Strasbourg, Pharmacologie DCEM3 «Les anticancéreux » - L. Monassier -2012 1
Chapitre 22 CHIMIOTHERAPIE ANTICANCEREUSE
ECN Module 10
Item 141 : Traitement des cancers.
Item 142 : Prise en charge et accompagnement d’un malade cancéreux à tous les stades de sa
maladie.
Item 143 : Agranulocytose médicamenteuse : conduite à tenir.
Objectifs
- Savoir identifier les principales classes des médicaments anticancéreux
- Connaître les principaux mécanismes d'action
- Savoir relier les effets secondaires et toxiques aux principales classes
- Connaître les bases de la surveillance des traitements anticancéreux
- NB : 1) la partie relative à la pharmacogénomique s’adresse aux étudiants souhaitant
approfondir ces questions, 2) retenir une molécule « chef de file » par famille
Plan
Introduction – Généralités
Places des médicaments dans la prise en charge thérapeutique des cancers
Considérations générales sur le mode d’action des anticancéreux
A. Les anticancéreux cytotoxiques
B. Les modulateurs de la réponse biologique
Les médicaments anticancéreux : modes d’action
A. Les anticancéreux cytotoxiques
1. Action en « amont » du matériel génétique : les antimétabolites
2. Action directe sur l’ADN ou ses enzymes associées
B. Les modulateurs de la réponse biologique
La résistance aux médicaments anticancéreux
Effets indésirables et toxiques des chimiothérapies
A. Les toxicités aigües
B. Les toxicités chroniques ou différées
Réduction des effets indésirables : considérations sur les voies d’administration
Pharmacogénomique des anticancéreux ou l’individualisation des traitements
A. Contribution de l’analyse somatique des tumeurs à la prise en charge médicamenteuse
des cancers
B. La pharmacogénétique ou comment le terrain génétique influence la réponse aux
chimiothérapies anticancéreuses
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INTRODUCTION – GENERALITES
La prise en charge thérapeutique carcinologique est et restera dans les années qui viennent, un
enjeu important tant pour la santé publique que pour les structures de recherche privées et
publiques. Pendant longtemps, les affections cardiovasculaires ont constitué la première cause
de mortalité dans les pays industrialisés, mais, l’efficacité des traitements et des méthodes de
prévention primaire et secondaire de ces affections ont fait passer le cancer en première
position. En France, l’incidence du cancer est estimée à environ 300000 nouveaux cas par an
et 150000 personnes en décèdent dans la même période. Cette incidence est en régulière
augmentation du fait de la conjonction de facteurs tels que le vieillissement de la population et
l’amélioration des méthodes de détection et de diagnostic. Elle porte surtout sur le cancer de
la prostate chez l’homme et le cancer du sein chez la femme. De façon tout à fait intéressante,
l’augmentation de l’incidence est observée en parallèle d’une réduction de la mortalité dont la
responsabilité incombe probablement à la détection de stades plus précoce mais aussi à
l’amélioration des traitements.
Les médicaments anticancéreux constituent une vaste famille dont les premiers représentants
ont été développés au courant de la deuxième guerre mondiale à partir de l’observation des
effets myélotoxiques du tristement célèbre gaz moutarde. En effet, l’ypérite, qui sous forme
de gaz a une odeur de moutarde et tire son nom de la ville d’Ypres en Belgique elle fût
utilisée pour la première fois en 1917, a servi de base aux recherches menées à l’université de
Yale aux Etats-Unis et qui ont conduit aux premiers agents alkylants. On peut diviser les
médicaments anticancéreux en :
- Agents cytotoxiques qui induisent une mortalité cellulaire par action directe ou
indirecte sur l’acide désoxyribonucléique (ADN), l’acide ribonucléique (ARN) ou
des protéines nécessaires à la division cellulaire.
- Modulateurs de la réponse biologique qui soit (1) affectent les capacités de
défense de l’hôte (interleukine-2, interféron-α), (2) agissent sur le contrôle
hormonal de la tumeur (hormonothérapie) ou (3) contrôlent l’appareil de
signalisation de la cellule (anticorps monoclonaux dirigés contre des récepteurs et
bloqueurs des tyrosines kinases).
L’objectif de ce chapitre n’est pas de donner une connaissance approfondie de chacun des
médicaments anticancéreux mais de fournir les bases nécessaires à la compréhension du
maniement pratique de ces composés, en allant de leur manipulation et de leur préparation à la
gestion clinique des effets indésirables. Néanmoins, pour chaque catégorie, la pharmacologie
de ce que nous pouvons considérer comme la molécule chef de file sera détaillée. Nous
évoquerons aussi des aspects nouveaux de thérapeutique individualisée en exposant comment
les caractéristiques génétiques du malade et de sa tumeur peuvent entrer dans l’arbre
décisionnel thérapeutique.
PLACES DES MEDICAMENTS DANS LA PRISE EN CHARGE THERAPEUTIQUE DES CANCERS
L’utilisation des médicaments en thérapeutique anticancéreuse ou chimiothérapie n’est pas
systématique et se situe dans une stratégie qui intègre la chirurgie, l’ablation tumorale par
radiofréquence ou congélation, la radiothérapie et la curiethérapie. Elle a pour objectif le
traitement radical de la pathologie, mais, peut aussi être utilisée dans d’autres contextes.
A. La chimiothérapie curative
Elle est l’objectif de tout traitement anticancéreux, mais, c’est en hématologie qu’elle
constitue la seule option. Dans ce cadre, des combinaisons de produits sont employées
pour permettre une induction de rémission complète suivie d’une intensification et
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enfin d’une phase d’entretien. On peut ainsi obtenir des guérisons dans les leucémies
aiguës lymphoblastiques ou la maladie de Hodgkin.
B. La chimiothérapie complémentaire d’un autre traitement
Dans la majorité des cancers, en particulier solides, la chirurgie et la radiothérapie
constituent la pierre angulaire d’un traitement qui se voit complété par la
chimiothérapie. On dit que la chimiothérapie est adjuvante quand elle intervient après
le traitement radiochirurgical. Elle a pour objectifs de traiter des micrométastases ou
de compléter une exérèse incomplète. Au contraire, la chimiothérapie néoadjuvante
survient avant le traitement locorégional du cancer. Cette stratégie s’adresse à la cure,
aussi précoce que possible, de métastases dont on sait qu’elles sont quasiment toujours
présentes au moment du diagnostic et pour lesquelles l’ablation de la tumeur primitive
n’aura que peu d’impact. Elle est aussi effectuée pour réduire la masse tumorale en
préopératoire pour en faciliter l’exérèse.
C. La chimiothérapie palliative
Malheureusement l’état d’avancement de la maladie au moment de son diagnostic ou
la constatation d’une récidive importante rendent impossible l’espoir d’une
thérapeutique radicale. Dans ces cas, la chimiothérapie peut encore largement avoir sa
place ; a fortiori depuis l’avènement de médicaments administrables chroniquement
par voie orale au prix d’effets indésirables acceptables. Ici, on va chercher à ce que la
chimiothérapie permette un gain significatif de la survie et de la qualité de la vie.
CONSIDERATIONS GENERALES SUR LE MODE DACTION DES MEDICAMENTS ANTICANCEREUX
Si on devait comparer les médicaments anticancéreux à une autre classe, ce serait
probablement aux anti-infectieux à qui ils ressemblent le plus. Ces derniers ont pour objectif
de détruire des cellules indésirables qui se sont introduites dans notre organisme. A vu des
différences considérables que des bactéries, des virus ou des parasites ont avec nos cellules
eucaryotes, il est facilement concevable de développer des médicaments qui ciblent
spécifiquement ces hôtes indésirables. En matière d’anticancéreux, le problème est beaucoup
plus complexe puisque les cellules indésirables proviennent directement de l’organisme qui
les héberge. Toute la difficulté du traitement médicamenteux des cancers réside donc en une
gymnastique qui vise à identifier les particularités de la cellule cancéreuse la rendant plus
sensible au médicament que les cellules saines. De ce degré de sélectivité dépendra
l’efficacité du produit mais aussi les risques d’effets indésirables et toxiques. En d’autres
termes, plus le phénotype d’une cellule saine ressemble à celui de sa cousine cancéreuse et
plus elle sera affectée par le traitement anticancéreux. Pour cette raison, la majorité de ces
médicaments ont un index thérapeutique étroit (rapport entre la concentration plasmatique
efficace et la concentration toxique). On tente alors de réduire la toxicité de chaque
médicament en faisant des associations (polychimiothérapies) visant à obtenir une synergie
des effets sur les cellules cancéreuses tout en réduisant la toxicité individuelle de chacune des
molécules, et en réalisant des schémas thérapeutiques qui permettent aux cellules saines de
récupérer entre les séquences de traitement (successions des cures de chimiothérapie).
Le deuxième problème posé par ces traitements est l’hétérogénéité de la population cellulaire
cancéreuse. En effet, si on peut penser que la formation d’un cancer résulte de la division
d’une seule cellule mère (on dit que la population est clonale), les cellules filles vont, en
fonction de leur localisation, de l’influence de facteurs locaux et systémiques et de leur
instabilité génétique, pouvoir présenter des phénotypes différents. De plus, toutes les cellules
ne sont pas synchrones et une tumeur présente des cellules qui sont à des phases différentes
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du cycle cellulaire. Cette donnée est particulièrement importante dans les tumeurs de grande
taille l’on va trouver simultanément des cellules entrées dans le cycle cellulaire, des
cellules quiescentes et des cellules nécrotiques ou apoptotiques. Dès lors, on peut comprendre
qu’à un moment don un médicament n’ait pas la même action sur l’ensemble de la
population. C’est ainsi que certains produits agissent surtout au moment de la synthèse des
nucléotides et ne seront donc actifs que sur les cellules en phase S du cycle cellulaire (Cf ci-
dessous). Il sera alors nécessaire soit de synchroniser les cellules, soit de répéter les cures
pour atteindre des cellules non affectées lors de la cure précédente. Cette variation
phénotypique au sein d’une population de cellules cancéreuses constitue, là encore, une raison
d’associer des médicaments anticancéreux au cours d’une même séquence de traitement.
Finalement, et l’on retrouve là un problème posé par certains microorganismes infectieux, les
cellules cancéreuses sont capables de développer des phénomènes de résistance. Elles peuvent
être d’emblée résistantes, contre-indiquant ainsi l’emploi de la molécule concernée, ou
devenir résistantes à l’occasion de la répétition des cures. Cette acquisition de résistance est
responsable d’un échappement thérapeutique qui oblige à passer à un autre protocole appelé
aussi «!ligne!» de chimiothérapie. La recherche cancérologique a donc pour objectifs de
trouver de nouveaux produits mais aussi de nouvelles combinaisons permettant de répondre
aux multiples obstacles cliniques et biologiques qu’offre cette maladie. C’est probablement
pour cette raison que la classe médicamenteuse et les protocoles de chimiothérapie sont aussi
complexes. Nous nous contenterons ici de donner une vue générale des molécules
individuelles en voyant successivement les agents cytotoxiques puis les modulateurs de la
réponse cellulaire.
A. Les anticancéreux cytotoxiques
Comme nous l’avons vu plus haut, ces médicaments ciblent la synthèse du matériel
génétique (ADN, ARN) et des protéines impliquées dans la mitose. Ils ont donc des
effets reliés à la phase du cycle cellulaire dans laquelle se trouve la cellule. Le cycle
cellulaire se compose de la succession des phases suivantes!:
- la phase G1 (ou G0 pour des cellules quasiment quiescentes) est la plus longue et la
plus variable. Tous les tabolismes ont lieu à l’exception de la synthèse de
l’ADN. Selon les cancers 75 à 90% des cellules sont dans cette phase et sont donc
peu sensibles aux médicaments «!cycle-dépendants!».
- la phase S suit la phase G1. Elle se caractérise par une activité intense de synthèse
d’ADN en préparation à la réplication.
- la phase G2 permet la constitution de l’appareil mitotique (polymérisation des
microtubules entre autres). Pendant cette phase, la cellule synthétise des protéines
et a donc besoin de transcrire son ADN en ARNm.
- la mitose ou phase M est l’aboutissement de la succession des phases S et G2. Elle
est rapide et constituée par la succession de la prophase (condensation des
chromosomes puis disparition de la membrane nucléaire), de la métaphase
(polymérisations et dépolymérisations des microtubules qui conduisent à la
localisation équatoriale des chromosomes), de l’anaphase (migration polaire des
chromosomes) et de la télophase (division cellulaire).
Certains médicaments sont dits «!cycle dépendants!» car n’agissent que sur les cellules
engagées dans le cycle cellulaire quelle qu’en soit la phase (exemple des agents
alkylants) et les produits «!phase dépendants!» qui ne sont actifs que pendant une
phase précise du cycle (exemple des poisons du fuseau mitotique qui sont actifs en
phase M). Ainsi, si on veut utiliser un produit «!cycle-dépendant!», il faut
préalablement faire entrer les cellules dans le cycle cellulaire en les sortant de la phase
G0. Ceci peut être obtenu par une réduction de la masse tumorale ou l’utilisation
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d’adriamycine. Quand on souhaite employer un produit «!phase-dépendant!», on va
préalablement bloquer les cellules dans le stade correspondant par exemple en phase
M avec un alcaloïde de la Pervenche ou en phase S avec du méthotrexate. Le blocage
en phase S permet d’obtenir l’efficacité optimale des antimétabolites.
On peut donc diviser les cytotoxiques en fonction de leur action cycle et phase
dépendante et de leur cible moléculaire. Dans ce dernier cas, on distingue les
médicaments dont l’action est centrée sur l’ADN et l’ARN (en empêchant leur
synthèse ou leur lecture) et ceux qui agissent sur des protéines. La Figure 1 illustre
schématiquement les sites d’action des sous-groupes de médicaments qui ciblent le
matériel génétique ou les protéines particulièrement impliquées lors de la mitose. Les
antimétabolites affectent le métabolisme des nucléotides en inhibant leur synthèse ou
en formant des nucléotides anormaux qui, incorporés dans l’ADN, vont introduire des
arrêts de transcription ou nécessiter une résection suivie d’une réparation. Les
médicaments qui agissent directement sur l’ADN ou sur des protéines qui y sont
associées vont se glisser entre les brins pour y induire des cassures ou vont affecter
l’activité de l’ADN polymérase. Les inhibiteurs des topoisomérases vont toucher les
processus de compaction et de décompaction des gènes. Finalement, les produits qui
agissent en aval de l’ADN affectent le fonctionnement de protéines, en particulier les
poisons du fuseau mitotique qui vont bloquer les cellules en métaphase de la phase M
(alcaloïdes de la Pervenche et de l’If).
B. Les modulateurs de la réponse biologique
Les modulateurs de la réponse biologique constituent toute une famille de drogues qui
vont des immunomodulateurs (interleukine, interféron) aux inhibiteurs des tyrosine-
kinases, en passant par les anticorps monoclonaux et l’hormonothérapie. Dans la
période la plus récente sont apparus les premiers médicaments affectant directement
l’appareil de signalisation de la cellule. C’est ainsi que des médicaments ciblant le
récepteur de l’Epidermal Growth Factor (EGFR) et son activité tyrosine kinase ont été
développés. Ce récepteur fait partie d’un groupe de quatre récepteurs à activité
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