Fédérer, c’est relever le défi de la cohésion, en refusant l’assimilation pure et simple.
Pour affronter l’exigence du vivre ensemble, l’immense majorité des États de la planète relève
de l’inspiration fédérale et de la qualification d’États composés. La complexité de la
constitution des peuples en communauté étatique en appelle à différents types d’associations,
alors que les nations s’interpénètrent. Les différentes communautés forgées par les histoires,
après avoir causé des guerres, se sont confédérées et fédérées, selon des modèles toujours
renouvelés. Certes, le fédéralisme n’est pas la Fédération. Le fédéralisme est une idée
politique ; la Fédération est sa matérialisation institutionnelle et elle repose sur une
Constitution fédérale.
Fédéralisme et Fédération sont une réponse pertinente dans le contexte de populations
marquées par leurs diversités. L’État-nation appelle à se fondre uniformément. Le fédéralisme
et la Fédération font écho à la pluralité de leurs composantes en prônant des idées
d’autonomie, de subsidiarité et de participation. Ils expriment « des processus pacifiques de
négociation, de compromis et de consensus pour vivre ensemble, malgré les différences et les
conflits d’intérêts et de valeurs entre les composantes fédérées et la fédération »1.
La qualité première de l’idée fédérale est dans le lien, le foedus2, entre des entités
diverses qui consentent à un projet commun en excluant une relation de supérieur à
subordonné. C’est ce qui a pu amener à parler de « souveraineté partagée »3. Fédérer, c’est
nécessairement instituer des niveaux de pouvoirs et répartir entre eux les compétences4.
L’idée est de « briser l’atome de la souveraineté, pour ensuite répartir les compétences entre
les différents niveaux de gouvernement »5. Deux ordres autonomes de gouvernement sont
reconnus constitutionnellement.
La Fédération qui peut en résulter relie et respecte les diversités6. La construction
fédérale est de nature à assurer un équilibre face à des tensions liées aux différences. Elle
permet l’expression des minorités et favorise la cohésion. Le fédéralisme exclut tout
dogmatisme et repose sur l’alliance des différences dans « un réflexe de réalisme et de
d’efficacité institutionnelle »7. Pluriels mais unis, telle est l’expression de l’essence même du
fédéralisme. Il respecte les diversités tout en leur donnant un socle commun et le cadre d’une
volonté commune de tendre dans la même direction, dans un destin commun.
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1 Maurice Croisat, Le fédéralisme d’aujourd’hui : tendances et controverses, RFDC, 1994, p. 451.
2 Le foedus, c’est le pacte, l’alliance.
3 La souveraineté se conçoit ici différemment de l’État-nation. Pour celui-ci, hostile comme en France au
fédéralisme, la souveraineté, par essence, ne saurait se partager. Sur « l’absurdité de la souveraineté partagée »,
voir Olivier Beaud, Fédéralisme et souveraineté, notes pour une théorie constitutionnelle de la Fédération, RDP,
1998, pp. 118 et 105. Jean-Marie Pontier rappelle cette position classique dans son article Les avancées toujours
renouvelées de l’autonomie locale : le cas des TOM, Revue administrative, n°313, p. 73. Mais le fédéralisme
peut se définir comme une perspective de partage de souveraineté : voir les développements très argumentés de
Valérie Goesel-Le Bihan sur la souveraineté partagée (La Nouvelle-Calédonie et l’Accord de Nouméa, un
processus inédit de décolonisation, AFDI, 1998, pp. 24-76 et notamment pp. 66 et s.). On ne manquera pas
d’observer que l’Accord de Nouméa, constitutionnalisé, parle de souveraineté partagée.
4 Cette répartition doit être définie et n’a pas forcément à être égalitaire. Le fédéralisme peut être asymétrique.
Égalité n’est pas similitude (voir Francis Delpérée et Marc Verdussen, L’égalité, mesure du fédéralisme in Jean-
François Gaudreault-DesBiens et Fabien Gélinas, (dir.), Le fédéralisme dans tous ses états, Bruxelles, Bruylant,
Cowansville, éditions Yvon Blais, 2005, pp. 193-208).
5 François Vergniolle de Chantal, Fédéralisme et antifédéralisme, Paris, PUF, (Que sais-je ?, n°3751), 2005,
p. 122.
6 Sur le défi de la diversité nationale, la question de l’ethnicité et de sa prise en considération, voir Alain-G.
Gagnon, La raison du plus fort, Montréal, Québec Amérique, 2008, 236 p. Voir aussi Michel Seymour et Guy
Laforest, (dir.), Le fédéralisme multinational, Un modèle viable ?, Bruxelles, Diversitas, 2011,
343 p.
7 Francis Delpérée, Le fédéralisme en Europe, Paris, PUF, 2000, p. 125.