peuple rentre en possession de la souveraineté
aussitôt que les personnes ou les familles à qui il
l’avait donnée viennent à manquer ; le peuple
enfin est celui qui fait les rois. »
Avec le contrat social, c’est une idée radicale-
ment nouvelle qui voit le jour, « celle d’une com-
munauté humaine composée d’êtres primitive-
ment indépendants, d’individus définis par des
droits qui leur sont inhérents de naissance, d’une
communauté qui se donne son propre fondement
dans une immanence radicale. »
Nulle idée plus évidente et partagée au-
jourd’hui que de considérer la société politique
comme fruit d’un libre contrat, loin de toute so-
ciabilité naturelle. Le contrat social c’est la so-
ciété sans Dieu, fondée à partir des seules vo-
lontés humaines, c’est la refondation du politique
sur la seule volonté individuelle.
Un subjectivisme absolu…
Mais si ce contrat social est passé entre indi-
vidus dont la volonté est indépendante de toute
détermination objective et finale, véritable pou-
voir autonome, droit subjectif absolu, comment
éviter l’anarchie sociale, le désordre qu’il recèle ?
En effet, si « le droit de nature est la liberté qu’a
chacun d’user comme il le veut de son pouvoir
propre » (Hobbes), si chaque individu a un droit
souverain sur tout ce qui est en son pouvoir, au-
trement dit si « le droit de chacun s’étend
jusqu’où s’étend la puissance déterminée qui lui
appartient » (Spinoza), comment assurer la co-
existence de ces libertés illimitées, multiformes
et souvent contradictoires ?
Par un curieux renversement, les premières
réponses apportées par la philosophie politique
à l’anarchie possible qui résulte de la souverai-
neté « naturelle » du popolo grasso, c’est tout
simplement – comment faire autrement ? – le
transfert du pouvoir du peuple au prince, mais
attention, un transfert « définitif ». Étonnant pa-
radoxe que ce contrat social total, définitif et
sans retour que l’on retrouve chez Hobbes et
Spinoza comme chez Suarez, Bodin, Grotius ou
Burlamaqui. Ce caractère irréversible implique
– André de Muralt y insiste – un esclavage vo-
lontaire qui confère au Prince un pouvoir illimité
et le transforme de manière essentielle en despote
que les faibles Lumières du 18ème auront bien du
mal à rendre « éclairé ».
Et voilà comment, refusant le principe d’une
souveraineté fondée sur le droit divin, la philo-
sophie du droit naturel moderne détermine la
souveraineté illimitée et « démocratique » du
Prince, car nous dit Suarez : « de même qu’un
homme privé se vend et se donne à un autre en
esclave, de même la puissance (potestas) ayant
été transférée au roi, celui-ci est fait par elle su-
périeur même au royaume qui la lui a donnée,
parce que le royaume, la donnant, s’est soumis
au roi et s’est privé de sa liberté antérieure,
comme il est évident dans l’exemple de l’esclave,
toutes proportions gardées ».
Bref, partant d’une démocratie originelle na-
turelle, celle de Suarez, le peuple souverain se
donne nécessairement au tyran.
Toute la période qui voit s’agiter les idées qui
triompheront dans la philosophie politique mo-
derne, le libéralisme en particulier, est essentiel-
lement affectée par la sécularisation, mouvement
aujourd’hui achevé, qui sort définitivement les
sociétés de leur structuration religieuse, passées
de l’hétéronomie à l’autonomie, de la transcen-
dance à l’immanence absolue. Inutile de revenir
sur ce phénomène qui en deux siècles environ
verra le monde occidental passer du culte de
Dieu à celui de la raison et de la science, à
l’abandon de tout principe d’adoration et à toute
prétention de trouver des fondements à la morale,
la connaissance ou la politique.
Sous des formes diverses, « les Lumières ont
décliné l’idée d’un Dieu si lointain, dilué et pâle
qu’Il ne générait plus la cité des hommes par sa
présence, qu’Il ne la troublerait plus par ses co-
Classement : 2Br31d 10/2016
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