trique, irascible, ses humeurs instables et sa créativité
prolifique rendent la compréhension de sa pathologie
très complexe. Cela pose un grand défi à ceux qui es-
saient d’analyser les relations existant entre «l’esprit ar-
tistique», le cerveau et la maladie. En fait, la plupart des
diagnostics proposés pour Van Gogh au cours du siècle
dernier ne sont pas basés sur des preuves médicales,
mais sont seulement en partie vérifiables à partir d’ana-
lyses de ses tableaux et des données biographiques.
D’après une récente publication [2] datant de 2013,
une analyse de la maladie de Van Gogh a été réalisée
à la lumière de sa correspondance, dont la qualité
littéraire est largement reconnue. L’auteur s’est basé
sur les antécédents médicaux de l’artiste à travers
les nombreuses citations dans ses lettres, pour voir
comment Vincent a exprimé ses plaintes, ses émotions
liées à sa maladie. Les symptômes sont devenus plus
précis après décembre 1888. Au début, Van Gogh avait
beaucoup hésité à parler de sa maladie, mais peu à peu,
il décrivait dans ses lettres ses expériences tout au long
de ses psychoses cycloïdes. Selon l’auteur, il existe des
signes de synesthésie, de prosopagnosie et d’agnosie
spatiale. L’affinité de Van Gogh pour la poésie, déjà
au début de sa vingtaine, rend plausible l’hypothèse
d’une excitation du lobe temporal par des décharges
épileptiques, ce qui pourrait expliquer en partie le
fonctionnement complexe de son esprit créatif et
torturé par la souffrance. L’auteur a tenté de placer les
diagnostics effectivement réalisés au cours de la vie de
l’artiste dans leur contexte historique et culturel. Il est
évident que ceux qui établissent un diagnostic et ceux
qui le reçoivent sont impliqués dans le même contexte
culturel, en tenant pour acquis les modes médicales
de leur temps, y compris les biais incorporés. Par
ailleurs, à partir des archives de la faculté de médecine
de Montpellier et de la correspondance de Van Gogh,
le Pr François-Bernard Michel [3] a reconstitué les
relations de l’artiste avec ses trois psychiatres (les Drs
Jean-Félix Rey, Théophile Peyron et Paul Gachet), de
1888 à son suicide en 1890. Il a montré comment tous
les trois ont raté la prise en charge du génie, ne laissant
à Van Gogh aucun espoir de guérison.
Il existe une certaine tendance de la part des médecins
et des groupes de patients à mouler « la maladie » de
Van Gogh dans un schéma propre à leur spécialité ou à
leur maladie [4].
Parmi les diagnostics énoncés dans plus d’une douzaine
d’articles retrouvés dans Pubmed (dont la 1re date de
1981 et les derniers en 2013), on peut citer : glaucome,
xanthopsie induite par la digitaline, dyschromatopsie
acquise, maladie de Ménière, épilepsie du lobe tem-
poral, trouble bipolaire, saturnisme, intoxication à la
thuyone, saturnisme, psychose cycloïde (voir tableau I).
Chacune de ces maladies pourrait être responsable des
troubles neuropsychologiques qui auraient été aggra-
vés par la malnutrition, le surmenage, l’insomnie et un
penchant pour l’alcool, en particulier pour l’absinthe.
Le trouble bipolaire selon les critères DSM-IV
D’après l’analyse de deux neurologues [21] en 2005, Bo-
gousslavsky J (Neurologie, INSERM Unit 549) et Boller
F (Neurologie et Psychiatrie, CHUV Centre Paul Broca,
Lausanne, Suisse), il est fortement probable que Van
Gogh souffrait de trouble bipolaire ayant causé sa mort
par suicide selon les critères DSM-IV. Bien qu’aucun
diagnostic définitif n’ait pu être déterminé, les deux
auteurs se sont basés sur des preuves extrapolées à partir
des échanges de courrier du célèbre artiste. En 2005, les
deux neurologues ont rapporté les faits suivants.
Entre février 1886 et octobre 1888, lorsque Van Gogh
vivait à Paris, ses lettres ont révélé tous les symptômes de
la maladie bipolaire même s’il est difficile à reconstruire la
durée exacte de la dépression et des phases maniaques.
Avant 1886, Van Gogh a présenté des épisodes dépres-
sifs majeurs et mineurs alternant avec des phases hypo-
maniaques ou maniaques, souvent avec des cycles rapi-
des. Les deux épisodes de dépression ont été suivis par
des périodes prolongées d’énergie et d’enthousiasme,
d’abord comme un évangéliste, puis en tant qu’artiste.
Un épisode dépressif de longue durée a eu lieu à Londres,
après une déception amoureuse, quand il a été expulsé de
l’église, et au moment de sa séparation d’avec Sien, une
prostituée et son fils. Un épisode d’hypomanie durable
ou des phases maniaques ont coïncidé avec ses débuts
comme évangéliste, ainsi qu’à ses débuts d’artiste.
2013, 12 (4)
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