Robinson : Une maille à l’endroit, une maille à l’envers...
Lui : Ça commence à venir.
Elle : Finira par y arriver.
Lui : Bonne chose, ces petits moments d’entraînement solitaire…
Elle : Il fait des progrès.
Robinson: Sur mon île déserte. Je ne suis pas dérangé, ça facilite la concentration.
Eux : Une maille à l’endroit, une maille à l’envers.
Lui : L’intérêt d’un naufrage, c’est ça : quelle que soit l’issue, le bouillon ou l’île déserte, on a la
paix.
Elle : On n’est plus emmerdé.
Robinson : A moins bien sûr que ne débarque un Vendredi.
Elle : Ici, le vendredi,…
Eux : …c’est le jour des visites.
Robinson : Une journée sur le qui-vive, la pire de la semaine. Mais aujourd’hui je suis tranquille,
c’est mercredi, personne. Bonne occasion pour m’avancer de quelques rangs. Une maille à l’endroit,
une maille à l’envers. Adieu la civilisation, bonjour le tricot - rien perdu au change. Tricoter des bras-
sières et des chaussons de bébé sur une île déserte, c’est pour ainsi dire un exercice sans compromis
de la liberté. Je vous emmerde. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers, liberté, liberté chérie
! Liberté, égalité et surtout pas de fraternité, c’est ma devise. S’il me prenait la faiblesse, comme
l’ancien Robinson, de rebricoler des bouts de civilisation dans mon désert, je devrais construire une
belle mairie - une maison “commune” - et marquer dessus en grosses lettres : “Liberté, égalité, et
fraternité mon cul !” Mais bon, il est totalement hors de question que je fabrique une mairie. Pas
plus qu’une poste. Et encore moins une école ! Peut-être un musée ou une bibliothèque, pour mettre
Verlaine et Rimbaud. Mais sûrement pas une école. (Après un temps de réexion) On ne se gure
pas à quel point, quand on se retrouve naufragé de l’autre côté des poules, on peut l’emmerder,
l’école de la République ! Est-ce que vous avez des questions ?
…/…
Madame la maman : Ça marche pas très fort, Cindy, le latin. C’est elle qui a voulu, nous on savait
pas. Maintenant qu’elle a vu, elle est pas motivée. Elle dit que c’est pas intéressant et que ça sert à
rien. A propos, ça sert à quoi le latin ?
Robinson: Putain, encore cette vacherie de question ! je me dis. La salope ! J’ai rien à lui répondre,
j’ai rien du tout à répondre à cette question, vu que de toute évidence, bordel et rebordel, le latin
et le grec ça sert à rien…
Lui: Faut pourtant te lancer, tu ne peux pas rester en face d’elle sans rien dire…
Robinson : Alors je m’entends lui déballer des conneries qui me font intérieurement rougir de honte.
Vous savez, le latin est la langue à l’origine de la nôtre, gnagnagna, alors sur le plan du vocabulaire
et de la syntaxe, ça apporte beaucoup. Et puis ça aide à la réexion, gnagnagna, c’est très logique,
très construit. Sans compter qu’en médecine, les noms savants sont des noms latins. Gnagnagna.
Et pas qu’en médecine…
Extraits de texte