Considérant le signe graphique comme une image ou une forme en tant que
telle, les artistes du XXe siècle ont fait de l’écriture un usage original et multiple.
C’est avec le cubisme et le futurisme que la lettre, le mot et la phrase font
véritablement leur entrée en peinture : dès 1912, les papiers collés (journaux,
tickets, étiquettes…) de Braque et de Picasso interviennent comme des éléments
intégrés dans le champ pictural, ces signes scripturaux participent à la volonté
d’introduire le réel dans leurs peintures. Presque simultanément, les
suprématistes russes et les Dadaïstes placent l’écriture manuscrite ou
typographique au cœur de leurs créations. Plus tard, la phrase-légende,
l’écriture automatique et la technique du cadavre exquis s’inscriront dans
nombre d’œuvres surréalistes : Magritte, avec La trahison des images et son
célèbre «Ceci n’est pas une pipe» se plait ainsi à brouiller la perception du
tableau.
Avec le mouvement Cobra et l’abstraction lyrique, le signe acquiert une ampleur
gestuelle proche de la calligraphie. Les «logogrammes» de Christian Dotremont
et de Pierre Alechinsky relèvent tout autant de l’écriture que du dessin.
Graffitis, pictogrammes, affiches lacérées, définitions, slogans… : les incursions
du mot et du signe écrit (lettres, chiffres, notes de musique…) dans le champ
pictural sont nombreuses.
Cette sélection d’œuvres extraites de la collection de l’artothèque de Caen
prouve que, comme l’atteste le sens étymologique du terme grec grapheïn qui
associe et désigne par un seul et même verbe l’action d’écrire et de dessiner,
la main qui dessine et la main qui écrit partagent la même quête et sont toutes
deux porteuses de magie humaine. N’est-ce pas précisément ce que confirmait
Guillaume Appollinaire en proclamant «et moi aussi je suis peintre» ?
Patrick Roussel
«L’image est écrite et l’écriture forme
des images… on peut dire qu’il y a une
écriture, une graphologie dans toute
image de même que dans toute écriture
se trouve une image» Asger Jorn