J. sci. pharm. biol., Vol.8, n°1 - 2007, pp. 6-14
© EDUCI 2007
TRAITEMENT DE LA CATARACTE PAR LES TRADI-
PRATICIENS. MÉTHODES ET COMPLICATIONS À
PROPOS DE 30 MALADES
OUATTARA Y*.(1)
KOFFI K.V. (2)
SAFEDE K. (3)
KONAN Y.E. (4)
RESUME
(1) Médecin, Assistant Chef de Clinique en Ophtalmologie - CHU de Cocody (Abidjan-RCI)
(2) Médecin, Maître Assistant en Ophtalmologie – CHU de Bouaké (Bouaké-RCI)
(3) Médecin, Professeur Agrégé en Ophtalmologie – CHU de Yopougon (Abidjan-RCI)
(4) Médecin, Assistant Chef de Clinique en Santé Publique – INSP (Abidjan-RCI)
Dr OUATTARA Yves - Assistant Chef de Clinique en Ophtalmologie - CHU de Cocody (Abidjan RCI) - 22 BP 374
Abidjan 22, Fax (225) 22 44 13 79 ; Cel : (225) 08 13 40 00 / 06 08 89 64 ; e-mail : [email protected]
Dans cette étude transversale de 10
mois (juillet 1999 avril 2000) réalisée
au Service d’Ophtalmologie du CHU de
Yopougon, nous avons examiné 30 patients
(60 yeux) préalablement traités par des
tradi-praticiens (ou guérisseurs) pour
une cataracte. Son but était d’identifi er
les méthodes employées et de décrire les
complications qui en découlaient. Nos
patients, constitués de 22 hommes et de 8
femmes (sex ratio 3/1), avaient tous plus
de 30 ans, un âge moyen de 65 ans et des
extrêmes allant de 39 ans à 82 ans.
Le bas niveau d’instruction était
caractéristique de notre échantillon (86,66%
d’illettrés) et la principale motivation de la
consultation chez les tradi-praticiens était
la publicité à travers les médias et la presse
écrite (40%).
La manœuvre employée n’a pu être
décrite avec précision mais elle aboutissait
toujours à une luxation plus ou moins
complète du cristallin, le plus souvent
dans le vitré. Il en résultait une aphaquie
accompagnée d’hypertonie oculaire
(23,33%), d’une organisation du vitré
(20%), d’une réaction uvéale infl ammatoire
(6,66%).
L’aphaquie bilatérale sur des yeux calmes
a été retrouvée chez 5 sujets et 2 autres
patients souffraient de panophtalmies.
Sur le plan fonctionnel, 14 yeux (18,33%)
ne percevaient pas la lumière tandis
que 42 yeux (70%) avaient une acuité
visuelle limitée à une simple perception
lumineuse.
La bilatéralité des lésions chez plus de
la moitié de nos patients (16/30) souligne
le risque de cécité lié au traitement de la
cataracte par les guérisseurs.
Mots-clés : traitement, cataracte, tradi-
praticien, méthode, complication.
ABSTRACT
The dislocated lens was associated
to a high intraocular pressure (23,33%),
to an organisation of the vitreous (20%),
to an inflammatory intraocular reaction
(6,66%). 5 patients had bilateral lens
dislocation with calm eyes and 2 others
had panophtalmia.
Functionally, 14 eyes (18,33%) could
not perceive light while 42 eyes (70%)
had visual acuteness limited to a simple
perception of light.
Lesions localisation on both eyes of more
than a half of our sample (16/30) underlines
the risk of blindness linked to the treatment
of cataract by the traditional healers.
Key words : Treatment, Cataract,
Traditional healer, Methods, Complication.
In this transversal study of 10 months
(July, 1999 to April 2000) conducted in the
ophthalmologic service of the University
Hospital Center of Yopougon (Abidjan -
RCI), we examined 30 patients (60 eyes)
previously treated by traditional healers for
cataract. It’s aim was to identify the healers
methods and to describe the complications
that follow.
Our patients were 22 men and 08 women
(sex ratio ≈ 3/1) and all of them were over
30 years old ranging from39 to 82 years
with a mean of 65 years.
The low level of education is typical of
our subjects (86,66% of illiterates) and most
of them have been to the traditional healers
because their advertising messages through
the medias and the news papers (40%).
We have not been able to describe with
accuracy the techniques used by the
healers but they always led to a dislocation
of the lens, more often in the vitreous.
INTRODUCTION
En 1994, l’OMS estimait à 38 millions le
nombre d’aveugles dans le monde, parmi
lesquels 16 millions de cas de cécité étaient
liés à la cataracte (OMS, 1997).
Par ailleurs, le risque de survenue
d’une cataracte augmentant avec l’âge, le
nombre d’aveugles par cataracte ne pourra
qu’augmenter avec l’augmentation de
l’espérance de vie, surtout dans les pays
en voie de développement, selon les mêmes
sources.
Toutefois, la maîtrise de sa prise en charge
thérapeutique, exclusivement chirurgicale
par phakoexérèse accompagnée d’une
implantation de lentille intraoculaire, en
fait la première cause de cécité réversible
dans les pays développés (OMS, 1985).
Cela n’est pas le cas dans les pays en
voie de développement l’insuffi sance des
infrastructures sanitaires et du personnel
qualifi é d’une part, et la paupérisation
croissante des populations d’autre part
fait de la cataracte un drame visuel et un
véritable problème de santé publique.
Devant ce tableau épidémiologique si
préoccupant et la résurgence de pratiques
ancestrales telles que le traitement de
la cataracte par les tradi-praticiens ou
guérisseurs, il apparaît opportun de
s’interroger sur les méthodes employées
par ces guérisseurs et sur le pronostic
visuel à long terme de celles-ci.
La question est d’autant plus pertinente
qu’un grand nombre de ces guérisseurs
bien connus sous le nom de «Frères Sidibé»
exercent en Côte d’Ivoire et bénéfi cient de
grandes plages publicitaires à travers les
médias et la presse écrite (BOKO, 1992).
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Les objectifs de notre étude étaient de :
- déterminer les caractéristiques socio-
démographiques des patients examinés ;
- identifier les motivations des
consultations chez les tradi-praticiens ;
- identifi er les moyens thérapeutiques
employés par ces tradi-praticiens ;
- décrire les complications oculaires
résultant de ces traitements.
MATERIEL ET METHODES
De Juillet 1999 à Avril 2000, nous avons
réalisé une étude prospective transversale
dans le Service d’Ophtalmologie du CHU
de Yopougon (RCI) sur trente (30) patients
préalablement traités par les guérisseurs
(ou tradi-praticiens). Ces patients sont
venus à la consultation d’ophtalmologie
pour une évolution jugée défavorable.
Nous avons recueilli les caractéristiques
épidémiologiques puis examinés les
patients selon les étapes suivantes :
- mesure de l’acuité visuelle de loin et
sans correction,
- examen au bio microscope du segment
antérieur de l’œil,
- mesure de la pression intra oculaire
(P I O),
- examen du fond de l’œil ( F.O ) en
ophtalmoscopie directe.
Les résultats ont été consignés sur une
che d’enquête individuelle. Ont été inclus
dans notre étude les patients préalablement
traités par des tradi-praticiens (ou guérisseurs)
pour une cataracte et dont l’évolution
jugée défavorable a motivé la consultation
ophtalmologique. Les patients traités pour
une affection autre que la cataracte et ceux
dont les lésions oculaires n’avaient pas pour
origine une manœuvre à visée thérapeutique
ont étés exclus de l’étude.
RESULTATS
1- CARACTÉRISTIQUES SOCIO-
DÉMOGRAPHIQUES
Nous avons examiné 30 patients dont
22 hommes et 8 femmes soit un sex-ratio
d’environ 3/1 en faveur des hommes. L’âge
moyen des patients est de 65 ans avec des
extrêmes allant de 39 ans à 82 ans.
Vingt et un patients sont illettrés
(86,66%) 2 patients (6,66%) ont un
niveau d’instruction primaire et 2 autres
(6,66%) ont atteint le niveau secondaire de
l’enseignement.
2- MOTIVATION DE LA CONSULTATION
CHEZ LE TRADI-PRATICIEN ET
DIAGNOSTIC DE CELUI-CI.
2-1- Motivation de la consultation
La publicité à travers la presse est la
source de motivation chez 12 patients
sur 30 (40%) puis 11 patients (36%) ont
eu recours aux tradi-praticiens sur les
conseils d’un tiers.
Chez 3 patients, la suspicion d’une
cause mystique a motivé le recours aux
tradi-pratitiens (tableau I).
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Tableau I : Motivation de la consultation chez le tradi-practicien
Motivation Effectif Fréquence
Publicité 12 40%
Suspicion d’une cause mystique 3 10%
Invité par le Tradi-praticien 1 3,33%
Coût des verres correcteurs 1 3,33%
Guérisseur ambulant venu au domicile du
patient 1 3,33%
Conseils d’un tiers 11 36,67%
Témoignage d’un patient 1 3,33%
TOTAL 30 100%
2-2- Diagnostic du tradi-praticien.
Le diagnostic de cataracte a été posé chez 24 malades sur 30 (80% des cas) (tableau II ).
Tableau II : Diagnostic du tradi-practicien
Motivation Effectif Fréquence
Cataracte 24 80%
Cataracte + Hémorroïde des yeux 1 3,33%
Non précisé 2 6,67%
Sort mystique 1 3,33%
Il y a quelque chose dans l’œil 1 3,33%
Il y a un nerf bouché 1 3,33%
TOTAL 30 100%
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3- TRAITEMENT DU TRADI-PRATITIEN ET SES COMPLICATIONS
3-1- Nature du traitement
Le traitement est chirurgical exclusivement par luxation du cristallin opacifi é (7 patients
sur 30), chirurgical accompagné d’incantations (11 patients sur 30), chirurgical accompagné
de médicaments traditionnels ( 7 patients sur 30). Sur trois médicaments modernes utilisés
chez trois patients, 1 seul a été identifi é : Chibrocadron® (tableau III).
Tableau III : Traitement du tradi-practicien /Treatment of the traditional healer
Nature du traitement Effectif Fréquence
Luxation du cristallin + incantation 11 36,67%
Luxation du cristallin uniquement 7 23,33%
Luxation du cristallin + incantation + médicament
traditionnel 2 6,67%
Luxation du cristallin + médicament moderne* 7 23,33%
Luxation du cristallin + médicament traditionnel +
médicament moderne** 1 3,33%
TOTAL 30 100%
*Le médicament moderne est un médicament qui a reçu une autorisation de mise sur le marché
(AMM). Chez ces deux patients, nous n’avons pas pu identifi er les collyres administrés par les
tradi-praticiens.
** Chez ce patient, le médicament administré a été bien identifi é : Collyre chibrocadron®
3-2- Les interdits qui accompagnent le traitement.
Chez 13 patients sur les 30 de l’étude, le traitement est accompagné d’interdits. Le
tableau IV récapitule la nature des interdits, le nombre de fois qu’ils ont étés prescrits
et leurs taux de respect.
Tableau IV : Répartition des interdits selon leur nature, leur durée et le nombre de prescription
et selon le taux de respect
Interdits Durée des
prescriptions
Nombre
de fois
prescrite
Nombre
de fois non
respecté
Taux de
respect
Fixation d’une source lumineuse 1 semaine 3 0 100%
Abaissement du regard vers le sol 1 semaine 6 1 83,33%
Fermeture des yeux pendant le jour 1 semaine 4 0 100%
Décubitus ventral 1 semaine 2 0 100%
1 / 9 100%
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