Antonin Dauriac nous a proposé ce texte, écrit à l’origine pour un seul comédien.
Nous avons voulu en faire un vrai moment de théâtre où se mêlent monologues, dialogues, apar-
tés, musique, danse, acrobatie, marionnettes, faux-semblants et vrais fantômes.
Au nal, il y a trois comédiens sur scène et seize personnages.
Traité comme un drame satyrique, ni comédie, ni parodie, Cacolalie à l’école aborde un sujet de
tragédie mais évoqué de façon bouffonne.
Robinson, authentique « héros tragique », personnage vedette de drame satyrique, tel Protée
sur son île déserte, est seul, confronté à ses bouffons, sorte de chœur, écho de ses pensées, ses
souvenirs, ses fantasmes. Ces deux augustes évoluent et grouillent sur la scène comme sur une
piste de cirque, endossant tour à tour des rôles de parents d’élèves, de directeurs, de ministre de
léducation nationale...
On croise parfois une forme de romantisme dans cette pièce qui exprime les tourments de l’âme
tout en cherchant l’évasion dans le rêve, dans le sublime mais aussi le morbide et le grotesque.
D’un monologue, nous avons fait une pièce enjouée, rythmée, parfois drôle, mais aussi cinglante
et grinçante, qui dénonce, non pas les disfonctionnements d’une institution, mais une difculté à
exercer un métier en danger.
Elle n’est, cependant, pas une pièce politique, elle ne revendique rien, elle raconte le mal-être
d’un homme, une dépression banale d’un petit prof ordinaire, plein de bonne volonté « avec juste
l’envie que tout se passe bien, avec l’envie qu’à la n du cours, ils se sentent un peu meilleurs les
élèves, et puis rien, rien, une défaite ! »
Cette pièce nous parle à tous, car si nous n’avons pas tous été profs, nous avons tous été élèves!
Propulsés de l’autre côté de la barrière, nous découvrons la réalité d’un homme face à la remise
en question de sa vocation, du travail, de la hiérarchie, du rapport aux autres... Ses questions sont
les notres, et la pièce dépeint la perte de soi face à la cruauté du monde du travail, ou peut-être
du monde tout court, entre le drame et la farce...
Petit discours sur le
texte et la pièce
CaCoLaLie : trouble du langage caractérisé par la déformation et le remplacement de
mots par d’autres et par des fautes de grammaire, observé chez certains malades atteints de
troubles mentaux.
Exemple : L’éducationale.
«“Voilà. Robinson a 50 ans.
Ado, dans les années 70, il a fumé du shit en écoutant Ummagumma de Pink Floyd, en lisant Ver-
laine et Rimbaud, et aussi La Princesse de Clèves. Il a trouvé ça plus kiffant qu’un contrat à 10 mil-
lions de dollars portant sur le commerce de pinces à linges en plastique ou de tongs à élastiques.
En clair, il a refusé de faire HEC. Ado et déjà, sans le savoir, ringard.
Il se retrouve petit prof de français et de latin entre les murs d’une salle de classe, avec son petit
cartable, son petit costume de débutant, et toutes ses idées, les petites et les grandes. Dix années
passent, vingt, trente… Il nit clown au cirque. Reconversion sur le tard ? Non : juste le métier qui
a changé. En trente ans, la putain d’Education Nationale est devenue un putain de cirque.
Robinson, il a pas bien vu les coups venir, il en a pris plein la gueule, il a le nez rouge de clown qui
pisse le sang. Alors on l’a envoyé se faire soigner à la Pinsonnière, une maison de repos de la MGEN
- grosse fatigue, déprime, dégoût, la trajectoire banale de tant de rêveurs des années 60-70 nau-
fragés de l’Education Nationale, mauvaise graine et graisse de mammouth.
A la Pinsonnière, il colmate les trous laissés dans son cerveau par les illusions perdues en se faisant
des festins d’antidépresseurs et d’anxiolytiques. Ça lui fait regretter le bon vieux temps du shit et
de l’absinthe, c’est de la chimie mais c’est mieux que rien. Il n’enseigne plus, Robinson, il saigne.
Il est plus très net, ni très politique ni très correct, mais il fait du tricot avec les copines et il cause
avec Verlaine et Rimbaud, avec Melody Nelson. Il cause seul, aussi, dans sa chambre-île déserte… Il
règle ses comptes, il rend coup pour coup - aux élèves, aux parents, aux collègues, aux inspecteurs,
aux Ministres, aux cons, aux petits et aux grands…
Enn il se lâche, Robinson, il en a marre, il largue les amarres, enn il se barre, enn il se
Note
de l’auteur
A.D. - juin 2011
marre... »
La scénographie :
Nous n’avons pas voulu jouer la carte du réalisme. L’univers clos de la chambre de Robinson ap-
paraît, au contraire, sans limite apparente.
Le décor représente un tableau d’école, vert, fragmenté, comme éclaté en suspension dans les
airs. Il renforce l’impression de morcellement de la pensée de Robinson, bien qu’étant enfermé
dans sa chambre d’hôpital, prisonnier de sa dépression et de ses traitements.
Ce tableau est aussi le gage de sa mémoire, ses repères dans le temps, son témoignage. Des
mots s’y inscrivent au l des jours qui s’égrainent.
Le vert, largement dominant sur le plateau, symbolise l’instabilité. C’est la couleur des jongleurs
et des bouffons, mais aussi des démons et des esprits. D’où son « interdiction » sur les scènes de
théâtre.
Le lit, élément majeur du décor, est à la fois son refuge, son cerveau, sa prison et nalement son
« bateau ivre ».
Il est couvert de polochons, hémisphères cérébraux d’où vont sortir les deux autres personnages
qui incarnent sa pensée, sa conscience, ses « malins génies ».
La mollesse des polochons contraste évidemment avec les angles aigus du tableau, et accentue
l’impression de conit intérieur propre à la dépression.
Les costumes :
Robinson est juste vêtu d’un pyjama rouge,
seule couleur vive dans cet univers glauque,
et déclinée à plusieurs reprises (le tricot, le
canevas,le Petit Chaperon rouge, les jambes
de la Maman de Cindy la latiniste, les boules de Noël et enn le nez du clown).
Le rouge symbolise la vie, la joie, la passion, mais aussi la guerre, la colère, la violence.
Les deux autres personnages sont habillés dans le même tissu que les polochons. Ils font partie
intégrante de ce lit, ce cerveau en désordre. Leurs costumes sont transformables à vue et servent
à tous les rôles joués par eux.
Notes de mise
en scène
Robinson : Une maille à l’endroit, une maille à l’envers...
Lui : Ça commence à venir.
Elle : Finira par y arriver.
Lui : Bonne chose, ces petits moments d’entraînement solitaire…
Elle : Il fait des progrès.
Robinson: Sur mon île déserte. Je ne suis pas dérangé, ça facilite la concentration.
Eux : Une maille à l’endroit, une maille à l’envers.
Lui : L’intérêt d’un naufrage, c’est ça : quelle que soit l’issue, le bouillon ou l’île déserte, on a la
paix.
Elle : On n’est plus emmerdé.
Robinson : A moins bien sûr que ne débarque un Vendredi.
Elle : Ici, le vendredi,…
Eux : …c’est le jour des visites.
Robinson : Une journée sur le qui-vive, la pire de la semaine. Mais aujourd’hui je suis tranquille,
c’est mercredi, personne. Bonne occasion pour m’avancer de quelques rangs. Une maille à l’endroit,
une maille à l’envers. Adieu la civilisation, bonjour le tricot - rien perdu au change. Tricoter des bras-
sières et des chaussons de bébé sur une île déserte, c’est pour ainsi dire un exercice sans compromis
de la liberté. Je vous emmerde. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers, liberté, liberté chérie
! Liberté, égalité et surtout pas de fraternité, c’est ma devise. S’il me prenait la faiblesse, comme
l’ancien Robinson, de rebricoler des bouts de civilisation dans mon désert, je devrais construire une
belle mairie - une maison “commune” - et marquer dessus en grosses lettres : “Liberté, égalité, et
fraternité mon cul !Mais bon, il est totalement hors de question que je fabrique une mairie. Pas
plus qu’une poste. Et encore moins une école ! Peut-être un musée ou une bibliothèque, pour mettre
Verlaine et Rimbaud. Mais sûrement pas une école. (Après un temps de réexion) On ne se gure
pas à quel point, quand on se retrouve naufragé de l’autre côté des poules, on peut l’emmerder,
l’école de la République ! Est-ce que vous avez des questions ?
…/…
Madame la maman : Ça marche pas très fort, Cindy, le latin. C’est elle qui a voulu, nous on savait
pas. Maintenant qu’elle a vu, elle est pas motivée. Elle dit que c’est pas intéressant et que ça sert à
rien. A propos, ça sert à quoi le latin ?
Robinson: Putain, encore cette vacherie de question ! je me dis. La salope ! J’ai rien à lui répondre,
j’ai rien du tout à répondre à cette question, vu que de toute évidence, bordel et rebordel, le latin
et le grec ça sert à rien…
Lui: Faut pourtant te lancer, tu ne peux pas rester en face d’elle sans rien dire…
Robinson : Alors je m’entends lui déballer des conneries qui me font intérieurement rougir de honte.
Vous savez, le latin est la langue à l’origine de la nôtre, gnagnagna, alors sur le plan du vocabulaire
et de la syntaxe, ça apporte beaucoup. Et puis ça aide à la réexion, gnagnagna, c’est très logique,
très construit. Sans compter qu’en médecine, les noms savants sont des noms latins. Gnagnagna.
Et pas qu’en médecine…
Extraits de texte
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