Brand Storytelllng : entre doute et croyance Une étude des récits de

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Brand Storytelllng : entre doute et croyance
Une étude des récits de la marque Moleskine
Fatim-Zohra Benmoussa* et Boris Maynadier*
*IAE de l'Université Toulouse I Capitale - CRM
** ISERAM / ISEG Toulouse
Résumé
Mot à la mode dans la littérature managénale, le braud storytellmg fait réference à la gestion de la communication et des marques comme des histoires La diversité des rapports des individus face à ce type de discours amène
à s'interroger sur les enjeux de la vraisemblance de l'histoire narrée A travers une approche sémiotique et le cas
de la marque Moleskine, cet article étudie ces rapports dans une perspective de co-construction de sens II en
ressort que la position du consommateur évolue par la suspension de sa crédulité face au brand storytellmg Des
voies d'action sont proposées aux managers pour renforcer la vraisemblance de leur discours
Mots-clés : Storytellmg, communication de marque, sémiotique
Abstract
Brand Storytellmg between doubt and belle/ A study of Moleskine storytellmg
The brand storytellmg is the new buzzword in eur field We use it loosely to refer to communication and brand
management as narratives Drawing on the multiplicity of relationships that customers may carry on with brand
stones, wc examine the frame of vensimilitude in semiotic théories The case of Moleskine illustrâtes these
issues from the perspective of "co-production of meanmg" The results show that the position of consumers
towards brand stones is hkely to evolve as they suspend their own creduhty face to the story We offer lines of
action for managers aimed to reinforce the plausibility of ils narrative
Key words: Storytellmg, brand communication, semiotics
Pour contacter les auteurs fatim-zohra benmoussa@ut-capitole fr et b_maynadier@yahoo fr
DO! 107193/DM070119128-URL http //dxdoiorg/107193/DM070 119 128
Benmoussa F-Z et Maynadier B (2013), Brand Storytellmg entre doute et croyance Une étude des récits de la
marque Moleskine, Decisions Marketing, 70, 119-128
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Le storytelhng suscite l'intérêt des praticiens
en communication, en marketing et, plus
largement, en management Une littérature
managénale et critique se développe fortement depuis la fin des années 1990 La vivacité des débats entre défenseurs et critiques
ne rencontre cependant que peu d'écho dans
l'univers de la recherche académique Le
présent article s'intéresse spécifiquement au
braud storytelhng (Encadré I) en ce qu'il
constitue une technique de gestion du sens
des marques
Cette recherche porte sur les rapports de sens
entre le consommateur et le braud storytelhng l'histoire est celle de la marque, qui se
propose, toute prête aux consommateurs
Cet article s'interroge sur la question de la
construction de sens autour du récit d'une
marque et de sa nature ambivalente Nous
proposons l'analyse sémiotique d'un cas de
braud storytelhng celui de la marque Moleskine Le choix de la methode d'analyse se
justifie par la volonté de mettre en évidence
les modalités sémiotiques selon lesquelles se
déploie un récit de marque dans le champ social Celui d'une étude de cas trouve sa légitimité dans la volonté d'étudier le phénomène
dans une situation concrète et réelle offrant
une analyse de la signification du récit de la
Encadre I
marque, dans une perspective sémiotique
Enfin, la sélection de la marque Moleskine
trouve sa pertinence dans le problème de
recherche qu'elle pose la diversité des réactions récoltées face à son braud storytelhng
sont diverses et se structurent manifestement
autour de la question de la croyance dans le
récit Face à la controverse des discours, il
est nécessaire de proposer une description
des effets de sens générés par le récit, qui se
structurent autour de la croyance ou du doute
Nous choisissons d'étudier comment le récit,
une fois produit par les managers (ses destmateurs), est lu, interprété et discuté par le
public (constitué de ses destinataires) Nous
nous focalisons par la suite sur l'analyse de ce
récit et sa cohérence interne Cette approche
a vocation à favoriser les implications managénales de la recherche.
Le brand storytelling dè la
marque Moleskine
La marque Moleskine couvre une large
gamme de carnets, d'agendas et de guides de
voyages, tous agences autour du « symbole
du nomadisme contemporain » et décrits par
la marque comme étant « un simple rectangle
noir aux angles arrondis, un élastique qui retient les pages, une pochette interne » Maîs
Entre brand storytelhng et consumer storytelhng
L'étude des récits des marques renvoie a deux champs de litterature en marketing un champ qui porte
sur les marques et un autre sur les récits
Les relations entre les consommateurs et les marques ont souvent ete étudiées dans une conception
transactionnelle Cependant, au-delà du rapport marchand, la litterature a également porte sur les relations de sens entre les consommateurs et les marques A l'instar des travaux de Mc Cracken (1986),
Mick et Buhl (1992) ou de Fournier (1998), nous envisageons ici les marques et leur communication
comme des objets culturels ancres dans une société de consommation Cette recherche se positionne
clairement dans le courant de la CGT (Arnould et Thompson, 2005)
Dans la même lignée, les relations consommateurs/marques ont souvent ete envisagées comme des
histoires (Escalas, 2004 , Stern, 1995) La litterature qui s'intéresse a ces récits et au storytelling est
vague En effet, dans l'ensemble éclectique des narrations, se retrouvent a la fois des histoires racontées
par les marques et des histoires narrées par les consommateurs eux-mêmes Les premieres sont le fait
des managers et sont qualifiées de brand storytelhng (récit de marque) Les secondes relèvent davantage des methodes d'étude du consommateur les individus penseraient selon une logique narrative et
rendraient compte de leurs expériences de consommation sous forme d'histoires Ces récits de soi sont
qualifiées de consumer storytelhng (narration du consommateur) (Woodside, 2010)
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derrière cet objet « anonyme », la marque
se raconte à travers son histoire : « Fidèle et
pratique compagnon de voyage, ce carnet a
recueilli les esquisses, les notes, les histoires
et les idées avant qu'elles ne deviennent
les images célèbres ou les pages de livres
aimés ». Ce braud storytelling (annexe) se
retrouve aussi bien dans les produits, sous
forme de petite brochure, que sur le site de
la marque.
Le récit de marque est présent dans d'autres
espaces que les seuls supports de communication de la marque - et qui échappent à
la volonté de la marque. Ainsi, il est repris
dans les réseaux sociaux et les blogs, où il est
discuté par les internautes. Le braud storytelling de Moleskine est en effet critique par des
journalistes : le récit laissait sous-entendre
que la marque commercialise les carnets utilisés par des personnalités du XIXe et XXe
siècle, alors que sa création date seulement
de 1997. Les discussions engendrées par cette
révélation entraînent le récit de la marque
dans un champ de relations socio-sémiotiques. Un public divers, échappant probablement à la définition d'une cible de communication restreinte, s'empare du récit marketing
pour s'exprimer par rapport à celui-ci. Cette
divulgation crée alors une polémique qui
transparait dans les discours des publics et
suscite des réactions des plus naïves aux plus
virulentes, les uns répondant aux propos des
autres. Les discours présents sur ces multiples supports permettent de constituer un
corpus riche en vue de l'analyse (Encadré 2).
Entre croyance et doute
Le premier élément de notre analyse est
constitué par le corpus de réactions des internautes à une critique de l'histoire marketing de Moleskine. Ce corpus nous conduit
à étudier la relation intersubjective entre la
marque et ses publics. Pour l'aborder, nous
proposons de nous intéresser en particulier
au processus de réception et d'interprétation.
Nous observons que les consommateurs se
positionnent, par leur discours, non seulement par rapport au récit de la marque, mais
aussi les uns par rapport aux autres. En effet,
la réaction de certains publics, face au récit
de la marque, invite les autres à revisiter
leur position initiale : comme une prise de
conscience, la question de la crédibilité de la
Encadré 2 : Stratégie de recherche, le cas Moleskine
Méthode de récolte de données
L'étude du cas Moleskine est conduite grâce à un recueil de données diverses
- Les discours des consommateurs sur Internet suite à un article intitulé « Le 'Moleskine d'Hemingway' ou la magie du marketing » sur le site rue89 com (par Pascal Riche), paru le 28/03/2009, il y a
eu 117 réactions/commentaires de consommateurs ;
- La communication de la marque (livret fourni avec les produits, site Internet de la marque, présence
de la marque sur les réseaux sociaux).
Méthode d'analyse
Nous proposons une analyse sémiotique du corpus. La mobilisation de la sémiotique semble pertinente
en ce qu'elle s'intéresse à la structure des récits humains L'étude de ces narrations montre que d'une
part, il n'existe pas de groupe humain sans récits et, d'autre part, ces récits reposent sur des structures communes et récurrentes que l'on peut repérer et comparer (Propp, 1970) Ce cadre s'applique
aisément à l'étude des récits des marques qui se structure en deux temps, mobilisant ainsi deux outils
sémiotiques
- Le carré sémiotique dont l'objet est d'identifier les rapports de sens construits entre les consommateurs et l'histoire de la marque Moleskine ,
- Le schéma narratif dont l'objet est de comprendre la structure narrative du récit de la marque Moleskine, éclairant par là la diversité des modalités d'interprétation d'un même récit
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marque est posée et la vraisemblance du récit
est alors mise en jeu.
Il s'agit d'abord d'identifier l'axe sémantique
majeur qui structure les discussions. Celui-ci
se construit autour de la catégorie sémantique de la croyance et du doute. Pour analyser ces discours, nous mobilisons un carré
sémiotique, outil qui permet de dégager une
structure dans un corpus qualitatif. Le carré
sémiotique suivant (Figure I) rend compte
des quatre positions relatives à la croyance et
au doute par lesquelles les publics, destinataires du récit, peuvent passer. Chacune des
positions du carré est illustrée par un Verbatim, de manière à montrer leur pluralité et
leur articulation à un niveau de surface, entre
doute et croyance.
ce qui est cru comme vrai. Cette adhésion
et cette conviction dans la véracité du récit
rend possible une jouissance de la marque (et
son partage) sans arrière-pensée. Le consommateur trouve ainsi un bénéfice dans cette
croyance.
La non-crédulité
Lorsqu'un individu met en cause sa croyance
dans le récit de la marque, il prend conscience
de sa crédulité et récuse le récit, comme le
montre le Verbatim suivant émis par le même
individu que dans la position précédente :
« Ça m'a énervé car j'avais acheté un carnet, moi aussi, il y a 2 ans. J'avoue que
j'ai complètement gobé le marketing ! Je
suis tombê dedans comme un bleu ! (...) Le
vrai gogo. En écoutant l'émission, j'ai bien
dégringolé, mais aussi bien repris mes esprits » Bilbo (pseudo)
La crédulité
Le consommateur crédule s'apparente à un
sujet naïf. Le récit est considéré comme vrai
sans qu'un regard critique ne soit porté dessus. Il s'agit ici d'une croyance de premier
degré, comme en rend compte le Verbatim :
« Ce carnet, ça me donnait un peu l'impression d'avoir un bout de l'âme de Hemingway dans ma poche, et dès que j'y
inscrivais quèlques mots, j'étais pas loin
de me prendre pour le grand écrivain qui
griffonne ses fulgurances littéraires ! J'en
ai même fait plusieurs fois cadeau à des
gens » Bilbo (pseudo).
La nature partisane du brand storytelling,
en tant que discours marketing, n'apparaît
pas au destinataire qui adhère pleinement à
Ce passage montre paradoxalement l'efficacité potentielle du brand storytelling comme
technique de faire-croire à une histoire
construite, mais aussi sa limite. Négation de
la crédulité, la non-crédulité fait quitter le
régime de la croyance pour entrer dans celui
du doute. Le sentiment d'être trompé rompt
le plaisir que le consommateur avait pu tirer
d'une croyance dans le récit.
L'incrédulité
Cette position reflète l'idée d'une mise en
doute a priori du discours marketing. Ne pas
croire à l'histoire de Moleskine apparaît ici
comme la manifestation d'une mise en doute
Figure I : Carré sémiotique de la croyance et du doute
Axe de la
croyance
Crédulité
t
Non incrédulité
"
'
V
^^
Incrédulité
k
x
rc
G.
CL
O
Non crédulité
e
rt
Pour les modalités de construction d'un carré sémiotique, voir les travaux de Floch (1990)
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plus générale et radicale des discours du marketing, modalité idéologique identifiée dans
d'autres travaux en marketing (Holt, 2002).
« Encore un triomphe du marketing basé
sur l'identification (« deviens ce que tu
achètes », comme si le pékin moyen se
transformait en Hemingway, pouffff, une
fois le carnet acheté, ou madame en Charlize Theron une f ois aspergée de « J'adore »
de Dior, mais si bien sûr). S'ajoute, dans
le cas Moleskine (je me coucherai moins
sotte de connaître l'origine du mot en tout
cas !) une dose de « storytelling » assez
copieuse, même s'il faut tout de même ne
pas être très futé pour penser que tant
d'artistes d'horizons si divers ont acheté
leurs carnets auprès du même fournisseur ! » Jack Sullivan (pseudo)
La relation à la marque fonctionne ici sur le
mode du rejet et permet à l'incrédule d'exprimer sa résistance vis-à-vis de la démarche
du braud storytelling. L'incrédulité semble
valorisante pour le sujet : il met en doute
l'ensemble des discours marketing par une
prise de conscience face à un discours jugé
inauthentique.
La non-incrédulité
La position de non-incrédulité se présente
comme un dépassement de l'incrédulité.
L'individu prend le discours marketing avec
distance et recul, d'une manière qui peut paraître « éclairée », sans pour autant le rejeter.
Le discours est accepté, voire apprécié.
« Pour une fois que le pire marketing fabrique une belle histoire qui ravit au lieu
d'humilier... je prends. » In girum (pseudo)
Le bon fonctionnement du récit de marque
repose sur une croyance de second degré : le
destinataire produit un travail de réflexivité
par lequel il adopte une position de croyance
consentie par rapport au récit. La croyance
dans un récit marketing et son acceptation
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semble alors plus complexe qu'une crédulité
naïve.
L'interprétation active :
les suspensions de la crédulité et
de l'incrédulité
Les axes de la croyance et du doute, structurant le carré sémiotique, ne sont pas uniquement définis à travers leur rapport au récit
de la marque. En effet, si les quatre positions
identifiées se veulent une interprétation de
ce braud storytelling, ces réactions entrent
également en résonance les unes avec les
autres. Elles entretiennent alors des rapports
actifs et évolutifs entre eux et face au récit.
La construction de sens du récit n'est donc
pas figée ; sa signification manifeste une coproduction entre destinateurs (managers) et
destinataires (consommateurs).
Si la production de sens relève d'une construction active, il est alors possible d'identifier
les processus qui la structurent. L'analyse
montre que le changement de positionnement
entre l'axe de la croyance et celui du doute,
se réalise par un processus de suspension
consentie de l'incrédulité ou de la crédulité.
La suspension consentie de l'incrédulité,
d'abord développée dans le cadre d'analyses
littéraires (Coleridge, 1817 ; Compagnon,
2000), suppose que l'individu accepte l'histoire qui lui est narrée pour la fiction qu'elle
représente, en sachant explicitement qu'elle
n'est pas réelle ; l'incrédulité est alors mise
en attente, pour croire le temps d'une narration, à l'histoire. Dans le cas du storytelling de Moleskine, il apparaît que l'adoption
d'une position (croyance) suppose la suspension de l'autre (doute). Lobjectif des managers est alors de favoriser la suspension de
l'incrédulité des récepteurs et ainsi inciter à
la croyance dans le récit de marque. Du point
de vue du consommateur, la suspension de
la crédulité revient à mettre en cause le récit
marketing. Une question se pose alors : ces
positionnements se constituant à partir d'un
objet, le récit de marque lui-même, comment
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l'étudier pour mieux comprendre les rapports
de doute et de croyance ?
La vraisemblance du brand
storytelling
Les destinataires se positionnent sur l'axe de
la croyance et du doute à partir du récit de
marque. Quel rôle ce récit joue-t-il, en tant
qu'objet de l'interprétation, dans la production de sens ? Pour répondre à cette question, nous proposons d'approfondir l'analyse
sémiotique en nous tournant vers le récit luimême. L'enjeu de la vraisemblance est alors
posé : comment le récit peut-il créer cet effet
de vérité ? Deux niveaux de lecture invitent
à l'analyse de la vraisemblance du récit de la
marque : un niveau discursif, structural et un
niveau référentiel, descriptif.
La vraisemblance discursive
Nous proposons d'aborder la vraisemblance
du récit d'abord sous l'angle de la cohérence
discursive qui correspond à l'enchainement
narratif de la construction du récit. Le sché-
ma narratif (Floch, 1990) permet de rendre
compte de cette structure. La cohérence du
récit repose, dans cette perspective, sur le
contrat qui le fonde (dont la marque est l'initiatrice et ses publics, les destinataires) et
sur la sanction qui le clôture. Lanalyse du
brand storytelling de la marque Moleskine
en montre la vraisemblance discursive (Tableau I).
La vraisemblance référentielle
La vraisemblance référentielle pose la question du réalisme de la proposition narrative.
En effet, la croyance d'un récit repose sur sa
capacité à produire un « effet de réel » chez
son destinataire, défini par Barthes comme
une « collusion directe du réfèrent et du signifiant » (Barthes, 1968). Le récit apparaît
vrai dans la mesure où il est très proche de
la réalité à laquelle il se rapporte. Cet effet
de réel se révèle dans la précision de descriptions qui se veulent proches de la réalité.
Dans le cas du brand storytelling de Moleskine, les rédacteurs mobilisent des descriptions de lieu ou de situations (e.g. nom de la
Tableau I : Organisation du récit de marque de Moleskine
Les 4 étapes
Contrat
Compétence
Performance
Sanction
Définition
Définition par le
destrnateurd'un
programme à
résoudre
Acquisition et/ou
mise en évidence
de l'aptitude
requise pour
mener à bien ce
programme
Réalisation du
programme
Comparaison
du programme
réalisé avec le
contrat à remplir
Eléments du récit
de la marque
« Le carnet
Moleskine est
l'héritier et Ie
successeur du
carnet légendaire
des artistes et
des intellectuels
des deux siècles
derniers ».
« un petit éditeur
milanais ramène
à la vie Ie carnet
légendaire, choisissant ce nom
littéraire pour
renouveler une
tradition extraordinaire ».
« Sur les traces
de Chatwin, le
carnet Moleskine® reprend
son voyage, se
proposant comme
le complément
indispensable
aux nouvelles
technologies
portables »
« Aujourd'hui, les
carnets Moleskine
accompagnent les
métiers créatifs
et l'imaginaire de
notre temps »
Sources • www moleskine.com (décembre 2010), plaquette Moleskine (2007 et 2010)
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rue de la papeterie ancienne, caractère théâtral du dialogue avec Chatwin) qui, si elles
ne font pas avancer le récit sur le plan narratif, multiplient les détails descriptifs qui le
rendent plus vraisemblable. Il s'agit là d'une
technique rhétorique connue en littérature
et qui peut être mobilisée dans le cadre des
récits marketing.
La vraisemblance et ses enjeux
La vraisemblance d'un récit de marque repose d'une part sur un passé avec son destinataire (vraisemblance discursive) et sur un
effet de réel (vraisemblance référentielle).
Elle n'est donc pas vérité en soi, objective,
mais relève plutôt d'une construction entre le
destinataire et le récit interprété. L'hypothèse
de la co-production de sens formulée plus
haut se trouve à nouveau au centre de l'étude.
L'enjeu de la vraisemblance discursive
consiste, pour les managers de la marque, à
remplir le contrat proposé, de manière à ce
que la sanction puisse se réaliser. La cohérence structurelle de l'histoire dont rend
compte le schéma narratif est l'enjeu majeur
de cette dimension de la vraisemblance.
La vraisemblance référentielle répond à un
besoin d'authenticité du récit de marque qui
s'exprime notamment dans la position de crédulité. Certains consommateurs attendent en
effet du braud storytelling qu'il produise sur
eux un effet de vérité. Cette position n'est pas
universelle. Les destinataires non-incrédules
s'accommodent quant à eux d'une vraisem-
blance discutable en prenant de la distance
avec le discours marketing. L'enjeu est donc
celui de la suspension de l'incrédulité du
consommateur.
Dans le cas de Moleskine, la stratégie narrative consiste à ancrer la marque dans une
culture, de sorte qu'elle n'apparaisse plus
comme un objet marchand mais s'intègre
dans la vie du consommateur. Le produit
n'apparaît donc plus seulement comme un
produit marchand, mais comme un objet
culturel authentique.
Discussion et conclusion
L'analyse du cas de Moleskine souligne clairement l'effet de co-production de sens qui se
construit autour du récit d'une marque, entre
les axes du doute et de la croyance. Il faut
également signaler le caractère actif et évolutif des interprétations des publics, à travers
les processus de suspension de la crédulité ou
de l'incrédulité (encadré 3).
Les managers peuvent se demander comment
limiter le phénomène de suspension de la crédulité, et donc favoriser la croyance dans un
récit de marque. Il nous semble important de
discuter ici plusieurs éléments. Un premier
réflexe peut être de suggérer un pré-test du
braud storytelling, de manière à observer les
positions que prennent des consommateurs
vis-à-vis de l'histoire, par exemple dans une
réunion de groupe. Les pré-tests trouvent une
limite forte : ils sont faits dans des contextes
Encadré 3 : Contributions académiques de la recherche
Cette recherche a permis la prise de recul sur une stratégie de communication des marques, celle de
la technique du Storytelling. L'analyse du cas de la marque Moleskine a montré ici que l'enjeu du
Brand Storytelling porte, non plus sur la véracité de l'histoire racontée, telle que débattue dans une
littérature managériale, mais plutôt sur la vraisemblance du récit partage avec le public. En effet, les
consommateurs, face à un Brand Storytelling, peuvent croire ou non au discours de la marque, tout en
sachant que l'histoire peut être fictive. Cette idée met l'accent sur le principe de co-construction de
sens. Le récepteur d'un récit de marque se positionne de manière active par rapport au récit, entre doute
et croyance. Ce principe guide la relation entre la marque, source du discours et les consommateurs,
destinataires de ce discours.
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sociaux limites ou artificiels. Or, l'étude a
bien montré que les positions de croyance et
de doute sont des constructions sociales, des
prises de position des individus les uns par
rapport aux autres, actives et évolutives. Il est
difficile de tester cela en dehors du contexte
réel du marché.
Il nous apparaît plus intéressant de considérer
le récit de marque comme une œuvre ouverte.
Par œuvre ouverte, nous entendons non seulement ouverte à l'interprétation (Eco, 1962),
mais aussi évolutive. En effet, une stratégie
judicieuse peut être de favoriser l'ajustement
du récit pour renforcer sa vraisemblance. Les
managers n'ont en effet pas à leur disposition
de levier direct pour faire adhérer leurs destinataires. Ils peuvent cependant jouer sur le
levier indirect de la vraisemblance (discursive ou référentielle) de l'histoire. Les responsables de la marque Moleskine ont ainsi fait
évoluer subtilement le récit de leur marque
face aux discours critiques qui se sont élevés
contre elle : si le produit de la marque se présentait au début comme le carnet des artistes
et des intellectuels, il est devenu, après évolution du discours, « l'héritier et le successeur »
du produit originel. Ces ajustements ont permis à la marque de résoudre ses ambiguïtés et
au braud storytelling de gagner en vraisemblance. Le récit se conçoit alors comme un
objet qui s'ajuste au contexte social qui définit les modalités de croyance et de doute des
individus. Il peut être révisé régulièrement
(en évitant les contradictions narratives) de
manière à constituer une œuvre ouverte.
Cette idée prend tout son sens face à la spécificité d'un support comme Internet favorisant la co-construction de sens avec le public.
En effet, comme nous l'avons précisé lors de
l'étude, les récits de marque sont présents sur
le web. Internet constitue une part importante
de la gestion des récits de marque, que ces
récits aient été créés spécifiquement pour ce
support ou pas. Les managers de nombreuses
marques développent leurs récits sur Internet.
On peut parler de e-storytelling. La question
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qui se pose est alors la suivante : quel effet
le support Internet a-t-il sur les rapports de
vraisemblance et de crédulité ? Un effet est
relatif aux modes de diffusion du récit de la
marque. Le e-storytelling peut, en effet, s'appuyer sur les interactions créées entre les internautes pour sa diffusion. Outre la promotion publicitaire en ligne, les réseaux sociaux
constituent un système de diffusion efficace
pour un récit de marque s'il réussit à intéresser les internautes. Cette participation à la
discussion d'un récit de marque peut générer
un autre effet sur la gestion de la communication. Il semble ainsi envisageable pour la
marque d'intervenir dans cette conversation,
par la prise de parole d'un manager. Cette
prise de parole doit se faire avec transparence, puisqu'elle sera, elle aussi, soumise à
la croyance ou au doute des internautes. Par
ailleurs, comme nous l'avons déjà suggéré, un
récit de marque peut évoluer pour renforcer
sa vraisemblance. Il est alors possible de faire
participer les internautes à divers niveaux de
conception ou d'évolution du récit de marque
pour en favoriser la vraisemblance.
Le principe de co-construction du braud storytelling permet de dépasser les critiques qui
ont été formulées à rencontre du storytelling
comme technique de communication. Par
exemple, Christian Salmon (2007) décrypte
le storytelling en tant que nouvelle technique, pouvant être appliquée aussi bien dans
le cadre de la communication des marques
que dans les campagnes présidentielles ou
dans la propagande des nouvelles guerres ; le
point commun étant à chaque fois « l'art de
raconter des histoires ». La technique du storytelling serait capable, selon certains de ses
détracteurs, de devenir un « instrument de
contrôle », une « arme aux mains des gourous
de la communication » (Salmon, 2007) et serait capable d'assurer le succès de marques
ou d'hommes politiques en manipulant les
esprits grâce à des «mensonges» (Godin,
2006). Une telle analyse du storytelling nous
semble omettre les processus de co-construction du sens mis au jour dans la présente
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étude Nous avons, en effet, montré que les
récepteurs du storytelhng construisent une
position de croyance ou de doute vis-à-vis
de celui-ci. Les managers ou autres acteurs
peuvent avoir l'intention de manipuler un public grâce à un récit, il appartient toujours à
ce public d'y croire ou pas La vraisemblance
est co-construite car l'interprétation est un
processus sémiotique actif
Cette étude sur la croyance et le doute dans
les récits des marques permet de formuler
des remarques quant à la société de consommation Le développement de ce type de récit
semble manifester une caractéristique des
consommateurs contemporains leur propension à suspendre leur incrédulité pour
croire dans un récit marketing Cette suspension peut être parfaitement consentie, le
consommateur n'étant pas dupe du discours
marketing La croyance est alors le fruit d'un
vouloir-croire Ce point permet de relever un
paradoxe de nos sociétés de consommation .
entre la recherche de marques authentiques
(«vraies») et le plaisir de croire dans des imaginaires vraisemblables (Cayla et Eckhardt,
2008), les positions des consommateurs
semblent plus complexes qu'il n'apparaît en
première lecture
ColendgeS T (1817), Biographia Literaria, Michigan, The Clarendon Press, 1907
Compagnon A (2000), Bnsacier, ou la suspension
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Editeur Maxima Laurent du Mesnil
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Références
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Annexe . Le brand storytellmg de la marque Moleskine
L'histoire du carnet Moleskine
Le carnet Moleskine® est l'héritier et le successeur du carnet légendaire des artistes et des intellectuels des
deux siècles derniers de Vincent van Gogh à Pablo Picasso, de Ernest Hemingway à Bruce Chatwm Un
simple rectangle noir aux angles arrondis, un élastique qui retient les pages, une pochette interne un objet
anonyme et parfait au caractère essentiel, produit pendant plus d'un siecle par un petit relieur français qui
fournissait les papeteries de Pans, fréquentées par les avant-gardes artistiques et littéraires internationales
Fidèle et pratique compagnon de voyage, ce carnet a recueilli les esquisses, les notes, les histoires et les
idées avant qu'elles ne deviennent les images célèbres ou les pages de livres aimés
Ce carnet était le préféré de Bruce Chatwm, et c'est lm qui lui donna le nom de « moleskine » Au milieu
des années 1980, ces carnets deviennent extraordmairement rares puis disparaissent complètement Dans
son livre le chant cles pistes, Chatwm raconte l'histoire du petit carnet noir en 1986, le fabricant, une
petite entreprise familiale de Tours, ferme ses portes « Le vrai moleskine n'est plus » lui aurait annonce
de manière théâtrale la proprietaire de la papeterie de la Rue de l'Ancienne Comédie où il avait l'habitude
de s'approvisionner Chatwm acheta tous les carnets qu'il put trouver avant de partir pour l'Australie, maîs
il n'en avait pas encore assez
En 1997, un petit éditeur milanais a fait renaître ce carnet légendaire et a choisi ce nom littéraire pour
renouveler une tradition extraordinaire Sur les traces de Chatwm, le carnet Moleskine reprend son voyage,
se proposant comme complément indispensable à la nouvelle technologie portable Cueillir la réalité en
mouvement, capturer des détails, noter sur du papier la nature unique de l'expérience le carnet Moleskine
est un accumulateur d'idées et d'émotions, délivrant son énergie dans le temps
Aujourd'hui, Moleskine est synonyme de culture, de voyage, de mémoire, d'imagination et d'identité
personnelle - que ce soit dans le monde réel ou virtuel. C'est une marque qui identifier toute une famille
de carnets, cahiers, d'agenda et de guides de voyage innovants, adaptés à des fonctions diverses Avec
ses différents formats de pages, les carnets Moleskine sont des partenaires pour les professions créatives
et accompagnent l'imaginaire de notre époque Ils représentent, dans le monde entier, un symbole du
nomadisme contemporain, en lien étroit avec l'univers digital a travers un réseau de sites web, de blogs, de
groupes en ligne et d'archives virtuelles Avec Moleskine, la gestuelle ancestrale de prendre des notes et
de faire des esquisses - activités typiquement analogiques - ont trouvé des espaces inattendus sur le web
et dans les communautés
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