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Image inconsciente du corps et éducation
La théorie psychanalytique a servi à F. Dolto dans le cadre de traitements d’enfants ou
d’adultes, mais pas seulement. Elle a développé une théorie personnelle autour de concepts
clefs comme les notions de sujet, de langage, de désir et de corps… Telle est la théorie de
« l’image inconsciente du corps », qu’elle décrivit en détail, en 1984, dans toute sa complexité.
L’originalité de cette théorie s’appuie sur l’idée selon laquelle, au contraire de ce qui se
produit dans le cas de notre schéma corporel, une image du corps se structure inconsciemment
dès le stade fœtal, cela pour la raison qu’elle est « l’incarnation symbolique inconsciente du
sujet désirant » (Dolto, 1984, p. 16). D’où l’idée d’organiser au mieux cette évolution de
l’image inconsciente du corps par une éducation, une humanisation, ce qu’elle a appelé les
« castrations symboligènes ».
En effet, cette image inconsciente du corps n’est ni unique ni statique ; elle possède
plusieurs composantes (une image de base, une image fonctionnelle, une image des zones
érogènes et une image dynamique). Sans entrer dans le détail de cette articulation entre ces
éléments, l’idée essentielle à retenir concerne un vécu relationnel archaïque marquant notre
mémoire à mesure que nous nous structurons. Et là où F. Dolto rejoint un autre psychanalyste
célèbre, J. Lacan, c’est lorsqu’elle affirme que cette structuration n’est possible qu’à partir du
moment où toutes ces expériences archaïques sont verbalisées, c’est-à-dire symbolisées.
Aussi, les castrations symboligènes évoquées plus haut sont symbolisées par le langage,
à partir d’un « dire castrateur ». Pourquoi parler ici de castration ? Simplement parce qu’il
s’agit d’un interdit favorisant le renoncement aux pulsions cannibales, perverses, meurtrières,
« vandaliques », etc. (Dolto, 1984, p. 76). Et ces castrations sont d’autant plus humanisantes
que l’enfant est informé de la soumission des adultes à ces interdits. C’est aussi pourquoi,
selon elle, les enfants ont l’intuition qui leur permet de reconnaître les adultes aux pulsions
archaïques mal castrées. Dans ce cas, F. Dolto rappelait la situation d’adultes éprouvant de la
difficulté à ce qu’un enfant grandisse et devienne autonome ; car cela signifie souvent qu’ils
sont toujours soumis à des pulsions archaïques et qu’ils n’y ont pas renoncé.
Une nouvelle éthique éducative
Si nous essayons maintenant de nous représenter l’éthique de F. Dolto dans sa pratique de
psychanalyste, considérons d’abord qu’elle a entrepris de différencier morale et éthique. De
par sa position de thérapeute, elle s’opposait aux « impératifs catégoriques » kantiens, la « loi
morale » et aux maximes, ne s’adressant qu’à l’ego, au moi empirique. Car, selon elle, la
morale fait l’économie du sujet dans sa totalité (en pesant sur la conscience), en ignorant
l’inconscient : « La dynamique du désir n’a que faire de la morale, l’inconscient ignorant
l’opposition du bien et du mal » (Dolto, 1987, p. 131).
En fait, F. Dolto ne reconnaissait qu’une seule loi universelle : celle de l’interdit de
l’inceste. En somme, elle ne se référait à aucun principe, ou code moral théorique pur. Cela
pour au moins deux raisons : la première s’explique par le fait que le sujet humain ne se limite
pas à l’ego, fut-il représenté par l’unité transcendantale proposée par Kant ; c’est pourquoi
F. Dolto parlait aux nourrissons, quelle que soit leur santé physique ou psychique, sans
s’occuper de savoir s’ils « raisonnaient ». La seconde raison s’appuie sur sa découverte de
l’absence d’unicité du sujet humain :
L’humain est fondamentalement trois. Pour qu’un humain apparaisse, il ne suffit pas de placer un homme à
côté d’une femme. Dès sa conception, l’enfant a un désir de vivre, de grandir. Au désir de ses parents, il faut
adjoindre celui de l’enfant qui veut se développer, pour devenir un être de parole, responsable [...]. Si j’ai
voulu, dès l’âge de huit ans, devenir « médecin d’éducation », c’est parce que j’avais observé, dans ma famille,