels qui seront les plus
porteurs pour elle. Ces outils seront autres s’il n’est question que d’une adaptabilité et
d’une centration sur le travail et son marché qui entraînent les acteurs humains dans
TransFormations n°2/2009 „ 155
le paradoxe d’une émancipation technologique potentiellement désaliénante et d’une
logique de plus en plus axée sur la dichotomie performance, excellence/rejet,
exclusion.
Si l'approche par la professionnalisation semble quelque peu plus congruente pour
comprendre ce qui se passe du côté des professionnels et se distancier du débat de
savoir si accompagner est un métier ou non, elle n'en est pas moins tout aussi
complexe.
Si la "professionnalisation englobe les activités regroupées dans des emplois relevant d'une
profession ou d'un métier ayant son autonomie et se distinguant par des frontières
professionnelles d'autres groupes professionnels proches" (M. Vasconcellos, 2008, p. 153),
l'activité d'accompagnement impacte ces frontières en les rendant plus floues, plus
mouvantes, plus perméables.
Ce qui nous semble donc ici en jeu, c'est, d'une part, l'émergence possible ou au
contraire impossible, d'un nouveau métier, ou plus exactement d'une
professionnalisation, dont il s'agit de déterminer les sens dans lesquels elle s’exprime.
D'autre part, il importe d'éclairer ce qui est particulièrement opérant dans ce nouveau
paradigme professionnel pour caractériser et nourrir cette professionnalisation. Ainsi,
si l'activité d'accompagnement a pris sa place dans la professionnalité des métiers dans
lesquels elle s'est diffusée, ne serait-ce qu'au travers d'un questionnement relatif à la
manière d'articuler, d'intégrer, de valoriser, ou encore de faire reconnaître cette
activité, la question est de savoir s'il n'existe pas un élément particulier qui
participerait
de
l'émergence
d'une
professionnalisation
singulière
de
l'accompagnement ? Cet élément que nous supposions être, dans l'introduction de
notre propos, celui de la question identitaire inscrite dans la dimension relationnelle
de l'accompagnement, et au coeur de laquelle le questionnement éthique
représenterait un des piliers de la construction de l'identité professionnelle de
l'accompagnant.
Pour poursuivre notre réflexion, il nous faut donc rétrécir notre champ, allonger
notre focale, si tant est que c'est en zoomant successivement sur les détails d'un
phénomène que l'on peut espérer en saisir la cohérence globale et en dégager du sens.
Ceci étant nous focaliser sur l’identité revient à ré ouvrir d'autant plus le champ de
perspectives et de complexité !
PROFESSIONNALISATION ET IDENTITE
La question identitaire, dont le succès, dans les dernières décennies, dans différents
champs de recherche et au sein de différentes pratiques sociales n'a, sans doute, d'égal
que celui de l'accompagnement, est très liée, notamment dans sa dimension
professionnelle, à celle de la professionnalisation. De plus, les enjeux sociaux qui
156 „ TransFormations n°2/2009
pèsent tant sur l'accompagnement que sur l'identité sont tous deux particulièrement
forts et s'ancrent dans le phénomène d'individualisation qui a envahi l'ensemble du
champ social.
L’identité est multiple et possède plusieurs composantes même si elle semble refuser
d'être réductible à ses différentes facettes, personnelle, sociale, professionnelle,
culturelle, et "s'érige en une totalité indécomposable" (M. Kaddouri, 2008 p. 16).
La lecture de l’identité se fait sur deux niveaux, indissociables de par leur articulation,
celui, individuel, de la singularité de l'individu et de ce qui garantit sa permanence
dans le temps, celui de sa différence en quelque sorte et celui, collectif, de sa similitude
avec d'autres individus au sein d'une société ou d'une culture.
L'identité "n'est pas qu'un récit individuel, elle est aussi le fruit d'une tradition
permettant à la fois d'établir notre singularité personnelle et de nous insérer dans une
représentation collective", ainsi "elle caractérise donc ce qui est unique par le biais de ce
qui est commun" (D. Martucelli, 2008, p. 26).
A la lecture des différentes approches, l'identité semble avoir un attrait prononcé
pour la figure du triptyque.
En effet, elle s'inscrit dans trois enjeux porteurs de tensions, unicité et multiplicité,
essentialisme et construction, solidité et instabilité. Elle déroule son processus en trois
composantes, identité revendiquée, identité déclarée, identité reconnue et s'articule
ainsi autour de trois axes, celui de la représentation, de la désignation et de l'auto
perception.
Dans la théorie dite de"l'écart entre les sois", (celle de T.E. Higgins), elle se lit comme
une tentative permanente de l'individu à réduire les écarts de perception, générateurs
d'émotions négatives, entre trois représentations, celle du "soi actuel", celle du "soi
idéal", et celle du "soi prescrit".
Individualisme et difficultés identitaires
De même que pour celle de l'accompagnement, l'usage inflationniste qui est fait de la
notion d’identité soulève un questionnement incontournable.
L'accompagnement et la quête identitaire semblent être ainsi, tous deux, les effets
corollaires, les symptômes des méfaits de la post-modernité sur l'adulte devenu
incertain et fragile (A. Ehrenberg, J.P. Boutinet).
Plus l'injonction d'autonomie, de responsabilisation individuelle et de construction
de soi est forte, plus l'individu a besoin d'être accompagné et plus il doute de qui il
est. Là est le premier paradoxe. En effet, cette injonction se fait dans un monde
illisible, mouvant et chaotique où les temporalités s'entrechoquent. Les travaux de
l'école de Palo Alto, notamment ceux de G. Bateson, ont montré à quel point le fait
d'être soumis à des messages paradoxaux peut provoquer une désorganisation totale
de l'identité. Et les messages paradoxaux ne manquent guère aujourd'hui.
La difficulté d'être libre, maître et créateur de son destin, responsable de ses actes,
TransFormations n°2/2009 „ 157
réinterroge sans cesse notre identité. D'un destin collectif, la vie s'est transformée en
une histoire individuelle, au cours de laquelle l'individu erre de transition en
transition, et où il devient terriblement fatigant d'être soi. L'identité constitue un
effort constant pour gérer la continuité dans des changements incessants et qui
s'accélèrent. Pour être soi, encore faut-il savoir qui l'on est, et comment se construire
une identité affirmée, sereine, autant que faire se peut, face à ces changements ?
Changements subis ou qui peuvent, selon le positionnement et le choix de chacun,
quand il est possible, permettre une expression et une évolution individuelle. Ainsi ce
serait dans la volonté de dépasser cette tension que se trouverait le sens de la quête
identitaire. L'individualisme croissant dont on parle si souvent recouvre deux
phénomènes, celui qui atteint le lien social, isole et fragilise l'individu, et celui d'une
recherche d’affirmation de soi et de reconnaissance. C'est ce dernier phénomène qui
serait notamment à l'origine de l'engouement pour le développement personnel et la
formation tout au long de la vie.
Il s'agit alors pour l'individu de construire ce qui le définit. Et de se faire
accompagner pour y arriver ? Dans un contexte d’injonction à l’autonomie, au projet
et à la performance, la mise en scène relationnelle de l’accompagnement aurait alors
pour objet d’organiser l’individualisme, plutôt que d’en réparer les méfaits (M. Paul,
2007, p. 254).
Identité professionnelle et professionnalisation
L'approche par la professionnalisation, en s'intéressant à la genèse des professions,
permet de mieux appréhender les stratégies identitaires, individuelles et collectives,
ainsi que la constitution des identités professionnelles en jeu dans ce processus qui lie
étroitement identification et reconnaissance sociale.
La sociologie américaine des professions, telle celle de Hughes, s'intéresse au
processus interactionniste qui fait qu'un individu va se regrouper avec d'autres au sein
de groupes professionnels reconnus entre pairs et par la société. Groupe qui présente
et revendique une identité professionnelle collective, constituée des identités
professionnelles de chaque individu qui va se sentir appartenir à celui-ci, de manière à
la fois objective, au regard d'un type d'activité, d'un statut, de compétences, d'une
classification, mais aussi, de manière subjective, tant l'identité se construit de façon
complexe et au sein de trajectoires.
La notion d'identité professionnelle doit beaucoup, rappelons le, aux travaux de
R. Sainsoulieu sur l'importance des relations de travail dans le modelage identitaire, et
à ceux de C. Dubar sur l'articulation de ce modelage autour d'un processus
biographique constituant progressivement les différentes dimensions de l'identité
individuelle et d'un processus relationnel permettant la reconnaissance, notamment
de sa dimension professionnelle.
La question de savoir qui est l'autre, ou qui est-on, passe toujours très fortement par
158 „ TransFormations n°2/2009
une référence à l'activité professionnelle.
La vie au travail, malgré toutes ses transformations, continue d'être pour l'individu
un vecteur central d'identification, d'appartenance et de reconnaissance, sans compter
ce qu’elle est censée apporter en termes d'épanouissement personnel et d'expression
de soi. La dimension professionnelle de l'identité demeure très prégnante dans nos
rapports et nos positionnements à l'égard des autres.
Dans notre pratique d'accompagnement, il nous fallait souvent repréciser que chacun
n'est décidément pas que ce qu'il fait, en faisant notamment appels aux expériences de
vie, tant l'identification à un travail dans lequel la personne ne se reconnaît plus (au
sens de connaissance et de reconnaissance) est porteuse de malaise, voire de mal-être,
et freine la capacité à se projeter en jouant comme une auto hypnose négative. Il est
alors très important de pouvoir mobiliser recadrage (celui de P. Watzlawick) et
ouverture des possibles pour ne pas se laisser entraîner dans ce qui peut enfermer
accompagné et accompagnant. C'est se faisant qu'il peut y avoir un "réel"
changement, celui d'une transformation de sens.
En France, si l'identité au travail était fortement liée à la fonction socialisatrice de
l'entreprise, les transformations, qui ont touché ces dernières et le monde du travail, à
différents niveaux durant ces dernières décennies, ont favorisé l'émergence de
nouvelles formes de définition de soi. Mais en ces temps de post-modernité, l'identité,
sa construction, son maintien sont de plus en plus marqués par l'incertitude.
Incertitude constitutive d'un besoin accru de cohérence pour l'individu au regard de
sa situation de travail et du renforcement des groupes professionnels comme "facteurs
d'intégration et de définition identitaire" (M. Vasconcellos, 2008, p. 150).
De même, la pression exercée sur la formation, et notamment la formation continue
liées aux recompositions des environnements professionnels renforce également la
fonction identitaire de cette dernière au risque de rendre encore plus préoccupant le
rapport identité et compétence. En effet, la gestion par les compétences et l'évaluation
qui lui est associée, et qui peut être porteuse d'une injonction de formation, mettent à
l'épreuve les identités socioprofessionnelles dans leur dynamique de reconnaissance.
On peut se demander, aujourd'hui, si l'on a affaire à un processus identitaire bloqué
en raison des transformations qui ont affaibli le travail dans ses fonctions de
socialisation et d'identification, ou à des recompositions de ce processus qui
réinterrogent la place du travail dans la construction de l'identité (F. Osty, 2008,
p. 72). Bien que questionné dans ces fonctions, le travail reste, comme cela a été dit
précédemment, un élément central de production d'identités sociales et de
restauration d'identités malmenées. Ce sont plus les transformations du travail, dans
ce qu'elles peuvent avoir de négatif en termes d'insertion par l'emploi et de
conditions de travail, qui rendent problématique, et délicate, la construction
identitaire dans sa facette professionnelle.
L'instabilité actuelle, le déclin des mythes mobilisateurs collectifs, les questions qui se
posent à l'éducation et à la formation professionnelle semblent être des facteurs
TransFormations n°2/2009 „ 159
inscrivant et impliquant la professionnalisation dans un intérêt accru pour la question
identitaire. Elle devient elle aussi une quête, celle de la reconnaissance sociale
constitutive de l'identité "acquise", l'identité étant, en effet, une perception de soi
constamment transformée par le regard et le discours de l'autre, sans cesse "altérée"
(au sens musical) par l'altérité.
De plus, si les formes antérieures d'identification des individus ont perdu leur
légitimité, les formes nouvelles (réflexives, narratives,...) ne sont pas encore
pleinement constituées ni reconnues (C. Dubar, 2000).
Enfin, si l'on retient le postulat que toute identification n'existe que dans une logique
de positionnement et dans un rapport d'opposition à une différence, (la logique de
différence/ressemblance est d'ailleurs une des logiques sur laquelle est fondée le code
ROME), on perçoit d'autant mieux les liens entre professionnalisation et identité(s)
au travers du sentiment d'appartenance à un groupe professionnel qui se distingue des
autres.
La pratique ou l'activité d'accompagnement là aussi bouscule quelque peu la
professionnalisation en empruntant des chemins de traverse qui la mènent d'un
groupe à l'autre.
Identité et professionnalisation : trois exemples caractéristiques de notre propos
La question de la professionnalisation se pose différemment selon les groupes
professionnels, ainsi trois exemples nous semblent parlants quant à l'inscription de
l'accompagnement dans leur professionnalité, et pour lesquels la quête identitaire
n'est pas un vain mot.
Les travailleurs sociaux, tout d'abord, pour qui l'accompagnement est une pratique
ancienne même si elle ne portait pas ce nom, ont été sans cesse confrontés à la
question de leur identité, bien que les débats qui animent leurs professionnalités
n'aient pas toujours été envisagés sous cet angle. Si l'étendue de leurs pratiques et la
diversité des modes d'intervention ne facilitent pas une clarification dans ce domaine,
c'est surtout le questionnement éthique inscrit, de fait, dans leurs pratiques
quotidiennes, qui interroge en permanence cette identité. La confrontation à la mise
en action de normes établies par les pouvoirs publics et les institutions, l'expérience
permanente de la "nuance", la nécessité de maintenir l'équilibre et de conjuguer des
polarités différentes, ainsi, (et surtout ?) qu'un engagement personnel et subjectif font
qu'ils sont depuis longtemps à l'école du paradoxe, même si celle-ci s'est complexifiée.
Leurs constantes interactions avec un autrui diversifié leur fait remodeler sans cesse
leur identité professionnelle pour ne parler que de cette dimension identitaire. La
réforme qui vient de toucher l'ensemble des diplômes du travail social si elle traduit,
sans doute, un ancrage explicite de ce dernier dans les "mouvements tectoniques" de
la société, est aussi une tentative de (re)clarifier ce champ et ce groupe professionnel
suite à la professionnalisation complexifiante de ces 20 dernières années, ainsi qu'un
160 „ TransFormations n°2/2009
renforcement de la légitimité à l'égard de métiers émergents (E. Grangier, 2007).
Les formateurs pour adultes, ensuite, pour qui l'accompagnement est une pratique
plus récente du point de vue de son caractère quasi incontournable, y compris pour
des publics plus qualifiés et plus autonomes, et dont l'identité est un champ de
recherche toujours en construction. Ces derniers semblent avoir tout autant de
difficultés à se définir, à tel point que l'on peut se demander si "les formateurs ne
doivent surtout pas parvenir à construire leur identité sociale et professionnelle pour
pouvoir continuer d'assurer leur rôle de modificateurs de représentation, leur rôle d'aide à
la construction sociale et identitaire des apprenants" (P. Gravé, 2008, p. 327).
L'incertitude identitaire leur permettant de remplir ces rôles essentiels. La question
est posée à leur niveau de savoir si, au regard de "ce groupe social aux contours flous, à
la composition hétérogène et aux logiques identitaires multiples", on n'a pas cherché à "les
détacher de leurs groupes d'appartenance ou de leur origine professionnelle, pour les
rattacher à un seul pour lequel on a construit la catégorie de formateurs d'adultes ?"
(P. Gravé, 2008, p. 333).
Si l'on prend en compte ce point de vue et cette hypothèse, on ne peut pas ne pas se
demander si un phénomène du même ordre peut, ou est entrain de se jouer, dans
l'accompagnement.
Les conseillers en insertion sociale et professionnelle, enfin, dont la
professionnalisation récente, dans son aboutissement sous la forme d'un groupe
professionnel, semble s'être construite fortement autour de la fonction
d'accompagnement. Même si la convention collective recouvre d'autres activités que
celles de l'accompagnement de parcours d'insertion et d'autres métiers que celui
d'accompagnateur. Cette professionnalisation nous semble avoir dans sa genèse un
certain nombre de similitudes avec l'accompagnement. A la fin des années 80, lorsque
les missions locales ont vu le jour, il s'agissait alors de mettre en synergie, de manière
plus ou moins éphémère d'ailleurs, les compétences de différents acteurs
institutionnels et de professionnels au sein d'un lieu unique offrant la possibilité aux
jeunes en difficulté d'avoir une prise en charge de la globalité de leurs situation et de
prétendre à une prestation individualisée. Mais au fil des transformations du social et
de l'emploi et au regard d'une complexification des situations, à la croisée de logiques
politiques (parfois politiciennes), économiques et militantes, les missions locales se
sont institutionnalisées et structurées comme des organisations à part entière. Elles
ont embauché leurs propres personnels. Ces derniers, à l'image du vivier de
recrutement des accompagnateurs, venaient de champs disciplinaires très diversifiés
(des mathématiques au travail social mais en fait, et étonnamment, avec peu de
travailleurs sociaux) et ont vu leurs métiers d'origine impactés par l'accompagnement.
Les niveaux de recrutement allaient du bac pour une structure au bac+5 pour une
autre (depuis la formation mise en place par l'AFPA est de niveau III), et surtout les
modalités d'organisations propres à chaque mission locale influaient beaucoup sur la
TransFormations n°2/2009 „ 161
professionnalité en cours. Certaines structures faisaient le choix d'un réel
accompagnement de A à Z d'un parcours d'insertion dans l'ensemble de ses
composantes, formation, emploi, finances, santé, culture, par un seul professionnel
référent, d'autres le choix d'un cloisonnement de fonctions, s'inscrivant ainsi plus
dans de l'information, orientation.
L'identité professionnelle nous semble, notamment, vue de l’intérieur, s'être forgée
dans la distinction entre philosophie de prise en charge et organisation du travail au
regard des autres acteurs institutionnels (ANPE, par exemple, ou encore CIO,..), mais
aussi d’autres missions locales. Et ce qui faisait la différence était le plus souvent, dans
les débats, ce que certains qualifiaient de suivi du public, d'autres d'accompagnement.
Accompagnement qui s'articule avec d'autres accompagnements pratiqués par les
formateurs, les travailleurs sociaux ou autres intervenants à un moment donné du
parcours. L'accompagnement du parcours devenant ainsi une orchestration de ces
différents accompagnements, mais aussi, souvent, une relation au long cours entre
accompagnés et accompagnants.
Ces trois exemples illustrent la part importante que peut avoir l'accompagnement
dans les processus de construction d'une identité professionnelle et la difficulté de
déterminer si une pratique, qui transforme des métiers, se transforme elle-même en
métier.
ACCOMPAGNEMENT, INDIVIDUALISATION ET IDENTITE
Tout aussi complexe que les liens entre professionnalisation et identité, ce qui peut se
jouer du point de vue identitaire dans la pratique et la posture d'accompagnement ne
peut évidemment qu'être effleuré dans le cadre donné ici à notre questionnement.
L'accompagnement étant principalement lié à la vie adulte, "l'autonomie du projet
cohabite avec la fragile dépendance de l'accompagnement" (J.P. Boutinet, 2007, p. 10). La
question identitaire, déjà inscrite dans la figure du projet, se trouve renforcée pour
"l'adulte solitaire" d'aujourd'hui, "incapable de rester seul dans la conduite de ses projets
au sein d'un environnement sociotechnique individualisant, instable et de plus en plus
complexe" (J.P. Boutinet, 2007, p. 46). L'accompagnement, marqueur symbolique des
transformations sociales, est ainsi, de fait, concerné en tout premier lieu par cette
dernière et doublement, du point de vue des accompagnés et du point de vue des
accompagnateurs. L'accompagnement parce qu'il repose sur l'individualisation et se
fonde sur une relation entre deux individualités semble renforcer la dimension
individuelle de la construction de l'identité professionnelle. Au point de faire obstacle
à la constitution d'une identité collective ? La question est posée.
162 „ TransFormations n°2/2009
L’accompagnement : une double interrogation identitaire
Les accompagnateurs seraient-ils, ainsi, devenus le recours pour remplir cette mission
quasi impossible qui, si elle l'est pour les accompagnés en tant qu'individus postmodernes, l'est tout autant pour les accompagnants. Reconnaître l'adulte comme
fragilisé et l'accompagner c'est reconnaître aussi sa propre fragilité et accepter d'avoir
besoin, un jour ou l'autre, d'être à son tour accompagné, (J.P. Boutinet, 2002) ce qui
change la donne. Nous ne sommes plus face à un expert qui détient la réponse mais
face à un autre individu pris dans les mêmes interrogations et soumis aux mêmes
influences du contexte.
L'accompagnement qui peut être considéré également comme l'émergence d'une
nouvelle culture, celle du sens donné à sa vie pouvant se construire à partir de la
personne, "implique", de plus, "que l'on partage une conception de l'Homme en tant que
"Sujet Autonome, Responsable et Projectif" (M. Beauvais, p. 45). Cette nouvelle culture
émergeante, qui transforme les rapports de la personne à son milieu, et ce" nouveau"
regard sur l'autre, impactent alors, de fait, les métiers de la relation à autrui.
En raison des transformations individuelles et sociales, les différentes fonctions sont
ainsi interrogées dans leurs identités d'origine. L'identité de l'expert, par la remise en
cause du pré supposé même de l'expertise, est questionnée et l'on peut se demander
s'il n'y a pas là production d'un phénomène d'identité de passage. Enfin,"au fur et à
mesure que les identités stables disparaissent, les identités ont besoin d'être racontées aux
autres comme à soi-même" (D. Martucelli, 2008, p. 27), et l'accompagnement peut être
un "espace temps" privilégié de ce récit.
C'est pourquoi, l'accompagnement nous semble être un espace de questionnement
identitaire particulier, ceci dans une double dimension, d'un point de vue contextuel,
général et social, et d'un point de vue spécifique à ces pratiques. Se croisent et
s'interrogent au sein des pratiques et des relations d'accompagnement les identités
tant personnelles que professionnelles des deux protagonistes en présence.
L’accompagnement est censé être porteur de changement tant pour l’accompagné que
pour l’accompagnant, changement qui vise une reconstruction de la réalité et impacte
ainsi la réalité identitaire.
Faire de nouveau référence à notre expérience professionnelle, celle des bilans de
compétences, peut permettre d’illustrer ce changement. D’une part, les outils
mobilisés tels l’histoire de vie et le repérage d’une manière d’interagir particulière, le
génogramme des métiers, l’interrogation de la valeur travail et des valeurs de vie, le
décodage de la dynamique de changement, pour ne citer qu’eux, permettaient une
remise en perspective et un réaménagement de l’identité auto perçue, et avaient été
expérimentés et vécus de l’intérieur par nous-même avant le démarrage de notre
activité professionnelle.
D’autre part, les inévitables phénomènes, d’identification, de transfert et contretransfert, pouvaient être opérants dans la confrontation pour repositionner chacun
dans sa spécificité identitaire. Chaque bilan, pour la personne accompagnée, était
TransFormations n°2/2009 „ 163
l’opportunité d’un moment et d’un lieu pour se retrouver face à soi-même, dans
l ‘effet miroir induit par la méthodologie, mais aussi pour se retrouver face à une
altérité à laquelle se confronter et vis à vis de laquelle se positionner. Chaque nouveau
bilan, pour nous, parce que forcément différent, était aussi l’occasion, au travers des
mêmes vecteurs, d’une réinterrogation identitaire, certes subtile et par petites touches,
mais néanmoins réelle, tant professionnelle que personnelle.
En raison de la spécificité de la posture, les adeptes d'un cloisonnement fort et d'une
distinction marquée entre ce qui est de l'ordre du personnel et ce qui est de l'ordre du
professionnel nous semblent quelque peu malmenés dans la posture
d'accompagnement.
La nécessité d'authenticité les attend au tournant de cet engagement relationnel.
Engagement relationnel qui ne s'inscrit cependant pas dans n'importe quel type de
relation, mais bien dans une relation professionnelle. C'est aussi en ce sens que la
question de la proximité ou de la distance est centrale, le questionnement éthique
indispensable pour inscrire cette relation dans ce "champ" professionnel particulier
qui engage deux individus. Ce questionnement est ainsi porteur d'un réaménagement
identitaire, notamment professionnel, et à ce titre un indice de professionnalisation.
L'accompagnateur, qui prend le risque de la relation ne prend pas le risque de
n'importe quelle relation, il ne doit pas perdre de vue qu'il fait là son métier et c'est
ce qui fait tout la richesse, toute la complexité et toute la difficulté de ce "métier".
Parce qu'il prend le risque aussi d'être interpellé, touché et engagé dans la relation
bien plus qu'à titre professionnel. L'identité s'inscrivant dans une stratégie qui la pose
face à une altérité, pas d'échappatoire possible au sein de la relation
d'accompagnement. Et si la complexité de l'identité de l'accompagnateur est le miroir
de la diversité et de la richesse des pratiques, cette complexité est, sans doute,
renforcée par l'interaction avec la diversité des identités des accompagnés.
L'accompagnement, dont l'enjeu est de "maintenir l'équilibre entre ces différentes
polarités" que sont les quatre dimensions qu'il présente aujourd'hui:
fonction/posture/démarche/relation (M. Paul, 2007, p. 266), nous semble ainsi
fortement traversé par la question identitaire. Ce faisant, il ne faudrait pas oublier que
l'accompagnement peut être tant individuel que collectif et que les dynamiques
interactionnelles et identitaires y sont alors différentes, mais également que des
différences peuvent s'exprimer entre deux catégories de pratiques, l'une porteuse de
sens, l'autre de technicité, l'une tendant vers une symbolique existentielle, l'autre vers
une recherche de performance. L'importance de la question identitaire n'y serait
donc, sans doute, pas la même.
Enfin, pour en conclure sur l’idée de professionnel et de métier, si l’on considère ce
dernier comme un ensemble de savoir-faire et de savoirs, une possibilité de les faire
évoluer au fil de l’expérience, un ensemble de règles de conduite spécifiques, ainsi
qu’une identité qui définit socialement, il nous semble que c’est cette caractéristique
identitaire qui pose le plus problème. S’y intéresser, sans forcément apporter de
164 „ TransFormations n°2/2009
certitudes permettrait, peut-être, de faire avancer le débat.
Les quelques éléments de réflexion abordés ici nous laissent penser qu’il y a la matière
à poursuivre et à éventuellement construire un projet de recherche, projet qui
permettrait d’objectiver ce ressenti professionnel, de s’en décentrer, de préciser des
hypothèses de travail et de recueillir des éléments plus formels et plus rigoureux, au
travers de l’expérience de professionnels de champs différents et de professionnels en
formation. Il ne s’agissait ici, rappelons le, que d’une tentative de compréhension
théorique de ce ressenti, qui participe, à minima, pour nous d’une démarche de
professionnalisation, sans prétendre aucunement, avoir trouvé au travers de cette
réflexion, de quoi légitimer la revendication à l’origine de celle-ci.
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