question identitaire et processus de professionnalisation

TransFormations n°2/2009 – p. 149/p. 166 149
L'ACCOMPAGNEMENT, UN METIER D'ART :
QUESTION IDENTITAIRE ET PROCESSUS DE
PROFESSIONNALISATION
Danièle ALBINI-OCHIN,
master 2 Ingénierie de Formation, université Lille 1
PREAMBULE
Cet écrit n'a pour objet que d'être l'expression d'un questionnement et d'une
tentative de problématisation de la part d'une praticienne en transition.
En effet, pratiquant l'accompagnement depuis une quinzaine d'années, dont une
moitié dans le champ de l'insertion sociale et professionnelle et une autre moitié
uniquement consacrée à l'accompagnement de projet tel que le définit J.P. Boutinet
(2007), ce questionnement s'inscrit dans un contexte professionnel et personnel
particulier. Bien sûr, allions nous dire, tant ce qui nous interroge peut, le plus
souvent, être porteur de la résonance d'événements de vie. Ainsi, c'est lors d'une
rupture professionnelle qu'est apparue dans nos propos une certaine revendication à
être reconnue comme une "professionnelle de l'accompagnement" sans pouvoir faire,
pour autant, l'économie de se demander au nom de quoi se qualifier de la sorte...
Bien plus que sur une fonction ou un métier, cette revendication portait avant tout
sur la reconnaissance d'une expérience professionnelle et de vie au cours de laquelle la
palette des accompagnements pratiqués avait été riche et nuancée. Pour avoir partagé
le chemin de personnes parmi les moins qualifiées et les plus fragilisées socialement et
personnellement et celui de personnes les mieux insérées et parmi les plus qualifiées,
nous avons pu expérimenter différentes tonalités d'accompagnement et ceci dans des
temporalités elles aussi très variées, parfois au fil de plusieurs années, parfois au cours
de quelques semaines.
Notre revendication, quelque peu paradoxale, celle peut-être de "l'expertise de la non
expertise" s'inscrivait surtout dans un souci de dire qu'il y avait sans doute là matière à
témoigner de ces chemins partagés.
L'intérêt étant de se décentrer de cette expérience professionnelle, singulière, intime
presque, tant elle fut synonyme d'un engagement fort, pour en extraire des axes de
réflexion permettant de réinterroger cette pratique.
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DU COTE DES PROFESSIONNELS
Dans le cadre de cette interrogation, notre intention est d'appréhender l'articulation
entre la question identitaire et le(s) processus de professionnalisation en jeu dans les
pratiques et les activités d'accompagnement.
L'importance d'une interrogation, depuis le début des années 2000, sur la nature et le
sens du foisonnement des pratiques de l'accompagnement et du "signe sociétal fort"
(J.P. Boutinet, 2007, p. 1) qu'elles donnent à voir et à penser, n'est plus à démontrer.
Les sciences de l'éducation et la formation des adultes, à la croisée de nombreuses
disciplines et pratiques relevant des sciences de l'Homme sont, de fait, doublement
interpellées par la nécessité de cette interrogation, tant du point de vue des champs de
recherche concernés que du point de vue des pratiques.
S'il est indispensable en tout premier lieu de comprendre "ce qu'accompagner veut
dire" (M. Paul, 2004, p. 7), s'il l'est tout autant d'appréhender ce que nous dit la
(sur)abondance de ces pratiques de ce qu'est un adulte en ces temps de post-modernité
(J.P. Boutinet, 2007, p. 27), il nous semble intéressant d'observer ce qui se passe
aujourd'hui du côté des professionnels. Et, plus précisément, de tenter de comprendre
ce que l'accompagnement a changé dans leurs vécus et dans leurs pratiques.
Dans le cadre de cette possible observation, nous considérons que la question
identitaire dans l'accompagnement peut être non seulement un axe privilégié
d'éclairage, mais surtout qu'elle se situe au coeur de la réflexion à mener, notamment
en raison de la particularité de cette pratique. Il s'agit d'interroger l'existence et les
modalités d'un processus de professionnalisation des métiers de l'accompagnement à
la lumière des transformations identitaires qui touchent, ou non, les professionnels
pratiquant cette "posture spécifique".
En quoi, et comment, la question identitaire participe-t-elle d'un processus de
professionnalisation, voire de l'émergence d'un nouveau métier, dans un contexte de
diversité de pratiques, de statuts, de fonctions, d'institutions et d'organisations ?
Nous supposons également, à partir de notre expérience, que le questionnement
éthique, associé par essence, à la pratique de l'accompagnement est un élément central
constitutif de cette identité professionnelle en construction et de ce qui peut être
considéré comme un processus de professionnalisation, au sens de la "fabrication"
d'un accompagnant, qui ne parait pas, ici, passer par les voies habituelles, celui des
modes de formation. Il nous semble effectivement que c'est, notamment, la relation et
les interactions entre accompagné et accompagnant qui remplit cette fonction
formative et que donc c'est l'interrogation identitaire en jeu dans la dimension
relationnelle d'accompagnement, de part et d'autre, qui sert, entre autres, de
fondation à cette fabrication. Dimension relationnelle au coeur de laquelle se pose la
question de la distance, pour notre part nous préférons le terme de proximité, entre
accompagnant et accompagné. Cette proximité ne pouvant, selon nous, être définie a
TransFormations n°2/2009 151
priori, elle fluctue en fonction des besoins de l'accompagné et de l'accompagnement.
Ainsi, à posture professionnelle spécifique (M. Paul, 2004) professionnalisation
singulière peut-être, parce qu'elle renvoie, d'une part, à la dimension relationnelle
éminemment individuelle de cette activité et d'autre part, à des modalités particulières
de fabrication d'un professionnel. La lisibilité de la professionnalisation en tant que
processus s'en trouve donc sans doute moins facilement déchiffrable.
Dans cette activité spéciale qu’est l’accompagnement, dans cette scène qui se joue à un
moment donné dans un contexte donné, les personnages et les décors sont bien
plus nombreux que ce que l'on peut voir et croire, nous souhaitons donc porter notre
regard et notre attention sur ceux que l'on appelle les accompagnateurs ou les
accompagnants. Ces termes étant tous deux employés dans la littérature, chacun
choisira celui qui lui parle le plus. Pour notre part, l'accompagnant semble plus
évocateur de "l'être" dans la relation d'accompagnement et l'accompagnateur de ce
qui est de l'ordre de "l'agir" dans cette pratique.
Les prémisses de notre réflexion porteront d'abord sur la problématique définition de
l'accompagnement comme métier et sur les éventuels éléments d'un processus de
professionnalisation avant d'envisager plus précisément les liens qui nous paraissent
spécifiquement exister entre la question identitaire et ce processus.
L'ACCOMPAGNEMENT, UN METIER D'ART ?
Serait-ce parce que l'accompagnement est un "impossible métier" (M. Paul, 2004,
p. 245) qu'il n'est pas possible qu'il soit un métier, serait-ce parce qu'il s'écrit au
pluriel qu'il ne peut être défini au singulier, toujours est-il que cette interrogation qui
traverse les différents travaux sur l'accompagnement laisse envisager la manière dont
elle pourrait devenir polémique.
L'accompagnement, est-ce un métier ?
Derrière cette question du métier se posent, dans un premier temps, celle de la
légitimité des accompagnateurs d'une part, et d'autre part, celle de la spécificité de
cette posture"éthique et de nature spirituelle" (G. Le Bouëdec, 2007, p. 179).
Légitimité et reconnaissance sont étroitement liées et semblent aléatoires concernant
l'accompagnement, puisque ce dernier, en raison de la diversité des origines
professionnelles et des fonctions occupées, en raison, aussi, du fait qu'il peut être
perçu, d'un premier abord, comme une pratique nouvelle, ne s'inscrit pas dans un
environnement socio-historique, professionnel et identitaire clairement délimité.
La professionnalité qui y est en jeu demeure floue, (J.P. Boutinet, 2007, p. 7) sans
compter que l'ambiguïté qui l'entoure le rend également vulnérable au fait d'être ce
qu'il est et son contraire, c'est à dire un vestige vivant et évolutif d'un héritage
humaniste ou un leurre masquant contrôle social et finalités politiques moins
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avouables que sa dénomination ne veut bien le laisser croire (C. Heslon, 2007, p. 87).
"Cette fonction socialement revendiquée ne crée guère de métiers correspondants" et
n'apparaît, dans le code ROME, par exemple, que du point de vue du public concerné
(G. Pineau, 2007 p. 163). Quant aux pratiques évoquées sous le vocable
d'accompagnement, elles font référence à des pratiques préalablement existantes et
identifiées, ce qui laisse à penser que "le sens de la revendication d'accompagnement
n'est pas à chercher dans des pratiques nouvelles mais dans une nouvelle manière de poser
des pratiques anciennes" (G. Le Bouëdec, 2007, p. 170).
On pourrait donc, d'entrée de jeu, se dire que, puisqu'il s'avère être quelque peu
fantomatique, le professionnel, à la recherche duquel nous nous proposons d'aller,
n'existe pas. Sauf que l'accompagnement nous a habitués à le savoir loin d'être aussi
simple qu'il n'en a l'air et que les processus d'émergence et de reconnaissance de sa
professionnalité sont peut-être aussi complexes et inattendus que lui....
Défini tantôt, avant tout, comme une posture, ou encore comme une relation,
comme une pratique, comme une fonction sociale essentielle, comme un métier,
comme un lien entre différents métiers unis par une même idéologie,
l'accompagnement est sans doute tout cela et plus encore. Il semble décidemment
bien s'inscrire dans le paradigme de la logique floue! Est-il judicieux et cohérent de
parler de métier, ou de professionnalisation lorsque l'on parle d'accompagnement ?
Si certains avis sur la question sont posés de manière quelque peu exclusive à nos
yeux, d'autres semblent plus nuancés, faut-il y voir des positionnements se situant sur
des niveaux logiques différents, reflets de la complexité de l'accompagnement ?
Nous considérons, pour notre part, que ce qu'engage l'accompagnement c'est
incontestablement bien plus que des compétences, un statut, des fonctions ou une
rémunération, et que, si ce n'est, certes pas, un métier comme les autres, cela ne
signifie pas pour autant qu'il n'en soit pas un.
La notion d'art a été souvent évoquée à son sujet. L'art d'être à un moment donné
d'un chemin de vie, celui ou celle qui va être un des catalyseurs des ressources dont la
personne dispose pour poursuivre ce chemin sans nous. A l'image du thérapeute
extérieur qui devient le catalyseur du thérapeute intérieur. L'art est expression de soi,
fragile et éphémère, mais qui peut aussi traverser le temps, d'une ou de plusieurs vies,
et qui peut être défini comme tel par soi et/ou l'autre, et/ou la société, ce qui pose par
essence la question de son ambiguïté et de sa légitimité. De ce point de vue, il existe
effectivement certaines similitudes. S'il nous fallait vraiment le caractériser, nous
serions tentée de considérer ce dernier comme un métier d'art, en ce sens qu'il est
possible d'y associer trois critères. Celui de métier au sens d'un ensemble de savoir-
faire complexes, (... et que dire en plus de la complexité du savoir "être" ici !), souvent
longs à acquérir et fondés sur une transformation de la matière (...humaine, la sienne
et celle de l'autre), s'exerçant dans les domaines de la création ou de la restauration
(...de soi). Celui d’une production d'objets uniques ou de petites séries (....participer
peu ou prou au développement et à la reconnaissance de la singularité et de l'unicité
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de l'autre). Et enfin, le critère d'un professionnel maîtrisant (... autant que faire se
peut dans ce domaine) ce métier dans sa globalité, quel que soit le statut de ce dernier.
L’accompagnement qualifie-t-il ou définit-il un professionnel ?
Au coeur de ce débat sur l'accompagnement en tant que métier, certaines questions
nous intéressent plus particulièrement.
Ainsi, si l'accompagnement est une posture professionnelle spécifique existe-t-il
aujourd'hui une spécificité professionnelle et si oui, de quelle manière cette dernière
est-elle intégrée, articulée, prise en compte ? "Le professionnel en relation doit inventer
une logique différente qui lui permette de se faire reconnaître au-delà de son expertise
propre" (M. Paul, 2004, p. 316), les accompagnants sont-ils reconnus en tant que tels
ou ne se reconnaissent-ils qu'entre eux, à la lumière d'une affirmation éthique ? La
fonction d'accompagnement reste-t-elle une fonction "adjointe à" ou l'imprégnation
est-elle complète ? En quoi, et jusqu'où, le fait de devenir accompagnateur a-t-il
déplacé, en quelque sorte, voire inversé, le centre de gravité de leurs métiers ?
Des pratiques qui opèrent "un renversement de perspective" et instaurent "un nouveau
paradigme professionnel celui de la posture d'accompagnement" (M. Paul, 2004) sont-elles
le terreau d'un nouveau groupe professionnel ? De quelle manière s'élabore la
professionnalisation aux confins d'un balancement entre utilisation d'une expertise et
position relationnelle ? Quel est le rôle de la posture et de son questionnement
éthique dans celle-ci ?
Notre réflexion est ainsi centrée sur les modalités de fabrication d'un professionnel de
l'accompagnement. Si, en 2002, il était question que "l'accompagnement relève, en fin
de compte, davantage d'un métier se construisant que d'une profession formalisée"
(J.N. Demol, 2002, p. 130), qu'en est-il, en cette presque fin de décennie ?
Au fil de notre réflexion et des lectures y afférant, une interrogation plus personnelle,
parce que issue de notre expérience et de notre ressenti, s'est progressivement dessinée
autour de notre positionnement professionnel.
Si l'accompagnement est envisagé dans les travaux qui lui sont consacrés comme une
activité, ou une pratique, venue s'adjoindre et remettre en questionnement l'expertise
professionnelle pré existante, dans notre auto perception, c'est, depuis quinze ans,
l'accompagnement sur lequel a reposé notre expertise. Si, dans les différents écrits, le
terme d'accompagnateur particularise et qualifie, il peut être question de formateur
accompagnateur par exemple, pour notre part, le terme accompagnateur a toujours
été central dans notre auto perception et ce sont plutôt les axes de travail ou les
domaines d'action qui venaient spécifier l'accompagnement. D'où un questionnement
sur les raisons d'une telle inversion de positionnement. Notre formation originelle de
travailleur social avait-elle une influence, de la relation d'aide à l'accompagnement,
était-ce la relation à autrui en tant que telle sur laquelle nous semblait reposer notre
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