L’adversité comme élément de compréhension à la structure de personnalité: Connaître, reconnaître, savoir-faire et savoir-être. Simon Archambault Travailleur social 11 janvier 2016 Au menu • 1) Connaître les structures de personnalité: la nomenclature du DSM et celle de James F. Masterson. • 2) Reconnaître un patient "difficile" sur nos unités: Un temps d'arrêt nécessaire en équipe. • 3) Comprendre l'intervention/ Se comprendre dans l'intervention • Connaître • Points saillants (Agence de la santé publique du Canada) pour les TP: • D'après des données canadiennes et américaines, de 6 % à 9 % de la population souffre d'un trouble de la personnalité. • Au nombre des hospitalisations pour troubles de la personnalité dans les hôpitaux généraux, 78 % sont pour des jeunes/adultes de 15 à 44 ans. • Il y aurait une diminution des cas dans la population vieillissante. • Une grande partie des thérapeutes sont issus de famille dysfonctionnelle… Deux modèles utilisés en occident: Le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) et le CIM (classification International des Maladies) C’est un système classification, un outil statistique (ou dites de « référence universelle), avec un approche purement descriptive, reposant sur l’observation des symptômes et non leurs causes présumées. Selon le DSM, les troubles de la personnalité sont: un mode durable des conduites et de l’expérience vécue qui dévient notablement de ce qui est attendu dans la culture de l’individu, qui est envahissant et rigide, qui apparaît à l’adolescence ou au début de l’âge adulte, qui est stable dans le temps et qui est source d’une souffrance ou d’une altération du fonctionnement. Doit être présent dans deux des domaines suivant: la cognition (perception et la vision de soi-même, d’autrui et des événements), l’affectivité (la diversité, l’intensité, la labilité et l’adéquation de la réponse émotionnelle), le fonctionnement interpersonnel, le contrôle des impulsions. La classification du DSM Limite: caractérisé par une impulsivité marquée et une instabilité des relations interpersonnelles, de l’image de soi et des affects. Narcissique: est caractérisé par des fantaisies ou des comportements grandioses, un besoin d’être admiré et un manque d’empathie. Schizoïde: est caractérisé par un détachement des relations sociales et une restriction de la variété des expressions émotionnelles. Antisocial: est caractérisé par un mépris et une transgression des droits d’autrui. Histrionique: d’attention. est caractérisée par des réponses émotionnelles excessives et une quête Obsessionnelle-compulsive: l’ordre, la perfection et le contrôle. est caractérisée par une préoccupation par Le DSM décrit... • Mais la souffrance est réelle! • 10% des personnes avec un trouble de la personnalité limite vont mourir par suicide ou des conséquences d’actes autodestructeurs. • 50% des personnes incarcérées ont des troubles de la personnalité antisociale. • Une trajectoire de rupture, de dysfonctionnement et de souffrance qui s’explique. James F. Masterson et la structure de la personnalité • Il s’agit d’un modèle d’accumulation de facteurs de risques, basé principalement sur le facteur développemental: une réponse parentale insuffisante à soutenir le Soi émergent de l’enfant. En d’autres termes, un parentage inadéquat, c’est-à-dire des microtraumatismes au quotidien. • Autres facteurs: biologiques (tempérament); les maladies et handicaps physiques (limitant la mobilité et l’autonomie); le stress de séparation (décès ou absence prolongée d’un ou des parents, placement…); les traumatismes physiques et sexuels; les facteurs sociaux et culturels. C’est l’intégration des concepts psychodynamiques aux théories de l’attachement et à la neurobiologie. Les recherches récentes en neurobiologie mettent en évidence le rôle vital que le parent nourricier joue dans le développement neurologique. La maturation du néo-cortex frontal (structures de régulation de l’humeur, des impulsions, de l’estime de soi et du comportement social), bien que génétiquement déterminée, est grandement dépendante de l’expérience dans le milieu (+ de 80%). Les transactions affectives entre l’enfant et le parent constituent donc cette « expérience » nécessaire au développement. Le parent joue un rôle essentiel de régulateur des systèmes psychophysiologiques immatures de l’enfant. Les transactions affectives dans la relation d’attachement influencent directement les processus de croissance biochimique et supportent la genèse de nouvelles structures cérébrales. Ça veut dire que les capacités d’autorégulation et d’adaptation se développent à travers la relation d’attachement, ce que Masterson appelle: l’activation autonome. L’activation autonome est le processus de l’Individu qui cherche à satisfaire ses besoins psychologiques, en écologie avec son milieu humain, et qui, pour ce faire, active son « Soi réel ». L’activation autonome se produit normalement dans toute situation qui requiert la mobilisation et l’utilisation des capacités d’adaptation et d’autorégulation de l’individu. C’est la réponse adaptée de l’individu face aux aléas de la vie quotidienne. Phase de développement de l’activation autonome 2-10 mois: La tolérance à la frustration, le contrôle des impulsions, la régulation de l’humeur (capacité d’apaiser les affects douloureux et d’éprouver avec vivacité la gamme des émotions positives); 9-16 mois: la régulation narcissique (de l’estime de soi capacité de maintenir une image positive de soi principalement à partir d’accomplissements réels. Reconnaître ses succès, ses limites, tolérance à l’échec); 16-24 mois: la capacité d’activation autonome (capacité d’identifier ses intérêts et ses buts personnels, de persévérer malgré les obstacles, capacité de l’affirmation de soi.) Suite 24-36 mois: la capacité d’intimité (capacité de négocier une relation sans que l’angoisse d’être abandonné, ni que l’angoisse d’être englouti par l’autre jusqu’à perdre son identité, soit si forte que la relation devient conflictuelle.) Autour de 36 mois: les représentations nuancées du soi, de l’autre et des situations (capacité de se percevoir et de percevoir l’autre en intégrant les aspects frustrants et gratifiants, positifs et négatifs et, en intégrant les affects reliés aux représentations partielles (qui ont été éprouvées à un moment donné). La personne ayant une structure de personnalité aura vécu des carences, un « arrêt » dans l’une ou plusieurs des sphères de l’activation autonome. (L’activation du soi réel ici est plus ou moins embryonnaire Le clivage et l’utilisation d’objets externes pour se « réguler » persistent donc à l’adolescence et à l’âge adulte). En résumé • L’enfant est continuellement dérégulé, invalidé... La structure se « cristallise », développe un “faux-soi”, avec des réponses clivées, immatures de ses parents. • Une personnalité de survie, avec des mécanismes non-adaptés à nos normes, à ce qui est socialement acceptable. La personnalité « normale » (en équilibre dynamique) Fonctionnement en circularité Notion d’adversité ici, exemple face aux changements Stratégies d’adaptation Dynamique en mouvement Source: Institut Victoria Dynamique du trouble de la personnalité Carences, cet aspect est embryonnaire Ce qui est ressenti Dérégulation affective Fonctionnement linéaire Ne plus ressentir, il faut anesthésier l’affect vécu L’objectif des défenses primitives n’est pas l’activation, mais de ne plus avoir mal: c’est la faute de l’autre. Source: Institut Victoria L’adversité, la vie! • Sort contraire, circonstances malheureuses (deuil, revers de fortune, etc.) s'imposant comme une épreuve à subir ou à surmonter : Des éléments qui font partie de la vie, comme le démontre à titre d’indicateur, l’échelle de stress de Holm. • Une personne se marie, change de travail, déménage, se sépare et l’ex-conjoint meurt: toute personne ayant un fonctionnement en circularité éprouverait des « difficultés ». • Pour une personne ayant une activation autonome « carencée », le niveau d’adversité afin d’atteindre une « décompensation » est beaucoup plus bas: • Mauvaise nuit de sommeil, tomber sur un répondeur, médecin en retard au rendez-vous, TS qui ne retourne pas son appel dans les 5 minutes, infirmière qui manque la veine, mauvais menu… • Ce ne sera pas l’affect qui sera problématique, ce sera l’intensité de l’affect en lien avec le déclencheur. La notion d’adversité Adversité Le « besoin » d’adversité est plus grand pour se déréguler Tr. de la personnalité Mauvais nuit de sommeil… Le « besoin » d’adversité est moins grand pour se déréguler Mort d’un proche Personnalité « optimale » Aussi • Une personne carencée peut rester régulé une partie de sa vie, bien fonctionner et être « optimale » jusqu’à, par exemple, perdre de l’autonomie suite à un accident. • Ainsi, elle aura réussi à mettre en place des éléments comblant ses carences: Un travail valorisant, une épouse « attentionnée », réussite sociale, etc. • L’adversité sera atteinte devant la perte de ses éléments de maintien. • Alors imaginons en contexte d’hospitalisation... Reconnaître: Signes pouvant suggérer la présence d’une structure de la personnalité chez un usager. • • • • • Attitude passive ou réfractaire persistante faces aux interventions malgré des explications répétées ou tentatives d’ajustement ou de négociations. Retard, absentéisme, refus de participer aux traitements Équipe qui en fait plus que le patient. Absence de résultat ou issues mitigées des interventions malgré des tentatives répétées de modifier nos approches, moyens ou outils d’intervention. Prolongement de l’hospitalisation versus le délai normal prescrit. Suite • • • • • • • Clivage au sein de l’équipe Conflits au sein d’une équipe dans laquelle les rapports sont habituellement harmonieux. Profil de récupération atypique ou contraire à celui attendu normalement. Patient ayant bénéficié de plusieurs approches de réadaptation et/ou de plusieurs services s’étant avérés infructueux. Attentes irréalistes quant aux séquelles ou qui dépassent de beaucoup la période normale de déni. Absence de suivi post-hospitalisation. Vous avez sûrement des exemples à la tonne! Trois types de structure selon Masterson: Limite, narcissique et schizoïde. • • • Très documentée dans les médias, la structure limite dans ses comportements nous dit: n’a pas le droit d’être autonome, compétent (car il va être abandonné, le prix de l’autonomie, c’est d’être seul). Il régule sa peur de l’abandon par le statut quo, l’absence de mobilisation. La phase exploratoire de ces personnes aurait été freinée, ce qui amène la régression, l’agrippement. Ces personnes recherchent l’interaction et des personnes sur le mode maternant. Ce qui est la principale culture en milieu hospitalier. Quoi faire selon Masterson: confrontation des défenses ou l’étonnement thérapeutique. Trois types de structure selon Masterson: Limite, narcissique et schizoïde. • • • Souvent caricaturée et crainte, la structure narcissique lance ce message derrière ses comportements: n’a pas le droit d’être vulnérable, veut être invincible, ne pas vivre ses émotions (il régule son estime par la perfection, va chercher des réponses confirmant sa grandiosité). Elle va chercher la valorisation et la dévalorisation du personnel soignant. On marche sur des œufs, on sent le besoin d’être parfait afin d’éviter les attaques, on n’existe pas dans la relation avec cette structure: ce qui va à l’encontre de notre désir de soignant d’être et d’exister dans la relation. Quoi faire: interprétation empathique (les fleurs avant le pot). Il faut accepter, stratégiquement, de soutenir sa grandiosité. Il doit avoir une confirmation qu’il est entendu, compris, supporté. On porte ses vulnérabilités (sans se liquéfier), parce qu’il n’est pas capable de faire. Savoir-faire et savoir-être: Quelques principes d’intervention • Les approches « normales » sollicitent les capacités d’adaptation de la personne face à l’adversité: ce qui va créer de la souffrance et installer les défenses. • Il faut travailler en premier lieu celles-ci, car vous êtes en face du « soi-défensif » de la personne, car il est incapable de se réguler et s’adapter dans le contexte où il est. • Le premier principe: être empathique avec ce qu’ils vivent et interpréter, tout en étant ferme avec le cadre dans lequel vous donnez vos services. Laissez de côté votre besoin d’être en relation, de même que le « pourquoi » de tel comportement. Suite Trier les attentes et les buts, les négocier et obtenir un consensus clair. Importance du cadre pour l’équipe: est-ce possible? Avons-nous les ressources? Est-ce notre mandat? Neutralité thérapeutique (éviter de jouer le bon ou le mauvais objet). Trianguler sur le rôle que vous avez comme professionnel, ne portez pas personnellement l’intervention, le patient est un travail d’équipe. On est formé pour questionner nos patients, qui n’ont pas accès aux réponses (d’où la mise de côté du « pourquoi »)!. Il faut être empathique avec ce qu’ils vivent et interpréter à leur place, en portant le cadre thérapeutique: on fait de la contention d’affect. Moins on a de temps, moins on met d’objectifs (ou on les met à la baisse) Le contexte hospitalier • Peu importe les thérapies recommandées, le temps prescrit est de 18 mois à 5 ans.... Nos épisodes de soins sont de quelques jours! • Donc, pour un travail en équipe efficace: • Soyez à l’affût de vos réactions et celles de vos collègues et ne craignez pas d’en discuter. • Entendez-vous sur les objectifs et le cadre à mettre en place avec cet usager: en terme de soins et de temps. Maintenir dans le temps votre plan. • Triangulez sur votre rôle dans l’hôpital (ne portez pas seul l’intervention) et communiquez rapidement avec votre équipe pour: “ventiler”, passer l’information et vos impressions sur l’épisode de soins. Ne pas être seul permet de passer ce moment d’adversité de façon circulaire. Suite • Collectez le plus d’informations possibles: histoire de vie, l’adaptation aux grands changements et comparez la version de l’usager et celle de ses proches. Vous aurez des indicateurs sur l’activation autonome. Une bonne évaluation est centrale (interpellez vos TS!) • Créez des repères: l’objectif travaillé, le temps requis, les gens impliqués, le rôle de chacun, ainsi que celui du patient. • L’état de connaissance documenté pourra aider les équipes de prise en charge post-hospitalisation. Suite • Voyez l’enjeu derrière le comportement et travaillez avec celui-ci, non le trouble et le comportement. On travaille le « comment » et non le « pourquoi » • Soyez à l’écoute de votre vécu émotionnel dans l’intervention. La résonnance en vous est un indicateur de ce que le patient vit tous les jours. • Soyez toujours empathique: le parcours de souffrance de ces personnes l’exige, mais c’est également votre porte d’entrée. • L’expérience humaine nous solidifie: vous sortirez grandi de vos rencontres. Pour l’usager, la relation avec l’autre, le professionnel bien régulé, va permettre à votre usager de se réguler à long terme. Vous le faites pour la postérité! Merci! • Des questions? • Commentaires? • Pour le powerpoint, écrivez-moi: • [email protected] Bibliographie • • • • • Bessette, M. (2007). L’approche de Masterson du trouble de la personnalité. In Trouble de la personnalité limite et réadaptation: Points de vue de différents acteurs. Éditions Ressources. Bowlby, J. (1988). A secure base. Clinical applications of attachment theory. London: Routhledge. Fonagy, P. (2001). Attachment theory and psychoanalysis. New York: Other Press. Linehan, M. (1993). Cognitive-behavioral treatment of borderline personnality disorder. New York: The Guilford Press. Sévigny, M.C. (2008). Approche intégrée et adaptative dans le traitement d’un TCC léger avec problématiques persistantes. L’importance des aspects liés à la personnalité. In Épidémie silencieuse: Le traumatisme cranio-cérébral léger: symptômes et traitements. Presses de l’Université du Québec. • De James F. Masterson: • • • • • The narcissistic and borderline disorders: An integrated developmental approach. 1981. The real self: A developmental self and object relations approach. 1985. Psychotherapy of the disorders of the self: The Masterson approach. Masterson, J.F. et Klein, R. 1988. Disorders of the self: New therapeutic horizons. Masterson J.F. et Klein, R.. 1995. The personnality disorders: A new look at the developmental self and object relations approach. Zeig, Tucker and Co.. 2000. • • • Institut Victoria: http://www.institut-victoria.ca/ DSM-IV-TR, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (2002), Elsevier Masson, Paris 2002. DSM-5 : diagnostic and statistical manual of mental disorders, 5e édition, Washington D.C. American Psychiatric Association, 2013.