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Lucca, 22 et 23 octobre 2004
Pour l’émergence
de téléspectateurs actifs
en Europe
Il me semble que la priorité qu’il faudrait concrétiser pour favoriser le déploiement de
téléspectateurs actifs agissant seuls ou au sein d’associations nationales et
européenne doit consister en un échange d’expériences au niveau international. Une
présentation régulièrement actualisée des bonnes et des mauvaises « pratiques »
concrètes qui se mettent en place ici et là.
Deux exemples
Voici deux exemples de bonnes « pratiques » récentes mises en place en France et
en Belgique que l’ensemble des téléspectateurs européens auraient intérêt à
connaître, ne fut-ce que pour revendiquer qu’elles soient adaptées dans leurs pays.
Sur France 2, la chaîne de service public française, l’émission de médiation
hebdomadaire « L’Hebdo du Médiateur » a expliqué que, lorsqu’il fallait filmer pour le
journal télévisé une interview d’un sportif qui posait devant un mur affichant les sigles
de nombreux sponsors, le gros plan sur la tête du sportif devait être privilégié pour
éviter l’apparition d’images publicitaires dans les émissions d’information.
Sur la chaîne privée AB3 diffusée en Belgique, l’émission «Ça va se savoir » propose
des explications tumultueuses sur leur vie privée par des couples qui s’affrontent
devant un public et un animateur qui sert d’arbitre. Il s’agit en fait d’acteurs qui
simulent des situations et non de réelles personnes qui témoignent leur vécu, comme
la chaîne a tenté de le faire croire au démarrage de l’émission. En Belgique, AB3 est
désormais contrainte, dans le générique du début de l’émission, d’expliquer, chaque
jour, au public que ce sont des acteurs qui jouent les différentes scènes.
Elle doit également afficher dans le générique de fin les noms des différents acteurs.
Cette obligation peut permettre au public de prendre une distance par rapport à
l’émission et de faire la différence entre la réalité et la fiction.
Il convient donc que les nouvelles « pratiques » positives ne restent pas isolées. Plus
de chaînes l’adopteront, plus elles auront de chance de survivre chez leur initiateur.
Un association internationale, par exemple Européenne, doit favoriser pareil
essaimage.
Seul, donc fragile
Une avancée en faveur des téléspectateurs dans un petit pays est souvent menacée
par les lobbies économiques ou médiatiques qui doutent de l’utilité de cette évolution
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puisque les chaînes des pays voisins captables grâce au câble ou aux paraboles
n’appliquent pas ladite mesure.
C’est le cas, en Belgique, avec l’interdiction de diffuser de la publicité durant les 5
minutes qui précèdent et qui suivent les émissions pour les enfants (- de 12 ans) à la
RTBF, chaîne de service public.
En application depuis le 1er janvier 2003, cette mesure vient d’être remise en question.
En effet, la nouvelle Ministre de l’Audiovisuel propose qu’on mène déjà un débat public
sur son utilité.
Se priver d’une solution
D’autre part, tel ou tel pays ne sont pas incités à reprendre à leur compte
l’« avancée » d’un pays voisin car les diffuseurs peuvent ne pas y avoir intérêt. Les
médias risquent bien de ne pas informer leur public, les décideurs et le monde
politique de l’existence même de pareille évolution. Et… ne pas savoir ce qui se passe
ailleurs, c’est parfois se priver de trouver une solution à ses propres difficultés !
Actuellement, pour combattre le développement de l’obésité, la France cherche une
autre manière de gérer la publicité destinée aux enfants à la télévision… Dans cette
réflexion, il n’est jamais question, probablement par manque d’information, de la règle
belge des « 5 minutes » que j’ai évoquée plus haut. Serait-ce une bonne piste de
travail ? Pour se faire un avis, il faut au moins analyser les effets de pareille
régulation…
Autre exemple de cette absence de communication si nuisible pour le public : en
Belgique, beaucoup de téléspectateurs francophones sont irrités par le non respect
des horaires par des chaînes de télévision. Les médias écrits et audiovisuels
n’expliquent jamais au public que l’on pourrait avoir recours au PDC afin de permettre
au moins aux magnétoscopes, quels que soient les changements d’horaires,
d’enregistrer les émissions dans leur intégralité. Aujourd’hui, la plupart des
téléspectateurs belges francophones ignorent l’existence même de ce procédé
technique utilisé dans d’autres pays et qui pourrait résoudre une petite partie des
méfaits dûs au non respect des horaires.
Préparer la curiosité pour Big Brother
Si l’on souhaite vraiment que les téléspectateurs soient actifs, il est primordial de leur
donner des informations qui puissent les mobiliser. C’est également se battre contre le
fatalisme que d’indiquer que des évolutions positives se concrétisent ici ou là. Et de
décrire aussi le plus rapidement possible les périls que l’on devrait éviter. Que les
expériences négatives d’autres pays aient au moins ainsi comme effet positif d’éviter,
par le biais d’une information préventive au niveau européen, leur propagation à
d’autres chaînes.
Il faut constater que les médias, lorsqu’ils parlent des évolutions dans d’autres pays,
sont essentiellement sensationnels et souvent anti-citoyens.
Globalement, ils ne décrivent que ce qui se met en place de scandaleux ou de violent
à l’étranger.
En France et en Belgique, ils proposaient très régulièrement, par exemple, des
reportages sur Big Brother durant les deux saisons qui ont précédé l’arrivée de la
téléréalité dans ces pays. Ils ont ainsi aiguisé la curiosité de public sans que celui-lui
ne lui ait demandé quoi que ce soit ! Par contre, aucun média belge ou français n’a
enquêté sur les effets de l’originale règle « des 5 minutes » ! Comme si cette
thématique n’intéressait pas le public ! Donc, deux poids, deux mesures…
Il convient donc qu’à un niveau européen, un travail de coordination de l’information
soit mis en place pour que les évolutions des « pratiques » positives et négatives
soient mieux médiatisées en direction des associations d’usager.
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Il faut, d’autre part, que de nouvelles règles édictées au niveau européen contraignent
au moins les chaînes de service public à mieux informer leur public des enjeux
concrets de l’audiovisuel.
Education aux médias et pédagogie des enjeux
Ces réflexions pourraient également alimenter le contenu d’un travail d’éducation aux
médias. Cette dernière ne devrait pas se limiter à une diffusion d’un savoir de type
encyclopédique (par exemple, expliquer comment se tourne et combien coûte la
production d’un spot de pub) mais elle devrait également opter pour une pédagogie
des enjeux (par exemple, détailler quelles sont influences concrètes de la publicité et
du sponsoring sur le contenu même des programmes diffusés par les chaînes
familières du public qui reçoit ces cours d’éducation aux médias).
Il conviendrait également que ces séances d’éducation aux médias donnent aux
téléspectateurs les outils concrets qui leur permettraient d’agir par rapport aux chaînes
(comment écrire une lettre au courrier des lecteurs d’un hebdo TV, comment adresser
une plainte à l’organe de régulation, comment s’adresser au service de médiation
d’une chaîne, que faire si l’on ne reçoit en retour aucune réponse ou une réponse en
langue de bois, etc.).
Pour une « soirée » européenne annuelle
Si le but d’une association européenne est d’éveiller des vocations de téléspectateurs
actifs, c’est-à-dire favoriser l’émergence d’un contre-pouvoir porté par des usagers
imaginatifs et revendicatifs, il faut que cette association organise à un niveau
européen un événement ludique et mobilisateur auxquelles doivent être
nécessairement associées les chaînes de télévision, afin qu’il soit relayé auprès du
public concerné, les téléspectateurs eux-mêmes.
Objectif : une soirée annuelle du téléspectateur actif en Europe.
Toutes les chaînes programmeraient, ce soir-là, au prime-time, une émission qui
aurait pour objectif de faire le point sur leurs évolutions durant l’année écoulée, en
compagnie de leurs téléspectateurs.
Sur base des informations recueillies et diffusées par l’association européenne au fil
des douze mois précédant cette soirée-événement, en ce qui concerne les « bonnes »
et les « mauvais » pratiques mises en places dans l’audiovisuel européen, un jury, ce
soir-là, décernerait en direct ses prix annuels couronnant les nouvelles pratiques
audiovisuelles, bonnes et mauvaises. Les responsables des différentes chaînes
seraient invités à réagir.
Pareille initiative renforcerait la pugnacité des usagers et des associations « en vue du
bien commun » européen et participerait au rééquilibrage des forces en présence
dans le paysage audiovisuel. Enfin, l’usager pourrait conquérir sa visibilité dans ce
secteur étaient jusqu’à présent n’étaient omniprésents que les lobbies des
diffuseurs, des régies publicitaires et des créateurs (quotas musicaux, etc.) ainsi que
les agents régulateurs (CSA, Service de médiation , etc.).
Se mettrait enfin en place un concours télévisé dont les enjeux concerneraient
directement le public qui le regarderait. Pareille initiative permettrait d’envisager de
manière positive l’évolution du petit écran. La télévision pourrait devenir une amie !
Cette soirée permettrait à chacun, dans son propre pays, de faire le bilan de ce qui se
passe chez lui et ailleurs en Europe. Le public apprendrait que les télévisions peuvent
se comporter, ici et là, de manière fort différente et être très inventives.
Attention ! Il ne s’agit de couronner ni des émissions, ni des animateurs ou des
journalistes, ni des chaînes, ni des pays, mais bien des « pratiques », des évolutions.
Pour être concret, si je devais influencer le jury, je lui proposerais, cette année, de
sélectionner des nouvelles pratiques de France 5 et la RTBF.
Sur France 5, l’émission qui analyse les médias, « Arrêt sur images », est en différé
et montée. Dans le générique final, il est indiqué la durée réelle du tournage et le
public peut, chaque semaine, sur internet visionner la nouvelle émission dans la durée
intégrale de son tournage.
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Quant à la RTBF, elle vient d’innover dans les émissions de type « agenda ». On
trouve normal de proposer au téléspectateur des agendas culturels. La RTBF, depuis
une dizaine d’années, proposait ainsi « Javas », un agenda culturel hebdomadaire
d’une quinzaine de minutes multidiffusé dans des créneaux horaires diversifiés. La
somme de ces audiences a permis même de concurrencer le public d’un journal
télévisé.
Nouveauté de cette saison : un agenda beaucoup plus inédit et pourtant très utile, un
agenda qui annonce les activités sociales et d’éducation permanentes : des colloques,
des conférences, des ateliers, des actions citoyennes et même, des procès
emblématiques ou des manifs. Cette émission s’appelle « Ça bouge ».
Le fait de consacrer un agenda à des annonces de ce type me semble être une
nouvelle « pratique » utile et originale.
Indispensable association européenne
Il existe de nombreux lobbies d’usagers qui s’intéressent au petit écran : les artistes,
les enseignants, les parents, les représentants des sourds et malentendants, etc.
C’est très bien ainsi.
Mais il me semble qu’il n’existe que très peu d’associations regroupant de simples
téléspectateurs qui s’expriment en tant que tels.
Pourquoi ?
Les raisons sont multiples. Je n’en retiendrai qu’une : le fait de regarder la télévision
individualise et, souvent, isole le téléspectateur. Ce fait est antinomique avec le projet
de rallier une association d’usagers du petit écran. En plus, les télévisions, juge et
partie, n’informent guère leurs téléspectateurs de manière régulière et détaillée des
activités des associations de téléspectateurs, lorsque celles-ci réussissent néanmoins
à exister.
Il me semble donc que l’outil qui pourrait susciter l’envie aux usagers de la télé de se
fédérer sera une association européenne, si celle-ci offre des pistes concrètes qui
permettraient au public de conquérir un mieux-disant audiovisuel. Car, finalement, les
téléspectateurs sont bien plus nombreux que les publicitaires !
Bernard Hennebert
Journaliste-animateur,
Auteur de « Mode d’emploi pour téléspectateurs actifs » (Labor),
Coordinateur du site www.consoloisirs.be
Pour davantage d’information (hélas, je ne parle que français)
et pour recevoir ma newsletter :
b.hennebert@swing.be
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