
Bulletin de la Banque de France • N° 153 • Septembre 2006 5
ÉTUDES
Les marchés fi nanciers comme indicateurs avancés des retournements conjoncturels : le cas américain
1|2 Marchés fi nanciers
et anticipations : quel lien ?
Les indicateurs conjoncturels construits à l’aide de
statistiques macroéconomiques réelles présentent
l’inconvénient de ne pas être disponibles en temps
réel et d’être fréquemment révisés. Les enquêtes
de conjoncture publiées de façon plus précoce et
peu révisées complètent ces indicateurs. Toutefois,
l’ensemble de ces données ne permet de livrer qu’un
diagnostic limité car l’horizon prédictif offert est
souvent court, en général inférieur à un trimestre.
Les marchés financiers analysent quant à eux en
temps réel chaque information et modifient leurs
anticipations en conséquence. Aussi les variables
issues de ces marchés devraient-elles pouvoir
fournir des indicateurs avancés des retournements
conjoncturels. La littérature théorique et empirique
retient essentiellement trois variables : la masse
monétaire, les spreads de taux d’intérêt (différence
entre un taux court à trois mois et un taux long à
10 ans, souvent identifiée à la courbe des taux) et les
indices boursiers 1. Ces trois variables ont d’ailleurs
un poids élevé dans le calcul du Leading Indicator du
Conference Board, l’un des indicateurs conjoncturels
les plus réputés aux États-Unis.
Quelques faits stylisés peuvent être rappelés ici pour
illustrer l’importance de ces variables dans l’analyse
des cycles.
En premier lieu, la plupart des récessions ont été
précédées aux États-Unis d’un ralentissement de la
croissance monétaire. Même si le lien de causalité
n’est pas établi, il existe une relation statistique simple
de corrélation entre les resserrements de la masse
monétaire et la survenance de récessions aux États-Unis.
La courbe des taux semble également avoir un bon
pouvoir prédictif du cycle réel : une réduction de
l’écart de taux ou une inversion de la courbe des
taux annonce généralement un ralentissement ou
une récession.
Estrella (2005b) constate par exemple que, depuis
1950, la courbe des taux a permis de prévoir tous
les retournements conjoncturels aux États-Unis.
C’est aussi ce que l’on observe sur le graphique 2,
où sont représentés le taux de croissance de l’indice
de la production industrielle et l’écart entre les taux
à 3 mois et à 10 ans : une baisse rapide du spread
précède systématiquement celle de l’indice de
production et les datations officielles des récessions
aux États-Unis. Estrella (2005a) montre via un modèle
théorique à anticipations rationnelles que la capacité
prédictive de l’écart de taux dépend de la forme de la
fonction de réaction de la banque centrale et qu’elle
est significative dans la plupart des cas.
Pour Brender et Pisani (2001), les anticipations
des agents sont assez frustes, très inertes et peu
différenciées selon les horizons. Le pouvoir prédictif
de la pente de la courbe des taux reposerait alors
sur le seul fait qu’elle donne une mesure correcte
du caractère plus ou moins restrictif de la politique
monétaire et donc du niveau des taux d’intérêts réels.
Le spread de taux serait, à une constante multiplicative
près, une mesure du taux d’intérêt réel. Cette intuition
est relayée par les travaux récents d’Ang et al. (2006)
mettant en évidence le pouvoir prédictif légèrement
supérieur des taux courts sur la courbe des taux.
La troisième variable utilisée pour la prévision de
l’activité future est un indice boursier ; il est commun
à de nombreux indicateurs avancés de la conjoncture
américaine. Son avance sur les retournements
conjoncturels est estimée à un trimestre (Estrella
et Mishkin, 1998 ou Avouyi-Dovi et Matheron, 2003),
mais il présente l’inconvénient de fournir aussi
Graphique 2 Avance des variables fi nancières
sur le cycle économique
- 4,5
- 3,5
- 2,5
- 1,5
- 0,5
0,0
0,5
1,5
2,5
1965 1970 1980 1985 1990 1995 2000 20051975
Datation récession
Spread 3 mois – 10 ans
Indice de production industrielle
1 Moins fréquemment citée dans la littérature, une variable de spread d’obligations privées est introduite par Bellone et al. (2006). Le contenu prédictif de cette variable est toutefois
plus faible.