Séance 3 Lecture analytique du poème « Nuit rhénane ».

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Séquence....ÉtudierunrecueildepoèmesduXXèmesiècle:AlcoolsdeGuillaumeApollinaire
(1913),Classiquesetpatrimoine,Magnard(choixdepoèmes)
Séance...Lectureanalytiquedupoème«Nuitrhénane».
Problématique:EnquoiAlcoolsest–ilunrecueilpoétiquealliantlatraditionàlamodernité?
Objetd’étude:écriturepoétiqueetquêtedusens.
Introduction:
! Rappel:présentationdupoèteetdupoèmeétudié:«Nuitrhénane»estunpoèmelyriquequi
ouvrelecycledesneufpoèmes«Rhénanes»inspirésparleséjourdupoèteaubordduRhinen
1901 durant lequel il rencontre la gouvernante Annie Playden dont il tombe amoureux.
L’influencedeceséjourestsiimportantesurApollinairequ’ilsongeàécrireunrecueilintituléLe
Vent du Rhin. Il convoque des figures empruntées à la mythologie germanique: les Ondines1.
L’AllemagnefantastiquedeslégendesadéjàbeaucoupinspirélesromantiquescommeHugodans
sonrecueilintituléLeRhin,NervalquiatraduitGoetheetLaLoreleidel’écrivainallemandHeine.
! Lectureexpressivedutexte.
! Problématique:voirlesquestionsproposéesàlafin.
! Reprisedelaquestionquivousseraposéeàl’oral.
! Annonceduplan
Despistespourvousaider:
IUnpoèmesurnaturel
Lesurnaturelapparaîtdedifférentesfaçonsici:
1. D’abord,danslachansondubatelierconsacréeauxOndines(strophes1et3)qu’ilchante
de«Nuit»(cftitre)
Lechantdubatelierallemand(oulied2)seprésentecommeuntémoignage:«Quiracontel’avoirvu»
(vers3).Cpt,récitquiindiquelanaturevéritabledesensorceleuses.Cesontdes«féesauxcheveux
verts»(vers12)quiseréunissent«souslalune»(vers3),astretraditionnellementmaléfique.Ellessont
«sept»(nombremagique).Cessorcièresontlachevelurevertequiseconfondavecl’eauduRhin. Leur
capacitéàséduireestnotable:d’unepart,leurscheveux«longsjusqu’àleurspieds»(vers4)sontun
objet de séduction certain; d’autre part, elles «incantent3 l’été» (vers 12). Leur chant revêt donc une
vertu magique; enfin, le vers 11 «La voix chante toujours à en râle-mourir4» suggère la séduction
maléfiquedontsontcapableslesOndines.Lepoètelesopposed’ailleursaux«fillesblondes»allemandes,
«Auregardimmobileauxnattesrepliées»dontilrecherchelaprésencedanscecabaretetquisemblent
bienplusrassurantesquecesdivinitésmaléfiques.
2. Unpaysagesurnaturel(strophe3)
Vers 9 et 10: présentation d’un paysage surnaturel = personnification des vignes qui «se mirent»,
tellesdesfemmesdésirantséduiredanslesrefletsdufleuve.«L’ordesnuits»(métaphoredésignantles
étoiles)confèreégalementàcetespaceréeluncaractèresurnaturel.Onpourranoter:latoute-puissance
du regard («se mirent», «s’y refléter») qui intrigue le poète comme le batelier et le lecteur. Le Rhin
semble «ivre» parce que «les vignes s’y mirent» (vers 9); le tremblement: les éléments naturels
s’animent,suscitantl’effroi.Onimagineégalementqu’ils’agitdel’alcooltremblantaufondduverre.En
mêmetempsquelebatelierracontecettelégendeeffrayante,lepoètel’écouteetboit«cevintrembleur
commeuneflamme»(vers1).
3. Lesurnatureldanslecabaret:l’ivresse(strophes1et4(constituéed’unseulvers))
! La comparaison «comme un éclat de rire» (vers 13) évoquerait un rire diabolique,
sardoniquequimarqueraitletriomphedespuissancessurnaturellessurlemonderéel.Leséclats
duverrerendraientcomptedel’immersiondumondesurnatureldanslemonderéel.
1LesOndines:motdérivédumot«onde».LesOndinessontdesgéniesdeseauxcourantesissuesdela
mythologie germanique. Cette mythologie les fait vivre au fond des fleuves dans un palais de cristal où
ellesgardentcaptifspêcheursetchevaliers.Ellesontunpouvoirdeséductionmaléfique.
2
Le lied est un chant inspiré du folklore allemand. Il se fonde sur une rythmique populaire faite de
refrainsetdemotifsquireviennentetprennentsouventlaformede«chantdanslechant»,évoquantla
chansond’unpersonnageentraindechanter.
3 Incantent: ensorcellent. «Incanter» est un verbe ancien. «Incantare» en latin signifie «charmer»,
«jeterdessorts».Onnoteralegoûtprononcéd’Apollinaireàemployerdesmotsanciensdisparusoubien
inventés.Selonlepoète,cesmotsparticipentpleinementàsadéfinitiondelapoésie(voiraxeII).Ilenfait
unusageabondantdansAlcools.
4Râle-mourir:motinventéparApollinaire.Cemotestimagéetsignifie«mourirenpoussantunbruit
rauque».
1
! Cetéclatementduverrenousamènedoncàréinterpréterl’épithète«trembleur5»duvers
1.Levintremblecommeauvers10«l’ordesnuits»carilentreencontactaveclesurnaturel:les
Ondinesdontilredoute,àjustetitre,lapuissancemaléfique.
IILapuissancemagiqueduVerbe:unpoèmeincantatoire
=poèmeprogrammatiquequidonneunedéfinitiondel’ivressepoétique.
On remarquera le lien étroit entre le surnaturel et ce que nous appelons le Verbe et qui recouvre ici le
chant,lerâle(vers11),lefaitdenommer(vers12)etlapoésie.
1. Latoute-puissanceduVerbe(langagepoétique)danslerécit
! LesOndinesn’apparaissentdanslepoèmequ’àtravers«lachansonlented’unbatelier»(vers
2). Pourtant, elle suscite l’effroi chez le poète qui sollicite que l’on danse une «ronde»
(vers5)afinqu’ellecouvrecechantenvoûtantetqu’elleleprotège.
! De même, le tremblement du vin puis celui des étoiles peut s’expliquer par la frayeur à
entendrela«chansonlente».Carlepoèmejuxtaposedelamêmefaçondanslesdeuxstrophes
letremblementauchant:«(...)unvintrembleurcommeuneflamme/Écoutezlachansonlente
(...)(vers12);«(...)tombeentremblants’yrefléter/Lavoixchantetoujours(...)»(vers10-11).
Enfin,lacomparaisondesversconsacrésàcechantfaitapparaîtreuneévolutionsignificative.
Alorsqu’àlastrophe1,lachansonseborneàdécriredes«femmes»à«cheveuxverts»,leverre
se brise pour rompre l’enchantement ou pour protéger le secret (la nature des «fées») ou en
réponseàuneincantation.
2. Lamagiedansl’écritureetlacompositiondupoème
! La composition: on peut remarquer la circularité du poèmequi s’ouvre et se clôt sur le
même GN: «Mon verre». Le poème se termine par l’éclatement inexpliqué du verre: «mon
verres’estbrisécommeunéclatderire»(vers13).Cettebouclesemblereproduirelarondequi
protègelepoètedesOndinesautantqu’ellelescélèbre.
! Les correspondances: 1) les images consacrées au verre de vin trouvent leur
correspondant dans celles qui décrivent la nature (vers 9-10): ex: le vin est comme une
flamme / les étoiles sont de l’or (analogie de couleur) 2) le destin du chanteur (le batelier)
s’apparente à celui du Rhin et à celui des étoiles soumis à la toute-puissance du regard.
C’estpour«avoirvusouslaluneseptfemmes»(vers3)qu’ilestcontraintdeleschanter,réduit
peuàpeuàsaseule«voix»(vers11),puisàun«râle»(vers11)quiannoncelamort.3)Ilya
uneanalogieentrel’ivresseréelledupoèteetl’ivressepoétiquequ’ilressentenécoutant
cettelégende.Leverreetleverspoétiqueneformentalorsqu’un.L’homophoniescelleles
deux univers, réel (le cabaret) et poétique (le caractère surnaturel de la chanson). On peut
également relever la coïncidence entre la césure qui «brise» le dernier alexandrin en deux
hémistichesetleparticipepassé«brisé».
Ainsi, Apollinaire suggère un univers dans lesquelles les univers s’interpénètrent. Effet de
l’ivresse?MagieduVerbe(langage)poétique?L’ivresseesttoujourspoétiquechezApollinaire.
! Lesmotsrares:ilssontassociésauvin(«trembleur»),auchant(«râle-mourir»)etàlamagie
(«incantent») (voir les notes). Apollinaire renouvelle donc le lyrisme en mêlant plusieurs
chants (et voix): «la chanson lente du batelier» (vers 2) qui se mue en une «voix (qui)
chante toujours à en râle - mourir» (vers 11), plainte effroyable à entendre; le chant
incantatoire des «fées aux cheveux verts» (vers 12) du Rhin; le chant (le voix) du poète
qui mêle sa voix à celle du batelier et à celles des Ondines («je»; «Mon verre»). L’attention
prêtéeauxmotsrarespermetdedélimiterlechampsémantiquedelapoésie:levinetla
flamme(l’inspiration,labrûlure),lechant,lamagie.
Conclusion:
! Poème dans lequel se mêlent les univers de l’alcool (la référence au titre du recueil est
explicite)etdelanuit,l’envoûtementdel’ivresseetdel’amour,maisaussiuneexpérience
poétiquequitransfigureleréel.Apollinaireylivresadéfinitiondelapoésie.
! Poèmequirenouvellelelyrismetraditionnelenmêlantplusieursvoix.
Questionspossibles
- Comments’exprimelamodernitédans«Nuitrhénane»?
- Enquoicepoèmerelève-t-ilàlafoisdusurnatureletdumonderéel?
- QuelestlerôleduVerbe(parolepoétique)danscepoème?
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«Trembleur», en fonction adjectivale, est un emploi vieilli (attesté au XVIIIème siècle, puis chez
Apollinairedanscepoème).Ilnes’emploiequepourdesêtresanimés.
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