Chapitre 22 CHIMIOTHERAPIE ANTICANCEREUSE ECN Module 10 Item 141 : Traitement des cancers. Item 142 : Prise en charge et accompagnement d’un malade cancéreux à tous les stades de sa maladie. Item 143 : Agranulocytose médicamenteuse : conduite à tenir. Objectifs - Savoir identifier les principales classes des médicaments anticancéreux - Connaître les principaux mécanismes d'action - Savoir relier les effets secondaires et toxiques aux principales classes - Connaître les bases de la surveillance des traitements anticancéreux - NB : 1) la partie relative à la pharmacogénomique s’adresse aux étudiants souhaitant approfondir ces questions, 2) retenir une molécule « chef de file » par famille Plan Introduction – Généralités Places des médicaments dans la prise en charge thérapeutique des cancers Considérations générales sur le mode d’action des anticancéreux A. Les anticancéreux cytotoxiques B. Les modulateurs de la réponse biologique Les médicaments anticancéreux : modes d’action A. Les anticancéreux cytotoxiques 1. Action en « amont » du matériel génétique : les antimétabolites 2. Action directe sur l’ADN ou ses enzymes associées B. Les modulateurs de la réponse biologique La résistance aux médicaments anticancéreux Effets indésirables et toxiques des chimiothérapies A. Les toxicités aigües B. Les toxicités chroniques ou différées Réduction des effets indésirables : considérations sur les voies d’administration Pharmacogénomique des anticancéreux ou l’individualisation des traitements A. Contribution de l’analyse somatique des tumeurs à la prise en charge médicamenteuse des cancers B. La pharmacogénétique ou comment le terrain génétique influence la réponse aux chimiothérapies anticancéreuses Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 1 INTRODUCTION – GENERALITES La prise en charge thérapeutique carcinologique est et restera dans les années qui viennent, un enjeu important tant pour la santé publique que pour les structures de recherche privées et publiques. Pendant longtemps, les affections cardiovasculaires ont constitué la première cause de mortalité dans les pays industrialisés, mais, l’efficacité des traitements et des méthodes de prévention primaire et secondaire de ces affections ont fait passer le cancer en première position. En France, l’incidence du cancer est estimée à environ 300000 nouveaux cas par an et 150000 personnes en décèdent dans la même période. Cette incidence est en régulière augmentation du fait de la conjonction de facteurs tels que le vieillissement de la population et l’amélioration des méthodes de détection et de diagnostic. Elle porte surtout sur le cancer de la prostate chez l’homme et le cancer du sein chez la femme. De façon tout à fait intéressante, l’augmentation de l’incidence est observée en parallèle d’une réduction de la mortalité dont la responsabilité incombe probablement à la détection de stades plus précoce mais aussi à l’amélioration des traitements. Les médicaments anticancéreux constituent une vaste famille dont les premiers représentants ont été développés au courant de la deuxième guerre mondiale à partir de l’observation des effets myélotoxiques du tristement célèbre gaz moutarde. En effet, l’ypérite, qui sous forme de gaz a une odeur de moutarde et tire son nom de la ville d’Ypres en Belgique où elle fût utilisée pour la première fois en 1917, a servi de base aux recherches menées à l’université de Yale aux Etats-Unis et qui ont conduit aux premiers agents alkylants. On peut diviser les médicaments anticancéreux en : - Agents cytotoxiques qui induisent une mortalité cellulaire par action directe ou indirecte sur l’acide désoxyribonucléique (ADN), l’acide ribonucléique (ARN) ou des protéines nécessaires à la division cellulaire. - Modulateurs de la réponse biologique qui soit (1) affectent les capacités de défense de l’hôte (interleukine-2, interféron-α ), (2) agissent sur le contrôle hormonal de la tumeur (hormonothérapie) ou (3) contrôlent l’appareil de signalisation de la cellule (anticorps monoclonaux dirigés contre des récepteurs et bloqueurs des tyrosines kinases). L’objectif de ce chapitre n’est pas de donner une connaissance approfondie de chacun des médicaments anticancéreux mais de fournir les bases nécessaires à la compréhension du maniement pratique de ces composés, en allant de leur manipulation et de leur préparation à la gestion clinique des effets indésirables. Néanmoins, pour chaque catégorie, la pharmacologie de ce que nous pouvons considérer comme la molécule chef de file sera détaillée. Nous évoquerons aussi des aspects nouveaux de thérapeutique individualisée en exposant comment les caractéristiques génétiques du malade et de sa tumeur peuvent entrer dans l’arbre décisionnel thérapeutique. PLACES DES MEDICAMENTS DANS LA PRISE EN CHARGE THERAPEUTIQUE DES CANCERS L’utilisation des médicaments en thérapeutique anticancéreuse ou chimiothérapie n’est pas systématique et se situe dans une stratégie qui intègre la chirurgie, l’ablation tumorale par radiofréquence ou congélation, la radiothérapie et la curiethérapie. Elle a pour objectif le traitement radical de la pathologie, mais, peut aussi être utilisée dans d’autres contextes. A. La chimiothérapie curative Elle est l’objectif de tout traitement anticancéreux, mais, c’est en hématologie qu’elle constitue la seule option. Dans ce cadre, des combinaisons de produits sont employées pour permettre une induction de rémission complète suivie d’une intensification et Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 2 enfin d’une phase d’entretien. On peut ainsi obtenir des guérisons dans les leucémies aiguës lymphoblastiques ou la maladie de Hodgkin. B. La chimiothérapie complémentaire d’un autre traitement Dans la majorité des cancers, en particulier solides, la chirurgie et la radiothérapie constituent la pierre angulaire d’un traitement qui se voit complété par la chimiothérapie. On dit que la chimiothérapie est adjuvante quand elle intervient après le traitement radiochirurgical. Elle a pour objectifs de traiter des micrométastases ou de compléter une exérèse incomplète. Au contraire, la chimiothérapie néoadjuvante survient avant le traitement locorégional du cancer. Cette stratégie s’adresse à la cure, aussi précoce que possible, de métastases dont on sait qu’elles sont quasiment toujours présentes au moment du diagnostic et pour lesquelles l’ablation de la tumeur primitive n’aura que peu d’impact. Elle est aussi effectuée pour réduire la masse tumorale en préopératoire pour en faciliter l’exérèse. C. La chimiothérapie palliative Malheureusement l’état d’avancement de la maladie au moment de son diagnostic ou la constatation d’une récidive importante rendent impossible l’espoir d’une thérapeutique radicale. Dans ces cas, la chimiothérapie peut encore largement avoir sa place ; a fortiori depuis l’avènement de médicaments administrables chroniquement par voie orale au prix d’effets indésirables acceptables. Ici, on va chercher à ce que la chimiothérapie permette un gain significatif de la survie et de la qualité de la vie. CONSIDERATIONS GENERALES SUR LE MODE D’ACTION DES MEDICAMENTS ANTICANCEREUX Si on devait comparer les médicaments anticancéreux à une autre classe, ce serait probablement aux anti-infectieux à qui ils ressemblent le plus. Ces derniers ont pour objectif de détruire des cellules indésirables qui se sont introduites dans notre organisme. A vu des différences considérables que des bactéries, des virus ou des parasites ont avec nos cellules eucaryotes, il est facilement concevable de développer des médicaments qui ciblent spécifiquement ces hôtes indésirables. En matière d’anticancéreux, le problème est beaucoup plus complexe puisque les cellules indésirables proviennent directement de l’organisme qui les héberge. Toute la difficulté du traitement médicamenteux des cancers réside donc en une gymnastique qui vise à identifier les particularités de la cellule cancéreuse la rendant plus sensible au médicament que les cellules saines. De ce degré de sélectivité dépendra l’efficacité du produit mais aussi les risques d’effets indésirables et toxiques. En d’autres termes, plus le phénotype d’une cellule saine ressemble à celui de sa cousine cancéreuse et plus elle sera affectée par le traitement anticancéreux. Pour cette raison, la majorité de ces médicaments ont un index thérapeutique étroit (rapport entre la concentration plasmatique efficace et la concentration toxique). On tente alors de réduire la toxicité de chaque médicament en faisant des associations (polychimiothérapies) visant à obtenir une synergie des effets sur les cellules cancéreuses tout en réduisant la toxicité individuelle de chacune des molécules, et en réalisant des schémas thérapeutiques qui permettent aux cellules saines de récupérer entre les séquences de traitement (successions des cures de chimiothérapie). Le deuxième problème posé par ces traitements est l’hétérogénéité de la population cellulaire cancéreuse. En effet, si on peut penser que la formation d’un cancer résulte de la division d’une seule cellule mère (on dit que la population est clonale), les cellules filles vont, en fonction de leur localisation, de l’influence de facteurs locaux et systémiques et de leur instabilité génétique, pouvoir présenter des phénotypes différents. De plus, toutes les cellules ne sont pas synchrones et une tumeur présente des cellules qui sont à des phases différentes Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 3 du cycle cellulaire. Cette donnée est particulièrement importante dans les tumeurs de grande taille où l’on va trouver simultanément des cellules entrées dans le cycle cellulaire, des cellules quiescentes et des cellules nécrotiques ou apoptotiques. Dès lors, on peut comprendre qu’à un moment donné un médicament n’ait pas la même action sur l’ensemble de la population. C’est ainsi que certains produits agissent surtout au moment de la synthèse des nucléotides et ne seront donc actifs que sur les cellules en phase S du cycle cellulaire (Cf cidessous). Il sera alors nécessaire soit de synchroniser les cellules, soit de répéter les cures pour atteindre des cellules non affectées lors de la cure précédente. Cette variation phénotypique au sein d’une population de cellules cancéreuses constitue, là encore, une raison d’associer des médicaments anticancéreux au cours d’une même séquence de traitement. Finalement, et l’on retrouve là un problème posé par certains microorganismes infectieux, les cellules cancéreuses sont capables de développer des phénomènes de résistance. Elles peuvent être d’emblée résistantes, contre-indiquant ainsi l’emploi de la molécule concernée, ou devenir résistantes à l’occasion de la répétition des cures. Cette acquisition de résistance est responsable d’un échappement thérapeutique qui oblige à passer à un autre protocole appelé aussi « ligne » de chimiothérapie. La recherche cancérologique a donc pour objectifs de trouver de nouveaux produits mais aussi de nouvelles combinaisons permettant de répondre aux multiples obstacles cliniques et biologiques qu’offre cette maladie. C’est probablement pour cette raison que la classe médicamenteuse et les protocoles de chimiothérapie sont aussi complexes. Nous nous contenterons ici de donner une vue générale des molécules individuelles en voyant successivement les agents cytotoxiques puis les modulateurs de la réponse cellulaire. A. Les anticancéreux cytotoxiques Comme nous l’avons vu plus haut, ces médicaments ciblent la synthèse du matériel génétique (ADN, ARN) et des protéines impliquées dans la mitose. Ils ont donc des effets reliés à la phase du cycle cellulaire dans laquelle se trouve la cellule. Le cycle cellulaire se compose de la succession des phases suivantes : - la phase G1 (ou G0 pour des cellules quasiment quiescentes) est la plus longue et la plus variable. Tous les métabolismes ont lieu à l’exception de la synthèse de l’ADN. Selon les cancers 75 à 90% des cellules sont dans cette phase et sont donc peu sensibles aux médicaments « cycle-dépendants ». - la phase S suit la phase G1. Elle se caractérise par une activité intense de synthèse d’ADN en préparation à la réplication. - la phase G2 permet la constitution de l’appareil mitotique (polymérisation des microtubules entre autres). Pendant cette phase, la cellule synthétise des protéines et a donc besoin de transcrire son ADN en ARNm. - la mitose ou phase M est l’aboutissement de la succession des phases S et G2. Elle est rapide et constituée par la succession de la prophase (condensation des chromosomes puis disparition de la membrane nucléaire), de la métaphase (polymérisations et dépolymérisations des microtubules qui conduisent à la localisation équatoriale des chromosomes), de l’anaphase (migration polaire des chromosomes) et de la télophase (division cellulaire). Certains médicaments sont dits « cycle dépendants » car n’agissent que sur les cellules engagées dans le cycle cellulaire quelle qu’en soit la phase (exemple des agents alkylants) et les produits « phase dépendants » qui ne sont actifs que pendant une phase précise du cycle (exemple des poisons du fuseau mitotique qui sont actifs en phase M). Ainsi, si on veut utiliser un produit « cycle-dépendant », il faut préalablement faire entrer les cellules dans le cycle cellulaire en les sortant de la phase G0. Ceci peut être obtenu par une réduction de la masse tumorale ou l’utilisation Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 4 d’adriamycine. Quand on souhaite employer un produit « phase-dépendant », on va préalablement bloquer les cellules dans le stade correspondant par exemple en phase M avec un alcaloïde de la Pervenche ou en phase S avec du méthotrexate. Le blocage en phase S permet d’obtenir l’efficacité optimale des antimétabolites. On peut donc diviser les cytotoxiques en fonction de leur action cycle et phase dépendante et de leur cible moléculaire. Dans ce dernier cas, on distingue les médicaments dont l’action est centrée sur l’ADN et l’ARN (en empêchant leur synthèse ou leur lecture) et ceux qui agissent sur des protéines. La Figure 1 illustre schématiquement les sites d’action des sous-groupes de médicaments qui ciblent le matériel génétique ou les protéines particulièrement impliquées lors de la mitose. Les antimétabolites affectent le métabolisme des nucléotides en inhibant leur synthèse ou en formant des nucléotides anormaux qui, incorporés dans l’ADN, vont introduire des arrêts de transcription ou nécessiter une résection suivie d’une réparation. Les médicaments qui agissent directement sur l’ADN ou sur des protéines qui y sont associées vont se glisser entre les brins pour y induire des cassures ou vont affecter l’activité de l’ADN polymérase. Les inhibiteurs des topoisomérases vont toucher les processus de compaction et de décompaction des gènes. Finalement, les produits qui agissent en aval de l’ADN affectent le fonctionnement de protéines, en particulier les poisons du fuseau mitotique qui vont bloquer les cellules en métaphase de la phase M (alcaloïdes de la Pervenche et de l’If). B. Les modulateurs de la réponse biologique Les modulateurs de la réponse biologique constituent toute une famille de drogues qui vont des immunomodulateurs (interleukine, interféron) aux inhibiteurs des tyrosinekinases, en passant par les anticorps monoclonaux et l’hormonothérapie. Dans la période la plus récente sont apparus les premiers médicaments affectant directement l’appareil de signalisation de la cellule. C’est ainsi que des médicaments ciblant le récepteur de l’Epidermal Growth Factor (EGFR) et son activité tyrosine kinase ont été développés. Ce récepteur fait partie d’un groupe de quatre récepteurs à activité Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 5 tyrosine kinase (Figure 2) : HER1 (= ErbB-1 ou EGFR), HER2 (= ErbB-2 ou HER2/cneu), HER3 (= ErbB-3) et HER4 (= ErbB-4). L’homo ou l’hétérodimérisation de ces récepteurs conduit à la stimulation de leur activité enzymatique. Ils s’autophosphoryles sur les résidus tyrosine intracellulaires (Y) et activent ainsi leur voie de couplage qui conduit à la synthèse d’ADN et à la prolifération cellulaire. On dispose d’anticorps monoclonaux qui ciblent EGFR et HER2 (cétuximab, panitumumab, trastuzumab ; suffixe « mab » pour les anticorps médicaments) et des bloqueurs plus ou moins sélectifs de l’activité kinase (phosphorylation) des quatre récepteurs HER (géfitinib, erlotinib, lapatinib ; suffixe « nib » pour la dénomination commune internationale) (Figure 2). Dans les médicaments modulateurs de la réponse biologique, on trouve aussi des hormones et des antihormones. A titre d’exemple, le cancer de la prostate « hormonodépendant » prolifère sous l’action de la testostérone (Cf plus loin et Figure 4). Finalement, la thérapeutique anticancéreuse dispose aussi de puissants immunomodulateurs. Parmi ceux-ci l’interféron-α et l’interleukine-2 (IL-2) sont les plus utilisés. L’IL-2 est un petit peptide appartenant à la grande famille des cytokines. Elle est sécrétée par les lymphocytes T « helpers » et exerce de multiples effets sur les cellules de la lignée lymphoblastique (prolifération des lymphocytes T « helpers », Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 6 prolifération et maturation des lymphocytes B, prolifération des cellules NK, libération de lymphokines). Ces actions de stimulation immunologique sont exploitées dans le traitement du cancer du rein métastasé ou du mélanome métastasé. LES MEDICAMENTS ANTICANCEREUX : MODES D’ACTION A. Les anticancéreux cytotoxiques 1. Action en « amont » du matériel génétique : les antimétabolites Ce sont des analogues structuraux des bases nucléiques ou faux substrats qui vont s’incorporer dans l’ADN à la place des bases puriques (adénine, guanine) ou pyrimidiniques (thymine, cytosine, uracile), ou inhiber des voies métaboliques qui participent à la biosynthèse de ces bases (inhibition de la synthèse d’acide folique par les antifoliques). La table 1 mentionne tous les médicaments appartenant à ce groupe. Les antimétabolites Dénomination commune internationale Antipyrimidiniques fluororuracile (5-FU) capécitabine gemcitabine tegafur-uracile cytarabine azacitidine Antipuriques mercaptopurine azathioprime fludarabine cladribine clofarabine nélarabine pentostatine Anti-foliques méthotrexate pémétrexed Autres hydroxyurée (hydroxycarbamide) Nom de spécialité Fluorouracile Xéloda Gemcitabine Gemzar UFT Aracytine Cytarabine Depocyte Vidaza Purinéthol Imurel Fludara Leustatine Litak Evoltra Atriance Nipent Méthotrexate Ledertrexate Alimta Hydréa Table 1 : les médicaments cytotoxiques dits « antimétabolites » a. Les inhibiteurs de la synthèse de l’acide folique (les antifoliques) L’acide folique ou vitamine B9 (« folique » qui vient du mot latin folium voulant dire « feuille » pour rappeler la richesse des feuilles d’épinards en cette vitamine) est une substance indispensable à la synthèse de d’ARN et de l’ADN. Les besoins sont particulièrement importants pour toutes les cellules normales en croissance rapide (embryon, fœtus, enfant, épithélium) mais aussi, bien entendu, pour les cellules cancéreuses. Elle va subir plusieurs réductions permettant de générer de l’acide tétrahydrofolique qui est un cofacteur indispensable à la synthèse des bases puriques (adénine, guanine) et de la thymidine (base pyrimidinique) passant par la thymidylate synthase (TS) (Figure 3). Dans cette voie métabolique complexe, nous avons Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 7 représenté les deux enzymes clés que sont la TS et la dihydrofolate réductase (DHFR). La DHFR est bloquée par le méthotrexate alors que la TS est inhibée par les métabolites polyglutamates du méthotrexate et les métabolites actifs du 5 fluorouracile (5-FU). On va retrouver le 5-FU dans les antithymidiniques puisqu’il agit aussi sous la forme d’un faux substrat de la synthèse de l’ADN, un effet complémentaire de son action métabolique. La capécitabine et le ftorafur sont deux prodrogues orales du 5-FU. Dans l’UFT (Uracile FTorafur), ce dernier est associé systématiquement à l’uracile qui va inhiber la dihydropyridine deshydrogénase (DPD), première enzyme responsable du métabolisme du 5-FU. Cette association fixe permet de majorer fortement les concentrations plasmatiques du 5-FU. Dans les protocoles de chimiothérapie, le 5-FU est souvent associé à de l’acide folinique (protocole FU-FOL). Cette combinaison majore fortement la toxicité du 5-FU en générant du 5,10-méthylène tétrahydrofolate puissamment cytotoxique. Finalement, le pémétrexed est un antifolate de dernière génération pour des indications pneumologiques (mésothéliome, cancer bronchique non à petites cellules) qui possède la capacité de bloquer simultanément plusieurs enzymes de la voie ; cette molécule inhibe la DHFR, la TS et la glycinamide ribonucléotide formyltransférase (GARFT). b. Les antipyrimidiniques Pour la plupart, ces substances exercent des effets complexes passant par l’inhibition d’enzymes impliquées dans la synthèse de l’ADN mais aussi en s’incorporant dans l’ADN et/ou l’ARN à la place des nucléotides normaux. On retrouve le 5-FU comme chef de file de cette famille puisque deux de ces métabolites, le fluorodéoxyuridine monophosphate et le 5-fluorouracile trisphosphate peuvent s’incorporer respectivement dans l’ADN et l’ARN pour en altérer le métabolisme et la fonction. La gemcitabine s’incorpore dans l’ADN et cette fixation induit des erreurs irréversibles sur le cadre de lecture. De la même manière, l’azacitidine, en s’incorporant dans Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 8 l’ADN va réduire le niveau de méthylation de ce dernier et donc produire des anomalies de l’expression génique. Finalement, l’incorporation de la cytarabine est responsable de l’inhibition de l’ADN polymérase et donc de la synthèse du matériel génétique. c. Les antipuriques Ces médicaments ont des modes d’action très voisins des antipyrimidiniques puisqu’ils entrent dans les cellules pour y être métabolisés et agir comme faux substrats de la voie de biosynthèse des purines. Ils vont donc altérer la synthèse de l’adénine et de la guanine puis être incorporés dans l’ADN et l’ARN comme de « fausses bases ». Les plus vieux chefs de file sont la mercaptopurine Purinéthol et la thioguanine Lanvis. Ces produits sont des analogues de la guanine utilisés principalement dans la prise en charge des leucémies. 2. Action directe sur l’ADN ou ses enzymes associées Ces produits sont schématiquement divisés en 4 catégories : les alkylants, les intercalants, les scindants et les inhibiteurs des topoisomérases. a. Les médicaments alkylants L’alkylation est l’action de remplacer un hydrogène (proton) par un groupement alkyle (méthyle, éthyle, propyle etc … en fonction du nombre des atomes de carbone). A priori, cette alkylation peut se faire sur toutes les molécules hydrogénées mais en cancérologie, on considère que seule l’alkylation du matériel génétique concoure à l’effet cytotoxique. Les alkylants sont extrêmement réactifs et vont produire des lésions covalentes entre les brins d’ADN, ce qui a pour effet d’entraver les processus de réplication et de transcription. De nombreux produits font partie de cette famille. Nous traiterons ici uniquement le cisplatine qui, au titre de la famille des organoplatines et de son utilisation large (cancers : ovaire, testicule, prostate, ORL, vessie et poumon), peut être considéré comme un chef de file. Les alkylants Dénomination commune internationale Moutardes à l’azote busulphan melphalan chlorméthine chlorambucil cyclophosphamide ifosfamide Dérivés du platine cisplatine carboplatine oxaliplatine Nitrosourées lomustine carmustine fotémustine streptozotocine Nom de spécialité Busilvex Alkéran Caryolysine Chloraminophène Endoxan Holoxan Cisplatine Cisplatyl Carboplatine Eloxatine Oxaliplatine Belustine Bicnu Gliadel Muphoran Zanosar Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 9 Autres mitomycine C dacarbazine estramustine altrétamine busulphan procarbazine témozolomide thiotépa pipobroman trabectédine Amétycine Déticène Estracyt Hexastat Myléran Natulan Témodal Thiotepa Vercyte Yondélis Table 2 : les médicaments cytotoxiques dits « alkylants » Le cisplatine et autres dérivés du platine Le cisplatine et ses dérivés, oxaliplatine et carboplatine, sont hydratés in vivo et agissent comme des alkylants créant des ponts intra- et intercaténaires dans l’ADN, principalement entre les groupements phosphates et les guanines. Si les modes d’action sont communs, les trois produits diffèrent par leur pharmacocinétique et leurs effets indésirables. Ces derniers semblent dépendre du taux de fixation aux protéines plasmatiques. Ces organoplatines sont tous rapidement excrétés par voie urinaire, leur vitesse d’élimination dépendant de leur taux de fixation aux protéines plasmatiques. En pratique, plus le médicament est lié, moins rapide est son excrétion et plus il est toxique, y compris sur le rein. Le cisplatine a un taux de fixation de plus de 90%. Cette « rétention » dans l’organisme le rend le plus toxique de tous les dérivés du platine. Il est ainsi fortement émétisant, néphrotoxique, neurotoxique et ototoxique. Seule la myélotoxicité semble échapper à cette règle puisque le cisplatine est peu myélotoxique au contraire du carboplatine. Le cisplatine est probablement un des produits anticancéreux les plus émétisants. Les malades bénéficient de la prise en charge de cet effet secondaire par un antagoniste des récepteurs 5-HT3 de la sérotonine (ou sétron) tel que l’ondansétron Zophren. Depuis peu, on dispose aussi d’un autre antiémétique, l’aprépitant Emend, qui est un antagoniste du récepteur NK1 de la substance P et qui est utilisé en association avec un sétron et un glucocorticoïde. La néphrotoxicité du cisplatine peut être réduite par une diurèse forcée générée par l’hyperhydratation, ce qui n’est pas nécessaire avec le carboplatine et l’oxaliplatine. On peut encore noter que la cytotoxicité des organoplatines est fortement potentialisée par le 5-FU. b. Les médicaments intercalants Les médicaments intercalants se placent dans les sillons de l’ADN et forment un complexe trimérique entre le médicament, l’ADN et la topoisomérase de type II. Cette formation concourre au blocage de la transcription. Par soucis de clarté, nous les séparons ici des inhibiteurs directs des topoisomérases. Les deux chefs de file de cette famille sont l’adriamycine et la daunorubicine qui ont donné naissance au groupe des anthracyclines. Les intercalants Dénomination commune internationale Nom de spécialité Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 10 Anthracyclines doxorubicine idarubicine daunorubicine épirubicine pirarubicine Adriblastine Zavedos Cérubidine Daunoxome Farmorubicine Théprubicine Anthracènediones mitoxantrone Novantrone Table 3 : les médicaments intercalants. Les anthracyclines sont des antibiotiques extraits d’actinobactéries du genre streptomyces. Leur suffixe rubicine rappelle leur couleur rouge intense bien visible dans les flacons de poudre pour solution injectable. Elles agissent en s’intercalant entre les deux brins de l’ADN ce qui bloque l’action de la topoisomérase II, enzyme responsable de la cassure bicaténaire de l’ADN nécessaire à la transcription. Ces médicaments sont aussi fortement oxydés dans les mitochondries générant ainsi la production importante de radicaux libres d’oxygène. Ces radicaux libres (anion superoxyde, peroxyde d’hydrogène, hydroxyle radicalaire) sont responsables de la cardiotoxicité aiguë de ces médicaments mais aussi, pour partie, de leur effet anticancéreux. Il est donc difficile de séparer cette toxicité de l’effet thérapeutique. Les effets cardiotoxiques immédiats peuvent se manifester pendant ou dans les heures qui suivent la perfusion de doxorubicine par exemple. Ils se manifestent sous la forme de modifications électrocardiographiques à type de troubles du rythme ou d’allongement de l'espace QT. Un bilan cardiologique préthérapeutique est indispensable au même titre qu’un suivi ECG fréquent (ou monitoring ECG continu). Il faudra aussi penser à contrôler d’éventuels troubles électrolytiques, eux-mêmes pourvoyeurs d’arythmies. Les aspects de toxicité cardiaque chronique sont discutés plus loin. Les anthracyclines sont aussi fortement hématotoxiques et ont été rendues responsables de l’apparition de leucémies secondaires. Elles induisent très fréquemment une alopécie à l’arrêt du traitement. Des mucites iatrogènes sont aussi possibles et devront être prévenues (Cf infra). c. Les médicaments scindants Le principal médicament scindant est la bléomycine. Ce produit est, lui aussi, un antibiotique d’origine naturelle. Elle agit en induisant des coupures monocatéraires de l’ADN mais tous ses effets ne sont pas connus. Sa toxicité pulmonaire est détaillée plus loin. On peut néanmoins insister ici sur le fait que cette toxicité est potentialisée par l’administration simultanée d’oxygène pur. Celle-ci doit donc être évitée, particulièrement chez les malades ventilés. d. Les inhibiteurs des topoisomérases Les topoisomérases sont des enzymes clés dans les processus de réplication. Elles permettent de couper les brins d’ADN pour les dérouler (ADN gyrases ou topoisomérases II) et d’induire des coupures bicaténaires pour séparer les chromosomes avant la mitose (topoisomérases I). Ces deux types de topoisomérases sont ciblées par des anticancéreux. Le produit le plus utilisé est l’irinotécan. Il entre dans des protocoles d’associations d’agents anticancéreux. Les inhibiteurs de topoisomérases Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 11 Dénomination commune internationale Nom de spécialité Inhibiteurs de la topoisomérase I irinotécan Campto topotécan Hycamptin Inhibiteurs de la topoisomérase II (épipodophyllotoxines) étoposide Vépéside Table 4 : les inhibiteurs des topoisomérases. L’irinotécan et son principal métabolite actif, le SN-38, sont des inhibiteurs de la topoisomérase I. Ce blocage produit une cassure monobrin de l’ADN au lieu de la cassure double brin indispensable à la formation de la fourche de réplication. Cette anticancéreux va donc bloquer les cellules au moment où elles synthétisent de l’ADN, c’est à dire en phase S. Cette molécule va agir fortement sur les cellules en division ce qui occasionne de fréquentes diarrhées et une toxicité hématologique à type de leucopénie. On peut aussi noter que ce produit est un inhibiteur de l’acétycholine estérase. Il peut donc renforcer l’activité du système parasympathique ou vagal. C’est ainsi que 9% des malades peuvent présenter un syndrome cholinergique avec des manifestations cardiovasculaires (bradycardie, hypotension), digestives (hypersalivation, nausées, vomissements, crampes abdominales), ophtalmologiques (conjonctivite, larmoiement, troubles visuels, myosis) et des signes généraux (hypersudation, malaise, vertige). Ces troubles surviennent pendant ou dans les 24 heures suivant l'administration d’irinotécan. Ces symptômes cèdent à l'administration d'un antagoniste muscarinique comme l’atropine. Ce risque est plus faible lorsque l’irinotécan est utilisé en association. On doit noter que le topotécan est dépourvu de cet effet cholinergique et que les troubles digestifs induit par cette molécule sont surtout la conséquence d’un effet antiprolifératif sur les muqueuses gastrointestinales. L’étoposide est un alcaloïde (composé azoté complexe produit par un organisme végétal) dérivé de la podophyllotoxine, une substance d’origine naturelle que l’on peut extraire de Podophyllum peltatum (plante d’Amérique du nord) mais aussi de la célèbre mandragore (Mandragora officinarum). La podophyllotoxine est un antiviral et anticancéreux utilisée tel quel, sous le nom de Condyline, en application locale dans le traitement des condylomes acuminés (verrues anogénitales). L’étoposide bloque les cellules en phase S de la mitose du fait de l’induction de coupures multiples dans l’ADN suite à l’inhibition de la topoisomérase II. En dehors de ses effets indésirables classiques pour un antimitotique (toxicité digestive et hématologique), on peut mentionner sa contre-indication chez les malades intolérants au fructose du fait de la présence de sorbitol dans la préparation galénique. e. Les poisons du fuseau mitotique Les poisons du fuseau mitotique, appelés aussi agents « tubulo-affines », agissent de manière directe sur les molécules de tubuline indispensables à la constitution du fuseau mitotique et à la migration polaire des chromosomes pendant la mitose. Tous les médicaments de cette famille sont caustiques au point d’injection et nécessitent des précautions et une surveillance particulières. On doit prévenir l’extravasation et des mesures d’urgence seront à mettre en place rapidement en cas de survenue (Cf infra). On dispose de deux familles de produits d’origine naturelle : Les alcaloïdes de la Pervenche (Vinca rosea) ont une dénomination commune internationale qui débute toujours par « vin » : vinblastine, Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 12 vindésine etc… Ces produits utilisés depuis le début des années 1960 produisent une déstabilisation de la tubuline. Les alcaloïdes de l’If (Taxus baccata) ou « taxanes » ont une dénomination commune internationale qui se termine toujours par « taxel » : paclitaxel, docétaxel et agissent en stabilisant la tubuline et dont en empêchant les processus de polymérisation/dépolymérisation nécessaires à la constitution et à la rétraction du fuseau mitotique. Les poisons du fuseau mitotique Dénomination commune internationale Les alcaloïdes de la Pervenche vinblastine vindésine vinorelbine vincristine Les alcaloïdes de l’If (taxanes) paclitaxel docétaxel Nom de spécialité Velbé Eldisine Navelbine Vinorelbine Oncovin Vincristine Taxol Taxotère Table 4 : les poisons du fuseau mitotique. Les alcaloïdes de la Pervenche se lient à la tubuline qui est une protéine cytosolique existant sous deux formes : dimérique et multimérique. La vinblastine et ses analogues se fixent sur le dimère et empêchent donc la polymérisation. Ce blocage va s’exprimer sur les cellules en division en bloquant la mitose en métaphase mais aussi sur les neurones où ces molécules vont perturber la formation des neurotubules et la neurotransmission. Du fait de problèmes pharmacocinétiques et de leur extrême causticité, commune à toutes les molécules de la famille, on ne les utilise que par voie intraveineuse. Une attention toute particulière doit être apportée au rinçage des tubulures de perfusion et à la prévention de l’extravasation. La toxicité varie d’une molécule à l’autre. De manière schématique, la vincristine est la plus neurotoxique, responsable de neuropathies périphériques, alors que la vinblastine est surtout hématotoxique (leucopénie et thrombopénie plus modérée). La neurotoxicité s’exprime sous la forme d’atteintes des nerfs sensitivo-moteurs périphériques (abolition des réflexes ostéotendineux), des anomalies centrales avec surtout la vincristine (abaissement du seuil épileptogène, effet antidiurétique) et des plexus mésentériques (constipation, douleurs abdominales). Les « taxanes » (paclitaxel, docétaxel) sont des anticancéreux apparus récemment (AMM en 1993 et 1995 respectivement). Ils favorisent l'assemblage des dimères de tubuline en microtubules Ainsi, ils stabilisent les microtubules en inhibant leur dépolymérisation et en figeant le réseau microtubulaire qui devient incapable de se réorganiser comme cela est nécessaire lors de l'interphase et de la mitose. Les toxicités les plus fréquentes sont la myélotoxicité, l’allergie, des neuropathies périphériques et des réactions au point d’injection (œdème, induration, nécrose, dépigmentation). Finalement, dans cette catégorie des inhibiteurs de protéines agissant « en aval » de l’ADN on trouve la L-asparaginase Kidrolase et le bortézomib Velcade. La L-asparaginase est une enzyme injectable qui hydrolyse l’asparagine sanguine, la rendant ainsi indisponible pour les cellules leucémiques qui sont, au contraire des Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 13 cellules normales, incapables de réaliser une synthèse de novo d’asparagine. Elle est peu toxique sur le plan hématologique et expose, du fait de sa nature peptidique, essentiellement à un risque allergique. Le bortézomib est un inhibiteur réversible et très sélectif du protéasome, grosse structure protéique à activité enzymatique impliquée dans la dégradation des protéines ubiquitinylées. Cette inhibition conduit à un arrêt du cycle cellulaire et à une apoptose. Ce médicament est utilisé dans le traitement du myélome multiple. B. Les modulateurs de la réponse biologique Comme nous l’avons vu plus haut, de nombreuses classes de produits entrent dans cette catégorie. Elles sont regroupées dans les tables 5, 6 et 7. Immunomodulateurs et hormonothérapie Dénomination commune internationale Nom de spécialité Modulateurs de la réponse de l’hôte BCG thérapie Immucyst Interleukine-2 (IL-2) Proleukin Interféron-α (IFN-α) Roféron A Antagonistes hormonaux et inhibiteurs de l’aromatase Dirigés « contre » les oestrogènes Antagonistes du récepteur des oestrogènes fulvestrant Faslodex tamoxifène Nolvadex torémifène Fareston Inhibiteurs de l’aromatase anastrozole Arimidex exemestane Aromastine létrozole Fémara Dirigés « contre » la testostérone Antagoniste de la Gn-RH dégarélix Firmagon Antagonistes de la testostérone bicalutamide Casodex cyprotérone Androcur flutamide Prostadirex◊ nilutamide Anandron Agonistes hormonaux Agonistes de la LH-RH buséréline Supréfact goséréline Zoladex leuproréline Enantone triptoréline Décapeptyl Oestrogènes diéthylstilbestrol Distilbène Progestatifs médroxyprogestérone Dépo-Prodasone Farlutal mégéstrol Mégace Analogues de la somatostatine Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 14 lanréotide octréotide Somatuline Sandostatine Table 5 : les modulateurs de la réponse biologique (immunomodulateurs et médicaments agissant sur une transmission hormonale). Les axes hormonaux sont particulièrement ciblés dans le cadre du traitement du cancer hormonodépendant de la prostate (Figure 4). Le cancer prostatique passe par plusieurs stades dont le premier est souvent qualifié d’« hormonosensible » car les cellules voient leur prolifération stimulée par la testostérone. Malheureusement, dans un délai moyen de 24 mois après l’instauration du traitement, les cellules présentent des mutations qui les rendent hormonorésistantes. Dans la première phase, le traitement repose sur les analogues de la LHRH. Ces produits activent le récepteur hypophysaire de l’hormone hypothalamique LH-RH ou Gn-RH. Ce choix thérapeutique peut sembler étonnant puisqu’il va conduire à une majoration de la synthèse et de la libération de la testostérone testiculaire (effet « flare up » qui veut dire « embrasement »). On limite les effets de cette hormone par l’utilisation préalable d’un antagoniste du récepteur de la testostérone. Puis, dans une deuxième phase, le récepteur de la LH-RH se désensibilise et les sécrétions de la LH et de la FSH s’effondrent, abolissant ainsi la sécrétion de la testostérone. Les effets sur le cancer primitif et ses métastases peuvent être spectaculaires. Dans les stades avancés, on peut utiliser un antagoniste du récepteur de la LHRH et du diéthylstilbestrol. Ce dernier est un œstrogène synthétique tristement célèbre. Son emploi sous le nom de Distilbène, chez des femmes enceintes a occasionné de nombreuses malformations ainsi que des effets retardés chez des filles nées de femmes ayant pris le produit pendant leur grossesse (cancer du vagin à petites cellules, fausses couches multiples). Sa seule indication est le cancer prostatique avancé où il réduit les effets de la testostérone et exercerait des effets spécifiques indépendants de son récepteur. Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 15 L’hormonothérapie est aussi utilisée dans la prise en charge du cancer du sein sensible à l’action proliférative des oestrogènes. On utilise des antagonistes du récepteur des oestrogènes et des inhibiteurs de l’aromatase, une enzyme localisée dans de nombreux tissus comme l’ovaire, le cerveau, le tissu adipeux, la peau ou l’os et qui convertit la testostérone en oestradiol. Finalement, ce cancer peut aussi répondre à des dérivés synthétiques de la progestérone. Les analogues de la somatostatine (agonistes du récepteur SSTR2) ont des indications limitées aux tumeurs neuroendocrines carcinoïdes. La dernière révolution dans le domaine des médicaments anticancéreux porte sur le ciblage spécifique de voies de transduction intracellulaires impliquées dans le développement de certains cancers. On y trouve des anticorps monoclonaux (on les appelle des biomédicaments) (Table 6) et des inhibiteurs de kinases (Table 7). Dénomination commune internationale Nom de spécialité Anticorps monoclonaux dirigés contre les lymphocytes (cible entre parenthèses) rituximab (CD20, lymphocytes B) Mabthera alemtuzumab (CD52, lymphocytes B et T) Mabcampath catumaxomab (CD3, lymphocytes B) Removab ibritumomab (CD2, lymphocytes B) Zévalin Anticorps monoclonaux dirigés contre les récepteurs HER (cible entre parenthèses) cétuximab (EGFR, HER1) Erbitux panitumumab (EGFR, HER1) Vectibix trastuzumab (HER2) Herceptin Anticorps monoclonal dirigé contre le VEGF bévacizumab (VEGF) Avastin Table 6 : les anticorps monoclonaux. Dénomination commune internationale Nom de spécialité Les inhibiteurs des tyrosines kinases (cible entre parenthèses) Sprycel dasatinib (Bcr-Abl) Glivec imatinib (Bcr-Abl) Tasigna nilotinib (Bcr-Abl) Tarcéva erlotinib (HER1) Iressa géfitinib (HER1) Tyverb lapatinib (HER1/HER2) Nexavar sorafénib (multikinases) Sutent sunitinib (multikinases) Inhibiteur de la protéine kinase mTOR évérolimus Afinitor temsirolimus Torisel Table 7 : les inhibiteurs de kinases. En termes de modes d’action, ces produits ont été détaillés dans le paragraphe général de description des classes de produits. On peut néanmoins signaler quelques aspects pratiques. Les anticorps sont des produits obligatoirement injectables et à temps de demi-vie d’élimination prolongée (prises espacées). Ils peuvent occasionner des réactions allergiques Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 16 de niveaux variables. Les inhibiteurs de kinases sont des anticancéreux qui sont tous administrés par voie orale. Ce protocole a considérablement amélioré la qualité de vie des malades ainsi que la prise en charge thérapeutique. LA RESISTANCE AUX MEDICAMENTS ANTICANCEREUX CYTOTOXIQUES Des cellules cancéreuses peuvent résister à un traitement soit d’emblée (résistance constitutive) soit acquérir leur résistance en cours de traitement ou lors d’une rechute alors qu’elles étaient initialement sensibles (résistance acquise). Cette acquisition de résistance peut provenir d’une pression de sélection de cellules d’emblée résistantes au sein de la tumeur initiale ou provenir de l’instabilité génétique de la tumeur qui produit des modifications de la cible des anticancéreux. Les mécanismes de résistance aux anticancéreux sont multiples et impliquent des caractéristiques intrinsèques des tumeurs et cellules cancéreuses ainsi que de facteurs constitutionnels du patient et indépendants du traitement (terrain génétique). A. Caractéristiques de la tumeur Un anticancéreux peut ne pas être actif parce que les cellules tumorales se multiplient trop lentement (trop peu de cellules sont affectées à un instant donné qui est celui de l’administration du traitement), qu’elle est peu vascularisée (inaccessibilité des médicaments) ou que sa localisation rend la diffusion des médicaments difficile (barrière hématoencéphalique). B. Caractéristiques génétiques du malade (terrain) De nombreux anticancéreux doivent être métabolisés soit pour être rendus actifs (activation de prodrogues) soit pour être éliminés. Une réduction d’activité métabolique activatrice (irinotécan) ou une augmentation du catabolisme (cyclophosphamide, bléomycine) peuvent conduire à une réduction d’activité des anticancéreux. C. Caractéristiques moléculaires de la cellule cancéreuse La concentration intracellulaire du cytotoxique peut ne pas être suffisante en raison de : - L’activité de transporteurs membranaires des médicaments : réduction de l’activité de transporteurs d’influx nécessaires à l’entrée du médicament (méthotrexate) ou surexpression de transporteurs d’efflux (majoration de la sortie) comme la P-glycoprotéine (PgP) qui conduit souvent à une résistance croisée (antifoliques, alcaloïdes de la Pervenche, taxanes). - L’activité de systèmes enzymatiques avec une réduction de l’activation intracellulaire (antifoliques) ou une majoration de la dégradation (désamination de la cytarabine). On peut aussi observer des modifications de la cible de l’anticancéreux. Ces modifications peuvent être : - Quantitatives : surexpression de la cible qui conduit à une posologie relative insuffisante du médicament (dihydrofolate réductase surexprimée lors d’un traitement par méthotrexate). - Qualitatives : mutations du site de fixation du médicament (mutations des topoisomérases I et II). Finalement, on peut aussi assister à la mise en place de mécanismes de protection de la cellule cancéreuse par majoration de l’activité de systèmes de réparation de l’ADN Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 17 (ERCC1 et cisplatine, Cf infra) ou protection vis à vis de la mort cellulaire programmée par apoptose par la surexpression de gènes antiapoptotiques (survivine et résistance aux taxanes) ou la répression de gènes proapoptotiques (inactivation du gène suppresseur de tumeurs p53). EFFETS INDESIRABLES ET TOXIQUES DES CHIMIOTHERAPIES : aspects pratiques de leur gestion clinique La toxicité des médicaments anticancéreux peut se diviser en une toxicité aiguë et une toxicité chronique. La toxicité aiguë apparaît quelques heures à quelques jours après l’administration du produit. Elle dure de quelques heures à quelques jours et semble étroitement liée à la dose administrée. Les principales toxicités sont cotées à l’aide d’échelles qui, pour partie, conditionnent l’attitude pour la suite de la thérapeutique. C’est ainsi que l’on va évaluer l’ampleur d’une neutropénie ou des diarrhées. Bien entendu, il faudra faire la part des choses entre une allopécie sévère qui n’engage pas le pronostic vital et une diarrhée sévère potentiellement létale du fait des conséquences ioniques qu’elle engendre. La prise en charge clinique de cette toxicité fait partie du corps de métier infirmier tant dans l’aide au diagnostic que pour son traitement (exemple de la mucite due au cytotoxiques). La toxicité chronique prend tout son sens à une époque où les traitements ont considérablement augmenté le pronostic vital des malades. Elle peut se manifester plusieurs mois à plusieurs années après la fin d’un traitement. C’est ainsi que le traitement d’un cancer du sein par des anthracyclines peut provoquer une insuffisance cardiaque extrêmement sévère 10 ans après le traitement. La compréhension des mécanismes impliqués peut conduire à mettre en place des méthodes préventives au moment des cures. A. Les toxicités aiguës 1. La toxicité hématologique Elle peut toucher toutes les lignées hématopoïétiques se manifestant sous la forme d’une leucopénie (la plus précoce et la plus fréquente), d’une anémie (inconstante) ou d’une thrombopénie (pour des doses souvent plus élevées que celles qui induisent la leucopénie). Cette différence en fonction des lignées provient des différences de durée de vie de ces éléments figurés du sang (4-5 jours pour les leucocytes, 8-12 jours pour les plaquettes et 120 jours pour les hématies). Bien entendu, dans le cas des leucémies aiguës, la mise initiale en aplasie médullaire constitue l’objectif de la thérapeutique. Dans ce cas extrême, la prise de mesures de précautions anti-infectieuses draconiennes est une condition obligatoire. En fonction des produits, elle peut soit affecter les cellules souches en voie de différenciation, soit toucher les cellules souches totipotentes. Dans le premier cas, elle est habituellement rapidement réversible et non cumulable. Dans le deuxième cas, observé avec des substances comme le busulfan ou de la mitomycine, elle est retardée, durable et cumulative. L’utilisation de ce type de composés nécessite de prendre en compte la dose totale administrée. - la sévérité de la leucopénie dépend de son ampleur et de sa durée. Son risque principal est infectieux (50% pour des valeurs < 0,5.109/L), le malade pouvant contracter des infections bactériennes opportunistes dont le germe dépendra de l’écologie locale. Une caractéristique importante est l’absence de suppuration due à l’absence des polynucléaires neutrophiles et, donc une symptomatologie principalement représentée par de la fièvre. Si une neutropénie de longue durée est attendue (> 7 jours), des mesures de protection du malade doivent être mises en Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 18 place et une antibiothérapie probabiliste sera débutée rapidement en cas de suspicion. Bien entendu, l’identification du germe et l’obtention d’un antibiogramme restent une nécessité. - pour la thrombopénie, là encore sa gravité dépend de son ampleur. Pour des valeurs < 30.109/L des transfusions plaquettaires doivent être envisagées. - l’anémie peut être d’origine centrale ou périphérique par hémolyse. En cas d’intolérance clinique, elle peut nécessiter une transfusion. Lors de l’utilisation de chimiothérapies aplasiantes, il est possible d’utiliser entre les cures des facteurs de croissance hématopoïétiques. Ils permettent de réduire la durée et l’amplitude de la leucopénie et ainsi de limiter les risques infectieux. Ces facteurs sont dirigés soit vers la prolifération et la maturation des progéniteurs des neutrophiles (GCSF : Granocyte®, Neupogen®) et monocytaires/macrophagiques (Gm-CSF : Leucomax®). Ces facteurs sont des peptides. Ils sont donc administrés par voie souscutanée à partir de 24 heures après la fin de la cure et se poursuivent au moins 24 heures après la fin de la période critique de leucopénie (environ 10 jours de traitement). L’injection peut être douloureuse et un changement régulier des sites d’injection doit être réalisé. Ces produits peuvent aussi provoquer des douleurs osseuses et musculaires, prises classiquement en charge avec du paracétamol. 2. L’immunosuppression Elle est bien connue pour des produits comme le méthotrexate ou l’azathioprime puisque des maladies inflammatoires chroniques peuvent être traitées grâce à l’effet immunosuppresseur de ces molécules. D’ailleurs dans ces cas on utilise le schéma d’administration le plus pourvoyeur d’immunosuppression, l’administration continue à dose faible. Elle provient d’une lymphopénie qui est souvent observée en parallèle de la neutropénie. Ses manifestations cliniques sont représentées par des infections bactériennes, mycosiques, virales (herpes viridae) ou parasitaires (pneumocystis carinii). La récupération d’une lymphopénie est lente et il n’existe pas de méthodes préventives en dehors de l’ajustement du schéma posologique. 3. Toxicités digestives Les effets indésirables digestifs les plus fréquents sont les nausées et les vomissements. Ils prennent leur origine dans le système nerveux central par stimulation du centre du vomissement dans l’area postrema. Cette activation nécessite la stimulation de récepteurs sérotoninergiques 5-HT3. Les médicaments faisant partie de la famille des « sétrons » (ondansétron Zophren, granisétron Kytril) sont des antagonistes de ces récepteurs utilisés dans la prévention de ces effets indésirables. Sinon, on a recours à des antagonistes dopaminergiques tels que le métoclopramide Primpéran ou la métopimazine Vogalène , ou du récepteur NK1 (aprépitant Emend). Il est bien connu que les agents cytotoxiques peuvent induire une diarrhée mais parfois méconnu que certains produits ont un effet neurotoxique sur les plexus mésentériques et provoquent une constipation. Les diarrhées peuvent provenir d’une stimulation du péristaltisme (cisplatine), de la toxicité muqueuse directe des produits (fluorouracile, méthotrexate) ou d’une surinfection digestive due à l’utilisation conjointe d’antibiotiques à large spectre. La constipation est plus rare et constitue un problème classique lors de l’emploi des alcaloïdes de la Pervenche (vincristine, vindésine et vinblastine). Elle peut aller du simple trouble du transit, sensible aux laxatifs, à un tableau pseudo occlusif nécessitant une aspiration à visée Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 19 décompressive. Cet effet indésirable est potentialisé par l’utilisation d’antalgiques opioïdes par voie systémique. 4. Toxicité cutanéomuqueuse et des phanères La mucite est une inflammation des muqueuses localisée le plus souvent dans la bouche (stomatite) mais qui peut aussi être associée à des lésions plus diffuses du tube digestif, des muqueuses génitales ou oculaires. Elle est consécutive aux chimiothérapies et à la radiothérapie et peut occasionner une profonde altération de la qualité de la vie ainsi que des risques vitaux puisque la bouche constitue l’une des principales sources de sepsis chez le sujet immunodéprimé. Les mécanismes physiopathologiques sont complexes impliquant une toxicité directe sur les cellules en division rapide des muqueuses et indirecte due à la myélosuppression, mais, dans tous les cas on va observer un érythème avec des desquamations qui évoluent vers des ulcérations douloureuses. L’OMS a coté la mucite en 6 grades : (0) absence, (1) érythème, (2) douleur n’empêchant pas l’alimentation, (3) douleur rendant l’ingestion des solides impossible, (4) douleur entraînant l’impossibilité de boire et de manger et (5) mort. Les produits pourvoyeurs des mucites les plus graves sont les dérivés de l’If (docétaxel, paclitaxel), le busulfan, le melphalan, le 5-fluorouracile, le cyclophosphamide à forte dose et l’idarubicine mais de nombreux autres médicaments peuvent aussi en provoquer. Cette mucite a de nombreux retentissements dus aux symptômes (douleur, dysphagie, dysphonie), au fait qu’elle constitue une porte d’entrée infectieuse, à ses répercussions sur l’alimentation (modifications du goût, douleur, dénutrition) et aux anomalies de la salivation (développement de caries, déchaussements dentaires, ostéonécrose de la mâchoire après irradiation). Il est donc fondamental et du ressort du corps infirmier de mettre en place des mesures préventives et curatives (Table 1). La surveillance du malade portera sur sa courbe pondérale, le contrôle de la douleur, l’évolution locale et une surveillance biologique. Traitement préventif * En préalable aux traitements : Evaluation bucco-dentaire Soins bucco-dentaires (détartrage, traitement des caries, extractions, soins parodontaux) * Soins de bouche 3x/jour brossage (brosse très souple, humide, pas de dentifrice au menthol, hydro propulseur) – bain de bouche au bicarbonate de sodium 14‰) Traitement curatif * Traitement de la mucite Poursuite des soins de bouche (adaptation possible du matériel), maintenir la cavité buccale hydratée (spray, salive artificielle), bains de bouche au bicarbonate de sodium ou médicamenteux (4 à 6x/j : antiseptique à la chlorhexidine sans alcool, antibiotique, antifongique). Les antalgiques locaux sont à utiliser dès les premiers signes (lidocaïne ou morphine). Pas de dépendance à la morphine par cette voie. On peut aussi traiter par de la morphine à la seringue électrique. * Support alimentaire apporter des aliments froids, non acides en évitant l’alcool et les épices. Si nécessaire : alimentation parentérale * Traitement général antibiothérapie si fièvre > 3 jours antiviral systématique ciblant les herpès virus Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 20 virus Table 8 : traitement préventif et curatif de la mucite associée aux chimio- et radiothérapie. L’alopécie est une toxicité spectaculaire et extrêmement fréquente. Bien que peu grave, elle a de fortes répercussions psychologiques et doit être prévenue autant que possible. On peut particulièrement signaler la fréquence de ces alopécies chez les femmes traitées par anthracyclines pour un cancer du sein et qui peuvent très mal vivre la perte de leurs cheveux. Après l’arrêt de la chimiothérapie, ils repoussent en quelques semaines à quelques mois, parfois avec de petites modifications de couleur et/ou de texture. La chute des autres poils est beaucoup plus rare. De manière générale, cette toxicité dépend des produits utilisés, de la dose employée et, bien entendu, des associations de produits. Une prévention des alopécies sévères peut être obtenue dans 80 à 85% des cas par l’utilisation d’un casque réfrigérant appliqué, au minimum, au moment du pic de concentration du médicament au cuir chevelu. Plutôt que d’un casque, il s’agit d’un bonnet qui est réfrigéré au congélateur avant son utilisation. Il doit avoir une température aux alentours de 0°C et être appliqué sur des cheveux si possible courts et mouillés pour permettre un refroidissement optimal. Le principe de son mode d’action repose sur une vasoconstriction des petits vaisseaux sanguins du cuir chevelu limitant ainsi la diffusion des agents de chimiothérapie dans les cellules des follicules pileux. Les habitudes d’emploi sont très variables d’un service à l’autre et dépendent de la disponibilité des équipes de soin. Dans une situation idéale, il devrait être posé 10 minutes avant le début de la perfusion, changé environ tous les quarts d’heure et enlevé une trentaine de minutes après la fin de la perfusion. Il peut provoquer des céphalées et des douleurs cervicales parfois importantes. Ces effets indésirables devront être mis en balance avec son efficacité qui est très faible lors de l’emploi de doses fortes de taxanes ou d’anthracyclines, ou, de chimiothérapies en continu ou par voie orale. On peut conseiller de porter une écharpe et des vêtements chauds pendant son application. Il existe quelques contre-indications liées à la présence de tumeurs du cuir chevelu ou de localisations intracrâniennes ou de tumeurs cérébrales ainsi que dans les cancers à temps de doublement très rapide. Les produits cytotoxiques inducteurs d’alopécie sont souvent aussi capables d’affecter la croissance des ongles. A chaque cure, les ongles arrêtent de pousser laissant apparaître un petit sillon hyperpigmenté sur la surface unguéale (lignes de Beau). Ces sillons sont responsables d’une fragilisation de la structure de l’ongle. Au rang des toxicités cutanées, on peut citer les anomalies pigmentaires à type de mélanodermie (hyperpigmentation) localisée ou diffuse ou d’hypopigmentation due à une destruction locale des mélanocytes. Certains produits comme le 5-FU et la vinblastine sont photosensibilisants et contre-indiquent une exposition solaire. La toxicité cutanée concerne aussi les problèmes d’extravasation des médicaments anticancéreux. En effet, certains produits peuvent produire des réactions caustiques (anthracyclines, dactinomycine, alcaloïdes de la Pervenche, étoposide) lors d’une injection périveineuse. Celle-ci devra être suspectée devant toute douleur au point d’injection avec perception d’une brûlure et l’absence de retour veineux dans la tubulure. Il faudra rechercher une induration ou un œdème. Cette réaction est très grave pouvant déboucher sur une nécrose cutanée de cicatrisation lente et pouvant requérir une résection des tissus nécrosés, des incisions de décharge et des greffes Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 21 cutanées. Sa prévention passe par la vérification systématique de la perméabilité veineuse avant l’injection. Le traitement consiste à : - arrêter la perfusion - réaspirer 5 ml de sang contenant le produit par l’aiguille laissée en place - infiltrer la zone par du sérum physiologique additionné de dexaméthasone (4 mg/mL) et tenter de réaspirer - appliquer localement des pansements froids (anthracyclines) ou chauds (alcaloïdes de la Pervenche) et des corticoïdes en crème - surveiller 5. Hypersensibilité Des réactions d’hypersensibilité peuvent être observées avec de nombreux produits mais, au sein des agents cytotoxiques, deux sont particulièrement à noter : la Lasparaginase et le paclitaxel. La L-asparaginase est un polypeptide d’origine bactérienne très immunogène. Une hypersensibilité peut survenir dans 10 à 20% des cas sous la forme d’une réaction anaphylactique. L’administration de paclitaxel peut provoquer une réaction anaphylactique extrêmement sévère et potentiellement mortelle. Elle est probablement due à son excipient, le crémophore, et nécessite obligatoirement une prémédication couvrant de 12 heures avant la perfusion jusqu’à son arrêt par des glucocorticoïdes et des antihistaminiques antagonistes des récepteurs H1 (anti-H1). Les réactions cutanées de type hypersensibilité sont fréquentes avec les peptides médicaments. Cela concerne aussi bien les anticorps monoclonaux que les immunomodulateurs (interféron, interleukine). Certains inhibiteurs de tyrosine kinases sont aussi pourvoyeurs de ce type d’accidents (géfitinib). 6. Complications neurologiques Les signes d’atteinte neurologique due aux agents chimiothérapeutiques peuvent se manifester sur les systèmes nerveux périphérique et autonome ainsi que dans le système nerveux central. Ils devront toujours être distingués d’une atteinte due à la maladie elle même (compression rachidienne …) ou d’une neuropathie antérieure (diabète, épilepsie …). Les neuropathies périphériques sont principalement dues aux alcaloïdes de la Pervenche (vincristine, vindésine, vinblastine), au cisplatine et aux alcaloïdes de l’If (taxanes). Elles peuvent se présenter sous la forme de paresthésies des mains et des pieds, une diminution des réflexes ostéotendineux (tester le réflexe achilléen), d’une paraparésie ou de douleurs mandibulaires. On pourra aussi observer une atteintes des nerfs crâniens oculaires (diplopie, ophtalmoplégie) ou faciaux (paralysie faciale). Finalement, l’atteinte des nerfs autonomes pourra se manifester sous la forme de douleurs abdominales dues à une constipation, une rétention urinaire, une hypotension orthostatique ou une dysphagie. Il est à noter que le cisplatine, au contraire de son analogue, le carboplatine, qui est moins neurotoxique, peut provoquer des atteintes cochléaires se manifestant par une hypoacousie. La réversibilité de ces atteintes est lente et parfois incomplète. Leur gravité peut imposer l’arrêt du traitement. La neurotoxicité centrale est, là encore, l’apanage des alcaloïdes de la Pervenche qui sont épileptogènes de façon retardée puisque des crises convulsives généralisées peuvent être observées jusqu’à 3 semaines après leur administration. On peut aussi rencontrer un syndrome cérébelleux (forte dose de 5-FU) ou un tableau d’encéphalopathie (confusion mentale, hallucinations, agitation anxieuse, coma). Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 22 7. Complications cardiovasculaires A la différence des complications cardiaques différées, les accidents cardiaques aigus des chimiothérapies sont rares et souvent imprévisibles. En cours de perfusion ou dans les heures qui suivent, les anthracyclines peuvent induire des troubles du rythme auriculaire ou ventriculaire favorisés par l’hypokaliémie et rarement une péricardite. Ces troubles sont rapidement réversibles. Le 5-FU est rarement (0,1% des cas) responsable d’une nécrose myocardique avec douleur précordiale et élévation des CPK-MB. Cette nécrose survient en cours de perfusion et peut être associée à des troubles du rythme auriculaire et ventriculaire ainsi qu’à une insuffisance cardiaque. Le mécanisme invoqué est celui d’un spasme coronaire puisque les douleurs précordiales simples peuvent être levées par la trinitrine. Si cette toxicité est observée, la réadministration du produit devra être rediscutée en fonction de l’état carcinologique et sous couvert d’une surveillance cardiovasculaire intensive. D’autres produits peuvent s’avérer cardiotoxiques lors de l’utilisation de doses très fortes ou dans le cadre de polychimiothérapies : paclitaxel, cyclophosphamide, alcaloïdes de la Pervenche, mitomycine C, mitoxantrone… En ce qui concerne les modulateurs de la réponse biologique, des toxicités cardiovasculaires peuvent être observées avec l’interféron (troubles du rythme, troubles de la conduction, insuffisance coronarienne aiguë), l’interleukine-2 (troubles du rythme auriculaire, hypotension artérielle, insuffisance coronarienne aiguë) et les anticorps monoclonaux surtout dirigés contre le récepteur de l’EGF (cétuximab associé au 5-FU : ischémie myocardique, insuffisance cardiaque). Certains inhibiteurs des tyrosine kinases ont aussi des effets cardiotoxiques. C’est ainsi que le lapatinib peut rarement (1%) provoquer une dépression de la fonction contractile du myocarde. 8. Toxicité rénale et vésicale La chimiothérapie anticancéreuse peut avoir des effets néphrotoxiques qui passent par deux mécanismes : un effet indirect, appelé néphropathie uratique, implique la lyse cellulaire massive due à l’efficacité de l’effet cytotoxique et un effet direct de la molécule ou de ses métabolites sur les cellules rénales. Dans ce dernier cas, des associations médicamenteuses apparemment bénignes doivent absolument être évitées. La néphropathie uratique provient de la cristallisation dans les tubules rénaux de l’acide urique en milieu acide (pH < 6). Cet acide urique est issu de l’hyperuricémie générée par le métabolisme massif de l’ADN cellulaire provenant des cellules tumorales nécrosées par la chimiothérapie. Il peut être à l’origine d’une insuffisance rénale oligoanurique. Au maximum, on peut observer un « syndrome de lyse » caractérisé par une hyperkaliémie et une insuffisance rénale aiguë anurique due à la précipitation de cristaux de phosphate de calcium. Ce risque est d’autant plus important que les cellules cancéreuses sont en nombre important et chimiosensibles. La prévention et le traitement de ces complications sortent du cadre pharmacologique de ce chapitre. Les néphropathies spécifiquement médicamenteuses peuvent prendre tous les degrés de gravité allant de la petite baisse de la clairance de la créatinine à l’anurie nécessitant une hémodialyse. Les 5 produits les plus néphrotoxiques sont le cisplatine, la mitomycine C, l’ifosfamide, les nitrosurées et le méthotrexate. En ce qui concerne le méthotrexate (MTX), sa toxicité rénale est rare et surtout observée pour des doses fortes. Elle provient de sa précipitation tubulaire et de celle de son métabolite Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 23 hydroxylé. Cette précipitation est favorisée quand le pH urinaire devient acide (< 6) et quand la fonction rénale diminue. Il est donc contre-indiqué d’associer des antiinflammatoires non stéroïdiens (diminution de la perfusion rénale) et de l’aspirine (acidification urinaire) à un traitement par ce médicament. Le MTX (dose >1g/m2) n’est administré qu’après avoir augmenté le pH urinaire à plus de 7 par l’apport de bicarbonates par voie intraveineuse. Bien entendu, tout médicament néphrotoxique associé au MTX en potentialise la toxicité (antibiotiques de la famille des aminosides). La surveillance du traitement repose sur le dosage plasmatique du taux résiduel du MTX et on en prévient la toxicité en administrant de l’acide folinique et des bicarbonates. L’acide folique (folates) est l’antidote du MTX (Cf plus haut pour le mode d’action). Certains produits peuvent provoquer des troubles ioniques tels qu’une hyponatrémie par stimulation de la libération post-hypophysaire de l’hormone antidiurétique (ADH) (vincristine) ou par une potentialisation de son effet rénal (cyclophosphamide). Le cisplatine peut provoquer une toxicité tubulaire responsable d’une fuite de magnésium avec apparition de signes cliniques d’hypomagnésémie (crampes). La toxicité vésicale provient de métabolites toxiques pour la muqueuse de la vessie. Elle s’observe particulièrement avec le cyclophosphamide et l’ifosfamide et se présente cliniquement sous la forme d’une cystite hématurique. Elle peut être prévenue par une hyperdiurère (hyperhydratation) et l’emploi de sulfonate sodique de 2-mercaptoéthane (MESNA) qui neutralise les métabolites toxiques. Le traitement curatif est essentiellement l’arrêt de la chimiothérapie et l’évacuation de la vessie par hyperhydratation, hyperdiurèse et éventuellement des lavages vésicaux. 9. Complications pulmonaires Cette toxicité est rare mais devra être évoquée chez un malade apyrétique présentant une dyspnée avec toux sèche et des râles crépitants. La radiographie du thorax met en évidence un infiltrat interstitiel peu spécifique. Le principal agent chimiothérapeutique responsable de cette toxicité est la bléomycine quand elle est employée à forte dose. Ce médicament impose une surveillance respiratoire régulière en sachant que cette toxicité peut se manifester pendant la cure mais aussi à distance. La survenue d’un tel problème impose l’arrêt du traitement. D’autres produits ont été incriminés mais l’incidence de la toxicité est alors plus faible : busulfan, mitomycine, carmustine. 10. Toxicité hépatique aiguë Elle est possible avec tous les produits métabolisés et éliminés par cette voie et peut se présenter sous deux formes : des altérations du bilan biologique hépatique et la maladie veino-occlusive hépatique. Les altérations du bilan hépatique sont principalement des signes de cytolyse (élévation des transaminases dues à la L-asparaginase et plus rarement à la cytarabine) et une cholestase (élévation des γ-GT et des phosphatases alcalines lors d’un traitement par une mercaptopurine). L’interféron, l’IL-2 et certains inhibiteurs des tyrosine-kinases (erlotinib, géfitinib, imatinib) sont aussi connus pour induire des altérations du bilan hépatique. La maladie veino-occlusive hépatique est une occlusion des veines sus et intrahépatiques due à la toxicité directe de certains anticancéreux pour les cellules endothéliales de ces vaisseaux. Elle conduit à une nécrose centrolobullaire et un risque de mortalité. Sa fréquence augmente quand des doses élevées sont employées, raison pour laquelle elle peut survenir dans 10 à 20% des protocoles d’allogreffe de moelle Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 24 suite à l’emploi de hautes doses de busulfan et de carmustine. On peut aussi l’observer avec l’azathioprime et ses métabolites, la 6-mercaptopurine et la 6-thioguanine, la cytarabine et la dacarbazine. B. Les toxicités chroniques (ou différées) 1. Les fibroses post-chimiothérapie Nous avons déjà mentionné les problèmes de fibrose pulmonaire à distance de la chimiothérapie par bléomycine. Ce type de phénomène peut aussi être observé dans le foie. La persistance d’anomalies du bilan hépatique à distance d’une cure pourra justifier la réalisation d’une ponction biopsique hépatique. 2. Toxicité hématologique Les produits alkylants exposent à des toxicités chroniques sévères. Certains comme les nitroso-urées, le busulfan et la mitomycine affectent les cellules souches hématopiétiques et peuvent induire une cytopénie prolongée voire irréversible. La même famille de composés (melphalan, nitroso-urées, mitomycine mais aussi chlorméthine, chlorambucil) est impliquée dans la survenue de leucémies secondaires avec une incidence importante puisqu’elles pourraient affecter 10% des malades guéris d’une maladie de Hodgkin. L’utilisation de doses faibles mais de manière prolongée, la répétition des traitements, l’association à des irradiations portant sur des territoires hématogènes et l’âge élevé constituent des facteurs de risque. La réponse thérapeutique de ces rechutes dépendra des anomalies cytogénétiques observées et du type de leucémie. 3. Toxicité cardiaque Elle concerne de nombreux produits de chimiothérapie anticancéreuse, mais, le médicament le plus concerné est l’adriamycine (ou doxorubicine), molécule faisant partie des anthracyclines. Tous les médicaments de cette famille sont concernés mais l’épirubicine et la daunorubicine sont moins cardiotoxiques car peuvent provoquer cette toxicité chronique pour des doses supérieures. Le pic de survenue de la cardiopathie à l’adriamycine est aux alentours de 10 ans après le traitement. Elle est favorisée par l’âge (jeunes enfants et sujets âgés), la dose totale importante (> 550 mg/m2), des antécédents de coronaropathie et une radiothérapie thoracique préalable. Elle se manifeste sous la forme d’une insuffisance cardiaque sévère répondant très mal aux thérapeutiques conventionnelles et en particulier à la digoxine. On peut tenter de la prévenir en réduisant la dose totale, particulièrement en cas de radiothérapie associée. Depuis 1995, on dispose d’un médicament développé pour prévenir cette toxicité. Le dexrazoxane Cardioxane est une molécule qui piège les radicaux libres d’oxygène générés par les anthracyclines dans le myocarde. Il doit être administré par voie intraveineuse environ 30 minutes avant le traitement par l’anthracycline. Sa dose dépend de la molécule choisie (adriamycine ou épirubicine). 4. Neurotoxicité La neurotoxicité chronique la mieux connue est celle induite par le méthotrexate (MTX). Elle est rare, souvent asymptomatique et favorisée par l’irradiation cérébrale. Si les signes sont principalement radiologiques, les enfants traités par irradiation encéphalique puis MTX pour une leucémie aiguë lymphoblastique peuvent présenter des troubles de la mémoire et des retards d’apprentissage. L’hypothèse de cette toxicité serait une perméabilisation de la barrière hémato-encéphalique par la radiothérapie qui favoriserait la pénétration centrale du MTX et ainsi sa toxicité Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 25 neurologique. La poursuite d’un tel traitement peut aller jusqu’à induire une atrophie corticale. 5. Fertilité et reprotoxicité La production des gamètes peut fortement être affectée par les anticancéreux. Les agents alkylants sont les plus fréquemment responsables. Chez l’homme, après la puberté, on peut observer une oligo-azoospermie, la sécrétion endocrine testiculaire étant peu touchée. Cet effet peut être définitif et justifie, quand le sperme n’est pas altéré par le cancer lui même, de faire une conservation. Chez la femme, la chimiothérapie est souvent responsable d’une aménorrhée qui pourrait être irréversible dans près de 80% des femmes de plus de 45 ans. Cette irréversibilité est inférieure à 50% chez la femme de moins de 30 ans. La conservation des ovocytes est plus compliquée que celle des spermatozoïdes mais on peut maintenant proposer des méthodes de conservation par congélation d’ovocytes matures, ou maturés in vitro, ou la préservation de cortex ovarien prélevé par chirurgie ou coelioscopie. Les grossesses menées après un traitement chimiothérapeutique, quand elles sont possibles, se déroulent normalement en dehors d’une légère augmentation du risque de fausses couches spontanées. Une mention particulière concerne les personnels travaillant au contact de produits anticancéreux. Le code du travail précise que « les femmes enceintes ou allaitantes ne peuvent être affectées ou maintenues à des postes de travail les exposants à des substances avérées cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction ». Un aménagement de poste doit donc être envisagé pour toutes les femmes enceintes ou allaitantes qui manipulent ces produits. Sont concernées les préparatrices en pharmacie, les infirmières et les aide-soignantes (Cf plus loin). REDUCTION DES EFFETS INDESIRABLES : considérations sur les voies d’administration La toxicité des anticancéreux peut être réduite par l’administration locale des médicaments. On va chercher à atteindre des concentrations locales fortes et/ou à permettre l’accession du produit à un site où il diffuse normalement peu. Ainsi il est possible de délivrer le médicament par voie : - Intrathécale ou intraventriculaire pour toucher le système nerveux central habituellement hors d’atteinte du fait de la faible diffusion de la grande majorité des molécules au travers de la barrière hématoencéphalique. - Intraséreuse pour traiter des pleurésies carcinomateuses ou la carcinomatose péritonéale. Dans ces deux cas, il faut absolument éviter de délivrer des produits caustiques. - Locorégionale par une artère vascularisant la tumeur. On positionne un cathéter dans l’artère et on y injecte le produit antitumoral. Cette méthode peut être complémentaire d’une procédure d’embolisation ou d’ablation par radiofréquence. Cette technique permet d’obtenir des concentrations locales fortes mais nécessite que le médicament n’ait pas besoin d’être activé par un métabolisme extratumoral. Au contraire, cette voie permet de s’affranchir d’une perte du médicament par métabolisme systémique. - Dans une cavité : c’est le cas de l’administration intravésicale pour des cancers de la vessie. Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 26 PHARMACOGENOMIQUE DES ANTICANCEREUX OU L’INDIVIDUALISATION DES TRAITEMENTS Chez un malade, la mise en route d’un traitement médicamenteux repose actuellement sur des données de population. En effet, on administre un produit sur la base d’essais cliniques ayant montré que, sur l’ensemble d’un groupe de patients, le traitement en question est en moyenne plus efficace qu’un placebo ou qu’un traitement de référence. Or, il est rapidement apparu évident que la réponse thérapeutique est variable et que l’on peut diviser les malades en 4 sous-populations : les répondeurs sans effets indésirables, les répondeurs avec effets indésirables, les non-répondeurs avec effets indésirables et finalement les non-répondeurs sans effets indésirables. Cette variabilité de la réponse individuelle est multifactorielle dépendant aussi bien de l’âge, du sexe, de l’histoire médicale, des traitements associés que de facteurs génétiques ou épigénétiques constituant au sens large ce qu’on appelle le « terrain du malade ». En cancérologie, la variabilité génétique peut porter sur deux aspects : (1) les variations génétiques de la tumeur ; on parle de mutations somatiques et (2) les variations génétiques du génome non tumoral ; on parle de polymorphismes génétiques ou de variations constitutionnelles. Dans le premier cas, les mutations peuvent être à la base de phénomènes de résistance de la tumeur primitive et/ou de ses métastases à l’action des anticancéreux alors que dans le cas des polymorphismes génétiques constitutionnels, l’analyse des variations du code génétique du malade peut permettre de prévoir la façon dont un anticancéreux va être résorbé, métabolisé et/ou se distribuer. On considère que 0,1% de notre génome est polymorphe, ce qui suggère qu’il y a environ 2 à 3 millions de polymorphismes portant uniquement sur des substitutions d’une seule base nucléique (SNPs). Dans la grande majorité des cas, ces polymorphismes sont totalement inapparents, mais, certains, plus rares, ont de véritables conséquences fonctionnelles car induisent des susceptibilités individuelles aux effets des traitements médicamenteux, en affectant la réponse thérapeutique ou le risque d’effets indésirables graves. L’analyse individuelle de la tumeur et/ou de la génétique du malade peuvent en pratique avoir des conséquences aussi importantes que de conduire à récuser une thérapeutique, à proposer un ajustement posologique en préalable au traitement ou à recommander un suivi thérapeutique permettant un ajustement thérapeutique optimal après les premières doses. A. Contribution de l’analyse somatique des tumeurs à la prise en charge médicamenteuse des cancers 1. La réparation de l’ADN par ERCC1 dans les carcinomes pulmonaires non à petites cellules (CPNPC) et la réponse à la chimiothérapie adjuvante par cisplatine Comme nous l’avons vu plus haut, les dérivés du platine sont des agents cytotoxiques qui se lient de manière covalente à l’ADN, forment des adduits et conduisent à des formes anormales d’ADN. ERCC1 pour excision repair crosscomplementation group 1 est une enzyme impliquée dans la réparation de l’ADN et donc, entre autres, des lésions provoquée par le cisplatine. Sa fonction est d’exciser les nucléotides anormaux et de permettre ainsi la resynthèse de la séquence normale par l’ADN polymérase. On comprend donc que son expression abondante puisse venir réduire voir abolir l’effet du cisplatine. Les raisons de la surexpression d’ERCC1 dans certaines tumeurs ne sont pas toutes connues, mais, il existe deux polymorphismes (C118T et C8092A) qui sont responsables d’une réduction de l’expression de cette enzyme. La variabilité de l’expression tumorale d’ERCC1 pourrait expliquer le faible bénéfice de 5% d’augmentation de la survie à 5 ans du traitement adjuvant par cisplatine dans les CPNPC. Une étude publiée en 2006 dans le New England Journal of Medicine a utilisé la quantification de l’expression d’ERCC1 par immunohistochimie dans les résections de tumeurs de malades qui Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 27 présentaient un CPNPC, pour prédire la réponse au cisplatine. Le résultat est spectaculaire : les malades qui expriment ERCC1 dans leurs tumeurs ne tirent aucun bénéfice de la chimiothérapie adjuvante au cisplatine au contraire de ceux qui ont une expression réduite ou absente. 2. Niveau d’expression de K-ras et réponse aux anticorps monoclonaux antiEGFR Le cétuximab Erbitux et le panitumumab Vectibix sont deux anticorps monoclonaux dirigés contre un récepteur hautement exprimé dans les cellules tumorales, le récepteur de l’Endothelial Growth Factor (EGFR) (Cf plus haut pour le mode d’action). Dans sa voie de couplage intracellulaire, l’activation de ce récepteur implique la petite protéine K-ras. Cette protéine est produite par le proto-oncogène KRAS (Kirsten rat sarcoma 2 viral oncogène homologue) lui-même stimulé en réponse à l’activation de l’EGFR. Cette stimulation de l’expression de K-ras contribue à des effets majeurs de l’activation de la voie de l’EGFR tels que la prolifération, la survie cellulaire et la production de facteurs angiogéniques nécessaires au développement de la vascularisation tumorale. Certaines mutations du gène KRAS conduisent à son activation constitutive avec une expression spontanée élevée de K-ras indépendante de la voie de l’EGFR. Dans ce cadre l’utilisation du cétiximab et du panitumumab s’avère inutile. La recherche des mutations de KRAS dans les tumeurs, avant l’instauration d’un traitement par ces deux médicaments, est donc une nécessité mais c’est maintenant aussi une obligation réglementaire figurant dans l’autorisation de mise sur le marché de ces produits. 3. Le niveau d’expression de HER2 dans les cancers du sein conditionne la réponse thérapeutique au trastuzumab Herceptin Le trastuzumab est un anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur du facteur de croissance épidermique humain de type 2 (HER2). Cette protéine est surexprimée dans 20 à 30% des cancers mammaires primitifs où elle constitue un facteur de mauvais pronostique. Le trastuzumab exerce une action passant d’une part par le blocage d’HER2 et de ses effets prolifératifs et d’autre part par une cytotoxicité anticorps dépendante (ADCC). Ces deux effets nécessitent l’identification de l’expression d’HER2 par la tumeur ou l’amplification de son gène localisé sur le chromosome 7. Il est donc obligatoire de soit (1) rechercher la surexpression par immunohistochimie ou (2) détecter l’amplification génique. Tous ces tests sont réalisés sur des prélèvements biopsiques ou sur le produit de l’exérèse de la tumeur. Les malades ne peuvent être traités que s’ils présentent une forte expression de la protéine ou la démonstration de l’amplification génique. Là encore, ces conditions figurent dans le dossier d’autorisation de mise sur le marché du médicament. B. La pharmacogénétique ou comment le terrain génétique influence la réponse aux chimiothérapies anticancéreuses La pharmacogénétique est en plein essor et de nombreuses études sont conduites pour évaluer la pertinence clinique des polymorphismes constitutionnels identifiés. Cependant, il y a un gouffre entre l’identification d’un polymorphisme, son effet cellulaire et la conséquence que peut avoir son identification dans la prise en charge thérapeutique d’un malade. Néanmoins, certains d’entre eux sont maintenant validés et couramment proposés dans nos hôpitaux. Les deux exemples décrits ci-dessous illustrent la façon dont la pharmacogénétique peut s’intégrer dans l’arbre décisionnel d’une prise en charge médicale globale du cancer. Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 28 1. Le génotypage de l’UDP-glucuronyltransférase (UGT1A1) pour réduire le risque des neutropénies induites par l’irinotécan L’irinotécan Campto est un anticancéreux inhibiteur de la topoisomérase de type I. Il est éliminé par voie hépatobiliaire après la glucuronoconjugaison hépatique de son métabolite actif (SN-38) par l’UGT1A1. Le déficit en UGT1A1 est connu pour être à l’origine d’une forme d’hyperbilirubinémie congénitale, la maladie de Gilbert. Sa prévalence serait de 15% dans la population européenne, de 50% dans la population africaine contre seulement 5% chez les asiatiques. Elle est totalement asymptomatique, seulement révélée en cas de dénutrition ou d’hypoglycémie. Il existe un polymorphisme génétique dans le promoteur du gène de l’UGT1A1 qui consiste en la répétition de 7 triplets TAA au lieu des 6 normaux. Ce polymorphisme appelé *28 aboutit, lorsqu’il est présent à l’état homozygote, à une majoration importante du risque de neutropénie lors de l’utilisation de doses supérieures à 150 mg/m2 mais surtout de plus de 250 mg/m2. La réalisation de ce test de génotypage en préthérapeutique permet de détecter les malades à risque. Il a fait partie des recommandations lors de la mise sur le marché de ce composé mais est peu réalisé en pratique clinique routinière du fait de l’utilisation de doses souvent inférieures à 150 mg/m2 et de la recherche systématique d’une hyperbilirubinémie dont une concentration plasmatique >1,5 à 3x la limite supérieure de la normale évoque fortement un déficit en UGT1A1. 2. Le génotypage de la dihydropyrimidine deshydrogénase (DPYD) et de la thymidylate synthétase (TS) pour diriger les traitements par le 5-fluorouracile (5-FU) et ses prodrogues orales En réduisant la thymidine et l’uracile, en respectivement 5,6-dihydrothymidine et 5,6-dihydrouracile, la dihydropyrimidine deshydrogénase (DPYD) est l’enzyme limitante du catabolisme des pyrimidines. Dans le foie, elle transforme plus de 85% du 5-FU administré en 5,6-dihydro-5-fluorouracile (FUH2) pour permettre son élimination pulmonaire (50 à 80% de la dose administrée). Il existe des polymorphismes génétiques asymptomatiques responsables de déficits complets ou partiels de l’activité de la DPYD. Parmi ces variations du code génétique, quatre « mutations » ont été associées à une toxicité du 5-FU et de ses prodrogues orales (tégafur/uracile UFT et capécitabine Xéloda) pouvant se manifester par des atteintes polyviscérales mortelles. Elles se traduisent toutes par une réduction de l’activité de l’enzyme qui peut nécessiter une diminution de la posologie du 5-FU de près de 70%. Au vu de la fréquence des déficits partiels (3%) et complets (0,2%) de cette activité, un génotypage de la DPYD devrait être systématiquement réalisé en préthérapeutique. Néanmoins, ce génotypage peut aussi s’avérer utile pour confirmer un déficit après avoir observé une toxicité grave. L’identification des polymorphismes peut donc s’avérer utile pour poser l’indication d’un suivi thérapeutique où les doses seraient ajustées à la pharmacocinétique individuelle du produit. La thymidylate synthétase (TS) est l’enzyme clé de la biosynthèse endogène des pyrimidines. Le 5-FdUMP, métabolite actif du 5-FU, est un inhibiteur de la TS (Cf plus haut pour le mode d’action complet). Il existe deux polymorphismes de la TS identifiés dans la région promotrice et dans une région non codante située en 3’. Ces deux polymorphismes n’affectent donc pas l’activité de chaque enzyme produite mais son niveau d’expression global. En ce qui concerne les polymorphismes du promoteur, il s’agit d’une répétition d’un motif de 28 paires de bases que l’on peut trouver 2x (allèle 2R) ou 3x (allèle 3R). Les malades porteurs de l’allèle 3R à l’état Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 29 homozygote (3R/3R) ont une augmentation de l’expression de la TS et semblent plus résistants à l’action du 5-FU. Il s’agit d’une sorte de résistance constitutionnelle due à une augmentation du nombre des cibles du médicament. Au contraire, les sujets porteurs du génotype 2R/2R ont un faible niveau d’expression de la TS. Ils sont donc plus sensibles et ont un risque majoré d’effets secondaires. On peut d’ailleurs penser que l’association du génotype 2R/2R pour la TS à une forme déficitaire de la DPYD puisse conduire à une potentialisation du risque des effets secondaires et toxiques du 5-FU. Pour cette raison, on peut conseiller de faire une recherche systématique des polymorphismes TS/DPYD en préthérapeutique. Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 30