Résumé
L’exposition photographique itinérante sur Jean-Luc Lagarce (1957-1995) révèle
la relation ambiguë entre l’œuvre et la représentation iconographique de l’écrivain. Elle
renvoie, d’une part, à la relation entretenue par le dramaturge (de surcroît autobio-
graphe), sachant sa n imminente, avec la diffusion de son image. D’autre part, cette
exposition relève à la fois de l’hommage posthume et de la promotion médiatique de
celui qui refusait toute inscription sur une plaque.
Abstract
The photographical exhibition on Jean-Luc Lagarce (1957-1995) reveals the am-
biguous relationship between the work and the writer’s iconographic representation.
It refers, on the one hand, to the link of the playwright (furthermore autobiograph),
knowing his end is near, to the diffusion of his image. On the other hand, this exhi-
bition is related to the posthumous tribute and to the media-promotion of one who
refused any tablet inscription.
Béatrice Jongy
Jean-Luc Lagarce, l’écrivain exposé
Pour citer cet article :
Béatrice Jongy, « Jean-Luc Lagarce, l’écrivain exposé », dans
Interférences littéraires,
nouvelle série, 2, « Iconographies de l’écrivain », s. dir. Nausicaa Dewez & David
Martens, mai 2009, pp. 161-174.
http://www.uclouvain.be/sites/interferences
ISSN : 2031 - 2970
Interférences littéraires
, n° 2, mai 2009
161
Jean-Luc Lagarce
Lécrivain exposé
Jean-Luc Lagarce (1957-1995) est un écrivain et metteur en scène français. Il
a fondé avec d’autres élèves du conservatoire de Besançon une compagnie théâtrale
amateur, le « Théâtre de la Roulotte », qui s’est professionnalisée. Entre 1981 et
1995, date de sa mort du sida, il a écrit vingt-quatre pièces et réalisé vingt mises en
scène. Il fut peu connu de son vivant, mais depuis son décès, de nombreuses mises
en scène de ses textes ont été réalisées et certaines ont connu un large succès public
et critique. En France, il est l’auteur contemporain le plus joué au XXIe siècle. Il est
traduit dans de nombreux pays et l’ensemble de ses textes est publié aux Solitaires
Intempestifs, maison d’édition qu’il a lui-même fondée.
En septembre 2006 a été inaugurée à Besançon l’année Jean-Luc Lagarce,
qui aurait eu cinquante ans en février 2007. Une exposition itinérante accompa-
gne les manifestations. Il s’agit de dix photographies de l’écrivain réalisées par Lin
Delpierre à l’occasion des répétitions et tournées de trois spectacles mis en scène
par Jean-Luc Lagarce, de 1992 à 1994. Les dernières datent donc de l’année de sa
mort. Ce travail a donné lieu à la publication du livre Un ou deux reets dans l’obs-
curité, édité par les Solitaires Intempestifs en 20041. Un panneau supplémentaire
annonce l’Année Lagarce avec une photographie de l’auteur par Michel Quene-
ville. Ces images sont accompagnées de textes de Jean-Luc Lagarce, écrits d’après
les photographies, et d’extraits d’articles rassemblés dans le recueil Du luxe et de
l’impuissance. Ces textes sont intégrés à l’image. Les photographies sont en noir et
blanc, les tirages en impression numérique, contrecollés, plastiés sur panneau
dibond et tissus.
L’iconographie d’un auteur, c’est la mise en scène d’une pièce dont les per-
sonnages sont l’auteur en tant que sujet, l’auteur en tant qu’artiste, le photographe,
et le public. Sur scène, ces personnages ont des motivations différentes, convergen-
tes ou divergentes. Dans le cas de Lagarce, la pièce a vu disparaître prématurément
le premier personnage, l’auteur-sujet, donnant à son iconographie un sens nouveau.
Un lecteur de Lagarce peut-il aujourd’hui contempler ces photographies sans avoir
présents à l’esprit la thématique fortement autobiographique de l’œuvre, et la n
tragique de son auteur ? Se pose ainsi la question des rapports entre l’auteur et son
image, entre l’iconographie de l’auteur et son œuvre, enn celle de la réception du
public.
1. Un ou deux reets dans l’obscurité, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2004.
Lagarce, Lécrivain exposé
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Jean-Luc Lagarce et La photographie
Lamateur de photographie
L’une des premières œuvres de Jean-Luc Lagarce, c’est l’album de famille.
C’est lui qui collait les photographies et inscrivait la légende. Toute sa vie, il fut
grand amateur de photographie, en particulier la photographie en noir et blanc, la
photographie d’atmosphère et la photographie hollywoodienne. Il a écrit une pièce
intitulée La Photographie, créée en 1986 pour une chorégraphie de Hideyuki Yano. Il
collectionnait les albums de famille qu’il trouvait dans les brocantes et s’était acheté
un polaroïd pour photographier ses proches. Il aurait sans doute été ravi de l’appa-
rition du numérique. Des photographies d’écrivain ornaient ses murs. À côté d’une
photographie de Beckett était accrochée une photographie de lui-même, prise par
Lin Delpierre.
Ce dernier a rencontré Jean-Luc Lagarce lors d’une de ses premières expo-
sitions à Besançon, alors qu’il était un tout jeune photographe et Lagarce un jeune
metteur en scène inconnu. Quelques années plus tard, Lin Delpierre lui a proposé
de photographier son travail, et Lagarce a aussitôt accepté. Plus tard, c’est l’écrivain
qui sollicite le photographe, lors d’une résidence au Théâtre du Granit à Belfort,
Lin Delpierre transporte son laboratoire. Lagarce lui donne carte blanche. Lin
Delpierre prend les clichés et montre les épreuves le lendemain à la troupe. Il ne
s’agit pas, pour le photographe, de faire des photographies ofcielles mais de rendre
compte du processus de mise en scène. Cette collaboration a commencé en 1986 ;
deux ans plus tard, Lagarce apprenait sa maladie. C’est la seconde série de photo-
graphies, celle de 1990-1992, qui donne lieu à l’ouvrage et à l’exposition. Pourtant
le photographe n’a pas voulu inscrire la maladie dans l’image, il ne s’agit pas d’un
reportage sur le sida. Lui n’a pas vu dans ces images la mort à l’œuvre, et la dispari-
tion prématurée de Lagarce l’a surpris. Il n’y a donc dans ces photographies aucune
intention morbide. « Un créateur, cone Lin Delpierre au cours de l’entretien que
j’ai eu avec lui en février 2007, ce n’est pas fait pour mourir »2.
Lauteur et son image
Les photographies ne attaient pas forcément Lagarce mais il ne s’en offus-
quait pas. Ses mains, se souvient Lin Delpierre, « le faisaient rire ». Il faut dire que
l’objectif leur a conféré une présence emblématique (cf. Photographie 1). D’une
part, selon les témoignages de ses proches, Lagarce parlait beaucoup avec ses mains.
D’autre part, ce que le photographe a saisi ici, ce sont les mains de l’auteur, prolon-
gement du stylo, et qui semblent soudain conquérir leur autonomie…
Cette exposition renvoie aux relations d’un écrivain, sachant sa n imminen-
te, à la diffusion de son image. La lecture du journal de l’écrivain montre le dégoût
et l’horreur du corps malade, amaigri, effrayant. Narcisse refuse son reet dans le
miroir. Pour l’exposition de 1992, Lagarce écrit les textes des légendes. C’est Lin
2. Les extraits cités proviennent de notes prises lors d’un entretien avec Lin Delpierre. Les
photographies reproduites le sont avec son autorisation.
Photographie 1
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