Brand Storytelllng : entre doute et croyance Une étude des récits de

MARKETING
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Brand Storytelllng : entre doute et croyance
Une étude des récits de la marque Moleskine
Fatim-Zohra Benmoussa* et Boris Maynadier*
*IAE de l'Université Toulouse I Capitale - CRM
** ISERAM / ISEG Toulouse
Résumé
Mot à la mode dans la littérature managénale, le braud storytellmg fait réference à la gestion de la communica-
tion et des marques comme des histoires La diversité des rapports des individus face à ce type de discours amène
à s'interroger sur les enjeux de la vraisemblance de l'histoire narrée A travers une approche sémiotique et le cas
de la marque Moleskine, cet article étudie ces rapports dans une perspective de co-construction de sens II en
ressort que la position du consommateur évolue par la suspension de sa crédulité face au brand storytellmg Des
voies d'action sont proposées aux managers pour renforcer la vraisemblance de leur discours
Mots-clés : Storytellmg, communication de marque, sémiotique
Abstract
Brand Storytellmg between doubt and belle/ A study of Moleskine storytellmg
The brand storytellmg is the new buzzword in eur field We use it loosely to refer to communication and brand
management as narratives Drawing on the multiplicity of relationships that customers may carry on with brand
stones, wc examine the frame of vensimilitude in semiotic théories The case of Moleskine illustrâtes these
issues from the perspective of "co-production of meanmg" The results show that the position of consumers
towards brand stones is hkely to evolve as they suspend their own creduhty face to the story We offer lines of
action for managers aimed to reinforce the plausibility of ils narrative
Key words: Storytellmg, brand communication, semiotics
Pour contacter les auteurs fatim-zohra benmoussa@ut-capitole fr et b_maynadier@yahoo fr
DO! 107193/DM070119128-URL http //dxdoiorg/107193/DM070 119 128
Benmoussa F-Z et Maynadier B (2013), Brand Storytellmg entre doute et croyance Une étude des récits de la
marque Moleskine, Decisions Marketing, 70, 119-128
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Le storytelhng suscite l'intérêt des praticiens
en communication, en marketing et, plus
largement, en management Une littérature
managénale et critique se développe forte-
ment depuis la fin des années 1990 La viva-
cité des débats entre défenseurs et critiques
ne rencontre cependant que peu d'écho dans
l'univers de la recherche académique Le
présent article s'intéresse spécifiquement au
braud storytelhng (Encadré I) en ce qu'il
constitue une technique de gestion du sens
des marques
Cette recherche porte sur les rapports de sens
entre le consommateur et le braud storytel-
hng l'histoire est celle de la marque, qui se
propose, toute prête aux consommateurs
Cet article s'interroge sur la question de la
construction de sens autour du récit d'une
marque et de sa nature ambivalente Nous
proposons l'analyse sémiotique d'un cas de
braud storytelhng celui de la marque Mo-
leskine Le choix de la methode d'analyse se
justifie par la volonté de mettre en évidence
les modalités sémiotiques selon lesquelles se
déploie un récit de marque dans le champ so-
cial Celui d'une étude de cas trouve sa légi-
timité dans la volonté d'étudier le phénomène
dans une situation concrète et réelle offrant
une analyse de la signification du récit de la
marque, dans une perspective sémiotique
Enfin, la sélection de la marque Moleskine
trouve sa pertinence dans le problème de
recherche qu'elle pose la diversité des réac-
tions récoltées face à son braud storytelhng
sont diverses et se structurent manifestement
autour de la question de la croyance dans le
récit Face à la controverse des discours, il
est nécessaire de proposer une description
des effets de sens générés par le récit, qui se
structurent autour de la croyance ou du doute
Nous choisissons d'étudier comment le récit,
une fois produit par les managers (ses des-
tmateurs), est lu, interprété et discuté par le
public (constitué de ses destinataires) Nous
nous focalisons par la suite sur l'analyse de ce
récit et sa cohérence interne Cette approche
a vocation à favoriser les implications mana-
génales de la recherche.
Le brand storytelling dè la
marque Moleskine
La marque Moleskine couvre une large
gamme de carnets, d'agendas et de guides de
voyages, tous agences autour du « symbole
du nomadisme contemporain » et décrits par
la marque comme étant « un simple rectangle
noir aux angles arrondis, un élastique qui re-
tient les pages, une pochette interne » Maîs
Encadre I Entre brand storytelhng et consumer storytelhng
L'étude des récits des marques renvoie a deux champs de litterature en marketing un champ qui porte
sur les marques et un autre sur les récits
Les relations entre les consommateurs et les marques ont souvent ete étudiées dans une conception
transactionnelle Cependant, au-delà du rapport marchand, la litterature a également porte sur les rela-
tions de sens entre les consommateurs et les marques A l'instar des travaux de Mc Cracken (1986),
Mick et Buhl (1992) ou de Fournier (1998), nous envisageons ici les marques et leur communication
comme des objets culturels ancres dans une société de consommation Cette recherche se positionne
clairement dans le courant de la CGT (Arnould et Thompson, 2005)
Dans la même lignée, les relations consommateurs/marques ont souvent ete envisagées comme des
histoires (Escalas, 2004 , Stern, 1995) La litterature qui s'intéresse a ces récits et au storytelling est
vague En effet, dans l'ensemble éclectique des narrations, se retrouvent a la fois des histoires racontées
par les marques et des histoires narrées par les consommateurs eux-mêmes Les premieres sont le fait
des managers et sont qualifiées de brand storytelhng (récit de marque) Les secondes relèvent davan-
tage des methodes d'étude du consommateur les individus penseraient selon une logique narrative et
rendraient compte de leurs expériences de consommation sous forme d'histoires Ces récits de soi sont
qualifiées de consumer storytelhng (narration du consommateur) (Woodside, 2010)
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derrière cet objet « anonyme », la marque
se raconte à travers son histoire : « Fidèle et
pratique compagnon de voyage, ce carnet a
recueilli les esquisses, les notes, les histoires
et les idées avant qu'elles ne deviennent
les images célèbres ou les pages de livres
aimés ». Ce braud storytelling (annexe) se
retrouve aussi bien dans les produits, sous
forme de petite brochure, que sur le site de
la marque.
Le récit de marque est présent dans d'autres
espaces que les seuls supports de commu-
nication de la marque - et qui échappent à
la volonté de la marque. Ainsi, il est repris
dans les réseaux sociaux et les blogs, où il est
discuté par les internautes. Le braud storytel-
ling de Moleskine est en effet critique par des
journalistes : le récit laissait sous-entendre
que la marque commercialise les carnets uti-
lisés par des personnalités du XIXe et XXe
siècle, alors que sa création date seulement
de 1997. Les discussions engendrées par cette
révélation entraînent le récit de la marque
dans un champ de relations socio-sémio-
tiques. Un public divers, échappant probable-
ment à la définition d'une cible de communi-
cation restreinte, s'empare du récit marketing
pour s'exprimer par rapport à celui-ci. Cette
divulgation crée alors une polémique qui
transparait dans les discours des publics et
suscite des réactions des plus naïves aux plus
virulentes, les uns répondant aux propos des
autres. Les discours présents sur ces mul-
tiples supports permettent de constituer un
corpus riche en vue de l'analyse (Encadré 2).
Entre croyance et doute
Le premier élément de notre analyse est
constitué par le corpus de réactions des in-
ternautes à une critique de l'histoire marke-
ting de Moleskine. Ce corpus nous conduit
à étudier la relation intersubjective entre la
marque et ses publics. Pour l'aborder, nous
proposons de nous intéresser en particulier
au processus de réception et d'interprétation.
Nous observons que les consommateurs se
positionnent, par leur discours, non seule-
ment par rapport au récit de la marque, mais
aussi les uns par rapport aux autres. En effet,
la réaction de certains publics, face au récit
de la marque, invite les autres à revisiter
leur position initiale : comme une prise de
conscience, la question de la crédibilité de la
Encadré 2 : Stratégie de recherche, le cas Moleskine
Méthode de récolte de données
L'étude du cas Moleskine est conduite grâce à un recueil de données diverses
- Les discours des consommateurs sur Internet suite à un article intitulé « Le 'Moleskine d'Hemin-
gway' ou la magie du marketing » sur le site rue89 com (par Pascal Riche), paru le 28/03/2009, il y a
eu 117 réactions/commentaires de consommateurs ;
- La communication de la marque (livret fourni avec les produits, site Internet de la marque, présence
de la marque sur les réseaux sociaux).
Méthode d'analyse
Nous proposons une analyse sémiotique du corpus. La mobilisation de la sémiotique semble pertinente
en ce qu'elle s'intéresse à la structure des récits humains L'étude de ces narrations montre que d'une
part, il n'existe pas de groupe humain sans récits et, d'autre part, ces récits reposent sur des struc-
tures communes et récurrentes que l'on peut repérer et comparer (Propp, 1970) Ce cadre s'applique
aisément à l'étude des récits des marques qui se structure en deux temps, mobilisant ainsi deux outils
sémiotiques
- Le carré sémiotique dont l'objet est d'identifier les rapports de sens construits entre les consomma-
teurs et l'histoire de la marque Moleskine ,
- Le schéma narratif dont l'objet est de comprendre la structure narrative du récit de la marque Moles-
kine, éclairant par là la diversité des modalités d'interprétation d'un même récit
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marque est posée et la vraisemblance du récit
est alors mise en jeu.
Il s'agit d'abord d'identifier l'axe sémantique
majeur qui structure les discussions. Celui-ci
se construit autour de la catégorie séman-
tique de la croyance et du doute. Pour ana-
lyser ces discours, nous mobilisons un carré
sémiotique, outil qui permet de dégager une
structure dans un corpus qualitatif. Le carré
sémiotique suivant (Figure I) rend compte
des quatre positions relatives à la croyance et
au doute par lesquelles les publics, destina-
taires du récit, peuvent passer. Chacune des
positions du carré est illustrée par un Verba-
tim, de manière à montrer leur pluralité et
leur articulation à un niveau de surface, entre
doute et croyance.
La crédulité
Le consommateur crédule s'apparente à un
sujet naïf. Le récit est considéré comme vrai
sans qu'un regard critique ne soit porté des-
sus. Il s'agit ici d'une croyance de premier
degré, comme en rend compte le Verbatim :
« Ce carnet, ça me donnait un peu l'im-
pression d'avoir un bout de l'âme de He-
mingway dans ma poche, et dès que j'y
inscrivais quèlques mots, j'étais pas loin
de me prendre pour le grand écrivain qui
griffonne ses fulgurances littéraires ! J'en
ai même fait plusieurs fois cadeau à des
gens » Bilbo (pseudo).
La nature partisane du brand storytelling,
en tant que discours marketing, n'apparaît
pas au destinataire qui adhère pleinement à
ce qui est cru comme vrai. Cette adhésion
et cette conviction dans la véracité du récit
rend possible une jouissance de la marque (et
son partage) sans arrière-pensée. Le consom-
mateur trouve ainsi un bénéfice dans cette
croyance.
La non-crédulité
Lorsqu'un individu met en cause sa croyance
dans le récit de la marque, il prend conscience
de sa crédulité et récuse le récit, comme le
montre le Verbatim suivant émis par le même
individu que dans la position précédente :
« Ça m'a énervé car j'avais acheté un car-
net, moi aussi, il y a 2 ans. J'avoue que
j'ai complètement gobé le marketing ! Je
suis tombê dedans comme un bleu ! (...) Le
vrai gogo. En écoutant l'émission, j'ai bien
dégringolé, mais aussi bien repris mes es-
prits » Bilbo (pseudo)
Ce passage montre paradoxalement l'effica-
cité potentielle du brand storytelling comme
technique de faire-croire à une histoire
construite, mais aussi sa limite. Négation de
la crédulité, la non-crédulité fait quitter le
régime de la croyance pour entrer dans celui
du doute. Le sentiment d'être trompé rompt
le plaisir que le consommateur avait pu tirer
d'une croyance dans le récit.
L'incrédulité
Cette position reflète l'idée d'une mise en
doute a priori du discours marketing. Ne pas
croire à l'histoire de Moleskine apparaît ici
comme la manifestation d'une mise en doute
Figure I : Carré sémiotique de la croyance et du doute
Axe de la
croyance
Crédulité
t
" '
Incrédulité
V
^^
Non incrédulité
k
Non crédulité
x
rc
G.
CL
O
e
rt
Pour les modalités de construction d'un carré sémiotique, voir les travaux de Floch (1990)
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plus générale et radicale des discours du mar-
keting, modalité idéologique identifiée dans
d'autres travaux en marketing (Holt, 2002).
« Encore un triomphe du marketing basé
sur l'identification (« deviens ce que tu
achètes », comme si le pékin moyen se
transformait
en
Hemingway,
pouffff,
une
fois le carnet acheté, ou madame en Char-
lize Theron une f ois aspergée de « J'adore »
de Dior, mais si bien sûr). S'ajoute, dans
le cas Moleskine (je me coucherai moins
sotte de connaître l'origine du mot en tout
cas !) une dose de « storytelling » assez
copieuse, même s'il faut tout de même ne
pas être très futé pour penser que tant
d'artistes d'horizons si divers ont acheté
leurs carnets auprès du même fournis-
seur ! » Jack Sullivan (pseudo)
La relation à la marque fonctionne ici sur le
mode du rejet et permet à l'incrédule d'expri-
mer sa résistance vis-à-vis de la démarche
du braud storytelling. L'incrédulité semble
valorisante pour le sujet : il met en doute
l'ensemble des discours marketing par une
prise de conscience face à un discours jugé
inauthentique.
La non-incrédulité
La position de non-incrédulité se présente
comme un dépassement de l'incrédulité.
L'individu prend le discours marketing avec
distance et recul, d'une manière qui peut pa-
raître « éclairée », sans pour autant le rejeter.
Le discours est accepté, voire apprécié.
« Pour une fois que le pire marketing fa-
brique une belle histoire qui ravit au lieu
d'humilier... je prends. » In girum (pseudo)
Le bon fonctionnement du récit de marque
repose sur une croyance de second degré : le
destinataire produit un travail de réflexivité
par lequel il adopte une position de croyance
consentie par rapport au récit. La croyance
dans un récit marketing et son acceptation
semble alors plus complexe qu'une crédulité
naïve.
L'interprétation active :
les suspensions de la crédulité et
de l'incrédulité
Les axes de la croyance et du doute, struc-
turant le carré sémiotique, ne sont pas uni-
quement définis à travers leur rapport au récit
de la marque. En effet, si les quatre positions
identifiées se veulent une interprétation de
ce braud storytelling, ces réactions entrent
également en résonance les unes avec les
autres. Elles entretiennent alors des rapports
actifs et évolutifs entre eux et face au récit.
La construction de sens du récit n'est donc
pas figée ; sa signification manifeste une co-
production entre destinateurs (managers) et
destinataires (consommateurs).
Si la production de sens relève d'une construc-
tion active, il est alors possible d'identifier
les processus qui la structurent. L'analyse
montre que le changement de positionnement
entre l'axe de la croyance et celui du doute,
se réalise par un processus de suspension
consentie de l'incrédulité ou de la crédulité.
La suspension consentie de l'incrédulité,
d'abord développée dans le cadre d'analyses
littéraires (Coleridge, 1817 ; Compagnon,
2000), suppose que l'individu accepte l'his-
toire qui lui est narrée pour la fiction qu'elle
représente, en sachant explicitement qu'elle
n'est pas réelle ; l'incrédulité est alors mise
en attente, pour croire le temps d'une nar-
ration, à l'histoire. Dans le cas du storytel-
ling de Moleskine, il apparaît que l'adoption
d'une position (croyance) suppose la suspen-
sion de l'autre (doute). Lobjectif des mana-
gers est alors de favoriser la suspension de
l'incrédulité des récepteurs et ainsi inciter à
la croyance dans le récit de marque. Du point
de vue du consommateur, la suspension de
la crédulité revient à mettre en cause le récit
marketing. Une question se pose alors : ces
positionnements se constituant à partir d'un
objet, le récit de marque lui-même, comment
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