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BALAKAT / DeLphine hecqueT
Deux femmes se retrouvent au parloir. L’une est écrivain (E), l’autre est
détenue (D) depuis 15 années. La criminelle souhaite écrire un livre sur la
condition de prisonnière et demande de l’aide à une jeune écrivain. Elles
n’ont apparemment rien d’autre en commun que leur désir d’écriture, ne
connaissant rien l’une de l’autre, cherchant dans l’échange à trouver leur
histoire. De cet échange ne naîtra pas le livre que la détenue attendait,
mais adviendra la parole, et par la parole s’ouvrira un autre mystère,
bien plus grand qu’elles voudraient l’imaginer.
Le parloir, ou littéralement «l’endroit où l’on parle», fait tout à fait écho
au dispositif théâtral. Dans un espace et un temps donnés, deux per-
sonnes (minimum) ont rendez-vous pour se parler. La parole a ainsi un
cadre qui est imposé et restrictif mais qui ouvre un champ de possibles.
Une contrainte sans laquelle la parole ne pourrait advenir.
C’est un prétexte pour évoquer le travail de l’écriture: la solitude et l’en-
fermement, la précision des idées grâce à la parole, la construction en
direct du discours par le dialogue. Je cherchais un lieu où la question de
l’oralité avait un sens très fort. Le parloir m’est très vite venu à l’esprit, et
il m’est apparu comme un pendant du Théâtre, tant dans son dispositif
que dans son rapport au langage.
Voilà bien ce qu’il y a de plus humain, dans l’humain: l’Horreur. Dans « le
monde réel », ainsi que décrit l’Ecrivain ce qui représente l’en-dehors de
la prison, on reste fasciné par le passage à l’acte. Le crime est dans tous
nos journaux, on rejette tout état de fait divers, mais on a bien pourtant
envie de connaître le visage de celui qui tue. Mais derrière ce visage-ro-
bot il y a un portrait, plus confus, l’homme ou la femme qu’ils sont. Des
êtres au contraire bien dans le monde réel, comme tout le monde. Au
risque de décevoir le sensationnel. A travers l’Ecrivain, on approche la
Femme, derrière la criminelle. On ose, -entre crochets, à voix basse, ou
à une voix comme désincarnée dont on ne sait plus si elle appartient à
la pensée, à l’écriture, au sous-texte- se poser des questions indiscrètes.
Dire tout bas la honte que l’on a de vouloir savoir pourquoi, comment,
cette femme se retrouve ici, dans ce lieu, et ce qui la rend criminelle. Et
finalement, imaginer la banalité des réponses possibles. Et laisser surgir
d’autres questions, plus dérangeantes, revenir à soi... Serait-il possible
que je sois passée à l’acte, moi aussi?
Il y a ce qui échappe et ce qui appartient au ressassement, ce qui est
raconté de la même manière depuis des années, et le hasard.
Finalement, on n’arrive pas pour rien quelque part, on retrouve ou on
écrit le sens des choses. Elles écrivent ensemble une Histoire qui s’ap-
pellerait Balakat.
BALAKAT
NOTE D’INTENTION