INTRODUCTION
Jean Monnet a résumé sa conception de la construction européenne par cette formule
lapidaire : « nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes ». Soixante-cinq ans
plus tard, le point de vue du droit international demeure différent sur la question : puisque la
forme  étatique  reste  la  seule  configuration  par  laquelle  les  peuples  deviennent  pleinement
aptes à la vie internationale, c'est bien la « coalition » des États qui permet l' « union » des
hommes.  C'est  ainsi  que  l'Union  européenne  fut  fondée  par  un  traité,  acte  parfaitement
interétatique par  lequel  ses  membres appellent à  l'  « union  sans  cesse plus étroite entre  les
peuples de l'Europe »1,  sans pouvoir évidemment préciser  quels  peuples  il  s'agit  d'unir.  Or,
dans un monde qui compte près de quatre fois plus d'États en 2015 qu'il n'en rassemblait à la
fin de la Seconde Guerre mondiale, nombreuses sont toujours les collectivités qui aspirent à
grossir leurs rangs en accédant à cette qualité, si l'on en juge par la proportion importante des
membres des Nations Unies encore travaillés à ce jour par des mouvements séparatistes.
En  effet, dans la  mesure  où  les  espaces  non  territorialisés  se  font  rares,  l'apparition
d'un nouvel État procède normalement du démembrement d'un État existant. Les Européens,
marqués  depuis  vingt-cinq  ans  par  les  séquelles  de  l'éclatement  de  l'URSS  et  de  la
Yougoslavie,  ont  une  expérience  récente  et  dramatique  du  processus.  Après  la  déclaration
d’indépendance du Kosovo, l’historien Jean-Arnault Dérens avait estimé qu’il ne fallait pas y
voir  «  la  dernière  pièce du  puzzle  post-yougoslave,  mais  la  première  pièce  d’une  nouvelle
fragmentation »2, prédiction que semblent confirmer les récents événements d'Ukraine. Un vif
débat porte sur le rôle joué par l'Union européenne dans la crise qui a conduit au rattachement
de la  Crimée à  la Russie et  à un conflit d'indépendance dans le Donbass ; mais à tort ou à
raison,  l'Union  européenne  est  aussi  fréquemment  accusée,  à  trop  vouloir  l'unité  des  États
membres,  de  saper  l'unité au  sein des  États  membres  –  en  bref,  d'alimenter  les  tendances
séparatistes  dont  les  voisins  de  l'  « autre  Europe »  n'ont  pas  le  monopole  et  qui  semblent
également grandissantes parmi les Vingt-Huit.
1Perspective tracée par le préambule du Traité sur l'Union européenne et aujourd'hui récusée par certains États
membres : le Premier ministre britannique David Cameron a fait un cheval de bataille de la suppression de cette
formule des traités européens, le gouvernement néerlandais ayant lui aussi exprimé récemment ses réticences.
2Cité dans T. GARCIN, « Vers une Europe de plus en plus fragmentée ? », Diploweb.com, 24 août 2011.
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