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éthique
1286 Revue Médicale Suisse
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21 mai 2008 Revue Médicale Suisse
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24 août 2008 0
Les bonnes questions de Platon
L’an dernier, le Dr Samia Hurst
dans une excellente Carte blan-
che1aattiré notre attention sur
un dialogue de Platon.
Ce dialogue, Euthyphron, assez court
et moins connu que le Banquet, Phèdre
ou la République, est d’une grande ri-
chesse. Je m’y suis plongé et j’aimerais
faire partager mes réactions, sans être
complet ni exhaustif, et sans recourir à un
quelconque commentateur. Comme tou-
jours avec Platon, on n’a pas de réponses,
mais de nouvelles questions ;Socrate,
étincelant et ironique ébranle nos certi-
tudes, démonte les idées reçues et réduit
en poussièrenos réponses toutes faites;
le lecteur,àchaque fois, ne ressort pas in-
demne de la lecture (ou relecture) d’un dia-
logue; à la fois enrichi et déstabilisé, il est
comme poussé vers la haute mer.Tout le
contraire du Platon accusé, bien à tort,
de nous emmener dans son fumeux (le
mot est de M. Onfray) monde des Idées.
Le dialogue tourne autour d’une seule
question :Qu’est-ce qui est pieux et, son
contraire, impie? Ces deux adjectifs fran-
çais, fleurant le passé et la bigoterie, tra-
duisent très mal la notion forte de piété
chez les Grecs, qui comprend non seu-
lement les rapports entre les hommes et
les dieux, mais encore les relations entre
les hommes, entre les générations – la pié-
té filiale – et l’adéquation à la Justice ; le
vocabulaire grec à ce sujet est complexe,
etpour en pénétrer la richesse, il faut lire
le premier chapitre de l’ouvrage que Jean
Rudhart a consacré à la religion grecque,2
et qui fait autorité. Pour simplifier, on pour-
rait dire, sans trahir Platon, que le sujet du
dialogue est la question du bien et du mal.
Platon met en confrontation deux per-
sonnages pour lesquels la discussion est
loin d’être théorique. Socrate est sous la
menace d’un procès, accusé d’impiété
dans ses rapports avec la jeunesse et
avec la Cité (polis, l’Etat). En face, Euthy-
phron, spécialiste reconnu des questions
morales et religieuses, est lui aussi en
procès :il est accusé d’impiété, car il a
fait condamner son propre père (qui avait
commis un meurtre). Socrate sincère-
ment inquiet s’adresse à ce maîtreres-
pecté, lui demandant de l’éclairer et de
l’aider à se sortir de ce traquenard; l’au-
tre, sûr de lui et plein de suffisance – un
peu comme nous médecins, mâles sur-
tout, de notregénération, quand nous
parlions du haut de notre savoir médical –
verra ses réponses se dégonfler comme
des baudruches.
Platon, comme à son habitude, prend
prétexte de cette discussion pour élargir
le débat et discuter, à fond, les critères de
toute définition, mais concentrons-nous
uniquement sur la question dont la répon-
se sert de base à toute morale :qu’est-
ce que la piété (le bien), qu’est-ce que
l’impiété (le mal) ?
La premièreréponse d’Euthyphron
peut être résumée ainsi: ce qui est pieux,
c’est ce que j’ai fait avec mon père, fai-
sant passer les principes moraux avant
les liens affectifs, en toute justice».
Socrate écarte rapidement cette ré-
ponse, car à une question générale Euthy-
phron a répondu par son cas particulier;
faute de logique que nous commettons
souvent à titrepersonnel en matièrede
justice ou de morale : j’ai agi en toute
sincérité, persuadé que là était le bien
pour moi et pour l’autre.
C’est, en caricaturant un peu, au
même niveau que se situent souvent les
réponses aux débats éthiques contem-
porains ; comme il est impossible de se
baser sur la conviction de tout un cha-
cun (société pluraliste) et encoremoins
sur la science, on décide, par votation
parfois, sous pression de l’opinion publi-
que souvent, que tel acte est bon ou
mauvais. Mais à qui imputer la faute de
cette mise de la charrue avant les
bœufs ? Cette attitude pragmatique qui
prédomine actuellement, dans le sillage
de l’utilitarisme d’origine anglo-saxonne,
est-elle vraiment la seule réponse pos-
sible ? Voilà bien, semble-t-il, le premier
nœud dans le débat éthique.
Socrate insiste : réponds à ma ques-
tion !Deuxième réponse d’Euthyphron :
«Le pieux c’est ce qui plaît aux dieux».
Assez facilement, Socrate fait observer
que les dieux souvent ne sont pas d’ac-
cord entreeux, ce qui plaît à l’un déplaît à
l’autre. En passant, Platon montre que le
désaccord entre les dieux est hors de por-
tée de la science et du bon sens. Il ne peut
yavoir discussion en matière de vérité
mathématique.3Il en va différemment du
débat sur le bien et le mal; pour nous com-
me pour les Grecs il y a 2500 ans il man-
que l’étalon. C’est le deuxième nœud.
De plus, le comportement de certains
dieux est parfois choquant pour le com-
mun des mortels. Il ne peut être pris
comme modèle. Pourquoi ?Comme l’a
bien vu Samia Hurst, c’est qu’il existe en
tout homme, avant ou en dehors de la
religion, un sens du bien et du mal. Quelle
est l’origine de ce sens ? Un avantage
sélectionné par l’évolution ?Et si c’est le
cas, faut-il pour dicter les règles indis-
pensables à la vie en société ne retenir
que les tabous traditionnels comme le
meurtreet l’inceste?
Socrate émet-il là une critique de la
religion grecque? Comme simple lecteur,
très amateur, de Platon, je répondrais non.
Au jeune Phèdre qui lui demande s’il croit
vraiment à un certain récit mythologique,4
Socrate répond: «mon cher, je ne suis pas
J. Petite
DrJacques Petite
Av. de la Gare 38
1920 Martigny
j.petite@mycable.ch
Rev Med Suisse 2008; 4 : 1286-7
1 Hurst S. Science sans conscience ne sort pas du lit le
matin. Rev Med Suisse 2007:3;1550.
2 Rudhart J. Notions fondamentales de la pensée religieuse
dans la Grèce classique 1958. Genève : BPU Salle Naville.
3Euthyphron 7 c. Au sujet du plus grand et du plus petit, si
nous avions un dissentiment, en recourant à la mesurene
cesserions-nous pas bien vite d’être d’un avis différent?