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Forum Médical Lyonnais – 24 septembre 2011 page 2
09 h 00 à 9 h 30
QUAND FAUT-IL PENSER A LA SOUFFRANCE AU TRAVAIL ?
LES BONS REFLEXES
Docteur Philippe DAVEZIES
Service de Maladies Professionnelles
Centre Hospitalier Lyon Sud
69495 PIERRE BENITE cedex
Prendre en charge la souffrance au travail impose de considérer deux phénomènes
principaux.
Le premier concerne la différence entre le travail tel qu'il est prescrit et l'activité réelle. Le
prescrit a toujours un caractère général. Il exprime un rapport extérieur aux moyens à mettre
en œuvre pour atteindre les objectifs fixés. Au contraire l'activité fait face à des situations
singulières qui imposent de prendre en considération des dimensions non prévues par la
consigne et exigent des adaptations des modes opératoires prescrits.
Au cours des dernières décennies, la montée en puissance des exigences financières a
accru le caractère abstrait des prescriptions. Du fait de l’intensification du travail, beaucoup
de salariés se trouvent aujourd’hui dans l'incapacité de satisfaire l'ensemble des critères qui
caractériseraient un travail bien fait. Dans ce contexte, chacun trie, comme il peut,
conformément à son expérience et aux exigences de sa position, dans la masse de ce qu'il y
aurait théoriquement à faire, ce qu'il va pouvoir prendre en charge et ce qu'il laissera de
côté. Résultat : le monde du travail est traversé par un conflit autour de critères d'évaluation
du travail contradictoires.
Trouver une issue positive à la multiplicité conflictuelle des critères d'évaluation du travail
imposerait de discuter du travail au plus près des situations. C’est là qu’il faut prendre en
compte un deuxième phénomène : celui qui a trait au rapport de l'individu à sa propre
activité. Le travailleur développe son activité sous l'aiguillon des résonances de la situation
avec ses expériences émotionnelles antérieures. Cela signifie que, face à des
caractéristiques de la situation qui ne sont déjà pas clairement perceptibles pour celui qui ne
fait pas le travail, il mobilise des expériences et des ressources qui ne sont que très
partiellement conscientes. L’être humain agit ; dire comment et pourquoi il agit est tout autre
chose. L'activité est première ; le discours suit comme il peut, toujours décalé et partiel par
rapport à celle-ci.
La difficulté consiste donc à faire passer, dans le registre du langage et de la discussion, un
conflit dont l'origine se situe dans le choc d'activités animées par des logiques différentes.
La souffrance au travail exprime l'échec de ce processus. En pareil cas, l'individu tente de
se défendre en s’emparant des ressources langagières sensées rendre compte de la
souffrance au travail. Il répète alors en boucle des discours généraux qui vont de la
méchanceté du chef aux effets délétères de la financiarisation de l'économie. En raison de
leur généralité, ces discours ne rendent pas compte de la nature concrète des conflits dans
lequel il se trouve pris. Ils ne lui permettent ni de se faire comprendre, ni de reprendre la
main sur la situation. À partir de là, peut s'enclencher une dynamique dangereuse qui mêle
schémas cognitifs dépressogènes et perturbations biologiques liées à la situation de stress
chronique.