Lagarce, L’écrivain exposé
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Jean-Luc Lagarce et La photographie
L’amateur de photographie
L’une des premières œuvres de Jean-Luc Lagarce, c’est l’album de famille.
C’est lui qui collait les photographies et inscrivait la légende. Toute sa vie, il fut
grand amateur de photographie, en particulier la photographie en noir et blanc, la
photographie d’atmosphère et la photographie hollywoodienne. Il a écrit une pièce
intitulée La Photographie, créée en 1986 pour une chorégraphie de Hideyuki Yano. Il
collectionnait les albums de famille qu’il trouvait dans les brocantes et s’était acheté
un polaroïd pour photographier ses proches. Il aurait sans doute été ravi de l’appa-
rition du numérique. Des photographies d’écrivain ornaient ses murs. À côté d’une
photographie de Beckett était accrochée une photographie de lui-même, prise par
Lin Delpierre.
Ce dernier a rencontré Jean-Luc Lagarce lors d’une de ses premières expo-
sitions à Besançon, alors qu’il était un tout jeune photographe et Lagarce un jeune
metteur en scène inconnu. Quelques années plus tard, Lin Delpierre lui a proposé
de photographier son travail, et Lagarce a aussitôt accepté. Plus tard, c’est l’écrivain
qui sollicite le photographe, lors d’une résidence au Théâtre du Granit à Belfort,
où Lin Delpierre transporte son laboratoire. Lagarce lui donne carte blanche. Lin
Delpierre prend les clichés et montre les épreuves le lendemain à la troupe. Il ne
s’agit pas, pour le photographe, de faire des photographies ofcielles mais de rendre
compte du processus de mise en scène. Cette collaboration a commencé en 1986 ;
deux ans plus tard, Lagarce apprenait sa maladie. C’est la seconde série de photo-
graphies, celle de 1990-1992, qui donne lieu à l’ouvrage et à l’exposition. Pourtant
le photographe n’a pas voulu inscrire la maladie dans l’image, il ne s’agit pas d’un
reportage sur le sida. Lui n’a pas vu dans ces images la mort à l’œuvre, et la dispari-
tion prématurée de Lagarce l’a surpris. Il n’y a donc dans ces photographies aucune
intention morbide. « Un créateur, cone Lin Delpierre au cours de l’entretien que
j’ai eu avec lui en février 2007, ce n’est pas fait pour mourir »2.
L’auteur et son image
Les photographies ne attaient pas forcément Lagarce mais il ne s’en offus-
quait pas. Ses mains, se souvient Lin Delpierre, « le faisaient rire ». Il faut dire que
l’objectif leur a conféré une présence emblématique (cf. Photographie 1). D’une
part, selon les témoignages de ses proches, Lagarce parlait beaucoup avec ses mains.
D’autre part, ce que le photographe a saisi ici, ce sont les mains de l’auteur, prolon-
gement du stylo, et qui semblent soudain conquérir leur autonomie…
Cette exposition renvoie aux relations d’un écrivain, sachant sa n imminen-
te, à la diffusion de son image. La lecture du journal de l’écrivain montre le dégoût
et l’horreur du corps malade, amaigri, effrayant. Narcisse refuse son reet dans le
miroir. Pour l’exposition de 1992, Lagarce écrit les textes des légendes. C’est Lin
2. Les extraits cités proviennent de notes prises lors d’un entretien avec Lin Delpierre. Les
photographies reproduites le sont avec son autorisation.