Le labo des Clionautes, n°1 du 15 septembre 2007 2
ANALYSE DU PREMIER EXTRAIT
A l’issue du périple qui conduit le chef de la France libre dans les colonies d’AOF et d’AEF en janvier 1944, De
Gaulle déclare qu’il retourne à Alger : « où flotte une bannière, dont nul ne doute plus qu’elle soit celle de la
légitimité ». (1) Un des buts de ce voyage est bien d’asseoir l’autorité du CFLN sur l’Empire libéré alors que
la métropole est encore sous le joug nazi. Quelques images furtives des ce film trahissent cette situation.
D’abord le générique, qui est celui des actualités du « Monde Libre » alimentées par l’office français
d’informations cinématographique. Ensuite, la présence à Dakar de la marine alliée. Enfin, La foule africaine
qui acclame le cortège, et sur laquelle la caméra ne s’attarde pas, agite les drapeaux des puissances alliés.
En revanche l’accueil enthousiaste de la population européenne est largement montré. De Gaulle ne peut
s’empêcher de noter : « c’est là pourtant que, voici trois ans, l’accès du Sénégal m’était barré à coup de
canon ! » (2). Le commentaire y fait discrètement allusion quand le général passe en revue la flotte
française : « une seule marine pour une seule patrie ». A chaque étape, le même accueil des autorités, les
mêmes défilés de troupes coloniales. Au fur et à mesure que la caméra s’acclimate à l’Afrique elle retrouve
ses habitudes coloniales : gros plans en contre plongée sur les tirailleurs, regards ethnologiques sur les fiers
guerriers, manifestations de foules africaines loyales. La France est chez elle en Afrique. Dans cette France
de substitution que visite le général, à Zinder au Niger qui marquait la limite de l’Afrique ralliée à De Gaulle,
le commentaire invente une ligne de démarcation : « il y avait là, par la volonté de Vichy, une frontière
entre deux France … » Le deuxième objectif de ce voyage est bien sûr la conférence de Brazzaville où l’on
aperçoit Félix Eboué. Devant un aréopage d’administrateurs coloniaux en grande tenue, que le commentaire
qualifie collectivement de : « serviteurs de la civilisation française », De Gaulle prononce le discours
d’ouverture de la conférence. Le commentaire résume de façon très vague les propos tenus. La France a
tiré la leçon du drame et décidé de choisir pour ceux qui dépendent d’elle des chemins nouveaux et
pratiques vers un nouveau destin. Il faut avoir l’oreille très fine et un solide sens de l’analyse pour
comprendre les enjeux. Il est vrai que les travaux de la conférence présidée par le haut commissaire René Pleven
apporteront les précisions nécessaires et ouvriront à la voie à l’Union française.
(1) Mémoires de guerre, L’unité, 1942-1944, page 227, Plon 1956.
(2) idem, page 226
(3) texte complet du discours de Brazzaville, idem, pages 477-480
ANALYSE DU DEUXIEME EXTRAIT
Gaston Defferre, ministre de l’Outre mer dans le gouvernement de front républicain de Guy Mollet, a fait adopter
par le parlement une loi-cadre sur les territoires coloniaux de l’Union française en juin 1956. Une loi-cadre
permet de fixer les principes généraux, l’application se fait ensuite au cas par cas par décret. Cet artifice législatif
permet de contourner la pression des lobbies coloniaux qui peuvent bloquer les réformes au parlement. La
situation est tendue. Le Maroc vient d’obtenir son indépendance en mars après une période troublée. La question
algérienne reste brûlante, et les manifestations des soldats rappelés trouble la métropole. Les autres colonies
d’Afrique ne sont pas aussi calmes qu’il y paraît. Il faut agir vite.
Pour qui observe attentivement les images, derrière le ministre, dès la décente de l’avion se profile l’ombre blanche
et discrète de Pierre Messmer en uniforme de gouverneur. Sa présence s’explique pour une triple raison : ancien
de l’école d’outre-mer, officier de la légion c’est un bon connaisseur de l’administration coloniale ; il est en outre
directeur de cabinet de Gaston Defferre et a pris une part active à la rédaction de la loi-cadre, enfin il vient
remplacer l’ancien Haut-commissaire Roland Pré, qui a réprimé avec fermeté en mai 1955 les manifestations
nationalistes de l’UPC. Le commentaire parle d’indépendance, c’est bien sûr inexact. Le ministre vient installer
l’Assemblée législative élue pour la première fois par un collège unique et qui remplace la vieille assemblée
territoriale. Les images s’attardent sur l’exécutif présidé par André-Marie M’Bida. Cette première expérience
d’autonomie administrative a été favorisée par la situation du Cameroun, ancienne colonie allemande, ancien
mandat de la SDN, sur laquelle l’ONU exerce une tutelle et pousse à la décolonisation.