d’attentes de conformité du droit positif à des principes juridiques ouvertement revendiqués.
A cela s’ajoute par ailleurs un retour global de l’éthique
qui fait porter sur le droit, souvent
aidées en cela par des pressions médiatiques, des attentes qui étaient inscrites à l’arrière-plan
de normes qui n’étaient tout simplement pas activées dans ces cas. C’est ce qu’illustrent par
exemple les procès dont sont l’objet certains hommes politiques pour des faits s’apparentant
de près ou de loin à de la corruption. Il peut paraître là que le droit est appelé à remoraliser le
politique, mais somme toute, si l’on regarde l’objet de ces procès souvent très médiatisés, ce
n’est là que l’activation d’une fonction traditionnelle du droit.
Toutefois, au-delà de ces questions, j’inviterais volontiers à poser la question des nouvelles
relations entre droit et morale au travers des évolutions du concept qui me semble être
précisément commun aux deux domaines, celui de responsabilité. Concept constitutif à la fois
de la morale et du droit et dont le processus de subjectivisation est précisément, à suivre M.
Villey, à l’origine du droit moderne. Il faut en effet rappeler ici que l’hypothèse de M. Villey
à propos de cette origine consiste à montrer (pour le regretter mais tel n’est pas l’objet de
notre interrogation) à quel point le droit moderne est lié à un processus de moralisation au
travers de ce que j’ai appelé ailleurs la sémantique de la responsabilité
, c’est-à-dire le
vocabulaire –je le répète- moral, de l’intention, de la volonté, de la faute, de la culpabilité,...
En portant notre attention sur cette hypothèse, nous serions rapidement conduits à observer
que, somme toute, la surcharge morale du droit est un phénomène bien ancien puisqu’il
remonte, à suivre toujours M. Villey, à des auteurs comme Jean Duns Scot ou Guillaume
d’Occam. Tournant radical s’il en est puisque, pour Villey, avec la modernité, le droit pénal
devint « l’auxiliaire de la règle de conduite, la sanction de règles de morale installées au
sommet du droit », alors que « le droit civil a été refondu comme un prolongement de la
morale »
. De telles remarques qu’il faut, à mon sens, mettre en balance avec l’hypothèse de
la disjonction héritée de Kant, invitent évidemment à la prudence quant à l’affirmation d’une
surcharge éthique qui serait portée aujourd’hui par le droit.
En prenant la question des relations entre droit et morale sous l’angle de la responsabilité, je
souhaiterais soulever brièvement quatre questions : celle tout d’abord du développement du
modèle de la responsabilité sans faute et donc du retour d’une conception objectiviste de la
responsabilité et, dans la continuité de cette hypothèse, celle d’un déplacement des formes
d’évaluation de l’action donnant davantage d’importance à ce que j’appellerai les
modalisations actualisantes de l’action ; celle ensuite des implications qu’a sur l’interprétation
responsabilisante de l’action le recours de plus en plus fréquent aux dispositifs thérapeutiques
comme complément des décisions judiciaires ; celle enfin de l’extension de l’usage de la
responsabilité pour justifier une conditionnalisation accrue des droits, en particulier des droits
sociaux. Dans chacun de ces cas où, de fait, se recomposent les relations entre droit et morale,
je chercherai brièvement à montrer qu’il ne faut en tout cas pas conclure trop hâtivement à des
incursions de la morale au sein d’un droit qui en aurait été auparavant bien plus exempt. Tout
au contraire, il s’agit là plutôt de nouveaux infléchissements dont l’interprétation mérite d’être
nuancée et qui, d’ailleurs, dans certains cas (en particulier dans le quatrième point), voient les
pratiques judiciaires jouer plutôt le jeu d’une préservation de la sphère du droit d’incursions
moralisatrices excessives.
J.L. GENARD, « Le retour de l’éthique », dans G. GIROUX (éd), La pratique sociale de l’éthique, Bellarmin,
Québec, 19
J.L. GENARD, La grammaire de la responsabilité, « Humanités », Cerf, Paris, 1999.
M. VILLEY, « Esquisse historique sur le mot « responsable » », dans Archives de philosophie du droit, n° 22,
1977, p. 55