Exposé du professeur M. Driss BENALI
Au cours de ces 25 dernières années, l’économie marocaine s’est ouverte ; elle a énormément
changé ; une profonde transformation a conduit à ce que le Maroc devienne un pays émergent et
un partenaire économique privilégié à la fois des USA et de l’Europe. Pendant ces années, les
économistes et les hommes politiques marocains se sont extasiés devant la réussite du libéralisme
économique et chantaient les louanges de cette mondialisation heureuse. Maintenant cette période
de prospérité et d’euphorie est terminée. La crise financière sans précédent est en train de tout
remettre en cause ; elle a des conséquences au plan économique, social et culturel.
Comment se présente l’économie marocaine ? Je pense que le Maroc a été surpris par la crise au
moment où il était en pleine mutation : en train de constituer une économie dynamique mais
fragile (courbe de la croissance du PIB en dents de scie pendant les 15 dernières années). C’est
pourquoi je conteste parfois cette appellation de pays émergent pour le Maroc, car pour moi un
pays émergent est celui qui a eu un taux régulier de croissance du PIB de plus de 6% sur une
période de plus de 10 années, ce qui n’est pas encore le cas du Maroc .D’ailleurs si le Maroc était
un pays émergent, il ferait partie du G20.
Or l’économie du Maroc est une économie dynamique mais fragile d’une part, et d’autre part, elle
est bloquée par la rente au niveau supérieur et la rente au niveau inférieur, la rente de certaines
couches sociales ; car l’économie marocaine n’est que partiellement libérale. C’est une économie
qui se veut ouverte, une économie de marché, mais qui a une compétitivité faible. Elle a fait des
choix qui se sont à moyen terme révélés payants, mais qui aujourd’hui génèrent des difficultés
(comme l’industrie de textile en compétition avec l’industrie chinoise; une industrie dont le
capital humain est faible, faisant travailler prés de 200.000 personnes). Ce choix de l’industrie
textile est à reconsidérer. Le choix du tourisme a été payant à moyen terme, mais actuellement il
est touché de plein fouet par la crise. Enfin jouer la carte de l’investissement direct étranger
s’avère aujourd’hui un choix touché par la crise : citons par exemple le cas de l’OCP, confronté à
une baisse des prix, et à une compétition farouche des autres pays producteurs de phosphates
(comme l’Inde) procède en ce moment à une importante restructuration pour se préparer à l’après
crise. Or l’OCP est le bijou de l’économie marocaine, parce que c’est l’entreprise la mieux gérée,
la plus rentable, qui est en prise directe avec la mondialisation, et ouverte sur un marché
international très compétitif.
L’économie marocaine est une économie piégée : elle a été dans le passé marquée par une
croissance faible et par une fracture sociale. Depuis les années 2000 des changements positifs sont
intervenus, Le taux de croissance s’est redressé, mais la question de la fracture sociale reste posée.
Comment réduire la fracture sociale aujourd’hui ? Pour réduire la fracture sociale, il faut édifier
une classe moyenne au Maroc, c’est la seule solution.
Si le Maroc avait une classe moyenne forte et une industrie compétitive, il pourrait développer son
marché intérieur et ainsi compenser la perte des marchés extérieurs touchés par la crise ;
malheureusement notre marché intérieur est faible et les chocs externes de plus en plus violents.
Un autre moyen de réduire la fracture sociale est l’enseignement : l’école peut donner à chacun la
possibilité d’une ascension sociale. Or depuis les années 70 le système éducatif marocain qui était
de très bonne qualité s’est aujourd’hui dégradé ; malheureusement l’élève qui entre dans l’école
publique au lieu d’espérer l’égalité des chances se trouve à la sortie confronté au chômage.
L’enseignement universitaire est devenu médiocre ou inadapté, comme en témoignent les
dernières manifestations des diplômés de l’enseignement supérieur devant le Parlement à Rabat.
Enfin le système fiscal, qui permettrait de réduire la fracture sociale et de soutenir la croissance,
doit être réformé ; aujourd’hui il ne contribue pas à créer des emplois, il ne permet pas
l’émergence d’une classe moyenne et il dissuade la création d’entreprise. L’assiette fiscale est
limitée et le taux d’imposition élevé freine la constitution de cette classe moyenne nécessaire à
notre économie. Au lieu de pratiquer le nivellement, notre système fiscal devrait être plus incitatif
pour favoriser la création de valeur et de richesses. A titre d’exemple, un professeur universitaire
est imposé au taux de 43% ; ce taux est inadapté et injuste car l’économie informelle, échappant à
la fiscalité se développe et représente aujourd’hui plus de 17%. La fraude fiscale est devenue un
sport national !
Le Maroc avait un atout social, les solidarités : solidarité communautaire, solidarité familiale
quasi-mécanique et la solidarité institutionnelle. Aujourd’hui, ces solidarités s’amenuisent. Les
comportements individuels encouragés par le mode de société, délitent progressivement les
solidarités sociale et familiale. Le Maroc n’a pas les moyens de développer la solidarité
institutionnelle comme elle fonctionne en France notamment : indemnités de chômage, assurance
maladie, sécurité sociale. Cette situation rend encore plus vulnérable à la crise internationale la
population marocaine.
Je soulignerais un autre risque pour l’économie marocaine : à cette crise structurelle que nous
venons d’exposer vient s’ajouter une crise conjoncturelle qui frappe l’ensemble des pays du tiers
monde. La libéralisation expose les populations les plus démunies au choc conjoncturel alors
qu’elles auraient dues être préservées par le fonctionnement des solidarités. Reconnaissons que
cette situation difficile est totalement nouvelle dans l’histoire du Maroc.
Cependant, le Maroc a de sérieux atouts pour faire face à cette crise, il a engagé un processus de
construction démocratique, il est à mi chemin ; c’est une période de mutation importante et de
restructurations qu’il faut accompagner. Le Maroc a besoin de parachever cette évolution.
Nous insistons toutefois sur l’indispensable réduction de la fracture sociale ; 47% de la population
marocaine vit en dessous du seuil de pauvreté, c’est un lourd handicap.
Le Maroc reste un pays fortement rural, l’agriculture pèse 16%.
Quelles solutions à envisager pour répondre à cette crise ?
1° Résoudre le problème de société qui commence par réduire fortement la pauvreté et les
inégalités, encourager l’émergence de la classe moyenne.
2° Améliorer le système de gouvernance.
3° Et valoriser le capital humain.
Le Maroc depuis plusieurs années a entrepris des réformes saluées par les institutions
internationales. Sa notoriété est bien assise mais le même reproche revient fréquemment : le retard
pris dans la mise en oeuvre de ces réformes (code du travail, code de commerce, droit des
sociétés, création d’un « guichet unique » pour la création d’entreprise). Malheureusement les
réalisations sur le terrain sont faibles et l’opacité l’emporte sur la transparence. Plusieurs
institutions et/ou observatoires ont été crées mais ces organismes ne sont que consultatifs. Ces
décisions sont insuffisantes pour assurer la compétitivité de l’économie marocaine.
Le Maroc doit impérativement adopter cette flexibilité qui caractérise les économies dynamiques ;
un pays qui n’a pas de flexibilité se condamne de lui-même à subir les conséquences de la crise
internationale qui ne sera pas passagère ; elle sera durable et elle est l’occasion de se remettre en
cause et de se réformer au plan démocratique, sociale et économique. Personne ne remet en cause
l’économie de marché. Plusieurs chefs d’Etat comme le Président français critiquent le
fonctionnement des institutions internationales et veulent réformer le système monétaire
international.
Le Maroc doit se préparer pour l’après- crise, se repositionner et remettre en cause les choix
stratégiques faits dans le passé (notamment revoir les axes du plan Emergence). Il faut proscrire la
langue de bois et retrouver la voie de l’optimisme.
Les grands pays industrialisés européens et asiatiques, se sont positionnés et préparés depuis
plusieurs années à cette transformation économique et culturelle mondiale, par la réforme des
systèmes et des structures éducatives d’une façon rationnelle, par la création de filières de
formation débouchant sur des qualifications et des métiers innovants (formation d’ingénieurs en
TIC, télécommunication, génie, génétique) ; ils forment des gens pour créer de la valeur ajoutée
et créer de la richesse. Ils ont préparé l’avenir et la compétitivité de leur économie. Pour l’instant
le Maroc n’a rien fait ; il avance en reculant dans la compétition internationale. Il s’est lancé dans
des programmes d’arabisation, démocratisation, marocanisation… résultat aujourd’hui : il forme
des cadres et ingénieurs, des jeunes gens qui ont des diplômes mais pas de qualification, et qui ne
trouvent pas du travail.
Aujourd’hui la situation est dramatique, car le Maros est confronté à la crise, en ayant négligé son
capital humain qu’il lui aurait permis de mieux se positionner pour l’après- crise.
Vous me direz que mes propos sont apocalyptiques, je suis un professeur d’université é et je dois
utiliser le langage de la vérité. Maintenant je vous dirais que le Maroc pour affronter cette crise
dispose de beaucoup d’atouts et possibilités. L’Europe et les pays industrialisés ont profité de la
société de consommation, et aujourd’hui elle est derrière eux, alors que pour le Maroc la société
de consommation est devant nous, avec une démographie favorable et un marché intérieur en
croissance rapide. Cependant j’adresserais une critique au commissariat au plan : le manque de
visibilité. La création de Tanger-Med ne permet pas de dire que les problèmes sont résolus. Des
réalisations plus modestes existent. Il y a beaucoup d’initiatives et de bonne volonté chez les
marocains, qui sont prêts à entreprendre et à créer de la richesse mais du côté du Gouvernement il
n’ y pas de visibilité. Comme disait le philosophe : il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne
connaît pas son port » je vous remercie de votre attention.
…………………………………………………………………………………………………
Texte rédigé par Jean-Aymon MASSIE à partir de l’écoute des cassettes vidéo N°7 et 8
1 / 4 100%