La structure du système financier est-elle
adaptée aux besoins des entreprises au Liban?
Hassan AYOUB
Université Lille II
Boutheina HACHEM
Université Saint-Esprit de Kaslik
Introduction
Le tissu des entreprises libanaises est caractérisé par la prédominance
des petites et moyennes entreprises à caractère familial et à fonds propres
modestes. Ces entreprises confrontent un manque de financement qui
compromet, la plupart du temps, le développement de leurs activités.
L’évidence empirique du développement du système financier libanais
montre que le Liban possède un potentiel non négligeable, eu égard aux
besoins des entreprises libanaises. En effet, les circonstances politiques et
économiques régionales ont engendré un développement financier reposant
sur des capitaux flottants. La nature de ces derniers a conditionné non
seulement la structure du système financier mais aussi sa contribution au
financement des entreprises libanaises. Notre travail s’interroge sur
l’adaptation du système financier par rapport aux besoins des entreprises
libanaises.
Dans un premier temps, nous présenterons la structure du système
financier libanais et nous rappellerons les principaux axes des réformes
bancaires et financières. Nous évoquerons les raisons qui sont à l’origine de la
configuration actuelle du système financier libanais. Ensuite, nous mènerons
une étude économétrique qui nous permettra d’apprécier l’efficacité de la
contribution du système financier au financement des entreprises libanaises.
I. Présentation de la structure du système financier libanais
Les typologies proposées dans la littérature sont nombreuses1. Nous ne
reviendrons ni sur la typologie fondée sur l’opposition entre économie
d’endettement et économie de marchés financiers, ni sur celle qui distingue
1. Pour plus de détails sur ce point, cf. J-F GOUX (1994) «La taxinomie des systèmes financiers»,
Revue d'économie financière, n°29.
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entre répression et libéralisation financières. Dans notre travail, nous utiliserons
la distinction entre systèmes financiers basés sur la banque et systèmes
financiers basés sur le marché, distinction qui remonte aux contributions de
Gerschenkron (1962), Cameron (1967) et Chandler (1977). En ce qui concerne
le système financier basé sur les banques, on opère la distinction entre les
banques spécialisées (principalement les banques commerciales,
d’investissement et de crédit) d’une part, et les banques universelles d’autre
part. L’origine de cette diversité de structure provient de plusieurs facteurs qui
peuvent être résumés de la manière suivante: (i) l’importance de la tradition
idéologique [cf. Huveneers et Steinherr (1993 p.18)]; (ii) le niveau de
développement économique [cf. Amable et Chatelain (1995, p.124)]. Ayoub
(2002), quant à lui, soutient l’idée selon laquelle l’histoire, les caractéristiques
économiques du pays, les pesanteurs socio-culturelles et religieuses et la
maturité financière constituent des facteurs déterminants de portée non
négligeable sur l’évolution de la structure du système financier. Il conclut que
ces facteurs peuvent conjointement ou séparément exercer une influence
notable sur la contribution du système financier au financement des projets
d’investissements des entreprises. Au Liban, les autorités monétaires ont
entamé, depuis le début des années quatre vingt dix, de nouvelles réformes
bancaires et financières en vue de réduire l’intervention de l’Etat,
d’encourager les institutions financières à mobiliser l’épargne intérieure en
favorisant l’innovation financière et la multiplication des instruments financiers,
en stimulant la concurrence entre les banques et en renforçant le rôle du
marché dans l’allocation des ressources financières. Force est de constater
que ces réformes2visent à faire évoluer la structure du système financier
libanais de façon à la rendre conforme aux besoins de l’économie libanaise.
Le système financier formel libanais se compose principalement d’une
banque centrale, d’une multitude de banques de second rang et d’une
bourse peu développée. Cependant, Ayoub (2002) souligne l’existence de
pratiques financières informelles dans certaines régions libanaises. Malgré
l’absence des études sur ce phénomène, il suppose que le poids du secteur
financier informel est assez important au Liban.
1. Les Institutions financières bancaires
L’analyse du tableau ci-dessous, qui montre la nature et le poids des
différentes banques dans le système financier formel libanais, nous permet de
constater les points suivants: - le nombre des banques commerciales
représente en moyenne 93% du total du nombre des institutions financières
bancaires au Liban, soit 47% du total des institutions financières bancaires et
non bancaires. En outre, celui des banques commerciales libanaises
représente 81% du total des banques commerciales, soit 44% du total des
institutions financières. En effet, avec deux banques pour dix mille habitants, le
pays se situe très nettement au dessus de la moyenne mondiale qui est de
0.73. En fait, cette période marque une augmentation du nombre de banques
2. Les principaux axes de ces réformes ont été présentés par H. AYOUB (2002) «Efficacité du système
financier et rôle des banques dans le cadre d'une économie en cours de reconstruction et de
développement: Cas du Liban», Thèse de doctorat.
3. Economist Intelligence Unit (1993), Country Report - Lebanon, 2nd Quarter, p.28.
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commerciales due à la réouverture du marché bancaire en 1977 après dix
ans de suspension. Ainsi, le nombre des banques commerciales a augmenté
passant de 74 en 1974 à 92 en 1983. Saïdi (1997) souligne qu’il «n’existe pas un
surplus de banques au Liban. Nous pouvons nous permettre d’avoir un
nombre important de banques dans ce pays, et c’est même utile pour la
concurrence». Cependant, il manifeste une tendance progressive à la baisse
depuis 1994. Cette baisse s’explique non seulement par les fusions entre les
banques commerciales, mais aussi par la création de nouvelles institutions
financières non bancaires;
Tableau 1. - Structure du système financier libanais (unités et pourcentages)
- le nombre des banques commerciales étrangères représente en
moyenne 8% du total, soit 19% des banques commerciales.
Cependant, de 16% en 1990, il augmente progressivement pour
atteindre 26% en 1999. Cette augmentation montre leur attrait pour
les opportunités d’investissement pendant la période la
reconstruction du pays.
Au total, et à l’instar de la majorité des pays en développement,
l’organisation du système financier formel est caractérisée par une
prédominance du secteur bancaire. En ce sens, il est essentiellement dominé
par les banques commerciales libanaises et par la Banque du Liban. Cette
structure soulève la question de l’efficacité du rôle du système financier dans
le financement du développement et de la reconstruction de l’économie
libanaise.
a. La Banque du Liban
En général, on associe aux banques centrales le rôle d’institut
d’émission, de banquier d’Etat, de banque des banques, de régulateur du
crédit et de prêteur en dernier ressort. Dans ce paragraphe, il s’agira
d’analyser les fonctions de la Banque du Liban ainsi que son indépendance à
l’égard des pouvoirs publics. D’une manière générale, la Banque du Liban a
pour mission générale la sauvegarde de la monnaie, afin d’assurer la base
d’un développement économique et social continu. Ses fonctions peuvent
être résumées de la manière suivante: - (i) la sauvegarde de la solidité de la
monnaie libanaise; - (ii) la sauvegarde de la stabilité économique; - (iii) la
sauvegarde du caractère sain du système bancaire; - (iv) le développement
des marchés financier et monétaire (…). Ainsi, la première fonction de la
Banque du Liban est de sauvegarder la monnaie nationale qu’elle est
Source: Ayoub (2002)
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chargée, par ailleurs, d’émettre. Cette mission sera accomplie dans un but
précis, celui d’assurer la base d’un développement économique et social.
Force est de constater que la spécification étroite de la mission de la Banque
du Liban contribue à assurer la crédibilité de ces décisions et l’efficacité de
ces choix en termes de politique monétaire. A cet égard, Petit (1992) souligne
que «donner des objectifs aussi contradictoires est peu crédible et c’est sans
doute ce qui fait la supériorité de la Bundesbank par rapport à la Banque
centrale américaine». En d’autres termes, la Banque centrale ne semble pas
être chargée d’une quelconque responsabilité directe dans la gestion de la
politique économique et sociale du pays. En effet, les articles 71 et 72 du
Code de la Monnaie et du Crédit sont plus explicites puisqu’ils attribuent un
rôle de conseil à la Banque en matière de politique économique et sociale.
Force est de constater que le Liban a opté pour une forme particulière
de l’indépendance de sa Banque centrale. En ce sens, elle repose sur une
conception particulière de l’Etat libanais. Ainsi, les critères de l’indépendance
tels que la nomination des dirigeants, les conditions d’exercice de leurs
fonctions, sans parler du mode de fonctionnement du conseil, sont influencés
par la constitution libanaise qui prescrit de respecter une répartition
communautaire des postes. Ayoub (2002) soutient l’idée selon laquelle
l’indépendance de la Banque du Liban présente une forme conditionnée
par des considérations politiques et confessionnelles.
b. Les banques de second rang: les banques commerciales et
les banques spécialisées
Cette catégorie concerne les banques commerciales et les banques
spécialisées. En fait, le principe de spécialisation bancaire résulte des réformes
bancaires et financières de 1967. Depuis cette date, le Liban optait pour la
spécialisation en vue d’assurer le financement des secteurs productifs
(agricole, industriel, touristique,…) dont les besoins en capitaux sont à moyen
et long termes. Maintenant, nous analyserons dans un premier temps, les
banques commerciales ainsi que leur importance dans le système financier
libanais. Dans un second temps, nous nous attacherons à montrer le faible
poids des banques spécialisées dans le système financier libanais.
b.1. Les banques commerciales
La mission traditionnelle des banques commerciales consiste à
collecter des dépôts et ensuite à les distribuer sous forme de crédits à court
terme. Au Liban, cette fonction est remplie par les banques commerciales
libanaises et étrangères. En fait, le secteur bancaire libanais se caractérise par
la présence de banques étrangères qui possèdent des participations, parfois
importantes, dans les banques spécialisées et commerciales libanaises. Il est à
noter que leur présence confère au système financier libanais une dimension
internationale qui devrait contribuer à renforcer son développement et son
efficacité dans le financement de l’économie libanaise. L’importance des
banques commerciales peut être appréciée au vu de leurs actifs, de leurs
dépôts et de leurs crédits.
Ainsi, le ratio du crédit bancaire accordé par les banques
commerciales représente en moyenne, entre 1974 et 1998, 90% de l’ensemble
189
du crédit bancaire. De plus, l’observation du graphique ci-dessous montre
que les actifs des banques commerciales ont augmenté continuellement
pendant la période de la guerre, pour passer de 128% du produit intérieur brut
en 1974 à plus de 426% en 1986.
Graphique 1. – Evolution de la part de l’actif des banques commerciales dans le PIB
Source: Ayoub (2002)
Cette tendance s’explique non seulement par la chute du produit
intérieur brut mais aussi par l’afflux des capitaux politiques vers le pays. En
revanche, à partir de 1987, malgré la crise économique, ils ont baissé
progressivement pour atteindre 313% du produit intérieur brut en 1990. Cette
baisse reflète la fuite des capitaux vers l’étranger. Enfin, pendant la période
de la reconstruction, entre 1990 et 1995, la part des actifs des banques
commerciales a connu une tendance à la baisse qui s’explique par le taux de
croissance du produit intérieur brut. En revanche, à partir de 1995, ils
augmentent continuellement à cause de la baisse du taux de croissance
économique.
b.2. Les banques spécialisées
La mission traditionnelle des banques spécialisées consiste à utiliser leurs
ressources dans des opérations de financement et de participation orientées
vers les secteurs productifs de l’économie. Ces banques ont buté sur de
graves difficultés dans la constitution de leurs ressources financières et n’ont,
par conséquent, joué qu’un rôle minime dans le financement de l’économie
libanaise. SALAME (1998) souligne que «les banques spécialisées jouent un rôle
limité dans l’activité financière. Elles restent cependant prisonnières de leurs
ressources qui sont très modestes et n’arrivent pas à développer réellement
des marchés propres à elles». D’ailleurs, les statistiques disponibles sur la
situation des banques spécialisées nous montrent que leurs actifs représentent
en moyenne 14% du produit intérieur brut entre 1998 et 2000. En revanche,
leurs dépôts ne dépassent pas 12% du produit intérieur brut pendant la même
période. En fait, la rareté de leurs ressources s’explique par la préférence des
agents économiques pour la liquidité afin de faire face aux dépenses
imprévues qui résultent de la situation d’instabilité politique. Au total, on peut
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