TVA et taux de marge: Une analyse empirique sur données
d’entreprises
Philippe AndradeMartine CarréAgnès Bénassy-Quéré§
Juillet 2012
Abstract
Nous étudions la manière dont les exportateurs d’un pays réagissent à un choc de TVA dans
un pays de destination. Les chocs de TVA étant par nature sans impact sur le coût marginal,
l’étude de leurs répercussions sur les prix permet d’identifier les effets de marge purement liés
à des effets de demande. À partir des données de douane françaises sur la période 1995-2005,
nous obtenons une contraction de marge moyenne de 67% et médiane de 46% suite à une
hausse du taux de TVA dans un pays de destination. La hausse du taux de TVA est donc
répercutée de manière incomplète dans les prix à la consommation. L’ajustement de marge est
plus marqué pour les entreprises, secteurs et destinations d’exportation pour lesquels la part de
marché moyenne est relativement élevée. Nous utilisons nos estimations, ainsi que la structure
du modèle d’Atkeson & Burstein (2008), pour reconstituer la distribution des ajustements de
marge des différents couples secteurs-destinations en fonction des parts de marché moyennes.
Mots-clefs: Taxe à la Valeur Ajoutée, Variation de marges, Pass-through, Données de firmes, Prix
à l’exportation
Classification JEL: H21, H23, J41
Nous tenons à remercier les deux rapporteurs anonymes de cette revue ainsi que C. Carbonnier, M. Crozet, I.
Méjean, M. Mélitz et C. Schwellnus, et les participants des séminaires du FMI, U-Cergy, UCLA, UCSD, U-Cyprus,
et des Congrès de l’EEA 2009, de la SED, et de l’AFSE 2010 pour leurs commentaires sur des versions antérieures
de ce travail. Cette contribution, qui a bénéficié du soutien de l’ANR dans le cadre du projet JCJC “Itace” (Indirect
Tax and Competition in Europe), ne reflète pas nécessairement le point de vue de la Banque de France.
Banque de France & CREM , phili[email protected]
LEDa-SDFi, Université de Paris-Dauphine, [email protected]
§Ecole d’Economie de Paris, Université Paris 1 et CEPII, agnes.b[email protected]
1
1 Introduction
La Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) est souvent considérée comme l’un des rares prélèvements
dont les effets sont peu distorsifs. C’est un impôt jugé neutre au sens où il frappe de la même
manière les prix à la consommation de tous les biens et services : en augmentant le prix de la quasi-
totalité des biens dans une même proportion, une hausse de TVA ne distord pas directement les
prix relatifs et donc les choix des agents en matière de consommation et de production. Puisqu’elle
est prélevée selon le principe de la destination, la TVA est en particulier sans effet direct sur le prix
relatif des biens produits localement par rapport aux biens importés. Ainsi, même lorsque le taux
de TVA ne varie que dans un seul pays, le choc fiscal affecte symétriquement les producteurs, qu’ils
soient localisés dans ce pays ou non. Toutefois, cette apparente neutralité ne signifie pas que les
producteurs ne réagissent pas à une variation de taux de TVA, ni que cette réaction est uniforme
selon les secteurs et selon les firmes. Dans la mesure où un renchérissement des biens et services
réduit le volume de consommation, il peut-être optimal pour les producteurs de comprimer leur
taux de marge.
Dans cet article, nous étudions comment les exportateurs d’un pays (dans notre cas, la France)
ajustent leur marge suite à un choc de TVA sur un marché étranger. Notre étude permet de recon-
sidérer le principe d’équivalence entre TVA et prélèvements sociaux : si les fournisseurs étrangers
compriment leurs marges en cas de hausse de TVA dans un pays, alors le prix des biens importés
n’augmente pas dans les mêmes proportions que la TVA1.
Ce travail apporte aussi un nouvel éclairage sur la question plus générale de la transmission impar-
faite des chocs macroéconomiques aux prix dans une économie ouverte, question jusqu’ici traitée
essentiellement sous l’angle des répercussions des chocs de taux de change. Cette littérature, amor-
cée à la fin des années 1980 avec les apports de Knetter (1989), Feenstra (1989) et Knetter (1993),
s’intéresse à la manière dont les entreprises absorbent le choc par un ajustement de leur taux de
marge. Si les producteurs restaient passifs et ne modifiaient pas leur prix de production, le “pass-
through” du choc au prix final serait complet. En d’autres termes, la modification du taux de change,
ou pour notre étude, du taux de TVA, serait à 100% répercutée dans le prix au consommateur. A
1Farhi et al. (2011) soulignent la sensibilité des politiques de dévaluation fiscale aux hypothèses sur les effets de
marges.
2
l’opposé, si les producteurs absorbaient l’intégralité du choc, laissant le prix à la consommation
inchangé, le “pass-through” serait nul. Dans une revue de littérature faisant référence, Goldberg
& Knetter (1997) font état d’un “pass-through” de 50% un an après le choc. Goldberg & Campa
(2010), ainsi que Bouakez & Rebei (2008) fournissent des preuves empiriques plus récentes de “pass
through“ incomplet, suggérant que les exportateurs lissent l’effet du choc en ajustant leur taux de
marge.
Se concentrer sur un choc de TVA plutôt que sur une modification du taux de change présente
trois principaux avantages. D’abord, un changement de taux de TVA dans un pays étranger affecte
le prix à la consommation dans ce pays sans modifier le coût marginal des producteurs nationaux
et étrangers. L’ajustement des prix de production peut alors être attribué sans équivoque à une
modification du taux de marge des entreprises. Deuxièmement, les variations de taux de TVA
résultent de décisions de politique économique par nature peu fréquents et exogènes. On s’attend
généralement à ce que le taux de TVA demeure pendant plusieurs années au niveau décidé par les
autorités, contrairement au taux de change dont la forte volatilité fait qu’il peut être optimal de ne
pas réagir à une variation qui sera jugée transitoire. Troisièmement, la TVA s’applique d’une façon
symétrique aux marchandises importées et produites localement. Ainsi, l’ajustement des prix à la
production ne peut être attribué à aucune altération des prix relatifs internationaux à la suite du
choc.
Nous identifions la réaction des exportateurs français aux changements de taux de TVA des pays de
la zone euro à partir d’une base de données des douanes françaises. Celle-ci retrace les volumes et
les valeurs des marchandises exportées au niveau de chaque entreprise au cours de la période 1995-
2005, pour une classification très fine de leurs produits (niveau NC8 soit environ 10 000 produits).
L’utilisation de données individuelles d’entreprises nous permet de prendre en compte l’hétérogénéité
inter-sectorielle des exportateurs dans la réaction de prix aux modifications de taux de TVA.
Les résultats suggèrent un ajustement de marge moyen de 67% et un ajustement médian de 46%,
pour les biens de consommation finale. Ces chiffres sont plus élevés (en valeur absolue) que ceux
obtenus récemment dans différentes études empiriques sur données individuelles pour le cas du taux
de change2. Au-delà de ce résultat au niveau agrégé, nous montrons aussi que la réaction au choc est
2Par exemple, Berman et al. (2012) ou Gopinath & Rigobon (2008) estiment des coefficients de “pass-through”
3
hétérogène selon les exportateurs. Plus précisément, nous mettons en évidence que les exportateurs
ayant une part de marché moyenne élevée tendent à comprimer davantage leurs marges en cas de
hausse de TVA. Ce résultat est cohérent avec le modèle de concurrence imparfaite avec marges
flexibles développé par Atkeson & Burstein (2008). Nous utilisons finalement ce modèle structurel,
ainsi que l’information contenue dans nos données, pour reconstituer la distribution des ajustements
des taux de marge pour les différents couples secteurs-destinations de notre échantillon.
La suite de cet article est organisée de la façon suivante. Nous présentons le cadre théorique retenu
pour identifier nos effets empiriques en section 2. Nous décrivons notre stratégie économétrique en
section 3. La section 4 fournit une présentation des données utilisées. Les résultats agrégés sont
discutés en section 5. La section 6 est consacrée à l’étude de l’hétérogénéité inter-sectorielle des
ajustements de taux de marge. Nous concluons en section 7.
2 Un modèle de concurrence imparfaite sur les marchés interna-
tionaux
L’idée selon laquelle les firmes répercutent de manière incomplète les chocs qu’elles subissent dans
leurs prix à l’exportation remonte à Robinson (1947). On la retrouve à l’occasion du débat à la fin
des années 1960 sur l’abandon du régime de Bretton Woods. Dunn (1970) montre par exemple que
la flexibilité du dollar canadien durant la période de Bretton Woods n’a pas empêché une grande
stabilité du prix relatif des biens fabriqués aux États-Unis et au Canada. La théorie du pass-through
incomplet est finalement formalisée par Krugman (1987) dans un cadre de concurrence imparfaite.
C’est dans ce cadre que nous nous plaçons ici : chaque firme fait face à une élasticité prix de la
demande qui croît à mesure que le prix pour le consommateur s’élève. En renchérissant ce prix, une
hausse de TVA fait monter l’élasticité-prix de la demande et réduit donc le taux de marge optimal
de la firme.
2.1 Taux de marge optimal des exportateurs
Considérons une entreprise fvendant un bien ksur différents marchés de destination l. On note τkl
le taux de TVA pour le produit ksur le marché l,Qfkl la quantité de bien kvendue par l’entreprise
aux alentours ou en dessous de 20%, c’est à dire des ajustements de marge au delà de 80%.
4
fsur le marclet Cf k(·)le coût variable de production. Le prix optimal hors taxe, Pf kl, est
égal au coût marginal, MCf k Cf k
Qf kl , augmenté d’un taux de marge optimal qui est fonction de
l’élasticité prix de la demande fkl :
Pfkl =f kl
fkl 1MCf k,
En notant e
Pfkl (1 + τkl)Pf kl le prix TTC (toutes taxes comprises), l’élasticité-prix de la demande
est fkl (Qfkl/Qf kl)/ e
Pfkl/e
Pfkl. Nous supposons que cette élasticité est strictement
supérieure à 1.
Pour simplifier les écritures, on indice par i≡ {f, k, l}un produit de la catégorie de bien k, produit
par une firme fet vendu sur le marché de destination l3. Par ailleurs, on note µii
i1le taux
de marge spécifique à la firme pour le produit et le marché considéré. Le prix optimal hors taxe se
ré-écrit dès lors sous la décomposition suivante :
log Pi= log µi+ log MCf k.(1)
Dans cette expression, le coût marginal, MCf k, est spécifique à la firme fet au produit kmais ne
dépend pas du pays de destination. Ceci traduit le fait que notre modèle décrit le prix optimal d’un
exportateur à la frontière de son propre pays, c’est-à-dire avant que les droits de douane, les coûts
de transport et de distribution ne soient facturés4.
En revanche, le taux de marge µidépend du pays de destination là travers l’élasticité prix de la
demande qui est spécifique au pays de destination et peut en particulier réagir au taux de TVA
local.
2.2 Choc de TVA et variation optimale des taux de marge
Comme le coût marginal n’est pas influencé par le taux de TVA du marché de destination l,
l’élasticité du prix hors taxe Piau taux de TVA τkl touchant le produit kdans le pays de des-
tination ls’obtient facilement à partir de l’équation (1):
log(Pi)
log(1 + τkl)=log(µi)
log(1 + τkl)="log(µi)
log( e
Pfkl)#" log( e
Pfkl)
log(1 + τkl)#=σi/(i1),(2)
3Il s’agit uniquement d’une simplification de notation. Les trois sources d’hétérogénéité (firmes, produits, marchés)
sont bien prises en compte dans la stratégie économétrique (voir section 3).
4On suppose ici que la quantité vendue dans chaque pays de destination n’influence pas l’échelle de la production
au niveau de la firme, de sorte que le côut marginal est le même pour toutes les destinations l.
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