A L’OCCASION DU 150° ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DU SAINT CURÉ D’ARS Rencontre avec le Père Paul Préaux, Recteur du Sanctuaire de Notre Dame de Montligeon. Vous êtes actuellement Recteur du Sanctuaire de Montligeon (plus spécifiquement voué à la prière pour les âmes du Purgatoire) : le Curé d'Ars vous a-t-il particulièrement éclairé pour recevoir, comprendre et vivre cette mission qui vous est confiée ? Pour des motifs variés, la prière pour les âmes des défunts en purgatoire a connu un tel déclin au XXème siècle qu'on aurait pu penser qu'elle était définitivement classée parmi les dévotions dépassées. En arrivant au Sanctuaire de Montligeon en septembre 1995, j'ai pris le temps de réfléchir sur cette réalité de la Foi et je me suis rendu compte que pour proposer à nouveau cette prière, il était nécessaire d'en rappeler les fondements théologiques. Il fallait passer le purgatoire au dépoussiérage car dans l'esprit de nombreux de nos contemporains cette réalité était synonyme d'un Dieu qui faisait peur, d'un Dieu justicier. Le Curé d'Ars a utilisé une expression simple mais très profonde pour évoquer cette réalité de la Foi catholique. Il dit : « le purgatoire, c'est l'infirmerie du Bon Dieu ». C'est une infirmerie parce que ceux qui vivent cette épreuve ont besoin d'être soignés, guéris des blessures du péché et de ses conséquences. Dans une infirmerie, nous exprimons aussi le fait que non seulement nous avons besoin d'un Médecin (dans le cas du Purgatoire, c’est le Christ) mais que nous avons besoin de ses auxiliaires : les infirmiers et les infirmières. Par cette image, le saint Curé évoque donc la place centrale de la Communion des saints. Dans le Catéchisme de l’Église catholique nous lisons : « Dans la communion des saints "il existe donc entre les fidèles - ceux qui sont en possession de la patrie céleste, ceux qui ont été admis à expier au purgatoire ou ceux qui sont encore en pèlerinage sur la terre - un constant lien d'amour et un abondant échange de tous biens" (). Dans cet échange admirable, la sainteté de l'un profite aux autres, bien au-delà du dommage que le péché de l'un a pu causer aux autres. Ainsi, le recours à la communion des saints permet au pécheur contrit d'être plus tôt et plus efficacement purifié des peines du péché ». (n. 1475). En tant que Recteur, pouvez-vous nous dire comment vous voyez la place des Sanctuaires dans l'Église, et au sein de la Nouvelle Évangélisation ? Quel est leur avenir ? Aujourd'hui, en France, les Sanctuaires reçoivent environ 42 millions de visiteurs par an. Les lieux de pèlerinages ont donc un bel avenir et une mission essentielle dans le cadre de la Nouvelle Évangélisation : la proposition de la Foi, l'accompagnement des personnes seules ou en groupe. Les Sanctuaires doivent être des icônes de la présence de Dieu, du Mystère pascal de Jésus et de la communion des saints. Les hommes de notre temps ont besoin de voir Dieu à travers des témoins en chair et en os que sont les chrétiens en particuliers, mais aussi à travers des espaces géographiques comme les Sanctuaires où ils peuvent rencontrer personnellement la miséricorde de Dieu. Mais il est bon de nous rappeler, qu'en France, les pèlerinages sont en général des sanctuaires diocésains qui doivent travailler en bonne intelligence avec la pastorale paroissiale, plus classique, plus territoriale. Je ne conçois pas la pastorale des sanctuaires totalement détachée de la pastorale diocésaine. Cela me semble important pour vivre la grâce de la Nouvelle Évangélisation. Vous avez travaillé sur la charité pastorale du Prêtre ! Qu'est-ce que le Curé d'Ars peut nous dire sur ce sujet ? Dans son exhortation apostolique, Pastores Davo Vobis, du 25 mars 1992, le pape Jean-Paul II nous a certainement offert une des plus belles réflexions sur la charité pastorale après le Concile Vatican II. C'est grâce à la consécration sacramentelle spécifique au sacrement de l'ordre qui est opérée par l'effusion de l'Esprit-Saint, que la vie spirituelle du prêtre est empreinte, modelée, et marquée par les comportements qui sont propres au Christ, tête et pasteur de l'Église et aussi époux de l'Église. Au n° 23 de ce document pontifical, nous lisons : « Le contenu essentiel de la charité pastorale est le don de soi, le don total de soi-même à l'Église, à l'image du don du Christ et en partage avec Lui. La charité pastorale est la vertu par laquelle nous imitons le Christ dans son don de soi et dans son service. Ce n'est pas seulement ce que nous faisons, c'est le don de nous-mêmes qui manifeste l'amour du Christ pour son troupeau. La charité pastorale détermine notre façon de penser et d'agir, notre mode de relations avec les gens. Cela devient particulièrement exigeant pour nous ». Dans ce texte, comment ne pas penser à la figure du Curé d'Ars qui fut totalement donné à son ministère. Il n'a pas fait de grandes choses, d'œuvres exceptionnelles mais il était totalement donné, d'abord à Dieu dans la prière, la contemplation, et aussi au service de ses paroissiens, et bientôt d'une multitude de pécheurs. Et aujourd'hui encore, le Curé d'Ars « passe son Ciel à faire du bien à l'Église et en particuliers aux prêtres ». Il exerce d'une façon céleste, par ses propres mérites unis à ceux de Jésus, sa charité pastorale vis-à-vis de toute l'Église. Vous êtes prêtre de la Communauté Saint Martin : quels liens ou complémentarités relevez-vous entre ces deux saints ? Le premier trait commun que je relève entre Saint Martin et le Saint Curé d'Ars, c'est leur désir du Ciel. Le Curé d'Ars a écrit : « Je suis prêt à rester cent ans de plus sur terre pour sauver une âme ». Comme Saint Martin, il avait pour unique horizon de sa vie terrestre l'éternité avec Dieu. De même, saint Martin avant de mourir à Candes avait dit au Seigneur répétant les mots de saint Paul (Ph. 1, 23-24) - : « Pour moi la vie c'est le Christ, mourir représente un gain. Cependant si la vie dans cette chair doit me permettre encore un fructueux travail, j'hésite à faire un choix... Je me sens pris dans cette alternative : d’une part, j'ai le désir de m'en aller et d'être avec le Christ, ce qui serait et de beaucoup plus préférable, mais de l'autre, demeurer dans la chair est plus urgent pour votre bien ». Que ce soit Saint Martin ou le Curé d'Ars - qui avait dit au petit berger : « Je te montrerai le chemin du Ciel » -, tous les deux étaient habités par ce grand désir du Ciel, ce désir d'être avec Jésus pour la vie éternelle. Mais tous les deux étaient aussi habités par ce désir de faire la volonté de Dieu dans le service des plus pauvres. Le deuxième trait commun, ils avaient tous les deux un cœur de pauvre. De Saint Martin on dit dans une des antiennes liturgiques qu’il était : « humble et pauvre », et du Curé d'Ars tout le monde percevait qu'il avait un cœur de pauvre. Non pas un cœur qui ne possède rien mais un cœur « qui attend tout de Dieu » (Is. 30, 18), un cœur qui vit dans l'abandon et la confiance dans le Seigneur. Cette humilité de Martin et du Curé d'Ars est très touchante, ils ne se croyaient rien à partir d'eux-mêmes, ils savaient qu'ils ne pouvaient rien faire à partir d'euxmêmes, par eux-mêmes. Un autre trait commun entre Saint Martin et le Saint Curé d'Ars, c'est leur charité. Nous connaissons tous cette grande charité de Martin, encore catéchumène, qui couvrira de son manteau le pauvre d’Amiens. En couvrant ce pauvre, Martin avait couvert le Christ lui-même. Nous avons peut-être sous-estimé aussi cette charité extraordinaire du Curé d'Ars, cette bonté et cette bienveillance « d'un cœur liquide » qui aime Dieu et son prochain. Tous les deux, Martin et le Curé d'Ars, n'avaient pas une charité mièvre ou flatteuse. Ils étaient animés d’une charité qui voulait véritablement le bien de ceux qu'ils rencontraient, une charité exigeante, parce que consciente de la grandeur de la vocation de tout homme. Un autre trait commun, c'est leur amour de l'Eucharistie. On se rappelle la charité eucharistique de Saint Martin alors qu'il était évêque de Tours. Un globe de feu représentant cette charité de l’Esprit Saint était apparu au-dessus de la tête de Martin pendant la célébration des saints Mystères. Mais on sait aussi l'amour du Curé d'Ars pour l'Eucharistie. Jean XXIII dans son écrit sur le Curé d'Ars disait : « Le Curé d'Ars est un témoin de l'Eucharistie ». Il puisait toute sa force dans l'adoration et dans la célébration de l'Eucharistie. On connaît ces mots du saint Curé : « Il n’y a rien de si grand que l’Eucharistie » et encore «toutes les bonnes œuvres réunies n’équivalent pas au sacrifice de la Messe parce qu’elles sont les œuvres des hommes et la Messe est l’œuvre de Dieu. » Un autre aspect qui est commun à ces deux saints, c'est que tous les deux n'ont été véritablement que des pasteurs. Saint Martin est le premier saint qui ne soit pas martyre dans le martyrologe chrétien. C'est le premier confesseur de la Foi. Il appartient au commun des pasteurs. Tous les deux sont saints parce qu'ils ont été pleinement prêtres, et seulement prêtres, la perle des prêtres. Vous êtes allés à Ars pour le Colloque : " Prêtres diocésains, quelle Sainteté ?" Vous êtes intervenu sur le thème : " Vie fraternelle et sainteté " J'ai voulu rappeler tout simplement que la fraternité sacramentelle pour les prêtres avant d'être d'ordre moral est d'ordre théologique. Je me suis appuyé pour cela sur le Concile Vatican II qui rappelle que du fait de leur ordination qui les fait entrer dans l'ordre du presbytérat, les prêtres sont tous intimement liés entre eux par la fraternité sacramentelle. C'est une fraternité qui est l'expression au niveau de l'Église universelle de l'appartenance à l'ordre du presbytérat. J'ai fait remarquer aussi que cette fraternité sacramentelle se réfère à tous les prêtres et à tous les évêques et qu'elle s'inscrit dans la dimension universelle de l'Église comme une exigence de la communion. Il en découle que le lien de fraternité entre les ministres ordonnés en vertu de l'ordination sacramentelle est donc constitutif de leur unité et illumine le lien qui relie tous les prêtres d'un même presbyterium d'une église particulière. Les affinités naturelles, les liens historiques d'appartenance – qui ont bien évidemment leur importance – sont cependant subordonnés théologiquement à ce lien de fraternité sacramentelle, ce qui devrait empêcher des attitudes de prévention encore moins de méfiance vis-à-vis des prêtres qui viennent d'autres provenances que l'Église diocésaine. Dans la vie du Curé d'Ars, ce qui me frappe, c'est aussi cet amour fraternel qu'il a eu envers les prêtres. Pendant le Colloque, le P. Philippe NAULT a souligné la place des confrères prêtres dans la vie du Curé d’Ars : « Il faut souligner déjà la place de l’abbé Charles Balley, curé d’Écully. Jusqu’à sa mort, Jean-Marie Vianney l’appellera son maître. On peut imaginer combien son influence fut grande sur le jeune homme qui voulait devenir prêtre. Pendant onze années de vie commune au presbytère d’Écully [1806-1817], le jeune séminariste apprendra par osmose et par imitation, ce qu’est la vie d’un prêtre et d’un curé. Sa forte personnalité, sa rigueur, son sens du sacrifice et de l’abnégation, sa piété et sa foi profonde marqueront à jamais l’âme du jeune Jean-Marie. Il fut un véritable maître et un père pour ce séminariste peu sûr de lui, peu doué pour les sciences, mais au cœur débordant de générosité et si pieux. Ses mortifications, le Curé d’Ars les a apprises chez M. Balley. Tous deux rivalisaient dans l’abnégation et le renoncement. Ils voulaient ressembler à leur Maître et Seigneur et apprendre de lui douceur et humilité. C’est en pensant au curé d’Écully qu’il dira plus tard : « si un prêtre venait à mourir à force d’abnégation et de privations, ce ne serait pas mal ! »1. 1 LASSAGNE, 140. Mais l’Abbé Balley va surtout éveiller en lui un cœur de prêtre, empreint de zèle, de piété et d’abandon. Il lui apprendra à surmonter et à offrir ses difficultés, ses pauvretés et ainsi à les faire fructifier. Il va l’ancrer dans l’amour de l’Église et engendrera chez le jeune séminariste un cœur de pasteur. Il lui apprendra ce qu’il a lui-même reçu de son ordre religieux (les génovéfains), à savoir la visite des familles à domicile, l’attention à la liturgie et à son déploiement, l’implication personnelle du prêtre dans la pastorale, la prière commune à l’église… autant de points mis en œuvres plus tard par le Curé d’Ars. À la mort de l’Abbé Balley, son jeune vicaire accueillera comme un héritage le témoignage d’une vie toute donnée. Même si l’on n’en sait que peu de choses, ses confesseurs eurent certainement sur lui une influence prépondérante, dans les grandes orientations spirituelles et humaines qui furent les siennes. Comment ne pas imaginer qu’il donna à ses pénitents ce qu’il reçut lui-même dans le silence du confessionnal ! On ne peut oublier aussi ses luttes contre le grappin, affirmons simplement que ses confesseurs eurent là aussi une place nécessaire. Son dernier confesseur (durant 13 ans) fut l’Abbé Beau, curé voisin2 qui remarqua simplement au cours du procès de béatification : « Les souvenirs que j’ai de ces moments-là m’impressionnent encore. Je ne crois pas qu’il soit possible d’aller plus loin dans la pratique des vertus héroïques. Je lis la vie des saints et je n’y trouve rien qui soit au-dessus de ce que j’ai vu dans Monsieur le Curé d’Ars. Je ne pourrai exprimer à quel point il m’inspirait la vénération et le respect. Il avait, d’après mon opinion, conservé la grâce du baptême et cette grâce, il l’a constamment augmentée par la sainteté éminente de sa vie »3. Enfin il faut signaler ses proches collaborateurs, citons simplement l’abbé Tailhade4, l’abbé Raymond5, et l’abbé Toccanier6. Tous trois l’ont aidé et servi à leur manière, et furent à jamais marqué par son exemple. Le premier en l’éclairant sur sa pastorale et en le soutenant de ses connaissances. Le second en l’incitant à la charité, le troisième en l’accompagnant fraternellement les dernières années de sa vie. Leurs défauts ou faiblesses contribuèrent aussi à la sainteté du Curé d’Ars ; Dieu se sert de tout pour faire grandir les saints. Propos recueillis par Sœur Marie-Donatienne, Bénédictine du Sacré-Cœur de Montmartre L’abbé Beau fut nommé curé de Jassans en septembre 1844. Il devint confesseur du Curé d’Ars à partir de novembre 1845. 3 PROCES DE L’ORDINAIRE, pp. 1189-1190. 4 Prêtre du diocèse de Montpellier qui passa 3 mois et demi près du Saint Curé en 1839. Ils échangèrent beaucoup et l’abbé Tailhade lui apporta principalement sur la pratique de la confession (influence de St Alphonse de Ligori). 5 Vicaire du Curé d’Ars de septembre 1845 jusqu’en août 1853. 6 Vicaire du Curé d’Ars à partir de septembre 1853, puis son successeur à Ars de 1869 à 1883. 2