Noblesse et croisade à la fin du Moyen Âge 73
Méditerranée orientale pour la guerre contre les Sarrasins et les Turcs, Sainte-Marie
des Teutons en Prusse, et en péninsule Ibérique : Saint-Georges d’Alfama en
Catalogne, Montesa dans le royaume de Valence (ces deux ordres étant unis en
1400), Calatrava, Alcantara, Saint-Jacques de l’Épée en Castille, Avis, Saint-Jacques
de l’Épée, et Christ au Portugal15. Certaines familles envoyaient ainsi régulièrement
des fils dans un ordre militaire, tels les Bauffremont, famille du duché de
Bourgogne16, avec l’ordre de l’Hôpital. À la fin du XIVe siècle, Pierre, fils de
Philibert et d’Agnès de Jonvelle, se trouvait à Rhodes17. Une cinquantaine d’années
plus tard, un cousin de la branche cadette, Érard, fils d’Henri et de Jeanne de Vergy18
et frère du plus célèbre Pierre, comte de Charny, était commandeur de Bellecroix et
s’était « grandement employéz pour la deffense de la foy cristienne »19.
Certaines familles avaient un ancêtre, réel ou imaginaire, qui était lié à la
croisade ou à la lutte contre les Sarrasins : ainsi les comtes de Genève disaient
descendre d’Olivier, le paladin de Charlemagne, les Clèves du Chevalier au cygne,
grand-père de Godefroy de Bouillon. Le choix des prénoms, pour lequel il faudrait
une étude, pourrait indiquer une vivacité de l’esprit de croisade. Comment ont été
donnés les noms des chefs de la Première croisade, Godefroy, Baudouin, Raymond,
Bohémond, et pour la péninsule Ibérique Alphonse ou Henri, sans parler de Jacques,
Matamoros, « le tueur de Maures » ?
Pour les ancêtres réels, nulle famille ne pouvait égaler celle de France, avec,
en ligne continue, Louis VII (Deuxième croisade, 1147-1149), Philippe Auguste
(Troisième croisade, 1190-1191), Louis VIII (croisades contre les Albigeois, 1215,
1219, 1226), Louis IX (1247-1254 ; 1270), Philippe III le Hardi (« croisade
d’Aragon », 1285) ; Philippe IV le Bel prit la croix avec ses fils en 1313, Philippe VI
de Valois en 1333, Jean II le Bon en 1362 ; Charles VI, dans le but de la paix et de la
réunion de l’Église, projeta une croisade conjointe avec Richard II d’Angleterre en
1396 ; enfin Charles VIII partit en 1494 pour conquérir Naples, Constantinople et
Jérusalem. Dans la branche cadette de Valois-Bourgogne, Philippe le Hardi aurait
pris la croix avec son père en 1362, il aurait dû partir en 1395, soit en Prusse, soit en
Hongrie où son fils Jean, comte de Nevers (plus tard sans Peur), alla l’année
suivante ; Philippe le Bon fit le vœu de la croisade en 1451, réitéré au banquet du
Faisan en 1454, avec son fils Charles.
On pourrait croire qu’aux XIVe et XVe siècles il y avait de l’affectation chez
ces rois ou princes : en Hongrie, la croisade fut régulièrement proclamée en 1314,
1325, 1332, 1335, 1352 et 1354, en Pologne en 1325, 1340, 1343, 1351, 1354, 1355,
1363 et 1369 (les choses devinrent plus sérieuses avec l’apparition des Ottomans à
15 Cf. A. Demurger, Chevaliers du Christ. Les ordres religieux-militaires au Moyen Âge (XIe-
XVIe siècle), Paris, 2002.
16 Cf. M.-T. Caron, La Noblesse dans le duché de Bourgogne, 1315-1477, Lille (Économies et
sociétés), 1987, p. 315-356.
17 Il apparaît dans un tableau généalogique dans l’ouvrage cité note précédente (p. 344) ; cf. J.-
C. Poutiers, « Les Chevaliers de Rhodes à la bataille de Nikopol (1396) », Études balkaniques,
1, 1981, p. 97-99 ; J.-M. Roger, « Ayme d’Oiselay, prieur d’Aquitaine, et sa brigue du prieuré
de France en 1416 », Bulletin de la Société des antiquaires de l’Ouest et des Musées de
Poitiers, 5e série, VI, 1992, p. 116 et 124.
18 Absent des tableaux généalogiques cités.
19 J. Paviot, Les ducs de Bourgogne, la croisade et l’Orient…, p. 251 (1447).