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Russie révèlent que le paiement à travers la marchandise, cédée en contrepartie d’un achat, ne
devient effectif que dans deux cas de figure. Le premier renvoie au cas où la marchandise
cédée par l’agent A, en contrepartie d’un achat, fait valeur d’usage pour l’agent B qui la
reçoit. Hors de cette configuration, il est erroné de considérer que le paiement est reconnu au
moment où l’entreprise A règle l’entreprise B, par exemple, à l’aide de sa propre production.
La livraison de marchandises à l’entreprise B correspond à un transfert de biens sans avoir
encore produit pour cette dernière, de son point de vue de créancière, un pouvoir d’achat.
Pour que la marchandise utilisée par la firme A comme moyen de paiement se transforme en
paiement effectif pour la firme B, il faut que cette dernière, si elle n’utilise pas cette
marchandise pour sa propre production, réussisse à vendre celle-ci contre du cash à une autre
entreprise ou parvienne à l’utiliser à son tour comme moyen de règlement d’un créancier.
Ceci signifie que le dénouement de la transaction bilatérale ne se réalise pas au moment de la
cession par l’entreprise A d’une marchandise-moyen de paiement à l’entreprise B, mais
seulement lorsque B aura réussi elle-même à acheter quelque chose à l’aide de cette
marchandise cédée à une entreprise C. C'est seulement à ce moment que la firme B aura
transformé la marchandise reçue en pouvoir d’achat et que la dette de l'entreprise A pourra
être considérée comme éteinte. Il manque encore quelques étapes pour que le dénouement de
la transaction bilatérale A-B se transforme en véritable validation sociale de la production de
A. Car lorsque B éteint une de ses dettes en se défaisant auprès de C de la marchandise-
contrepartie reçue en paiement de A, elle ne fait que reporter la contrainte monétaire2 sur une
autre entreprise. La validation sociale n’est donc acquise que lorsque prend fin la séquence
des reports et que la marchandise-paiement arrive dans les mains d’un agent aux yeux de qui
elle a une valeur d’usage.
Aussi, se met en place une relation de dette médiatisée par la marchandise et non par la
monnaie qui pourrait être qualifiée de relation de dette « fractionnée ». En effet, lors du
paiement en monnaie, extinction de la dette et recouvrement de la créance sont simultanés. A
l’inverse, lorsque la marchandise est utilisée comme moyen de paiement, elle permet certes
d’éteindre la dette du côté du débiteur ; mais du côté du créditeur, le recouvrement de la
créance – en dehors du cas de la double coïncidence des besoins – ne sera effectif que lorsque
1 On envisage non pas une marchandise qui serait élue équivalent général, mais la marchandise dans sa
généricité, c’est-à-dire actualisée dans toutes les marchandises particulières.
2 On entend par contrainte monétaire ce que définit Aglietta de la manière suivante : « la contrainte monétaire
signifie que chaque participant aux échanges doit vendre sa marchandise, c'est-à-dire prouver en obtenant de la
monnaie qu'il disposait avec cette marchandise particulière d'une fraction du travail global de la société. Ayant
satisfait à cette obligation, il dispose d'un pouvoir d'achat social sur l'ensemble des marchandises grâce auquel il
peut acheter toute valeur d'usage de son choix dans la limite des relations d'équivalence, c'est-à-dire toute valeur
d'usage qui représente une fraction identique de travail social » (Aglietta, 1997, p. 356). Autrement dit, la
contrainte monétaire est l’expression du « saut périlleux de la marchandise » de Marx.