Nul ne peut prétendre gérer efficacement un milieu qu’il ne
saurait identifier ou dont il ne connaîtrait du moins
sommairement le fonctionnement. L’identification et le
fonctionnement des «forêts à caractère naturel» sont singuliers
et méritent d’être présentés en détail156. Le terme de «forêts à
caractère naturel» caractérise avant tout un état de conservation
(résultant de l’histoire de la forêt), non un habitat déterminé par
les conditions stationnelles.
2.1. Plusieurs définitions
Le premier obstacle à une présentation des forêts «naturelles»
provient de la multitude des définitions. Plusieurs centaines de
définitions ont été proposées pour définir les «forêts anciennes»,
«climaciques», «primaires», «naturelles», «vierges» et «old-growth
forests» (http://home.att.net ; http://www.fao.org).
La plupart des auteurs limitent l’utilisation de «forêt vierge, primaire
ou naturelle» aux forêts n’ayant jamais connu d’impact humain
significatif. Cette définition correspond encore assez bien à certaines
forêts tropicales (ou l’impact de l’Homme est négligeable).
95,127Le terme nord-américain de «Old-growth forest» («forêt de
vieille croissance», «forêt surannée») désigne les forêts dans
lesquelles certains arbres de valeur ont parfois ponctuellement été
prélevés, mais sans que leur composition et physionomie originelle
n’aient été modifiées90.
Les auteurs britanniques parlent quant à eux souvent d’«Ancient
Woodlands» (Bois Anciens) pour désigner les forêts les plus
naturelles de leurs îles. Ce terme caractérise néanmoins plus la
continuité forestière (depuis plusieurs siècles) que la naturalité
(certaines de ces forêts étant exploitées).
En France, différents termes sont utilisés : «forêt vierge» (que
l’homme moderne n’a pas altéré), «primaire» (à dynamique naturelle
ininterrompue depuis leur origine spontanée), «naturelle» et
«originelle» en sont quelques exemples. Les forêts françaises ayant
toutes ou presque été altérées par des activités humaines (ne serait-
ce que par les activités anciennes, la pollution atmosphérique ou
l’élimination des grands carnivores), les termes plus conciliants de
«forêt à caractère naturel», «sub-naturelle» ou «sub-primaire» ont été
proposés pour désigner celles dont la naturalité (§ 3) était encore
forte. L’appellation «sub-primaire» ou «sub-naturelle» nous paraissant
quelque peu péjorative et trop binaire, c’est le terme de forêt à
caractère naturel que nous avons retenu pour définir les forêts
françaises à forte naturalité.
Qu’est-ce qu’une forêt à caractère naturel ?
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Le terme de forêts à caractère naturel utili-
sé dans ce cahier technique caractérise :
• des écosystèmes qui se distinguent par
la présence de vieux arbres et par les
caractéristiques structurales qui y sont rat-
tachées ;
• des forêts englobant les derniers stades
du développement stationnel, stades typi-
quement différents des stades plus
récents par la taille des arbres, l’accumula-
tion de grandes quantités de bois morts, le
nombre de strates arborescentes, la com-
position spécifique et les fonctions écolo-
giques ;
• des forêts sans traces d’exploitation
récente et constituées d’essences autoch-
tones.
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L’appellation de «Réserve forestière inté-
grale» («Strict forest reserve») fait référen-
ce à un statut de protection strict proscri-
vant l’exploitation sylvicole. Ce type de
réserve protège habituellement des forêts
à forte naturalité. Dans certain cas néan-
moins, il s’agit de forêts jusqu’alors exploi-
tées mais dont on souhaite à l’avenir aug-
menter la naturalité.
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2.2. Un fonctionnement complexe
2.2.1 L’unité de régénération et la mosaïque sylvatique
Depuis Jones90, qui proposa en 1945 une première analyse de la
structuration et de la dynamique des forêts tempérées, Oldeman138
est probablement l’auteur ayant donné la description la plus complète
du fonctionnement des écosystèmes forestiers, en précisant
notamment les concepts d’ «éco-unités» et de «mosaïque sylvatique».
On observe dans les forêts naturelles une organisation selon un
emboîtement d’unités différentes :
• l’écotope : espace occupé par un arbre au cours de sa vie ;
• l’unité de régénération ou éco-unité : «surface où, à un moment
donné, un développement de végétation a commencé»
(emplacement libéré à un moment donné par la mort d’un ou de
plusieurs arbres morts simultanément) ;
• la mosaïque sylvatique (ou éco-mosaïque) : agencement d’unités de
régénération souvent d’âges différents.
2.2.2 Phases et cycles sylvigénétiques
Au cours de son développement, l’éco-unité (§ 2.2.1) va connaître
plusieurs stades : un stade de jeunesse caractérisé par la
régénération et la croissance en hauteur des jeunes arbres, un stade
de maturation caractérisé par la croissance en épaisseur (tronc) et en
largeur (couronne) des arbres et un stade de vieillesse lors duquel la
croissance des arbres ralentit et leur mortalité augmente, permettant
ainsi à un nouveau stade de jeunesse d’apparaître.
Ces stades sont constitués de 5 phases sylvigénétiques
différentes : phase de régénération, initiale (ou d’accroissement),
optimale, de sénescence et de déclin.
Dans le cas de forêts à «dynamique douce» (la majorité des forêts
d’Europe tempérée), les éco-unités sont de petite taille (moins de
50 m2le plus souvent). Dès qu’une perturbation génère l’ouverture
d’une nouvelle éco-unité, un nouveau cycle démarre. Dans ce type de
forêts, les nouveaux cycles démarrent habituellement avant que les
anciens ne soient totalement achevés. Plusieurs phases peuvent
donc se chevaucher sur une même unité : la phase de régénération
d’un nouveau cycle débutant dès que les premiers arbres morts d’un
cycle ancien (en phase de sénescence) permettent à la lumière de
percer la canopée.
S’inspirant de Leibundgut111, Korpel101 organise ainsi ces cinq phases
sylvigénétiques au sein de trois stades successifs :
• le stade de régénération ou de dégénérescence, comprenant
simultanément :
- la phase de sénescence constituée d’arbres mourants du cycle 1
- la phase de régénération constituée de jeunes semis du cycle 2
• le stade d’accroissement, comprenant simultanément :
- la phase de déclin constituée d’arbres morts du cycle 1
Les éco-unités sont de taille variable. Dans
les régions boréales où les incendies sont
des perturbations habituelles (dynamique
catastrophique ; § 2.2.5), il n’est pas rare
qu’une même unité de régénération
couvre plusieurs dizaines voire plusieurs
centaines de km2. En Europe tempérée où
l’éco-unité correspond le plus souvent à
l’emprise d’un ou de quelques arbres abat-
tus par le vent (dynamique douce ; § 2.2.5),
les unités de régénération ont habituelle-
ment un diamètre de 15 à 50 m.
Dans la forêt à caractère naturel de La Tillaie
à Fontainebleau, 90% des éco-unités ont un
diamètre compris entre 15 et 30 m55. Dans
la forêt à caractère naturel de Neuenburg en
Allemagne du Nord, 45% des éco-unités
ont un diamètre de 15 à 30 m, les autres
étant réparties dans différentes classes
comprises entre 30 et 75 m100.
La mosaïque sylvatique
La mosaïque sylvatique renvoie à une vision
macroscopique de la forêt. Elle englobe des éco-unités
(surfaces représentées ici par des couleurs différentes
selon la phase sylvigénétique ; § 2.2.2) qui, vues d’avion,
apparaîtraient comme autant de groupes d’arbres d’âges
sensiblement voisins. Les arbres (points noirs), dont la
taille moyenne diffère dans chaque phase sylvigénétique,
occupent chacun un espace propre appelé écotope.