Ettayebi, M., Medzo, F. et Fortier, Guy. (2004). De nouveaux rôles pour enseigner au temps des
réformes. Actes du congrès de l’AIPU : 20 ans de recherche et d’actions pédagogiques, bilan et
perspectives. 21e congrès de l’Association internationale de pédagogie universitaire. Marrakech.
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De nouveaux rôles pour enseigner au temps des réformes
Moussadak Ettayebi, Consultant, Ministère de l’Éducation du Québec
Fidèle Medzo, coordonnateur, Ministère de l’Éducation du Québec
Guy Fortier, conseiller cadre, Ministère de l’Éducation du Québec
Résumé
Le présent article porte sur le rôle d’enseignante ou d’enseignant dans le contexte de la
réforme du curriculum à l’intention des adultes du Québec. Ce curriculum rénové
s’inscrit dans une logique stratégique qui fait appel à un large processus de consultation
des acteurs du système. Il s’inscrit aussi dans une perspective d'apprentissage et
d'enseignement qui intègre l'approche par compétences et le socioconstructivisme. Dans
ce contexte, les compétences des enseignantes et des enseignants gagnent à être
actualisées; le recrutement, l’insertion professionnelle, la formation initiale, la formation
continue et le maintien du personnel enseignant sont appelés à évoluer afin de permettre à
ces personnes de faire face à l’innovation due à la réforme. L’article présente les
tendances en formation à l'enseignement et précise les conditions présagées pour aider les
enseignantes et les enseignants à jouer pleinement leur rôle d’agents de changement et
d’acteurs de l'apprentissage tout au long de la vie. On y soutient que l’implantation
réussie du curriculum rénové nécessite une convergence de trois types de stratégies,
celles fondées sur les normes (gestion centrale), celles axées sur l’établissement (gestion
locale) et celles orientées sur le perfectionnement du personnel enseignant.
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Introduction
Depuis quelques années, on constate un mouvement important de réformes des systèmes
éducatifs nationaux aux différents ordres d'enseignement. Dans la plupart des systèmes, les
enjeux sont culturels, économiques et sociaux. Dans ce sens, la Commission internationale sur
l’éducation pour le XXIe siècle (Delors, 1996), la cinquième conférence internationale sur
l’éducation des adultes (UNESCO, 1997), le forum mondial sur l’éducation (UNESCO, 2000)
ainsi que de la réunion des ministres de l’Éducation des pays de l’OCDE (2001)
recommandent avec détermination le plein respect des droits de la personne humaine et de ses
libertés fondamentales. Dans les actions à entreprendre, on reconnaît l’importance du
rehaussement des compétences, de la formation continue, du développement durable, de la
reconnaissance des acquis et des compétences.
Dans ce contexte, le Québec a adopté en 2002 une Politique gouvernementale d’éducation des
adultes et de formation continue. Celle-ci est basée d’une part, sur la déclaration d’Hambourg
(UNESCO, 1997) et, d’autre part, sur les recommandations du rapport de la Commission des
États généraux sur l’éducation (1996). Parmi les grands chantiers de travail issus de la mise en
œuvre de la Politique gouvernementale (2002), la réforme du curriculum de la formation
générale des adultes occupe une place importante. Comme il fallait s’y attendre, cette réforme
a des effets sur le rôle d’enseignante ou d’enseignant. Une préparation adéquate est requise
pour faire de ces personnes des agents de changements qui traduisent bien l’esprit de la
réforme auprès des apprenantes et des apprenants. Le gouvernement du Québec rejoint ainsi
les préoccupations de la communauté internationale en faisant de l’apprentissage tout au long
de la vie une pierre angulaire du développement économique, social et culturel de sa
population.
Le présent article porte sur le rôle d’enseignante ou d’enseignant dans le contexte de la
réforme du curriculum à l’intention des adultes du Québec. Dans un premier temps, il décrit
les orientations qui guident la rénovation de ce curriculum. Dans un deuxième temps, il
présente des stratégies de perfectionnement des enseignantes et des enseignants dans un
contexte de réforme. La suite de l’article montre comment le curriculum rénové fait appel à la
convergence de trois types de stratégies pour favoriser la réussite de l’implantation des
changements dus à la réforme.
1. Les orientations du curriculum à l’intention des adultes au Québec
Les orientations, les principes et les moyens d’action qui encadrent la réforme du curriculum
sont présentés dans la Politique gouvernementale d'éducation des adultes et de formation
continue et son Plan d’action (Gouvernement du Québec, 2002a, 2002b). Le gouvernement
veut doter les adultes de compétences qui les aideront à jouer pleinement leurs rôles dans la
société et à bénéficier d’une formation de base renouvelée. On vise donc à maintenir et à
rehausser sans cesse le niveau de compétence des adultes, à valoriser leur acquis et leurs
compétences ainsi qu’à lever les obstacles à l’accessibilité et à la persévérance. La Politique et
son Plan d’action mettent l’accent sur la formation continue liée à l’emploi, sur la
reconnaissance officielle des acquis et des compétences ainsi que sur un partage des
responsabilités du financement de la formation. On veut susciter la demande de formation,
3
accueillir, conseiller et accompagner l’adulte dans sa démarche, lui offrir des services adaptés
à sa situation et travailler en collaboration et en complémentarité avec les partenaires de la
formation des adultes.
Le curriculum rénové place l’adulte au centre du processus d’apprentissage et le sollicite pour
prendre en charge ses apprentissages et développer son autonomie. La formation des adultes
fera appel à l'apprentissage en mode présentiel et à distance en ligne. Elle encouragera des
formules didactiques variées adaptées à la diversité de la clientèle. Elle favorisera
l'apprentissage tout au long de la vie. La formation comportera des approches novatrices
centrées sur l'apprentissage. Elle respectera le projet personnel de l’adulte, son rythme
personnel d'apprentissage et ses acquis antérieurs. Ce qui demande une attention particulière à
chaque personne et une adaptation à la diversité de clientèles en formation des adultes.
On pourrait se demander si cette situation est vraiment nouvelle. En éducation des adultes, tout
comme dans les programmes cadres (1969-1979) et les programmes habiletés (1979-1998),
l’apprenant est placé au centre de l’activité éducative. Mais, comme le soulignent Martineau et
Gauthier (2002), c’est moins l’apprenant qui est l’expert de ses apprentissages que les
dispositifs didactiques mis en place qui lui permettent de le devenir. En d’autres mots, une
attitude moins interventionniste est désormais requise pour favoriser l’autonomie des
apprenantes et des apprenants adultes et leur apprentissage tout au long de la vie. De plus,
étant donné les changements qui affectent nos sociétés, en formation, on a à composer avec la
valorisation de la liberté individuelle, de la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse.
On doit être en mesure de comprendre cette réalité et de favoriser l’ouverture sur les
différences nécessaires à une meilleure cohésion sociale. Pour cela, la différenciation
pédagogique est tout indiquée. En formation des adultes, on doit adapter notre intervention
didactique aux besoins, aux possibilités et aux intérêts des apprenantes et des apprenants pour
en faire des citoyennes et des citoyens à part entière.
La réforme en cours soulève un questionnement fondamental au sujet de la formation du
personnel enseignant œuvrant dans les institutions vouées à l’éducation et à la formation des
adultes. Les compétences attendues du personnel enseignant et les nouvelles orientations
retenues il y a quelques années, ne correspondent plus aux exigences d’un nouveau curriculum
qui transforment le paradigme en place. Comme le mentionne Bourgeault (2002, 2003), le
rapport même de formation (entre enseignant ou formateur et apprenant ou personne en
formation) doit être revu, de même que les modes de travail pédagogique. Ne devrait-on pas
veiller à doter le personnel enseignant de formations initiale et continue adéquates? Quelles
seraient alors les stratégies de formation des enseignantes et des enseignants dans un contexte
de réformes ?
2. Stratégies de formation des enseignantes et des enseignants
Au Québec, il n’existe pas de programmes officiels de premier cycle universitaire conduisant à
l’exercice de la profession enseignante en formation des adultes tel qu’elle se pratique en
formation des jeunes (Bouchard, 2002; Wagner, 2002). Il existe quelques certificats
(programmes équivalents à 2 ans de formation au premier cycle) pour les formateurs d’adultes
en entreprises ou en milieux communautaires et des programmes de deuxième cycle. Ces
programmes ne permettent pas l’obtention du permis d’enseignement obligatoire dans les
établissements reconnus par le ministère de l’Éducation. Les programmes universitaires de
4
premier cycle de formation à l’enseignement primaire ou secondaire doivent également
préparer le personnel enseignant à œuvrer à la fois auprès des populations jeunes ou adultes
(MEQ, 2001a, 2001b). Mais ce choix est loin de faire l’unanimité (Wagner, 2002; Solar, 2002;
Bouchard, 2002). De là, les réflexions consensuelles que nous devons faire sur les
compétences attendues des enseignantes et des enseignants à l’éducation des adultes à la
lumière de la réforme curriculaire qui s’amorce.
Dans le reste du Canada, la situation est assez semblable puisque seule la province du
Nouveau-Brunswick offre un programme complet de premier cycle conduisant à l’éducation
des adultes. Cependant, ce programme ne conduit pas à l’obtention du permis nécessaire à
l’enseignement dans les établissements publics. Il en va de même dans plusieurs pays
européens qui mettent l’accent sur la détermination de normes professionnelles relatives à
l’enseignement à l’éducation des adultes et sur la recherche dans le domaine. On retrouve dans
les nombreux écrits et rapports de l’OCDE, plusieurs mentions des initiatives visant la
professionnalisation de l’éducateur d’adultes. On note les efforts particuliers faits par le
Royaume-Uni afin d’établir des normes nationales pour l’enseignement et le soutien à
l‘apprentissage en alphabétisation et en langues sous les auspices de la « Further Education
National Training Organisation » (FENTO). Ce projet visant à améliorer les habiletés
générales du personnel enseignant s’inscrit dans le contexte de la stratégie gouvernementale
« Skills for Life » (2002) afin de favoriser l’enrichissement des compétences de base de la
population.
Ailleurs dans le monde, la situation est semblable, l’heure est aux changements. En
collaboration avec l’UNESCO, le réseau PACT (Professionnal Actions and Cultures of
Teaching) tente de « redéfinir ou inventer, selon le cas, un nouveau professionnalisme qui
permette véritablement aux enseignantes et aux enseignants de répondre aux défis et aux
exigences du siècle qui s’amorce » (Hargreaves et Lo, 2000). On observe un consensus de plus
en plus important à travers le monde sur la nécessité de revoir les dispositifs de formation à
l'enseignement afin de soutenir les réformes en émergence. L’ampleur des changements
proposés impose de plus en plus une veille stratégique en formation du personnel enseignant.
De nos jours, il semble encore que peu de résultats concrets soient observables et on cherche
toujours les façons de faire. Lieberman et Mc Laughin (2000) ramènent les réformes en
perfectionnement des enseignantes et des enseignants appliquées aux États-Unis à trois
grandes catégories : les stratégies fondées sur les normes, les stratégies axées sur
l'établissement et les stratégies orientées sur le perfectionnement. Les premières soutiennent le
principe que, veiller aux normes établies par l’équipe de gestion centrale du curriculum est un
puissant instrument de changement. Un corps enseignant qui respecte ces normes sera un
puissant instrument de changement. Dans cette logique, une fois établie la nouvelle
configuration de l’offre de service (finalités, plan de formation, programmes d’études,
organisation de l'apprentissage, etc.), on fixe des objectifs de résultats aux enseignantes et aux
enseignants. Dans une synthèse de l’observatoire européen des innovations en éducation et
formation (INNOVA), Paquay (1997) qualifie ce type de stratégies de « stratégies top-down »
et donne comme exemples celles de la Grèce et de la Finlande.
Dans les stratégies axées sur l'établissement, le moteur du changement réside dans la
transformation de la perception qu’a le personnel enseignant de ses responsabilités et de sa
mission. La réforme agit alors sur l’autonomie de gestion locale des programmes d’études, des
structures de fonctionnement, du partage d’une vision commune locale, et de la mise en place
5
d’une communauté apprenante. Quant aux stratégies orientées sur le perfectionnement, elles
tablent sur le fait que le moteur du changement réside dans les compétences du personnel
enseignant. Ainsi, on actualise la formation initiale à l'enseignement et on met en place des
projets spéciaux de formation continue dans la logique des nouveaux choix curriculaires. Pour
ces « stratégies bottum-up », Paquay (1997) identifie l’exemple de l’Autriche, de la Belgique,
de l’Irlande et de l’Italie.
Cette catégorisation est commode et, souvent, il n’est pas aisé de trancher pour identifier
clairement le type de stratégies dominant dans une réforme. Il faut aussi reconnaître que
chacun de ces trois types de stratégies atteint vite ses limites. Les stratégies fondées sur les
normes ne s’attardent pas suffisamment sur l’opérationnalisation des choix curriculaires. Les
stratégies axées sur l'établissement prennent trop de risques concernant la cohérence par
rapport à la gestion centrale de la formation et les stratégies orientées sur le perfectionnement
n’accordent pas suffisamment d’attention à l’organisation locale de la formation. Voilà
pourquoi Lieberman et McLaughin (2000) soutiennent qu’une bonne politique en matière de
réforme éducative consiste à faire converger les trois logiques en faisant jouer leurs atouts
respectifs de manière à ce qu’ils se renforcent l’une l’autre. Dans la suite de cet article, on va
décrire comment s’articulent les trois stratégies préconisées par Lieberman et McLaughin
(2000) et par Paquay (1997) dans le cas du curriculum à l’intention des adultes du Québec.
3. Les incidences des stratégies axées sur des normes du curriculum rénové
Les normes de la formation générale de base des adultes sont nombreuses : la vision de
l’apprenant(e) adulte, des responsabilités de la collectivité actualisées, de nouvelles
caractéristiques de la formation, une évaluation centrée sur le développement de compétences,
etc. Les deux sections suivantes décrivent les incidences du socioconstructivisme et de
l’approche par compétences sur le nouveau rôle des formatrices et des formateurs d’adultes.
3.1 Les incidences du socioconstructivisme
La conception de l'apprentissage retenue pour le curriculum des adultes s’inscrit dans une
perspective socioconstructiviste. Précisons d’abord ce qu’on entend par « constructiviste »,
ensuite nous décrirons la dimension « socio » et nous y ajouterons une dimension interactive.
Les adeptes du paradigme épistémologique de la connaissance selon une hypothèse
constructiviste soutiennent que, dans cette perspective, le sujet apprend en organisant son
monde en même temps qu’il s’organise lui-même. À travers sa propre activité, il manipule sa
propre connaissance et la reconstruit à partir de ses expériences et de ses connaissances
antérieures. De ce point de vue, le sujet est responsable de ses propres apprentissages. Il faut
donc repenser la conception qui met l’accent sur la transmission des savoirs. (Jonnaert et Van
Der Borght, 1999; Jonnaert, 2002)
À la suite des formations qu’elles ont données à différents intervenants et intervenantes du
milieu scolaire, Lafortune et Deaudelin (2001) ont retenu entre autres que, dans une
perspective constructiviste de l'apprentissage, la personne est amenée à revoir ses conceptions
erronées afin de parvenir à structurer ses connaissances, attitudes, habiletés, conceptions, etc.
En contexte de formation, on est amené à choisir des formules pédagogiques qui favorisent des
situations de conflit cognitif, susceptibles d’amener la personne à être régulièrement active
dans la révision de ses conceptions erronées et dans la structuration du sens qu’elle donne à la
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